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Hitchcock omniprésent, partie 1

Comme je l’ai annoncé ici, et promis ici, voici enfin cet article de lectures cinéphiles en deux parties, consacré à Hitchcock.

Hier soir, en rentrant chez moi, j’ai trouvé un colis. À l’intérieur se trouvait un petit ouvrage d’environ deux cents pages, Alfred Hitchcock & the making of Psycho, de Stephen Rebello.

Alfred Hitchcock & the making of Psycho

Ce livre, publié pour la première fois en 1990, a été réédité en 2012, pour la simple et bonne raison qu’il a inspiré le film consacré à Hitchcock, sorti en France en février 2013. J’ai dû le commander en anglais, étant donné que je ne l’ai pas trouvé traduit en français, et bien-sûr, je n’ai pas encore eu le temps de me plonger dedans – peut-être pour la deuxième partie de cet article… D’ailleurs, même si j’ai une certaine aisance à la lecture en anglais, elle me prend beaucoup plus de temps qu’une lecture en français. Je ne donnerai donc du livre de Stephen Rebello qu’un aperçu succinct.

Je ne l’ai d’ailleurs pas acheté pour sa nouveauté, mais bel et bien parce que le film qui s’en est inspiré a suscité chez moi une véritable curiosité.

affiche-Hitchcock-2012-2

Hitchcock, de Sacha Gervasi, n’est pas un biopic. Il ne restitue pas l’ensemble de la vie et de la carrière du réalisateur. Hitchcock disait « Un film n’est pas une tranche de vie, c’est une tranche de gâteau ». Le film de Sacha Gervasi se concentre sur la tranche Psychose dans la carrière et la vie d’Hitchcock, depuis l’idée de faire le film à sa promotion et sa sortie en salles.

Que penser de ce film ? Pour parodier une réplique de Mon petit doigt m’a dit, « tellement parfait qu’on ne remarque pas ses très nombreux autres défauts » ? Il est cependant loin d’être parfait, mais on ne peut lui dénier beaucoup de choses :

  • le charme de son évocation et de ses reconstitutions. C’est soigné, méticuleux, et il faut l’avouer, à un film qui a Hitchcock pour personnage, c’est difficile de résister. Le film restitue une époque et une atmosphère, et évoque un film présent dans toutes les mémoires de cinéphiles qui se respectent.
  • l’excellence des interprètes. Rien que la tête d’affiche laisse sans voix, et quelle tête ! Quant à Helen Mirren qui incarne Alma Reville, il y a bien longtemps qu’elle n’a plus besoin de me convaincre, et que j’ai abandonné toute objectivité face à elle. Elle pourrait me dire : passez-moi le sel, je la trouverais bluffante…
  • la qualité des dialogues. C’est vif, enlevé, agréable, et parfois désopilant.

Passons aux défauts :

  • la tentation adultère d’Alma avec un bellâtre sur le retour… franchement, à quoi bon ?
  • l’interprétation psychanalytique à l’excès : les films de Hitchcock expliqués forcément par des pulsions sexuelles et meurtrières chez leur cinéaste ;
  • les délires hallucinatoires du psychopathe ayant inspiré Psychose, qui apparaît de temps à autre : c’était plus efficace dans Shining avec Nicholson.
  • Finalement, ce film sur Hitchcock fait passer un bon moment, mais n’a rien de hitchcockien dans son esprit.

Pour retrouver le sel et l’essence de ce qui fait Hitchcock, mieux vaut donc se plonger dans un livre sorti en novembre 2012 aux éditions Flammarion, Hitchcock par Hitchcock.

Hitchcock par Hitchcock

C’est un livre captivant, à l’exception de sa préface, que je déconseille formellement. J’ai eu beau la relire trois fois, il ne m’en reste rien, sinon le souvenir d’un amas de métaphores et de références décousues, d’une glose autour de citations d’Hitchcock. Elle rappelle exactement la façon dont Norman Bates dans Psychose s’approprie les vêtements de sa mère… sans atteindre la métamorphose finale. Et pourtant, les belles préfaces, ça existe, j’aurai l’occasion d’y revenir !

Au-delà de la préface, les textes rassemblés sont des entretiens, des courtes nouvelles, des conférences, des articles de presse et d’encyclopédies, publiés ou prononcés par Hitchcock entre 1919 et 1977. La plupart des thématiques abordées sont propres à la fabrication d’un film, depuis le choix du scénario jusqu’à l’accueil du film par le public.

Certains textes peuvent surprendre : le premier, Gaz hilarant, est une nouvelle très courte et assez amusante et qui nous fait comprendre tout de suite à quel individu nous avons affaire. La femme qui en sait trop, publié en 1956, est sans doute le plus inattendu parce qu’il s’agit d’un témoignage personnel, et assez troublant, d’Hitchcock sur sa femme Alma. Voudriez-vous connaître votre avenir ? paru en 1959, éclaire le travail du réalisateur sous un curieux angle théologique.

D’autres textes reprennent au fil des pages la plupart des éléments qui tiennent à coeur dans l’esprit hitchcockien :

  • la toute-puissance du cinéma comme art visuel. C’est un leitmotiv qui parcourt tous les articles : l’idée de faire du « pur cinéma », de privilégier l’image à la parole, et de reconnaître au cinéma muet cette supériorité d’être un art parfaitement visuel. C’est ce qu’on retrouve dans l’article – injonction Ferme les yeux et vois ! (1936), aussi bien que dans l’entretien Sur le style (1963).
  • la distinction entre suspense et surprise.
  • la nécessité de l’authenticité :

Le principe fondamental à respecter, c’est d’imiter autant que possible la vie réelle – particulièrement pour les histoires que j’utilise. Mon métier, c’est l’imagination. En d’autres termes, je ne m’occupe pas de représenter des tranches de vie. Mon travail de suspense provient de la création de cauchemars pour les spectateurs. Je joue avec les spectateurs. Je veux leur couper le souffle, les surprendre, les choquer (…) filmer de façon réaliste, faire que tout paraisse aussi réel que possible, parce que les effets eux-mêmes sont tout à fait bizarres en réalité. (p.346)

  • l’impératif, procurer du frisson au spectateur, de Florissants frissons (1936) à Pourquoi j’ai peur dans le noir (1960).
  • et l’humour, par-dessus tout, l’humour de Hitchcock, ici s’adressant à son auditoire, en fin de discours, lors d’un dîner :

On dit qu’un meurtre est commis à chaque minute, je ne veux donc pas vous faire perdre plus de temps.

Livre à déguster sans se priver, donc ! Quant à la seconde partie de mon article, elle viendra très vite, beaucoup plus vite que la première, mais d’ici-là…

Suspense !

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  1. Eva

    Tu as montré des Hitchcock à tes élèves ? 🙂

    • Euuuuuuhhhh… Joker ?
      Non, sérieusement, je pense que pour les sixièmes, c’est du sadisme… et que les autres sont déjà trop blasés pour comprendre la valeur de ce qu’on leur montre. J’ai déjà de la chance d’avoir mon petit groupe de fidèles qui adorent Chaplin… L’humour de Chaplin est direct, universel. Ce n’est pas que je pense que Hitchcock est moins universel, mais il fonctionne plus à l’humour noir et au second degré, ce qui est généralement inaccessible à un public comme le mien… sans vouloir les dévaloriser. En gros, je ne les crois pas assez mûrs pour apprécier, sauf exceptions.
      Et puis, montrer des Hitchcock, après tout, pourquoi pas, mais lesquels ? Dis-moi ce que tu suggères et je te répondrai au cas par cas 😉

  2. Eva

    Hmmm…quand j’étais en seconde on nous a amené voir « Les oiseaux » avec le programme « Lycéens au cinéma » et je me souvient que la classe avait bien accroché ! Mais bon, on était au lycée aussi… « L’homme qui en savait trop » à la limite ça pourrait passer (sinon en effet je pense que « La corde », « Le crime était presque parfait », « Psycho », « La mort aux trousses », « Mais qui a tué Harry » et « Fenêtre sur cour » (mes films préférés d’Hitchock) c’est beaucoup trop subtil !).

    • Oui, « Les Oiseaux », c’est sans doute le plus fédérateur… et encore, ça dépend du public, comme tu le dis toi-même. A tenter !
      Pour « L’homme qui en savait trop », 1ère ou 2e version ? J’avoue que Doris Day hurlant « Que sera sera » a tendance à me taper sur les nerfs, alors j’imagine des collégiens…
      Et pour les autres, je suis d’accord avec toi, même si je pense que pour « Fenêtre sur cour », ça serait intéressant d’étudier l’histoire et la technique, et que sans doute les films d’espionnage, type « La mort aux trousses » ou « L’étau » pourrait mieux passer que « Psycho » ou « La Corde » et leur second degré dévastateur ! Tu imagines, passer « La Corde » en collège : avant que James Stewart ne découvre le pot-aux-roses, il y a quand même un meurtre commis gratuitement, une discussion sur la supériorité des forts par rapport aux faibles et un dîner autour d’un cadavre enfermé dans une malle !

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