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Les vérités bonnes à lire

Suite à l’article que j’avais publié il y a un peu moins d’un mois sur l’interprétation d’une information sur Facebook, à partir d’une expérience personnelle, les réactions suscitées par cet article m’ont amenée à m’interroger, avec l’une des amies qui avaient participé directement à cette expérience, sur la place de la vérité sur Internet, et sur Internet comme source d’informations.

L’article d’aujourd’hui ne sera pas des plus originaux – cette question a suscité déjà de nombreuses publications, beaucoup plus étayées et approfondies que ce que je pourrais publier sur le sujet sur Cinephiledoc. Ce que je propose donc ici, c’est justement le cheminement de ma réflexion, relié directement aux sites Internet et aux articles qui en constituent les étapes.

L’humour et la vérité, de Rabelais au point Godwin

Je me souviens que, lorsque je faisais mes études, une de nos enseignantes nous faisait étudier Le Quart livre de Rabelais. Je ne saurais plus donner les détails de ces cours, mais ce qui m’est restée en mémoire, c’est qu’elle nous signalait l’humour de Rabelais, comme un humour qui paraîtrait déplacé de nos jours, au même titre qu’un humour d’il y a vingt ou trente ans. On ne peut plus rire des mêmes choses aujourd’hui, qu’il y a quelques années et, par conformisme ou par peur, on n’en est désormais réduit à marcher sur des oeufs.

Pantagruel dans Le Quart livre, illustré par Gustave Doré

Pantagruel dans Le Quart livre, illustré par Gustave Doré

La même chose intervient lorsque l’on utilise les réseaux sociaux, et cela pour deux choses :

  • d’une part, on se rend compte que toute vérité n’est pas bonne à dire, et qu’il faut, justement, sur ces réseaux sociaux, maintenir des « apparences sociales ou sociables » ;
  • d’autre part, l’usage du second degré, de l’ironie, ou d’un humour qui devrait se mesurer comme les ondes sismographiques ou l’intensité du vent, d’un peu déplacé à très déplacé, doit, lorsque l’on se revendique comme personne civilisée, s’accompagner d’une mention « troll », « lol », « mdr » et autres efforts de traduction qui rendent ce mode d’expression perceptible à ceux qui nous lisent.
Do not feed troll. Source : Wikipédia. Auteur : Sam Fentress

Do not feed troll. Source : Wikipédia. Auteur : Sam Fentress

Que ce soit l’humour ou la vérité – et je ne rentrerai pas dans des définitions de la vérité qui ferait ressembler cet article à un cours de philo – ces deux modes d’expression sont tantôt édulcorés, affadis, tantôt complètement à vif.

Dans le premier cas, on évite de heurter la sensibilité des autres, en vertu d’une nétiquette non formulée – une sorte d’auto-censure. Dans le second, si jamais on manifeste une vérité ou une critique, ou si l’on pousse l’humour un peu trop loin – volontairement ou involontairement, en fonction du public qui nous lit, on glisse sur la pente fatale qui mène inévitablement de l’incompréhension jusqu’au point Godwin, si le site ne dispose pas de modérateurs vigilants.

Sarcasim mark : le symbole assumé de l'ironie sur Internet

Sarcasim mark : le symbole assumé de l’ironie sur Internet

Ainsi, comme je l’avais brièvement abordé dans l’article sur l’interprétation de l’information, l’expérience soit disant tentée par un internaute de dire toute la vérité – et cela jusqu’à l’insulte, sans souci des convenances ou de la sensibilité d’autrui, était forcément vouée à l’échec, car elle vérifiait l’idée bien connue de « dire tout haut ce que l’on pense tout bas ».

Cette expérience, si elle avait été vraie, aurait-elle eu le même impact ? Un véritable internaute, exaspéré par le consensus social qui nous pousse à forcément « aimer » le statut d’untel ou à ne pas réagir aux commentaires d’untel, aurait-il adopté la même virulence dans la critique ?

Il lui aurait fallu dans ce cas renoncer à tout un attirail de règles de comportements que l’on intègre inconsciemment lorsque l’on s’inscrit sur un réseau social, et du coup s’exposer à un inévitable ostracisme. Pour résumer rapidement : sur Facebook, tu aimes ou tu le quittes.

La vérité brute est tue, et l’humour assez mal accepté, puisqu’il y a quasiment autant de formes d’humour qu’il y a d’individus. Mon humour a peu de chance de ne blesser personne, et l’humour d’autrui peut à tout moment me heurter, que je n’y sois pas réceptive ou que je sois tout simplement mal disposée.

Splendeurs et misères du canular

Vrai ou faux, humour ou sérieux, peu importe de toute façon. Un article construit, fouillé, étayé de sources et d’arguments peut autant susciter la polémique qu’un fake. Il n’y a qu’à comparer les articles plus ou moins approfondis parus suite à la fameuse affaire du bijoutier de Marseille qui avait désarmé son braqueur – fait divers réel ayant suscité la polémique et des commentaires passionnés sur la meilleure façon de se faire justice – et cet article paru sur Darons.net, sur un bébé ayant été mis en garde à vue pour tapage nocturne. Les deux suscitent le même débordement enflammé.

Bon nombre d’internautes tombent têtes baissées dans le panneau – et même un internaute averti, voire un professionnel de l’information, peut, par négligence, ou par manque de temps, se faire avoir. Mais une fois son erreur constatée, grâce aux « A propos », « Qui sommes-nous ? » ou simplement grâce au sous-titre du site, son exploration d’internet n’en sera que plus riche, puisqu’il savourera d’autant plus l’information fausse en la sachant fausse.

Le Courrier des échos

Le Courrier des échos

Il trouvera notamment son bonheur sur :

Le Gorafi

Le Gorafi

Une source inépuisable de surinformation

Encore une fois, vraie ou fausse, cette information foisonnante concentrée sur Internet, et plus encore sur les réseaux sociaux, se substitue de plus en plus aux autres moyens de s’informer. En 2010, cinq journalistes ont participé à l’opération « Huis clos sur le Net » : enfermés pendant cinq jours avec seulement Facebook et Twitter pour s’informer. Et aujourd’hui, je n’ai pas besoin de regarder un match de foot alors que je peux en avoir un compte-rendu minute par minute sur Twitter.

J’ai accès à une information instantanée, mise à jour en temps réel, et que je peux contribuer à transmettre et à fabriquer. Je participe à son éternelle « rafraîchissement », et là encore, je suis confrontée aux réactions qu’elle suscite – enflammées, passionnées, polémiques, spontanées. A moi de faire le tri, et de prendre le recul nécessaire face à cette surinformation.

Sources et pour aller plus loin…

  • Le point culture : l’humour au 16e siècle, Rabelais et Montaigne, sur Fabula.org et la définition de Rabelaisien sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.

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  1. Ce que tu me dis sur l’humour qui vieillit mal me semble très juste; en ce moment je désherbe la fiction de mon CDI (et je trouve des livres de 1923 tellement ça a été fait régulièrement… ahahah… LOL) et j’ai viré pas mal de « livres d’humour » que j’ai ouvert par curiosité; j’ai vraiment eu du mal, je ne trouvais pas ça drôle du tout! Peut être parce que l’humour est hyperlié à l’actualité et à notre environnement immédiat! Pour que l’humour soit compris, on le lie à des détails de notre quotidien non? Alors peut être qu’au fond, ce n’est pas l’humour qui vieillit mais ce qui nous entoure?

    • Pas forcément. Ce sont les esprits qui réagissent mal à certaines formes d’humour qu’ils considèrent comme déplacées. Eva pourra te parler mieux que moi de l’humour de Desproges. Ce qu’il pouvait faire comme humour il y a quelques décennies à peine serait certainement censuré actuellement. Parce que les nerfs et les esprits sont plus à vif qu’auparavant sur certains sujets…

  2. (et j’ai adoré ton article au fait hein 🙂

  3. Très chouette article !
    Je ne connaissais même pas le « sarcasm mark », la honte, je vais finir comme Sheldon Cooper, je vais avoir besoin d’un panneau « ironie » ! 🙂

    • J’avoue que je ne le connaissais pas non plus avant cet article… j’ai voulu me documenter et savoir si l’humour sur Internet avait suscité des réflexions et des articles, et j’ai trouvé le « sarcasm mark » !!!

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