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Catégorie : Ecriture (Page 3 sur 4)

Les femmes dangereuses

Aujourd’hui, je discutais avec quelques collègues de nos lectures. Et parmi ces lectures, celles dont je me souvenais surtout, c’était celles de romancières. Qu’elles soient anglaises – j’ai déjà parlé de Jane Austen, des soeurs Brontë, de Virginia Woolf, d’Agatha Christie ou de J K Rowling – ou françaises, ou qu’elles écrivent dans une toute autre langue, j’aime les femmes qui écrivent. Laure Adler les a rassemblées dans un très beau livre dont je ne me lasse pas : Les femmes qui écrivent vivent dangereusement.

Si j’admire les romancières anglaises, deux femmes françaises envahissent ma bibliothèque : Simone de Beauvoir et Françoise Sagan. De la première, j’ai lu l’intégralité des écrits autobiographiques, depuis les Mémoires d’une jeune fille rangée jusqu’à la Cérémonie des adieux. Mon préféré est sans doute La Force de l’âge, où s’affirme pleinement l’écrivain en tant que tel. Mais c’est dans La Force des choses que je retrouve ma citation préférée :

« Une femme écrivain, ce n’est pas une femme d’intérieur qui écrit, mais quelqu’un dont toute l’existence est commandée par l’écriture…  »

De Beauvoir, l’une de mes oeuvres préférées est Tous les hommes sont mortels, qu’il faudrait relire à chaque fois que l’on est effrayé par la vitesse, le danger et l’éphémère.

En ce qui concerne Sagan, j’avais évidemment commencé par Bonjour Tristesse. Mais comme je n’aime rien de plus que d’être plongée dans le laboratoire de création d’un écrivain, mon préféré reste Des bleus à l’âme. Simultanément elle nous fait suivre ses personnages et s’interroge sur leur destination. Ensuite, viennent pêle-mêle les témoignages, les journaux (Toxique) et les entretiens, notamment le petit recueil Un certain regard, et j’en retire cette phrase :

« L’écrivain est un menteur forcené, un imaginatif, un mythomane, un fou, il n’y a pas d’écrivains équilibrés. »

 

English touch

A chaque fois que l’on part en voyage, il faudrait parvenir à trouver un roman et un film qui nous immerge parfaitement dans l’ambiance du pays et de la ville où l’on se rend. Lorsque je suis allée à Barcelone, l’amie chez laquelle je me rendais m’a conseillée comme lecture indispensable L’ombre du vent. J’aime cerner l’atmosphère d’un lieu par le rappel incessant de souvenirs visuels et textuels. Et si je suis sensible aux reflets parisiens que je retrouve dans les films de Truffaut et de Cédric Klapisch, rien ne me plaît davantage que tout ce qui m’évoque l’Angleterre.

En ce moment, je regarde avec assiduité les adaptations de Jane Austen par la BBC, notamment la série Orgueil et préjugés, avec Colin Firth et Jennifer Ehle, que j’ai revus récemment dans Le Discours d’un roi, un de mes films préférés. Colin Firth y joue le roi George VI, et Jennifer Ehle joue la femme de Lionel Logue.

Je ne parviendrai d’ailleurs que très difficilement à classer tout ce qui est anglais, de près ou de loin, et retiens mon attention. J’aime l’histoire anglaise, depuis (environ) la guerre des deux roses jusqu’à aujourd’hui, et le jubilé de la reine. Les romans de Catherine Hermary-Vieille sur les Lancaster, les York et les Tudors me passionnent. Pour l’ère élisabéthaine, j’ai adoré les téléfilms en deux parties avec Helen Mirren et Jeremy Irons, et les films avec Cate Blanchett. Pour l’ère victorienne, les romans de Dickens. Et bien-sûr, pour le vingtième siècle, Le Discours d’un roi et The Queen.

Pour l’atmosphère, tout me convient, ville et campagne. Les œuvres des soeurs Brontë, surtout. Le roman de Mary Webb, Sarn. Mrs Dalloway. Le Portrait de Dorian Gray. Les intrigues d’Agatha Christie – Hercule Poirot joué par David Suchet. Les textes de Daphné du Maurier, à commencer par Rebecca. Harry Potter et ses adaptations cinématographiques.

Enfin, pour ce qui est des films, ils vont de ceux d’Hitchcock – Rebecca, L’Homme qui en savait trop – aux Harry Potter, en passant par les comédies sentimentales – Quatre mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill – les adaptations littéraires, Billy Elliot, The Full Monty, Les Virtuoses, The Hours, et les films historiques que j’ai déjà cités. Et pour les séries, Downton Abbey et Doctor Who.

Sans oublier, by jove, les Blake et Mortimer de La Marque jaune et de L’Affaire Francis Blake, et plus récemment les D., et les Long John Silver de la bande dessinée.

 

Hommes-livres et hommes libres

« Des milliers sur les routes, les voies ferrées désaffectées, à l’heure où je vous parle, clochards au-dehors, bibliothèques au-dedans. Rien n’a été prémédité. Chacun avait un livre dont il voulait se souvenir, et y a réussi. »

Au lieu de construire, à la manière de George Orwell dans 1984,  un monde où l’histoire se réécrit en permanence, où le service des archives est le domaine de l’imagination, puisqu’il faut sans cesse réinventer le passé pour le conformer à la politique du présent, Ray Bradbury a créé, dans Fahrenheit 451, un avenir qui refuse le passé, et qui se consacre exclusivement à sa destruction. C’est toute la mémoire du monde qui est menacée, et dont les seuls dépositaires deviennent ces « hommes-livres ».

Il m’est impossible de penser à Fahrenheit 451 sans y associer les images du film de François Truffaut, et c’est à chaque fois les deux mêmes scènes qui s’imposent. La première, c’est l’intervention des pompiers incendiaires dans la maison de la vieille dame. Ils y retrouvent l’une des plus imposantes bibliothèques clandestines de la ville. Lorsque les livres sont brûlés, Truffaut filme leur agonie comme s’il s’agissait d’êtres vivants : les pages se tordent de douleur, se convulsent, tremblent sous la flamme, et la femme qui s’immole sur ce bûcher fait de même. Elle ne fait qu’un avec les livres. Elle est le premier livre incarné que rencontre Montag dans sa conversion à la mémoire.

La deuxième scène, c’est la confrontation de Montag avec les hommes-livres. Je ne me souviens plus si dans le livre il y a le même lapsus, ou s’il s’agit d’une idée de Truffaut. En anglais, Montag entend « good people » lorsqu’on lui parle des « book people ». En français, le lapsus est traduit : « hommes libres », « hommes-livres ».

Les « hommes-livres » redonnent vie au livre qu’ils récitent. J’aime ces œuvres où les livres sont plus vivants que les personnages qu’ils côtoient. Dans A la recherche du temps perdu, le livre se confond avec le narrateur, il s’étire pour prendre la mesure de son expérience et de son être. L’auteur aurait-il eu plus de temps, le livre aurait pu croître en conséquence. Le livre à écrire se confond avec la vie passée à l’écrire et avec la vie vécue. Chez Bradbury, l’homme devient le réceptacle du livre et confond sa vie et celle de l’œuvre qu’il choisit. Là encore, cette dernière est à la mesure humaine du temps et de la mémoire, fragile mais investie. Enfin, chez Zafon, dans L’Ombre du vent, dans Le Jeu de l’ange et dans Les Lumières de septembre, le livre est l’incarnation maudite de son auteur. Il se nourrit de l’être, hérite de sa vie et de son souvenir et revient hanter les hommes, tout puissant, rebelle aux prières et aux tentatives de destruction.

Quels hommes-livres serions-nous ? Quels livres voudrions-nous incarner, pour substituer leur mémoire à la nôtre ? Quelle mémoire est assez vivace pour se consacrer exclusivement à un seul livre et ne vivre que pour lui ?

Ray Bradbury est mort mardi.

La poursuite du vertige

Il y a quelques jours, j’ai achevé la lecture du dernier roman de Carlos Ruiz Zafon, Les Lumières de septembre, publié en mars aux éditions Robert Laffont. Dire qu’il s’agit de son dernier roman est une inexactitude. Les Lumières de septembre sont le troisième volet de la Trilogie de la brume, œuvre de jeunesse de l’auteur. Elles font suite au Prince de la brume et au Palais de minuit.

Je me souviendrai toujours de l’instant où j’ai ouvert, sur les conseils d’une amie, L’Ombre du vent, pour la première fois, et où j’y ai lu ces phrases :

« Je me souviens encore de ce petit matin où mon père m’emmena pour la première fois visiter le Cimetière des Livres Oubliés. Nous étions aux premiers jours de l’été 1945, et nous marchions dans les rues d’une Barcelone écrasée sous un ciel de cendre et un soleil fuligineux qui se répandait sur la ville comme une coulée de cuivre liquide. »

Et puis les pages du livre ont défilé entre mes mains, plus vite que je ne l’aurais souhaité, pour me laisser le sentiment d’avoir lu l’une des œuvres qui marquera, et marque peut-être déjà, l’histoire de la littérature. J’ai parlé de ce livre, je l’ai vu dans les mains d’une multitude de personnes, je l’ai offert à la plupart des gens de mon entourage… mais peu à peu son souvenir s’estompe, et je sens que le moment d’une relecture se fait de plus en plus urgent, car lorsque mes « disciples » viennent m’en parler, je ne parviens plus très bien à rentrer dans les détails de ce texte à couper le souffle.

Mais depuis L’Ombre du vent, Carlos Ruiz Zafon est devenu pour moi l’un des auteurs dont je ne tolère qu’à peine la critique, et pour qui justement j’abandonne tout esprit critique. Il y a des œuvres comme ça, livres ou films, pour lesquelles on retrouve un regard d’enfant, et où l’on se laisse guider. Parmi elles, je retrouve pêle-mêle aussi bien la Recherche du temps perdu et les films de Truffaut,  les romans de Zafon et de J.K. Rowling (ainsi que leurs adaptations).

L’univers de Zafon est un labyrinthe cathédrale. L’Ombre du vent et Le Jeu de l’ange sont les deux premiers volets d’une tétralogie, celle de ce lieu fascinant et mélancolique que représente le Cimetière des livres oubliés. Indépendamment de cette tétralogie, restent la Trilogie de la brume, et un autre roman isolé, Marina.

Il serait vain de chercher à restituer cet univers, à le résumer. Mais voilà ce à quoi Zafon, à mon sens, veut nous convertir. Les bibliothèques, véritables dédales, où règne un désordre mystérieux et rassurant. Les livres, qui sont souvent presque plus vivants que les personnages (en particulier dans Les Lumières de septembre et dans L’Ombre du vent). Les lieux qui prennent vie. L’ombre qui devient un être à part entière. Il aime les métiers qui sollicitent des compétences mécaniques et qui permettent de créer des objets fabuleux – horlogerie, ingénierie, etc. Il aime les automates et les marionnettes, qui ne sont pas sans rappeler les mythes de Frankenstein et les contes d’Hoffmann, en particulier celui de L’Homme au sable (l’un des personnage des Lumières de septembre s’appelle d’ailleurs Hoffmann). Il aime les personnages maudits par le destin, détruits par des forces diaboliques implacables… fils et filles aussi bien de Faust que de Rebecca (Daphné du Maurier).

Plus que tout, il aime les villes où l’on se perd, les palais qui grandissent comme des plantes, et les livres, véritables mondes dans leurs mondes, que l’on écrit pour mieux perdre le lecteur, et ne lui faire rien aimer de mieux que ce sentiment de vertige.

La malédiction de la conclusion

Le mot de la fin. L’art de retomber sur ses pattes. Finir quelque chose est presque aussi difficile que de le commencer. Lorsque l’on est élève, les professeurs insistent pour nous dire que la première impression est la plus importante. Ils nous engagent donc à soigner nos introductions : la première phrase, les définitions, l’analyse du sujet, le choix d’une problématique et la construction d’un propos, généralement en trois parties, elles-mêmes constituées de trois sous-parties, elles-mêmes idéalement constituées de trois sous-parties. Un vrai feuilleté !

Ils nous expliquent généralement que, lorsque notre problématique est claire – Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire en viennent aisément – on peut, dès la fin de notre introduction, s’atteler à notre conclusion, la pire choses, l’hérésie, étant de ne pas rassembler habilement tous les fils de notre raisonnement. Personnellement, je n’ai jamais pu faire une conclusion dans la foulée d’une introduction, la conclusion étant pour moi la réflexion parvenue à maturité, après le long processus du développement.

La conclusion, c’est l’apothéose. A chaque fois que je suis sur le point de conclure un sujet, toutes sortes de choses me viennent en tête : les morales des fables, la fin des contes, la chute des nouvelles – celles de Maupassant, d’Edgar Allan Poe, de Mérimée, de Stefan Zweig. La dernière phrase d’un roman : je me souviens de la Recherche, des romans de Drieu La Rochelle, évidemment de Gatsby le magnifique, et de tant d’autres. Et puis la chute des films, parlés (la fin de La Femme d’à côté, portée par la voix de Véronique Silver, celle de L’Homme qui aimait les femmes…) ou silencieux, avec juste le bruit d’un objet (Inception) ou l’éveil de la musique.

La conclusion permet de juger de l’habileté finale d’une démonstration, de son originalité, de l’aptitude de son auteur à raisonner, voire à surprendre. Elle est ce qu’on attend des commentaires, des dissertations, des mémoires, des dossiers, des bilans d’activité, de toutes ces acrobaties mentales dont les littéraires font leur pâture, et qui sont une torture pour les autres. Elle en devient symptomatique. On ne peut plus s’en passer. Il faut conclure. Je conclus, forcément. Tout plutôt que l’hérésie. Tout plutôt que de sentir mes mots retomber comme des cheveux sur la soupe.

Et lorsque le mot de la fin arrive… ouf, l’honneur est sauf !

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