Les fêtes de Noël – et toute autre occasion où je peux recevoir des cadeaux – me donnent l’opportunité d’obtenir des ouvrages dont les prix généralement m’arrêtent : ce premier article de 2014, ainsi que le prochain, seront donc consacrés à des publications récentes, mais n’étant pas, malheureusement, à la portée de toutes les bourses (surtout le prochain).
Ouvrages sur la Nouvelle vague
Le premier de ces ouvrages est consacré à un mouvement cinématographique que j’ai déjà eu l’occasion de mentionner brièvement, et qui a regroupé un certain nombre de cinéastes français – Godard, Truffaut, Chabrol, Rivette, Rohmer…
Les textes abondent sur ce mouvement, certains retraçant son émergence et ses sources d’inspiration, le foyer critique et journalistique qui l’a formé, comme La Cinéphilie d’Antoine de Baecque, d’autres se concentrant sur telle ou telle figure, sur son influence et sur son éloignement ou sa proximité relative, parfois contestée, avec la Nouvelle vague.
Portrait d’une jeunesse
Parmi ces ouvrages, on peut notamment retenir celui d’Antoine de Baecque : La Nouvelle vague, portrait d’une jeunesse, qui fait figure de référence en la matière.
Publié en 2009 aux éditions Flammarion pour célébrer les cinquante ans de la Nouvelle vague, l’ouvrage évoque ce mouvement comme l’éclosion d’une jeunesse qui s’inspire des traits mythiques de Belmondo et de Bardot : des jeunes réalisateurs qui filment des jeunes acteurs pour de jeunes spectateurs. Bref, un nouveau souffle.
En un peu plus de 120 pages, Antoine de Baecque, en historien scrupuleux, retrace le contexte dans lequel a émergé cette nouvelle vague, et la relie exclusivement à la jeunesse et à ses problématiques : mal-être des jeunes, rapport aux adultes, enfants prodiges… sous toutes les formes qu’elle prend dans les années cinquante (révoltes, conflits, enquêtes sociologiques, rapport à la cinéphilie et à la littérature, modes d’expression).
L’ouvrage est également magnifiquement illustré et propose une sélection de vingt films emblématiques de la Nouvelle vague : Le Beau Serge de Chabrol, Moi, un noir de Jean Rouch, Les Quatre cents coups de Truffaut, Les Cousins de Chabrol, Hiroshima mon amour de Resnais, L’eau à la bouche de Doniol-Valcroze, A bout de souffle de Godard, Les Bonnes femmes de Chabrol, Tirez sur le pianiste de Truffaut, Lola de Demy, Une femme est une femme de Godard, Le Bel âge de Pierre Kast, Paris nous appartient de Rivette, Adieu Philippine de Jacques Rozier, Jules et Jim de Truffaut, Cléo de 5 à 7 de Varda, Le Signe du lion d’Eric Rohmer, Vivre sa vie et Le Petit soldat de Godard et Le Feu follet de Louis Malle.
Trois Chabrol, trois Truffaut, quatre Godard. Et avec ces vingt films, celui qui voudra découvrir la Nouvelle vague sera pourvu de l’indispensable, et pourra revivre le frémissement de toute une génération :
La force de la Nouvelle vague est en effet d’avoir imposé un imaginaire, une mythologie, un univers de gestes, d’apparences, de corps, d’objets, un univers que visite très rapidement la nostalgie. Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg déambulant sur les Champs-Elysées, Jean-Pierre Léaud fuyant son adolescence délinquante vers une plage de Normandie. Voici autant d’images, d’exempla, qui ont marqué une génération, et vieilliront avec elle, en elle, qui s’apparentent à des instantanés volés à l’esprit du temps et demeurent gravés sur les couvertures de livres, dans les citations et les références, sur les affiches ornant les chambres des enfants et des petits-enfants de la Nouvelle Vague.
La Nouvelle vague en dictionnaire
L’ouvrage qui m’a été offert à Noël est, quant à lui, un Dictionnaire de la Nouvelle vague. Contrairement aux autres dictionnaires que j’ai souvent croisés, celui-ci est l’oeuvre d’un seul auteur, Noël Simsolo, qui se distingue par sa production prolifique de romans et d’essais sur le cinéma. Son dictionnaire est paru en novembre 2013 aux éditions Flammarion, dans la collection Pop Culture.
Ce que j’apprécie avec les dictionnaires, les rétrospectives, et autres encyclopédies, je l’ai déjà évoqué : c’est la possibilité de butiner à l’intérieur, le droit – pour plagier Daniel Pennac – de sauter des pages, et de pouvoir poser le livre et de le reprendre à une page différente de celle où on l’avait laissé.
L’inconvénient, c’est que tous les dictionnaires ne sont pas forcément de même qualité – voir ici, ici ou encore ici – peuvent parfois dérouter dans leur forme et leur mise en page, et il est difficile d’en faire le tour et de donner sur eux un avis complet.
Généralement, les dictionnaires thématiques se concentrant sur tel ou tel aspect du cinéma – mouvement, réalisateur, acteur, genre – s’adressent davantage aux cinéphiles avertis, qui ont déjà une connaissance plus ou moins poussée de la question, alors que les dictionnaires généraux sur le cinéma vont tenter d’attirer les amateurs.
L’enthousiasme à portée de plume
Le Dictionnaire de la Nouvelle vague fait partie de la première catégorie. Il s’adresse aux lecteurs qui ont déjà vu les films de ce courant, qui en connaissent les principales figures, et qui veulent approfondir des connaissances ou retrouver les cinéastes et les œuvres qu’ils apprécient.
L’auteur ne s’adresse pas à eux comme s’il devait les convaincre : pour lui, ils sont déjà convaincus. De ce fait, son dictionnaire, même s’il est des plus exhaustifs, ressemble davantage aux « dictionnaires amoureux » – les articles et leur forme sont le choix d’un auteur en particulier – qu’à des dictionnaires classiques. C’est loin d’être un inconvénient, mais cela peut désarçonner de prime abord.
J’en veux pour preuve certaines fins d’articles sur des comédiens et comédiennes ou des cinéastes :
Ardant, Fanny « Fanny Ardant porte en elle une force littéraire, au meilleur sens du terme, et elle la cristallise en poésie noire »
Béart, Emmanuelle « Emmanuelle Béart est l’eau vive de la modernité. »
Huppert Isabelle « Son jeu dépouillé, mais tout en subtilité, fait d’elle la plus impressionnante comédienne française. »
Ce dictionnaire est porté par l’enthousiasme, avec notamment un article sur Catherine Deneuve qui se termine par un retentissant « Chapeau, Madame ! », et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Noël Simsolo parvient à nous communiquer cette passion qui semble l’habiter complètement, que ce soit pour les films, pour les personnalités – j’ai mentionné les acteurs et les réalisateurs, mais on retrouve aussi dans ce livre scénaristes, photographes, assistants, critiques et journalistes, auteurs, etc. – et pour les autres aspects de ce mouvement, dont il tente difficilement de faire le tour.
L’un de ses partis pris est de ne donner, des comédiens et des réalisateurs, que la filmographie se rattachant à la Nouvelle vague – ainsi de l’incroyable filmographie d’Yves Montand, ne retiendra-t-il que sept films, dont le dernier Jacques Demy, Trois places pour le 26.
Certains films ont droit à un résumé et une analyse complète, tandis que d’autres n’apparaissent que dans la filmographie du réalisateur. De Truffaut on retrouve bien entendu Les Quatre cents coups, élément fondateur de la Nouvelle vague, Jules et Jim ou encore La Chambre verte, même si celui-ci fait partie des derniers films du réalisateur, mais pas d’article sur La Peau douce ou sur La Nuit américaine.
Mais là encore, ce sont des choix de l’auteur, et sa bienveillance et son enthousiasme envers chacune des figures ou des films sur lesquels il s’arrête rendent l’ouvrage captivant. Prenons La Chambre verte, film de Truffaut adapté de nouvelles d’Henry James (L’autel des morts et La Bête dans la jungle) et racontant l’impossible deuil d’un homme envers les disparus qu’il a aimés :
L’illumination des visages et des décors ne vient que par la flamme des cierges, aux limites du fantastique gothique. Logique, puisque c’est l’histoire d’un fantôme vivant à la recherche du feu surgissant des morts. Le résultat est magnifique. C’est l’essence de l’art de Truffaut quand il met bas le masque de l’autobiographie nostalgique et livre sa réalité secrète au sein d’une fiction romanesque venue d’un autre que lui.
Aléas de la forme
Bien écrit, bien mené, ce Dictionnaire de la Nouvelle vague ne cessera de séduire le lecteur…
… s’il parvient à surmonter le seul défaut du livre, à savoir la mise en page : lignes et mots serrés, absence de renvois entre les différents articles, aucune indication (type astérisque) sur un film ou une personnalité présents dans un article et qui pourraient faire eux-mêmes l’objet d’un autre article, et malgré les changements de police, le changement de propos (résumé, analyse, fiche technique ou filmographie) n’est pas assez mis en valeur.
Et l’absence totale d’iconographie : pour ma part, j’aurais aimé, même dans la forme du dictionnaire, retrouver quelques photos de tournage, ne serait-ce que des vignettes en noir et blanc, de Truffaut, Godard, Chabrol et autres, même si bien souvent, ce genre de travaux n’est pas illustré.
Ce sont des détails, certes, mais qui gâche un peu ce bel objet. Passé cet obstacle formel, le cinéphile averti trouvera son compte dans ce dictionnaire, qu’il complétera avec l’ouvrage d’Antoine de Baecque mentionné plus haut.
Promenade de A à Z :
- A comme A bout de souffle ;
- B comme Bazin André ;
- C comme Cahiers du cinéma ;
- D comme Delerue Georges ;
- E comme Et Dieu créa la femme ;
- F comme Films du carrosse ;
- G comme Gruault Jean ;
- H comme Hiroshima mon amour ;
- I comme Influences ;
- J comme Jules et Jim ;
- K comme Kelly Gene ;
- L comme Langlois Henri ;
- M comme Malle Louis ;
- N comme Nuit et brouillard ;
- O comme Ogier Bulle ;
- P comme Paris ;
- Q comme Les Quatre cents coups ;
- R comme Rivette Jacques ;
- S comme Science-Fiction ;
- T comme Trintignant Jean-Louis ;
- V comme Varda Agnès ;
- W comme Wiazemsky Anne ;
- Z comme Zucca Pierre.
Et pour ceux qui souhaitent voir un film rendant hommage à cette époque et à cette frénésie créatrice qui porta le cinéma entre 1959 et 1968 (bien qu’Antoine de Baecque date la mort du mouvement en 1962), je vous recommande Innocents, un superbe film de Bertolucci avec Eva Green, Louis Garrel et Michaël Pitt sorti en 2003.