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Étiquette : Carlos Ruiz Zafon

Juin 2020 : profdoc et CDI en (dé)confinement ?

Comme je l’avais indiqué dans les articles #profdoc d’avril et de mai, et afin d’équilibrer entre elles les différentes publications sur ce site, voici ce que vous retrouverez dans cet article du mois de juin :

  • quelques-unes des activités menées début mai que je n’avais pas encore abordées ;
  • quelques activités déjà abordées et sur lesquelles je vais revenir pour les approfondir (en particulier la fin des séances en SNT et le blog du CDI) ;
  • les activités menées entre le 25 mai et le 26 juin.

Pour cet article, je reprends aussi la structure de l’article d’avril avec les différentes problématiques de télétravail, en y ajoutant les problématiques de déconfinement du CDI.

Le bujo du (dé)confinement

J’avais commencé à partager mes pages de bullet journal avec les indications de mes différentes activités : voici la suite, avec la période du déconfinement, et qui alterne travail à distance et travail sur place.

1 – Adaptation à distance des séances pédagogiques afin de maintenir les projets prévus en collaboration avec les enseignants.

De nouveau, je ne reviens pas sur les blogs d’histoire géographie géopolitique sciences politiques HGGSP (2 d’entre eux fonctionnent très régulièrement avec des dépôts de travaux d’élèves, le troisième est quelque peu au point mort), ni sur le blog d’EMC 1ère. Je ne reviendrai pas non plus sur le blog d’histoire-géo : faute de nouvelles du collègue, j’ai arrêté de publier dessus.

Je vais par contre finir de développer un peu plus les présentations proposées le mois dernier des deux derniers blogs de SNT ainsi que les productions réalisées par les élèves.

SNT : 5 blogs

Au terme de cette période, et pour traiter la thématique des réseaux sociaux, c’est donc 5 blogs sur l’ENT que j’ai consacrés à l’enseignement de SNT. J’ai déjà présenté en avril et mai le blog « crash test » des 2NDES9, les blogs des 2NDES11 et 2NDES12 avec le déroulé des activités, et j’avais présenté également le déroulé des activités des 2NDES3.

Concernant la dernière classe, les 2NDES2, nous avons repris les mêmes activités que pour les 2NDES3.

J’ai été impressionnée par la qualité du travail fourni par les élèves, quelles que soient les classes.

Je précise à nouveau, pour la présentation des réseaux sociaux, que les élèves présentent le réseau social de leur choix en utilisant les codes graphiques et le vocabulaire propre à ce réseau. Bien évidemment, on ne les force pas à s’inscrire sur un réseau ou à divulguer le nom de leur compte. Ils peuvent faire preuve d’ingéniosité et utiliser captures d’écran et retouches d’images.

Mais la plupart d’entre eux font montre d’une véritable virtuosité : comme cet élève qui a présenté Twitter sous la forme d’un thread, ou ces deux jeunes filles qui ont présenté YouTube avec une vidéo des plus abouties.

Voici donc une présentation de leurs travaux (j’ai réalisé pour chaque classe le même type de présentation, et les élèves étaient ravis), que je vous laisse apprécier…

Productions des élèves

Retour et analyse de ces séances

J’ai eu l’occasion d’intervenir durant un webinaire organisé par le réseau CANOPÉ sur ces séances et leur adaptation à distance. Le webinaire s’est tenu le lundi 8 juin et le mercredi 24 juin pour une deuxième session. Pour l’occasion, j’avais préparé un premier compte-rendu, que vous trouverez ci-dessous :

Puis un deuxième, qui sera publié sur le site a priori.

Présentation de l’épreuve du grand oral aux classes de première

Je l’avais indiqué au tout début du confinement, Aurélie, une copine qui enseigne la physique-chimie et l’enseignement scientifique au lycée, m’avait demandé de préparer une séance pour présenter le grand oral à ses élèves de première.

J’ai donc planché sur une séance, en m’appuyant sur une formation que j’avais suivie début mars avec les professeurs documentalistes de mon bassin, et qui était animée par Laura Dahan, comédienne et metteuse en scène.

Cette séance était évidemment pensée pour être menée en présentiel, mais fin mai arrivant, Aurélie m’a demandé de la faire à distance avec ses élèves.

Lorsque durant un conseil pédagogique, j’ai pu présenter l’initiative (juste avant la date de la séance), j’ai été sollicitée par plusieurs collègues, j’ai donc contacté les professeurs principaux de premières pour leur proposer de mener la séance avec leurs classes.

Voici le support que j’avais proposé :

Ainsi qu’une présentation synthétique que j’ai également mis à disposition des élèves, avec d’autres ressources que je leur ai partagées sur l’application Pearltrees de l’ENT.

Enfin, voilà le bilan de ces séances :

2 – Sélection, proposition de ressources pour les professeurs et pour les élèves et communication

Voici les initiatives réalisées à destination des professeurs et des élèves : il s’agit principalement de veille culturelle avec une mise en forme sur Genial.ly dans certains cas.

« Et après, qu’est-ce qui se passe ? »

Le but de cette présentation était d’inciter les élèves (et les enseignants) à la lecture en leur proposant une sélection d’incipits, et en permettant d’accéder à la suite de l’oeuvre si la première phrase « accrochait » son lecteur.

8 mai 1945

Pour le 8 mai 1945, je prévoyais une grande exposition de ressources au CDI… évidemment je n’ai pas pu. Je me suis donc rabattue sur une présentation cliquable, avec principalement des discours, des vidéos, et des liens renvoyant vers des expositions et des musées.

Blog « Le point culture et lecture du CDI »

J’ai continué à alimenter le blog du CDI sur l’ENT, à raison d’un à deux articles par semaine.

  • Semaine du 25 mai : une présentation consacrée à Victor Hugo, à l’occasion des 135 ans de sa disparition, un article présentant le padlet réalisé par le CIO de Sainte-Geneviève-des-Bois pour informer les élèves sur l’orientation, un article publié par Christophe, collègue de maths, sur les conférences de l’école Polytechnique
  • Semaine du 1er juin : une présentation sur Hitchcock (je voulais à l’origine organiser une exposition Hitchcock au CDI), un nouvel article publié par Christophe, et un article sur le CDI déconfiné
  • Semaine du 8 juin : un article sur les lieux culturels déconfinés, la présentation des travaux de SNT des 2NDES 3
  • Semaine du 15 juin : une présentation sur l’appel du 18 juin ; une présentation – que j’aurais souhaité ne jamais faire – en hommage à l’écrivain disparu Carlos Ruiz Zafòn
  • Semaine du 22 juin : un deuxième article sur le CDI déconfiné avec les différentes étapes de réaménagement du coin lecture et orientation.
Présentation Victor Hugo

J’ai réalisé cette présentation pour les 135 ans de la disparition de Victor Hugo, et en clin d’oeil pour une collègue de français qui me racontait lire sa correspondance avec Juliette Drouet pendant le confinement :

Présentation Hitchcock

Pour les 40 ans de la disparition du réalisateur, je voulais organiser une petite exposition au CDI sur le cinéma, le suspense, les scènes de crime… je me suis rabattue comme d’habitude pendant cette période sur cette présentation cliquable, à laquelle j’ai ajouté des gifs pour donner plus de dynamisme :

Appel du 18 juin

Enfin, pour clôturer cette année riche en présentations réalisées sur Genial.ly, j’ai proposé cette dernière sur les 80 ans de l’appel du 18 juin :

Pearltrees « Veille E-INSTANT CDI »

J’ai ajouté dans ce pearltrees la plupart de mes Genial.ly culturels réalisés depuis deux ans. J’ai aussi organisé mes collections et je propose désormais à gauche de chaque section une note qui explique ce qu’elle contient.

Ainsi, je propose à côté de la section « veille thématique » une note « Je veille pour vous ». Le but est, en cas d’une utilisation très restreinte du CDI à la rentrée de septembre, de donner aux enseignants la possibilité de me faire part de leurs besoins en terme de veille et de ressources numériques.

Cette possibilité fait le lien avec le travail de gestion, que je vais maintenant aborder.

Visite virtuelle du CDI

Afin d’anticiper sur l’incertitude de la rentrée de septembre, et en lien avec les travaux de réaménagement de l’espace lecture et orientation (voir plus bas), j’ai décidé de proposer aux élèves une petite exposition virtuelle du CDI :

3 – Travail de gestion

Afin d’anticiper la période assez incertaine du déconfinement du CDI et de la fin d’année scolaire, voici les activités réalisées ce mois-ci.

Nouvel onglet sur le portail E-SIDOC : le CDI outside

J’ai voulu proposer un espace dédié sur le portail E-SIDOC et qui permettrait aux élèves d’avoir accès à un CDI virtuel, au cas où son accès en septembre soit toujours des plus contraints.

J’ai donc imaginé trois rubriques : le DRIVE IN, le PICK UP, et le CLICK AND COLLECT. Pourquoi ces termes et pourquoi en anglais ?

D’abord parce que ces termes sont accrocheurs, ils donnent envie selon moi. Ensuite, chacun de ces termes correspondent, dans mon esprit, à la traduction à distance d’une mission du professeur documentaliste :

  • DRIVE IN, c’est « entrer » : c’est la formation à la recherche de l’information, cette rubrique est dédiée à l’EMI, aux parties des programmes du lycée qui intéressent de près le prof doc, au numérique et à l’esprit critique
  • PICK UP, c’est « ramasser » : c’est la gestion du centre de ressources. Dans cette rubrique, l’élève trouve des contenus qui vont approfondir ses connaissances disciplinaires (textes imposés de français, vulgarisation scientifique)
  • CLICK AND COLLECT, enfin, c’est « cliquer et collecter » : c’est l’ouverture sur l’extérieur. L’élève y trouvera des actualités et des ressources culturelles

Je me suis évidemment inspirée d’autres portails E-SIDOC, et de ressources publiées par des profs docs, comme Anne-Lise Dupont et Sandrine Duquenne. Concernant les visuels de présentation de l’espace, j’ai proposé à Floriane de les réaliser, ce qu’elle a fait, comme d’habitude, admirablement.

Pour chaque rubrique figure en en-tête une présentation sur Genial.ly, ainsi que quelques éléments d’introduction. Voici un exemple avec le Genial.ly réalisé pour l’espace DRIVE-IN :

J’ai ajouté des sitographies et des flux RSS pour enrichir chacun des espaces.

Visuel sur les manuels numériques

Afin également d’anticiper la rentrée de septembre, j’ai mis à disposition des enseignants sur le pearltrees un visuel de présentation de l’accès aux manuels numériques sur l’ENT.

Bilan d’activités

Pendant le confinement, nous avons rédigé le plus gros du bilan d’activités de l’année, un document assez conséquent, et c’est à nouveau Floriane qui s’est chargé d’en réaliser une version plus visuelle :

Activités de gestion sur place

J’ai pu retourner au CDI avec Floriane à partir du 27 mai. Nous avons donc pu réaliser les tâches suivantes :

  • bulletinage des quotidiens et magazines reçus pendant le confinement, archivage, réabonnements
  • rangement des expositions mises en place avant le confinement
  • gestion des « retards » : prise de contact avec les enseignants des élèves concernés, avec la vie scolaire et envoi d’un mail individuel sur l’ENT
  • gestion des spécimens : envoi aux enseignants d’un tableau où ils peuvent s’inscrire pour indiquer un créneau de récupération
  • récolement

Nous avons reçu, au moment où j’écris ces lignes, près de 80 cartons de spécimens. Lorsque mes collègues sont venus les récupérer, je n’ai pas pu résister à leur proposer ce petit problème de maths, réalisé avec la complicité de Christophe, mon comparse de maths au lycée.

Réaménagement du coin lecture / orientation : avant et après

Voici en photos l’évolution de l’espace avec une modernisation du kiosque ONISEP, et l’installation d’un nouveau meuble à mangas pour les élèves :

4 – Auto-formation

Avancées dans PIX

Pour cette période des mois de mai et juin, j’avoue avoir quelque peu mis en pause mes progrès sur la plateforme, voilà cependant où j’en suis :

  1. Information et données : 5 / 5 / 4
  2. Communication et collaboration : 4 / 5 / 4 / 5
  3. Création de contenus : 2 / 4 / 3 / 1
  4. Protection et sécurité : 4 / 4 / 4
  5. Environnement numérique : 2 / non commencé

En tout j’ai obtenu pour l’instant 485 pix.

Lectures

Voici mes lectures entre le 21 mai et le 26 juin :

  • les comics édités par la plateforme Netflix : Prodigy, Sharkey : Le chasseur de primes et The magic order ;
  • le tome 1 de la BD James Bond 007, VARGR publié chez Delcourt ;
  • L’Angleterre en séries, de Ioanis Deroide ;
  • Saison des roses (BD) de Chloé Wary ;
  • Les 3 tomes de la trilogie Wielstadt de Pierre Pevel : Les Ombres de Wielstadt, Les Masques de Wielstadt et Le Chevalier de Wielstadt, trilogie que j’ai adoré !
  • Le Tatoueur d’Auschwitz de Heather Morris

Hommage à Carlos Ruiz Zafón

Je termine cet article (et cette année scolaire) par la présentation hommage que j’ai consacrée à l’écrivain Carlos Ruiz Zafón.

Comme je l’indiquais plus haut, j’aurais souhaité ne pas avoir à faire cette présentation. En effet, Zafón est l’un de mes écrivains préférés : j’ai visité Barcelone en lisant L’Ombre du vent, sur les conseils d’une amie, et j’étais persuadée pouvoir continuer à découvrir des ouvrages de cet auteur pendant encore au moins vingt ans…

Bref, c’est avec Carlos Ruiz Zafón que je vous laisse pour cet été, en vous souhaitant tout le repos possible pendant ces vacances, de belles lectures et de belles découvertes.

À très bientôt sur Cinephiledoc !

À quoi rêvent les écrivains ?

Parce que le dernier article de Eva la thésarde sur les titres de romans m’a bien fait rêver et m’a inspirée, parce que c’est férié et qu’à défaut d’un vrai printemps, on peut l’imaginer, parce que j’ai passé le week-end au festival «Trolls et légendes» de Mons, et parce qu’une petite conversation anodine peut donner une bonne idée d’article…. parce que, parce que, parce que… bref : petit interlude littéraire.

Dickensdream

Situation

Figurez-vous un repas dans un restaurant… pas le restaurant classe, pas le petit bistrot, ni le kebab, mais le restaurant de chaîne, sans citer de marque. Au détour de la conversation, sans crier gare, arrive le sujet littéraire : l’univers des écrivains, terme souvent étudié et qui recouvre tout un tas de thèmes éclectiques – contexte, environnement social, familial et culturel, personnages et sujets de prédilection, vision du monde.

Non, pour une fois, mon titre pose exactement la question qui m’intéresse : à quoi rêvent les écrivains ? Ni le rêve façon Martin Luther King, ni le rêve éveillé de l’imagination ou de l’inspiration qui parfois se personnifie dans un être plus ou moins réel ou fictif (Cassandre, Elsa et autres muses), ni l’hallucination due à des substances plus ou moins licites – opium des uns, absinthe ou mescaline des autres…

Parfois, il arrive, lorsqu’on lit certains écrivains, qu’au-delà de la question admirative à la limite de la jalousie «Comment fait-il pour écrire comme ça ?», on parvienne à la question suivante : «De quoi a-t-il rêvé la nuit pour écrire ça ?»

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas de l’interrogation méprisante et plus gentiment tournée «Bon sang, mais le gus, il s’est shooté à quoi ?» Le monde imaginé nous paraît tellement riche, tellement démesuré, kaléidoscopique, que l’on se demande bien à quoi ressemble le sommeil de l’auteur : est-ce un insomniaque, un animal nocturne, combien d’heures dort-il par nuit ? compte-t-il les moutons ? à quoi ressemble sa parure de lit ? a-t-il une tendance aux rêves ou aux cauchemars ? Et évidemment, ces questions plus ou moins loufoques ne s’attendent à aucune réponse scientifique, psychologique ou neurologique.

Bien entendu, la question pourrait être élargie à d’autres univers artistiques, peinture, musique, cinéma

Comme ce billet est un petit «Hors-série», que c’est férié, et que je suis flemmarde aujourd’hui, je ne donnerai que les quelques exemples des écrivains qui m’ont le plus intriguée.

Quels rêveurs pour quelles oeuvres ?

Peut-on classer les rêves des écrivains ou les possibilités de rêves, à partir de l’oeuvre qu’ils ont suscitée ? Bien-sûr, on pourrait trouver des rêveurs urbains, des rêveurs hallucinés, des rêveurs linguistiques, des rêveurs paysagers.

Pourquoi ai-je l’impression que Proust devait rêver de choses immenses dont il était cependant capable de voir le moindre détail ? Un rêveur de la cathédrale et du vitrail ? Sans doute parce qu’il a écrit ces lignes :

Ma gondole suivait les petits canaux ; comme la main mystérieuse d’un génie qui m’aurait conduit dans les détours de cette ville d’Orient, ils semblaient, au fur et à mesure que j’avançais, me pratiquer un chemin, creusé en plein coeur d’un quartier, qu’ils divisaient en écartant à peine, d’un mince sillon arbitrairement tracé, les hautes maisons aux petites fenêtres mauresques ; et comme si le guide magique eût tenu une bougie entre ses doigts et m’eût éclairé au passage, ils faisaient briller devant eux un rayon de soleil à qui ils frayaient sa route. (Albertine disparue)

Pourquoi suis-je tentée de penser que Lewis Carroll ou Carlos Ruiz Zafon sont davantage des rêveurs labyrinthiques, qui rêvent leurs univers comme des constructions absurdes (elles me rappellent les illusions d’Escher) et vertigineuses, vertigineuses au niveau du sens pour Lewis Carroll, vertigineuses au niveau de l’espace pour Zafon ?

Dans l’univers de ce dernier, la ville est omniprésente, non comme décor, mais comme créature presque vivante. Tout prend vie chez Zafon, encore plus que les êtres humains. Les objets s’animent, les jouets mécaniques se révoltent. C’est le règne des ruelles obscures, des automates et de l’ombre, un univers à mi-chemin entre Faust et les contes d’Hoffmann.

Le plus souvent Zafon pourrait être considéré comme un rêveur urbain. Barcelone est sa ville natale, il en rêve chaque recoin, la reconstitue avec une minutie impressionnante, la transpose dans chaque ville que ses personnage vont côtoyer et dans laquelle ils vont se perdre, corps et âme.

Mais c’est surtout un rêveur de l’inquiétante étrangeté. Ce sont ses livres qui se rapprochent le plus de ce qu’est véritablement le rêve pour l’être humain : le souvenir d’un univers familier mis en désordre. La confusion des lignes entre le quotidien et l’absurde. Le mécanisme bien établi de la logique et de la tranquillité qui se détraque dans les remous du cauchemar.

Rêveurs d’univers

Certains rêveurs et certains écrivains ne font que rêver le monde, un monde à leurs propres dimensions mais qui restent commun – du moins à ses fondations – au monde des autres hommes. D’autres vont l’inventer.

À l’image d’Inception, ces rêveurs sont des architectes : ils construisent, façonnent un autre monde, dans lequel ils plongent le lecteur. Ils bâtissent des villes, écrivent une histoire, inventent même une langue, s’interrogent sur la géographie et la sociologie de leur monde. Les deux exemples qui me parlent le plus, comme rêveurs architectes, sont J.R.R. Tolkien et George R.R. Martin, le plus abouti étant Tolkien, qui a créé plusieurs langues et qui a raconté la cosmogonie (création) de son monde.

Rêveur total. Rêveur aussi bien des villes que des campagnes, des climats et des reliefs, de la faune et de la flore, des hommes et des créatures, de l’histoire et des gouvernements, des religions et des langues. C’est ce qu’est Tolkien. C’est ce qu’est Martin. Deux rêveurs absolus qui n’en finissent pas de travailler, comme un joailler fabrique un bijou, le monde qu’ils nous offrent.

Tout ça pour dire qu’on se demande bien à quoi pouvait rêver la nuit le créateur des hobbits, des elfes et de Sauron, du Gondor et du Mordor, de la Lothlorien et de Galadriel ?

À quoi peut bien rêver l’explorateur de Westeros et de Essos, du Mur et de ce qui est au-delà, des Sept couronnes, des Dothrakis, de Qarth et de Braavos ?

Quitte à ne pas pouvoir répondre à la question, on peut toujours se consoler en lisant le très beau livre de Edouard Kloczko sur l’univers elfique de Tolkien, La grande encyclopédie des elfes, et se plonger dans la saison 3 de Game of thrones !

Post-scriptum

Quant au prochain article, il montrera à quel point un univers d’auteur peut sembler vertigineux et erratique lorsqu’il s’intéresse à des êtres mythiques du cinéma… et sur ces paroles pleines de clarté, je vous laisse, j’ai des chocolats à finir !

Lectures de fêtes

travailler moins pour lire plus

Je profite de ce dernier jour avant les fêtes et les vacances, pour un petit billet de plaisir – non que les autres ne soient pas de plaisir aussi, mais celui-ci le sera à la fois dans le fond et dans la forme. Cet article était un petit peu fourre-tout dans ma tête mais je vais essayer de l’organiser. D’abord il me faut un point de départ :

à l’occasion des fêtes resurgissent les clichés concernant les littéraires et, à plus forte raison, les documentalistes (je mets de côté l’aspect avant le trait d’union : professeurs) : à Noël, il faut nous offrir des livres, on aime ça, on aime sans doute que ça, et, nous, on offre des livres. Depuis quelques années, c’est d’ailleurs un défi pour moi de trouver pour chacun de mes proches autre chose qu’un livre ou un DVD, en tout cas quelque chose de plus personnel.

Mais bon, il faut bien le dire, les vacances seront aussi pleines de lectures, dont je ferai le compte-rendu (ou pas), à leur issue :

Je suis dans une période biographies, en particulier de régentes, dirigeantes et reines de France. Je suis donc plongée en ce moment dans la biographie d’Elizabeth Ière, de Michel Duchein, une somme de près de 800 pages, mais très complète et prenante. J’envisage par la suite la lecture des biographies suivantes : Catherine de Médicis, Marie Stuart et Anne d’Autriche, ainsi qu’un livre sur les guerres de religion, ou, en tout cas, sur les derniers Valois.

elisabeth Ière

Il y a les inévitables lectures professionnelles que j’emporte pour les vacances. Dans le labyrinthe : Evaluer l’information sur Internet, d’Alexandre Serres, et Du Tag au Like : La pratique des folksonomies pour améliorer ses méthodes d’organisation de l’information, d’Olivier Le Deuff.

dans le labyrinthe

Enfin, outre les livres que l’on va certainement m’offrir pour Noël, je serai plongée dans le dernier roman de Carlos Ruiz Zafon, Le Prisonnier du ciel, qui fait partie de la tétralogie du Cimetière des livres oubliés.

le prisonnier du ciel

Evidemment, à chaque vacances, ma liste de lecture est beaucoup plus ambitieuse que le temps dont je dispose et que le temps que j’y consacre, généralement avachie sur le canapé. Si l’on prend en considération le temps passé à se goberger (j’aime bien le mot goberger, et tous les synonymes de la prise de repas : se restaurer, se baffrer, se goinfrer, s’empiffrer, etc.) mon temps de lecture subit de cruels rabotements.

En parlant des lieux où on lit – qui se résument pour ma part à trois : le lit, le canapé et les transports en commun – j’avais un moment imaginé un article sur les lieux insolites de lecture, dont ma confrère blogueuse de Berlin aurait fait un pendant sur les lieux de lecture de la capitale allemande. Pendant les vacances, j’essayerai aussi de concrétiser cela, en espérant qu’outre Rhin, mon article soit source de motivation…

En attendant, et sans céder aux énièmes élèves qui me rabattent les oreilles de leur fin du monde, bonnes fêtes à tous et à bientôt.

Hommes-livres et hommes libres

« Des milliers sur les routes, les voies ferrées désaffectées, à l’heure où je vous parle, clochards au-dehors, bibliothèques au-dedans. Rien n’a été prémédité. Chacun avait un livre dont il voulait se souvenir, et y a réussi. »

Au lieu de construire, à la manière de George Orwell dans 1984,  un monde où l’histoire se réécrit en permanence, où le service des archives est le domaine de l’imagination, puisqu’il faut sans cesse réinventer le passé pour le conformer à la politique du présent, Ray Bradbury a créé, dans Fahrenheit 451, un avenir qui refuse le passé, et qui se consacre exclusivement à sa destruction. C’est toute la mémoire du monde qui est menacée, et dont les seuls dépositaires deviennent ces « hommes-livres ».

Il m’est impossible de penser à Fahrenheit 451 sans y associer les images du film de François Truffaut, et c’est à chaque fois les deux mêmes scènes qui s’imposent. La première, c’est l’intervention des pompiers incendiaires dans la maison de la vieille dame. Ils y retrouvent l’une des plus imposantes bibliothèques clandestines de la ville. Lorsque les livres sont brûlés, Truffaut filme leur agonie comme s’il s’agissait d’êtres vivants : les pages se tordent de douleur, se convulsent, tremblent sous la flamme, et la femme qui s’immole sur ce bûcher fait de même. Elle ne fait qu’un avec les livres. Elle est le premier livre incarné que rencontre Montag dans sa conversion à la mémoire.

La deuxième scène, c’est la confrontation de Montag avec les hommes-livres. Je ne me souviens plus si dans le livre il y a le même lapsus, ou s’il s’agit d’une idée de Truffaut. En anglais, Montag entend « good people » lorsqu’on lui parle des « book people ». En français, le lapsus est traduit : « hommes libres », « hommes-livres ».

Les « hommes-livres » redonnent vie au livre qu’ils récitent. J’aime ces œuvres où les livres sont plus vivants que les personnages qu’ils côtoient. Dans A la recherche du temps perdu, le livre se confond avec le narrateur, il s’étire pour prendre la mesure de son expérience et de son être. L’auteur aurait-il eu plus de temps, le livre aurait pu croître en conséquence. Le livre à écrire se confond avec la vie passée à l’écrire et avec la vie vécue. Chez Bradbury, l’homme devient le réceptacle du livre et confond sa vie et celle de l’œuvre qu’il choisit. Là encore, cette dernière est à la mesure humaine du temps et de la mémoire, fragile mais investie. Enfin, chez Zafon, dans L’Ombre du vent, dans Le Jeu de l’ange et dans Les Lumières de septembre, le livre est l’incarnation maudite de son auteur. Il se nourrit de l’être, hérite de sa vie et de son souvenir et revient hanter les hommes, tout puissant, rebelle aux prières et aux tentatives de destruction.

Quels hommes-livres serions-nous ? Quels livres voudrions-nous incarner, pour substituer leur mémoire à la nôtre ? Quelle mémoire est assez vivace pour se consacrer exclusivement à un seul livre et ne vivre que pour lui ?

Ray Bradbury est mort mardi.

La poursuite du vertige

Il y a quelques jours, j’ai achevé la lecture du dernier roman de Carlos Ruiz Zafon, Les Lumières de septembre, publié en mars aux éditions Robert Laffont. Dire qu’il s’agit de son dernier roman est une inexactitude. Les Lumières de septembre sont le troisième volet de la Trilogie de la brume, œuvre de jeunesse de l’auteur. Elles font suite au Prince de la brume et au Palais de minuit.

Je me souviendrai toujours de l’instant où j’ai ouvert, sur les conseils d’une amie, L’Ombre du vent, pour la première fois, et où j’y ai lu ces phrases :

« Je me souviens encore de ce petit matin où mon père m’emmena pour la première fois visiter le Cimetière des Livres Oubliés. Nous étions aux premiers jours de l’été 1945, et nous marchions dans les rues d’une Barcelone écrasée sous un ciel de cendre et un soleil fuligineux qui se répandait sur la ville comme une coulée de cuivre liquide. »

Et puis les pages du livre ont défilé entre mes mains, plus vite que je ne l’aurais souhaité, pour me laisser le sentiment d’avoir lu l’une des œuvres qui marquera, et marque peut-être déjà, l’histoire de la littérature. J’ai parlé de ce livre, je l’ai vu dans les mains d’une multitude de personnes, je l’ai offert à la plupart des gens de mon entourage… mais peu à peu son souvenir s’estompe, et je sens que le moment d’une relecture se fait de plus en plus urgent, car lorsque mes « disciples » viennent m’en parler, je ne parviens plus très bien à rentrer dans les détails de ce texte à couper le souffle.

Mais depuis L’Ombre du vent, Carlos Ruiz Zafon est devenu pour moi l’un des auteurs dont je ne tolère qu’à peine la critique, et pour qui justement j’abandonne tout esprit critique. Il y a des œuvres comme ça, livres ou films, pour lesquelles on retrouve un regard d’enfant, et où l’on se laisse guider. Parmi elles, je retrouve pêle-mêle aussi bien la Recherche du temps perdu et les films de Truffaut,  les romans de Zafon et de J.K. Rowling (ainsi que leurs adaptations).

L’univers de Zafon est un labyrinthe cathédrale. L’Ombre du vent et Le Jeu de l’ange sont les deux premiers volets d’une tétralogie, celle de ce lieu fascinant et mélancolique que représente le Cimetière des livres oubliés. Indépendamment de cette tétralogie, restent la Trilogie de la brume, et un autre roman isolé, Marina.

Il serait vain de chercher à restituer cet univers, à le résumer. Mais voilà ce à quoi Zafon, à mon sens, veut nous convertir. Les bibliothèques, véritables dédales, où règne un désordre mystérieux et rassurant. Les livres, qui sont souvent presque plus vivants que les personnages (en particulier dans Les Lumières de septembre et dans L’Ombre du vent). Les lieux qui prennent vie. L’ombre qui devient un être à part entière. Il aime les métiers qui sollicitent des compétences mécaniques et qui permettent de créer des objets fabuleux – horlogerie, ingénierie, etc. Il aime les automates et les marionnettes, qui ne sont pas sans rappeler les mythes de Frankenstein et les contes d’Hoffmann, en particulier celui de L’Homme au sable (l’un des personnage des Lumières de septembre s’appelle d’ailleurs Hoffmann). Il aime les personnages maudits par le destin, détruits par des forces diaboliques implacables… fils et filles aussi bien de Faust que de Rebecca (Daphné du Maurier).

Plus que tout, il aime les villes où l’on se perd, les palais qui grandissent comme des plantes, et les livres, véritables mondes dans leurs mondes, que l’on écrit pour mieux perdre le lecteur, et ne lui faire rien aimer de mieux que ce sentiment de vertige.

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