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Livre versus liseuse

« Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice. À notre sens, cette pensée avait deux faces. C’était d’abord une pensée de prêtre. C’était l’effroi du sacerdoce devant un agent nouveau, l’imprimerie. C’était l’épouvante et l’éblouissement de l’homme du sanctuaire devant la presse lumineuse de Gutenberg. C’était la chaire et le manuscrit, la parole parlée et la parole écrite, s’alarmant de la parole imprimée ; quelque chose de pareil à la stupeur d’un passereau qui verrait l’ange Légion ouvrir ses six millions d’ailes. C’était le cri du prophète qui entend déjà bruire et fourmiller l’humanité émancipée, qui voit dans l’avenir l’intelligence saper la foi, l’opinion détrôner la croyance, le monde secouer Rome. Pronostic du philosophe qui voit la pensée humaine, volatilisée par la presse, s’évaporer du récipient théocratique. Terreur du soldat qui examine le bélier d’airain et qui dit : La tour croulera. Cela signifiait qu’une puissance allait succéder à une autre puissance. Cela voulait dire : La presse tuera l’église. »

Cette longue citation est tirée du roman Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo. Elle témoigne des craintes que ne manquent jamais de susciter les nouvelles technologies auprès des générations établies. Le livre contre l’église. L’oral contre l’écrit. Dans Les Mots, Sartre a presque la même façon d’évoquer le cinéma comme nouvelle forme de divertissement. C’est l’affrontement du monde ancien et du monde nouveau, le choc des cultures.

A chaque fois reparaît cette vraie-fausse opposition entre deux supports, entre deux cultures. Oral contre écrit, cinéma contre théâtre, télévision contre cinéma, Internet contre tout le reste, Wikipédia contre l’Encyclopédia Universalis, numérique contre analogique, « nouvelles technologies » contre anciennes, logique de flux contre logique de stock, liseuses contre livres papiers, la tendance étant de condamner toute nouveauté au profit de l’existant. L’autre tendance étant de croire à la disparition inévitable de l’existant au profit de la nouveauté.

Si je m’intéresse à l’opposition entre livre et liseuse, je remarque que, la plupart du temps, l’affrontement est celui de deux états d’esprit, qui se retrouvent toujours dans les oppositions que j’ai énumérées : un état d’esprit affectif contre un état d’esprit pratique. Les défenseurs du livre papier évoquent la forme du livre, son odeur, le contact des pages, le rapport physique à l’objet… une vision sensible au sens propre et au sens figuré. Les défenseurs des liseuses évoquent leur légèreté et maniabilité, le rapport entre le poids et la contenance de la mémoire, la facilité d’utilisation.

Mais comme ceux qui acquièrent des liseuses sont ceux qui lisent déjà le plus, ce sont également eux qui résolvent cette fausse opposition entre écran et imprimé. Ils sont les anciens défenseurs du livre papier. Ils ont certainement des bibliothèques bien remplies, voire surchargées, qui les poussent à opter pour un gain de place ; ils continueront même à acheter des livres papier après l’achat de leur liseuse. Ils continueront aussi bien à fréquenter les bibliothèques qu’à rechercher des e-books sur ce très pratique métamoteur qui recense les principaux sites fournisseurs, commerciaux ou non.

 

 

 

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  1. @CdiVal

    Lectrice active s’il en est, j’étais très attachée à mes chers livres : je les aimais pour leur contenu essentiellement ; mais aussi pour leurs couvertures, leurs pages que je prenais un plaisir non dissimulé à feuilleter ; et même pour leur odeur, oui, c’est vrai. Je préférais certaines éditions à d’autres, et même certaines collections à d’autres qui se révélaient être garantes d’une qualité intellectuelle certaine ou encore d’une prise en main et d’un toucher rendant la lecture plus fluide, plus agréable. Bref, on peut dire que je chérissais mes petits trésors ;-). Puis, les liseuses on fait leur apparition. Ma curiosité a été stimulée par ces outils qui se proposaient de me donner autant de plaisir, sinon plus, que l’objet-livre que j’avais toujours chéri. Le choix parmi tous les appareils proposés s’est en fait exécuté très rapidement. Comment en adopter un qui ne propose pas la possibilité de pouvoir continuer à tourner les pages ? On ne change pas une équipe qui gagne, n’est-ce pas ? La liseuse à peine découverte, elle était adoptée ! Aujourd’hui encore, aucun regret : je lis beaucoup sur écran. Et comme le précise l’article, je continue à acheter ou à emprunter de bons vieux livres en version papier. Pourquoi ? Deux raisons : la première, c’est que l’offre éditoriale numérique reste encore relativement restreinte (comparée à l’offre éditoriale papier) ; la deuxième, c’est que le livre est resté, dans mon esprit et dans mon coeur, l’outil priviligié et incontournable associé au plaisir de lire. À bien y réfléchir, le seul et unique regret que je pourrai formuler s’adresserait à ceux qui n’auraient pas le bonheur de goûter aux deux formules.

    • J’ai mis longtemps avant de sauter le pas, étant convaincue que rien ne pourrait remplacer le contact avec le papier et le geste de tourner une page. J’ai moi aussi mes collections et mes éditions de prédilection, certains livres en plusieurs exemplaires (une édition de poche et une édition grand format pour mes « chouchous », un exemplaire de « travail » annoté, souligné et surligné, accompagnant parfois un exemplaire immaculé !).
      La principale difficulté lorsque l’on a ces petites habitudes affectives, est de ne pas tomber dans la censure et le préjugé systématique. Et dire que l’on risque, à terme de devenir des adeptes du « c’était mieux avant » ! Est-ce vraiment inéluctable ?
      Les liseuses offrent aujourd’hui un confort de lecture parce qu’elles sont exclusivement dévolues à ce rôle, contrairement par exemple aux tablettes (légèreté, confort visuel, possibilité de « marque page » et d’annotations…) Et si l’on continue à acheter des livres papiers, c’est bien sûr à cause de cette offre encore restreinte. Parfois même, au lieu de remplacer le livre, la liseuse le « suscite » : on achète ce qu’on a déjà lu, on relit sur écran ce qu’on a lu sur papier. Je ne peux donc que te rejoindre sur la complémentarité et le bonheur qu’apportent les deux supports.

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