Le voici enfin, ce compte-rendu de lecture du livre que j’attendais pour fin janvier et qui est finalement sorti début février.

Pourquoi tenais-je tant à parler de ce livre en particulier ? D’abord parce que le titre, le sujet et la couverture avaient l’air des plus attrayants.

Ensuite, parce qu’il y a un an tout juste, je faisais déjà le compte-rendu d’un livre consacré à une série TV, qui m’avait beaucoup plu. Et cela me permet de changer un peu des romans sur le cinéma qui, personnellement ne me lassent jamais, mais risquent peut-être de lasser mes éventuels lecteurs.

Enfin, l’ouvrage d’aujourd’hui est publié par une maison d’édition, Rouge Profond, qui jusque-là, ne m’a pas déçue. Grâce à elle, j’ai découvert plus de science-fiction, plus de vampires au cinéma (en dehors de Twilight) et plus de villes et paysages américains.

De découvertes en découvertes…

Ce livre tant attendu est donc paru en février 2016, dans la collection Raccords de Rouge Profond, sous la plume de Sarah Hatchuel, et a pour titre : Rêves et séries américaines : La fabrique d’autres mondes.

Et comme l’indique la couverture, il s’intéresse plus particulièrement aux séries suivantes : Awake, Buffy, Battlestar Galactica, Hannibal, LOST, Les Soprano, Six Feet Under et Twin Peaks.

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Lorsque j’ai parcouru, avant ma lecture, les quelques lignes consacrées à l’auteur – professeure des universités – j’ai vu notamment qu’elle dirigeait une revue en Open edition qui recueille des articles scientifiques sur les séries télévisées.

Le site en question m’a donnée envie d’en savoir plus, et j’ai tapé son nom sur Google, pour me retrouver, entre autres sur un site : Réseau S.E.R.I.E.S. (Scholars Exchanging and Researching on International Entertainment Series).

La page consacrée à Sarah Hatchuel n’a cependant pas l’air d’être à jour. Lorsque l’on clique sur son site internet, on tombe sur une page d’erreur, et le présent ouvrage, écrit seule, semblait à l’origine être annoncé comme co-écrit, sous un autre titre, avec une autre universitaire, Monica Michlin.

Le nom Monica Michlin me semblait familier, et effectivement, je me suis souvenue avoir, pendant un trimestre ou un semestre, suivi les cours à la Sorbonne d’une personne dynamique et vraiment enthousiasmante, qui, à l’époque, m’avait donnée envie de voir Six Feet Under, entre autres.

Pour en revenir à notre ouvrage, Six Feet Under était d’ailleurs la seule série mentionnée sur la première de couverture que j’ai vue pour l’instant en intégralité. Pour les autres, j’ai vu à ce jour les 2 premières saisons de Battlestar Galactica et des Sopranos (même si je prévois d’en voir la suite très prochainement).

Tout ça pour dire que, dès sa couverture, et pendant sa lecture, je n’ai cessé d’aller de redécouvertes en découvertes.

Du cinéma aux séries TV

Si je ne partais pas vraiment en terrain connu avec les séries choisies par l’auteur, j’ai en revanche trouvé que, d’une part, elle guidait le lecteur vers ces autres mondes, avec beaucoup d’érudition (heureusement pour une universitaire) et de bienveillance.

D’autre part, si elle utilise souvent un vocabulaire complexe pour le lecteur lambda, ou du moins pour celui qui n’a pas fait d’études littéraires poussées (onirique, diégèse, fracture dimensionnelle, geste auctorial, etc.), elle appuie suffisamment son propos d’exemples et revient suffisamment sur ce qui lui tient à cœur, pour que finalement on se laisse entraîner.

Dans son introduction et son premier chapitre, elle évoque ainsi l’univers du cinéma et la place du rêve dans des séries plus anciennes. Après tout, le cinéma comme usine à rêves, quel meilleur point de départ ?

Elle compare le rêveur endormi et le spectateur de cinéma (ce à quoi elle reviendra dans son dernier chapitre, consacré aux fanfictions, où les spectateurs rêvent pour leur personnages de séries, des itinéraires différents).

Elle évoque le Vertigo d’Hitchcock, les films de Buster Keaton et de Chaplin, Chantons sous la pluie – ce qui m’a rappelé quelques images de Brigadoon, curieux film où deux Américains découvrent un village qui n’existe qu’un jour par siècle…

Elle revient plus longuement sur La Maison du Dr Edwardes d’Hitchcock, sur La Femme au portrait, un magnifique film de Fritz Lang (peut-être mon préféré à ce jour), puis évidemment sur Matrix et sur Inception, entre autres, tous ces films où le rêve est tour à tour trompe-l’œil et réalité alternative.

Dans son premier chapitre, elle aborde les séries télévisées, depuis I love Lucy jusqu’à True Blood, en passant par Desperate housewives, Grey’s anatomy et Six Feet Under. Le rêve y est cliffhanger, créateur (encore) de réalités alternatives – elle s’appuie sur l’allégorie du chat de Schrödinger – élément de surprise, ou transgressif.

Finalement, dans cet ouvrage vertigineux, de Hannibal à Twin Peaks, Sarah Hatchuel nous conduira à travers ces espaces, passés et futurs simultanément et réciproquement, où l’on est jamais tout à fait sûr d’être dans la réalité ou dans le rêve.

Les séries y deviennent ces palimpsestes où chaque élément de rêve ou de réalité recouvre ou découvre l’élément précédent et l’élément suivant.

Envie de se perdre en rêveries ?

Au fil des chapitres, l’auteur nous embarque donc dans les rêves et hallucinations ensanglantées d’Hannibal, dans les résonances du cinéma hollywoodien et / ou mafieux chez les Soprano, qui annoncent Mad Men et Boardwalk Empire.

Déjà pour ces séries, l’auteur cite La Tempête de Shakespeare : « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre vie est enveloppée dans un somme ». Cette citation parcourra le livre et viendra se rappeler à sa toute fin : il n’y a pas de frontière nette entre réalité et fiction, dans un « rêve cosmos » qui est déjà fiction et / ou réalité pour le spectateur.

On se perd dans les rêves et les « flash-backs / flash-sideways » de LOST (est-ce étonnant ?), dans la mise en scène des peurs des personnages de Buffy – avec cette question : Buffy la chasseuse de vampire vit-elle réellement ses aventures ou les rêve-t-elle depuis un hôpital psychiatrique ? – ou dans les visions de Battlestar Galactica.

Mais à la lecture de cet ouvrage, les deux séries que j’ai eue le plus envie de découvrir étaient Awake et Twin Peaks.

Awake, parce qu’elle raconte en une saison un personnage tiraillé entre deux réalités : quand il s’éveille le matin, c’est dans un monde où son fils est mort et où sa femme est vivante, quand il s’endort le soir, c’est pour retrouver un monde où la femme est morte et le fils est vivant. Le tout sur fond d’enquêtes policières.

Chaque dimension fonctionne comme le rêve de l’autre, formant un ruban de Möbius mental où apparaissent des phénomènes d’écho et de coïncidence.

Twin Peaks, parce qu’elle est considérée par beaucoup comme la série moderne fondatrice où se mêlent références cinématographiques, rêves et différents plans de réalités. Sarah Hatchuel m’a donné d’autant plus envie de voir Twin Peaks qu’elle a glissé, à la fin de son chapitre, un très beau parallèle avec le Shining de Kubrick.

Quelques remarques formelles

Bref, un quasi sans-faute pour ce livre dépaysant qui nous conduit d’une série à l’autre et d’un rêve à l’autre avec la légèreté d’un fil d’Ariane et une érudition quelque peu vertigineuse mais plaisante.

Un point seulement m’a déçue, mais je n’ai pas à ce jour de solution satisfaisante à proposer. Dans ses chapitres et ses notes de bas de pages, Sarah Hatchuel glisse souvent les liens vers des vidéos sur YouTube ou autre, pour que tout de suite le lecteur puisse se remémorer ou découvrir les images associées à son texte.

Seulement pour retrouver ces vidéos, il faudrait donc, à partir du livre, taper leur adresse URL ou effectuer une recherche par mots clefs… Il me semble qu’on pourrait faire mieux pour intégrer le numérique au livre. Enrico Giacovelli proposait, dans ses ouvrages sur le cinéma muet, QR-codes et chaîne YouTube pour retrouver les films dont il parlait.

Pour des sujets aussi discutés, mis en ligne et parodiés que les séries TV, ce genre de procédé devrait, selon moi, s’imposer d’autant plus.

Il reste que l’auteur est indiscutablement une passionnée au même titre que Charlotte Blum qui proposait l’an dernier un livre de suggestions pour accros aux séries. Dans ses notes de bas de pages, il arrive qu’elle fasse référence à une conversation qu’elle a eue avec tel ou tel autre spécialiste du sujet, et on imagine aisément un dialogue à bâtons rompus entre deux fans.

Et justement, son dernier chapitre s’intéresse à la fois à une pratique numérique et à une pratique de fans.

Fanfictions et transmédia

En effet, elle y étudie la manière dont les séries débordent maintenant du cadre télévisuel, pour être réapproprié par des spectateurs-rêveurs, devenus co-rêveurs et quasi co-auteurs de ces séries.

Elle se penche en particulier sur le phénomène des fanvids de la série LOST, qui mettaient en scène des scénarios alternatifs parodiques où les fans imaginaient des relations homosexuelles entre les personnages masculins, s’appuyant notamment sur les champs-contrechamps et le dialogue, élaborant ainsi toute une structure para-narrative ponctuée de références aux saisons précédentes et allant presque jusqu’à influencer l’écriture des épisodes suivants par les scénaristes.

De l’usine à rêves du cinéma, le lecteur en arrive donc, pour son plus grand plaisir, après avoir été surpris par le réveil de tel personnage et avoir exploré la réalité alternative de tel autre, à s’impliquer lui-même dans le processus de création de la série.

À nous / à vous maintenant d’imaginer, de rêver et de mettre en scène les espaces nouveaux de nos séries télévisées et de nos films : réalité(s) et / ou fiction(s) ? passé(s), présent, futur(s) ou mouvements simultanés qui nous mêlent et nous démêlent à nos personnages et à nos histoires préférés ?

Quelques vidéos pour finir…

Et pour ceux qui veulent revoir quelques scènes de rêves, voici une petite sélection :

Ou le numéro spécial de Blow Up sur Rêves et cinéma :

Et pour ceux qui s’intéressent aux réalités alternatives :

À bientôt !