Suite à l’article que j’avais publié il y a un peu moins d’un mois sur l’interprétation d’une information sur Facebook, à partir d’une expérience personnelle, les réactions suscitées par cet article m’ont amenée à m’interroger, avec l’une des amies qui avaient participé directement à cette expérience, sur la place de la vérité sur Internet, et sur Internet comme source d’informations.
L’article d’aujourd’hui ne sera pas des plus originaux – cette question a suscité déjà de nombreuses publications, beaucoup plus étayées et approfondies que ce que je pourrais publier sur le sujet sur Cinephiledoc. Ce que je propose donc ici, c’est justement le cheminement de ma réflexion, relié directement aux sites Internet et aux articles qui en constituent les étapes.
L’humour et la vérité, de Rabelais au point Godwin
Je me souviens que, lorsque je faisais mes études, une de nos enseignantes nous faisait étudier Le Quart livre de Rabelais. Je ne saurais plus donner les détails de ces cours, mais ce qui m’est restée en mémoire, c’est qu’elle nous signalait l’humour de Rabelais, comme un humour qui paraîtrait déplacé de nos jours, au même titre qu’un humour d’il y a vingt ou trente ans. On ne peut plus rire des mêmes choses aujourd’hui, qu’il y a quelques années et, par conformisme ou par peur, on n’en est désormais réduit à marcher sur des oeufs.
La même chose intervient lorsque l’on utilise les réseaux sociaux, et cela pour deux choses :
- d’une part, on se rend compte que toute vérité n’est pas bonne à dire, et qu’il faut, justement, sur ces réseaux sociaux, maintenir des « apparences sociales ou sociables » ;
- d’autre part, l’usage du second degré, de l’ironie, ou d’un humour qui devrait se mesurer comme les ondes sismographiques ou l’intensité du vent, d’un peu déplacé à très déplacé, doit, lorsque l’on se revendique comme personne civilisée, s’accompagner d’une mention « troll », « lol », « mdr » et autres efforts de traduction qui rendent ce mode d’expression perceptible à ceux qui nous lisent.
Que ce soit l’humour ou la vérité – et je ne rentrerai pas dans des définitions de la vérité qui ferait ressembler cet article à un cours de philo – ces deux modes d’expression sont tantôt édulcorés, affadis, tantôt complètement à vif.
Dans le premier cas, on évite de heurter la sensibilité des autres, en vertu d’une nétiquette non formulée – une sorte d’auto-censure. Dans le second, si jamais on manifeste une vérité ou une critique, ou si l’on pousse l’humour un peu trop loin – volontairement ou involontairement, en fonction du public qui nous lit, on glisse sur la pente fatale qui mène inévitablement de l’incompréhension jusqu’au point Godwin, si le site ne dispose pas de modérateurs vigilants.
Ainsi, comme je l’avais brièvement abordé dans l’article sur l’interprétation de l’information, l’expérience soit disant tentée par un internaute de dire toute la vérité – et cela jusqu’à l’insulte, sans souci des convenances ou de la sensibilité d’autrui, était forcément vouée à l’échec, car elle vérifiait l’idée bien connue de « dire tout haut ce que l’on pense tout bas ».
Cette expérience, si elle avait été vraie, aurait-elle eu le même impact ? Un véritable internaute, exaspéré par le consensus social qui nous pousse à forcément « aimer » le statut d’untel ou à ne pas réagir aux commentaires d’untel, aurait-il adopté la même virulence dans la critique ?
Il lui aurait fallu dans ce cas renoncer à tout un attirail de règles de comportements que l’on intègre inconsciemment lorsque l’on s’inscrit sur un réseau social, et du coup s’exposer à un inévitable ostracisme. Pour résumer rapidement : sur Facebook, tu aimes ou tu le quittes.
La vérité brute est tue, et l’humour assez mal accepté, puisqu’il y a quasiment autant de formes d’humour qu’il y a d’individus. Mon humour a peu de chance de ne blesser personne, et l’humour d’autrui peut à tout moment me heurter, que je n’y sois pas réceptive ou que je sois tout simplement mal disposée.
Splendeurs et misères du canular
Vrai ou faux, humour ou sérieux, peu importe de toute façon. Un article construit, fouillé, étayé de sources et d’arguments peut autant susciter la polémique qu’un fake. Il n’y a qu’à comparer les articles plus ou moins approfondis parus suite à la fameuse affaire du bijoutier de Marseille qui avait désarmé son braqueur – fait divers réel ayant suscité la polémique et des commentaires passionnés sur la meilleure façon de se faire justice – et cet article paru sur Darons.net, sur un bébé ayant été mis en garde à vue pour tapage nocturne. Les deux suscitent le même débordement enflammé.
Bon nombre d’internautes tombent têtes baissées dans le panneau – et même un internaute averti, voire un professionnel de l’information, peut, par négligence, ou par manque de temps, se faire avoir. Mais une fois son erreur constatée, grâce aux « A propos », « Qui sommes-nous ? » ou simplement grâce au sous-titre du site, son exploration d’internet n’en sera que plus riche, puisqu’il savourera d’autant plus l’information fausse en la sachant fausse.
Il trouvera notamment son bonheur sur :
- Le Gorafi « Depuis 1826, toute l’information de sources contradictoires » ;
- Le Courrier des échos « Publish first, check later ».
- Darons.net « Le Magazine qui Parenvrille »
- et pourra vérifier tout autre information sur HoaxBuster
Une source inépuisable de surinformation
Encore une fois, vraie ou fausse, cette information foisonnante concentrée sur Internet, et plus encore sur les réseaux sociaux, se substitue de plus en plus aux autres moyens de s’informer. En 2010, cinq journalistes ont participé à l’opération « Huis clos sur le Net » : enfermés pendant cinq jours avec seulement Facebook et Twitter pour s’informer. Et aujourd’hui, je n’ai pas besoin de regarder un match de foot alors que je peux en avoir un compte-rendu minute par minute sur Twitter.
J’ai accès à une information instantanée, mise à jour en temps réel, et que je peux contribuer à transmettre et à fabriquer. Je participe à son éternelle « rafraîchissement », et là encore, je suis confrontée aux réactions qu’elle suscite – enflammées, passionnées, polémiques, spontanées. A moi de faire le tri, et de prendre le recul nécessaire face à cette surinformation.
Sources et pour aller plus loin…
- Vérité et ironie sur Internet : Liberté, vérité, internet ? sur Internet Actu ; Comment maîtriser l’ironie sur le web ? sur 7SUR7.be ; et le Sarcastic Front, site de défense de l’ironie sur Internet.
- Le point culture : l’humour au 16e siècle, Rabelais et Montaigne, sur Fabula.org et la définition de Rabelaisien sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
- Surinformation et infopollution : articles et publications de Alexandre Serres et Eric Sutter, avec deux dossiers, l’un sur Contexte et enjeux de l’évaluation de l’information sur Internet (URFIST de Rennes), l’autre sur le web 2.0 et l’infopollution (megatopie.info)