Avec ce nouvel article cinéphile, j’aimerais renouer avec mon habitude d’évoquer des figures féminines au mois de mars sur ce site.
J’avais dérogé l’an dernier avec cette habitude, parce que je n’avais pas déniché d’ouvrages, plus ou moins récents, qui évoquent une femme de l’univers du cinéma (comédienne, réalisatrice, scénariste…), ou en soient l’oeuvre.
Et pourtant, il est certain que l’an dernier, comme au cours des mois précédents, ces ouvrages ont été publiés, mais encore faut-il que j’ai le déclic, le coup de coeur, et ce coup de coeur n’est pas forcément immédiat ou linéaire.
Ainsi les livres dont je vais parler dans un instant, je n’ai pas décidé spontanément de les réunir, il m’a fallu, au-delà de leur lecture, imaginer des ponts entre eux, autre que celui cédant à la facilité d’être écrits par des femmes.
Il y a également un livre dont j’aurais adoré parlé dans cet article, mais il vient tout juste d’être publié, et au moment où j’écris ces lignes, je ne l’ai pas encore entre les mains… je le garde donc précieusement en tête et y reviendrai dans les mois à venir.
Réunir des voix
Depuis quelques mois, je ne prépare plus frénétiquement mes articles cinéphiles à l’avance comme j’ai pu le faire auparavant.
Je laisse le livre ou les livres venir à moi, je les lis quand l’envie m’en prend, je laisse le temps infuser la lecture tranquillement, et quand enfin le moment est venu, je rassemble les fils et me pose pour écrire cet article juste quelques jours – au mieux une à deux semaines – avant de le publier.
J’ai toujours ma pile de lectures cinéphiles, et j’ai toujours en tête l’idée d’écrire sur tel livre à tel mois de l’année, et l’un des livres dont je vais parler aujourd’hui ne fait pas exception.
Sur ma pile cinéphile, il y a actuellement encore quatre livres qui attendent patiemment d’être intercalés entre mes autres lectures, cinq si l’on ajoute la publication récente que j’évoquais plus haut.
Il y a quelques mois, j’ai délaissé pour un temps encore indéterminé les lectures scientifiques et je n’ai gardé que mes lectures plaisir et mes lectures cinéphiles.
Pour mes lectures plaisir, j’avais une liste qui sommeillait depuis deux ou trois ans et que j’entamais à peine chaque année, je me suis remise à l’entamer consciencieusement, et parmi ces textes, un certain nombre sont l’oeuvre de femmes, et j’ai eu envie d’en réunir quelques-unes.
Delphine de Vigan, roman et théâtre
Depuis trois ans, sur ma liste de lecture, revenait parmi les autres titres un ouvrage de Delphine de Vigan publié en 2021 : Les Enfants sont rois.
Il n’apparaissait pas forcément en bonne place, et j’ai perdu au fur à mesure l’habitude de rajouter des titres sur cette liste qui n’en finit pas.
Qu’importe, je la recopie scrupuleusement d’une année à l’autre, même si je sais très bien que je suivrai davantage ma fantaisie que la liste en question… comme lorsque l’on va faire ses courses en ayant une idée précise de recette, mais que l’on cède finalement à la tentation d’un autre menu.
Néanmoins, j’avais la ferme intention de découvrir ces textes qui m’attendaient depuis des mois, et Les Enfants sont rois en faisaient partie.
Bien m’en a pris, car cette lecture tardive de 2024, cette dystopie vertigineuse, a été l’un de mes coups de coeur de fin d’année, et je me suis félicitée d’avoir acheté le livre pour le CDI.
Mélanie Claux est une fan de télé-réalité de la première heure, ayant par le passé échoué à devenir célèbre à la télévision grâce à l’émission Seuls dans le noir. Désormais épouse de Bruno Diore – dont elle prend le nom – et mère de famille, elle met ses deux enfants Sammy et Kimmy en avant sur les réseaux sociaux, notamment sur YouTube via la chaîne Happy Récré, où ils sont suivis par des millions d’abonnés.
Un jour, alors que les enfants font une partie de cache-cache dans leur résidence, Kimmy, âgée de seulement six ans, disparaît. S’ensuit alors la rencontre entre Mélanie et la policière Clara Roussel qui mène l’enquête sur la disparition de l’enfant, disparition qui se révèlera être un enlèvement. À travers son enquête, Clara découvre les dessous d’un monde où l’exploitation, la surconsommation et l’exposition accrue et forcée des enfants font partie dominante de leur vie.
J’ai dévoré ce livre glaçant en quelques jours, et j’ai été portée tout du long par son écriture virtuose, sa manière de nous confronter à nos failles – du narcissisme au voyeurisme – et à notre usage compulsif des réseaux sociaux et de leurs dérives, jusqu’à l’écoeurement.
Je suis sortie de cette lecture comme on sort d’une projection de Fenêtre sur cour (ou plus récemment de Dans la maison, de François Ozon), du visionnage d’un épisode – lointain dans mon souvenir – de Black Mirror ou de Westworld, avec le même sentiment d’inconfort et de culpabilité.
Moi qui ai l’habitude de poster mes lectures, j’étais évidemment tiraillée entre l’envie de partager cette expérience et l’ironie de la situation à laquelle l’auteure m’avait confrontée.
C’est avec la voix de Delphine de Vigan que j’ai donc décidé de prolonger l’expérience, d’abord en regardant l’adaptation de son roman en série télévisée (disponible sur Disney +). Cependant, malgré la qualité de l’interprétation, j’ai été déçue, comme souvent, que cette adaptation ne rende pas suffisamment justice à la complexité du roman.
Ensuite, j’ai récupéré sur ma pile de lectures cinéphiles le dernier texte de l’auteure, Les Figurants, publié en 2024.
À nouveau, dans ce court texte, c’est une curieuse mise en abyme que nous propose Delphine de Vigan, et puisque l’on parle de voix dans cet article, il s’agit ici de donner une voix, non pas aux invisibles, puisqu’ils sont omniprésents au cinéma, mais à ceux dont on n’entendra jamais la voix dans un film.
Didier Blondel l’avait déjà fait au singulier dans l’un de mes livres préférés consacrés au cinéma : Le Figurant. Le tour de force de Delphine de Vigan est justement de leur redonner la parole, cette fois au théâtre et au pluriel, avec Les Figurants.
Au cinéma ou dans les séries, les figurants sont toujours flous, de dos ; ils ne font que passer. À la fois invisibles et indispensables, ils font partie de l’image, de sa fabrication, de son réalisme, mais doivent se fondre dans le décor. Avoir l’air vrai sans se faire remarquer. En transposant le plateau de cinéma sur une scène de théâtre, Delphine de Vigan leur offre le premier plan, le premier rôle, le devant de la scène. Cécile, Orso, Bruno, Joyce et Nora se rencontrent sur un tournage. Ils sont plus ou moins dirigés par un assistant totalement débordé. Peu à peu, les rôles s’inversent… Et si nous étions, tous, les figurants d’une vaste histoire qui nous dépasse ?
Je suis généralement assez réticente lorsqu’il faut lire du théâtre, mais j’ai justement apprécié que chacun de ces personnages, auxquels on s’attache d’une manière si éphémère, ait sa voix et sa personnalité propre, avec son parcours, ses anecdotes et son espoir que cette voix unique soit enfin entendue et remarquée.
Hélène Gestern et Valérie Perrin : voix, images et musique
Ma découverte de Delphine de Vigan est toute récente. Les auteures que je convoque à présent font partie de mon univers littéraire depuis un peu plus longtemps.
Elles ont toutes les deux en commun une écriture toujours inattendue, et un imaginaire qui mêle la musique, les photographies, les voix et le cinéma à la perfection, ce qui a pour conséquence qu’on ne lâche pas facilement leur livre une fois la lecture entamée.
555
Une amie m’avait fait découvrir Eux sur la photo, d’Hélène Gestern, en m’en faisant la lecture à voix haute pendant le confinement – cette lecture, et celle de Novecento : pianiste, d’Alessandro Baricco, sont gravées dans ma mémoire. Ma lectrice me donnait immédiatement envie d’avoir le livre entre les mains.
C’est donc tout naturellement que j’ai ajouté 555, publié en 2022, à ma liste de lecture.
C’est en défaisant la doublure d’un étui à violoncelle que Grégoire Coblence, l’associé d’un luthier, découvre une partition ancienne.
A-t-elle été écrite par Scarlatti, comme il semble le penser ? Mais, à peine déchiffrée, la partition disparaît, suscitant de folles convoitises. Cinq personnes, dont l’existence est intimement liée à l’œuvre du musicien, se lancent à la recherche du précieux document sans se douter que cette quête éperdue va bouleverser durablement leur vie.
De ce texte, j’ai aimé l’érudition musicale, qui m’a donné envie de découvrir Scarlatti, l’odeur de l’atelier de lutherie, des bois que l’on travaille et des vernis, les salles de concert et le son du clavecin, du piano, du violoncelle et du violon, les pièces, du chevalet à l’âme et le frottement de l’archet sur les cordes, les différentes voix des protagonistes, et la quête frénétique de cette partition.
Tata
C’est à une autre quête, tout aussi artistique, que nous convie Valérie Perrin dans Tata.
« Colette est remorte. Ce mot n’existe nulle part. Remourir, ça n’existe pas. »
Colette était une femme sans histoire. C’est du moins ce que l’on croyait jusqu’au jour où sa nièce apprend son décès par un appel de la police. Car Colette, sa tante unique, a déjà été enterrée il y a trois ans…
Cette histoire haletante m’a remémorée par association d’idées et dans le désordre des histoires tout aussi différentes que Thirteen reasons why ou Cinema Paradiso.
Tata est l’un de mes coups de coeur de lecture de 2025, et s’y retrouvent des personnages de musiciens, d’acteurs, de réalisateurs, d’écrivains et de journalistes, tout un univers foisonnant emporté par un souffle sur plusieurs décennies, et porté par les voix de plusieurs femmes, là encore, dont celle de Colette, enregistrée sur cassettes.
D’aucuns pourront penser que Valérie Perrin, comme Mélissa Da Costa, excelle dans le roman feel good (et à y réfléchir, pas si feel good que ça). On peut y voir une critique, j’y vois une qualité, et je ne regrette aucun des moments passés avec ces deux auteures, et leurs textes, qu’il s’agisse pour l’une de Changer l’eau des fleurs et de Trois, pour l’autre de Tout le bleu du ciel.
Une soif de mots et d’histoires
J’emprunte l’intitulé de cette dernière partie à un roman bijou qui a été ma première lecture de 2025, et que je place encore au-dessus de mes lectures précédentes.
De ma pile de lectures, là encore, j’ai extrait trois textes, qui y sommeillaient, et que j’ai découvert entre décembre et janvier.
- La Commode aux tiroirs de couleurs, Olivia Ruiz
À nouveau, je suis tombée, avec ce texte, qui ne fait pas partie des publications les plus récentes, sur une magnifique histoire de femmes, entre Espagne et France. De cette lecture, je garde évidemment des couleurs chatoyantes, des odeurs, une lumière (et quelques ombres), des herbes et des épices, des voix et des musiques.
- William, Stéphanie Hochet
Ce deuxième texte est à la fois le récit d’une quête et celui d’un dialogue. Au moment où Arte diffusait un fabuleux documentaire en trois parties sur Shakespeare, avec entre autre les participations de Judi Dench, Ian McKellen et Helen Mirren, j’étais plongée dans ce subtil portrait de William, à la recherche de ses années perdues.
L’auteure tisse une toile entre l’Angleterre de la fin du XVIe siècle et son parcours sur les traces de Shakespeare, mais aussi sur les siennes propres.
- Une soif de livres et de liberté, Janet Skeslien Charles
J’en termine avec la plus belle façon que j’ai eue de commencer 2025, avec ce bijou qu’a été Une soif de livres et de liberté.
Odile Souchet, vingt ans à peine, s’épanouit dans son travail à la Bibliothèque américaine de Paris, où elle côtoie la fameuse directrice Dorothy Reeder. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, la jeune femme risque de tout perdre, y compris sa chère Bibliothèque. Alors que les nazis envahissent Paris, Odile et ses amis s’engagent dans la Résistance avec leurs propres armes: les livres.
Dès les premières lignes, l’histoire m’a embarquée… vous allez me dire qu’un personnage qui exprime ses émotions en les traduisant en cotes de la classification Dewey avait tout pour me plaire…
Mais à nouveau, les personnages, les allers-retours entre passé et présent, entre France et États-Unis, les voix de femmes, le chuchotement des lecteurs de bibliothèques, les livres que l’on s’échangent et dont on parle, ce chemin sinueux, familier et cinématographique, qui fait à la fois qu’on aimerait voir de tels livres adaptés à l’écran (ou peut-être pas, juste les garder pour soi avec ses propres images mentales)… ce livre avait également tout pour devenir l’un de mes préférés.
Et certes, je délaisse ici les lectures rigoureusement cinéphiles pour les lectures plaisir, mais cette frontière est définitivement poreuse, et les plus belles lectures ne sont-elles pas celles qui suscitent les plus belles images et les plus beaux souvenirs, notre cinéma personnel ?