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Le temps suspendu d’une leçon de cinéma

Pour ce dernier compte-rendu avant la pause estivale, j’ai hésité entre deux ouvrages publiés à quelques mois d’intervalles et étant portés tous deux par la même direction et la même voix.

Il s’agit de La Leçon de cinéma, publiée chez Denoël en octobre 2021 et de  Correspondance avec des écrivains : 1948-1984, publiée en mars 2022 chez Gallimard.

Les deux ouvrages sont dirigés par Bernard Bastide, et les deux font entendre la voix de François Truffaut.

Vous savez déjà rien qu’en lisant le titre sur lequel des deux mon choix s’est arrêté, mais je vais profiter de ces premières lignes pour évoquer rapidement cette correspondance.

2004-2022 : histoire d’une bibliothèque

J’ai déjà eu l’occasion d’y revenir régulièrement (j’ai même l’impression d’en parler et d’en reparler continuellement, comme si je cherchais à chaque fois à en redessiner les contours) : les étagères de ma bibliothèque s’enrichissent souvent d’ouvrages sur François Truffaut.

Si j’arrive généralement à me raisonner pour d’autres sujets (« non ce livre est magnifique mais il est trop imposant, non tu as déjà tel ouvrage sur la question »), si ma liseuse m’aide à contrôler l’achat de fictions, et si les nouveaux venus sont la plupart du temps des cadeaux de proches, je cède presqu’immanquablement à la tentation lorsqu’il s’agit de livres consacrés à mon cinéaste de prédilection.

Cette collectionnite a été amorcée en 2004, j’avais à peine découvert Truffaut – la découverte devait remonter à un ou deux ans tout au plus – et plusieurs livres avaient été publiés à l’occasion des vingt ans de sa disparition : le Dictionnaire Truffaut d’Arnaud Guigue et Antoine de Baecque, François Truffaut au travail, de Carole Le Berre, ou encore Truffaut par Truffaut, de Dominique Rabourdin.

Contrairement aux autres étagères de ma bibliothèque, je ne me suis cependant pas contentée des nouvelles publications, puisqu’assez rapidement, l’ouvrage sur lequel j’avais voulu absolument mettre la main était la Correspondance de Truffaut, qui était alors épuisée, puisque parue en 1988.

Je l’ai finalement trouvée après l’avoir commandée sur un site de livres d’occasion, un exemplaire toujours recouvert aujourd’hui d’une sorte de papier crépon destiné à le protéger, et que je n’ai jamais osé retirer…

Lorsque je suis arrivée dans le lycée où je suis actuellement en poste, j’ai eu la surprise de retrouver cette correspondance dans le rayon Cinéma, et si je parviens à retirer du fonds la plupart des ouvrages que les élèves ne consultent pas, je ne m’y résous pas pour celui-ci. Si je saute le pas à l’avenir, ce sera certainement pour récupérer un deuxième exemplaire de cette correspondance.

Au fil des années, les livres de / sur Truffaut sont venus garnir ma bibliothèque, jusqu’à cette Correspondance avec des écrivains : 1948-1984 parue il y a trois mois.

Du monologue au dialogue

La spécificité de la correspondance publiée en 1988, c’est qu’elle ne contient que les lettres de Truffaut, environ 500 – ce qui est déjà quelque chose.

Comme le rappelle Bernard Bastide dans la préface de la Correspondance avec des écrivains : 1948-1984 publiée en mars 2022, et ce dès les premières lignes, « Cent vint-deux boîtes d’archives, plus de vingt mètres linéaires, plusieurs milliers de lettres envoyées ou reçues », Truffaut était un épistolier frénétique.

Cette fois-ci, sur près de 500 pages, et malgré les aléas d’expéditeurs ou de destinataires manquants, les différentes voix se font entendre : ce sont celle de Truffaut, évidemment, auxquelles répondent celles de Cocteau, de Jean Genet, de Jacques Audiberti.

Le lecteur cinéphile suit ces échanges au fil de la filmographie de Truffaut : il sait que la correspondance avec Henri-Pierre Roché le mène à Jules et Jim, que celle avec Ray Bradbury conduira à l’adaptation de Fahrenheit 451, et que les lettres échangées avec Jean Hugo mèneront à L’Histoire d’Adèle H.

Petite parenthèse à propos d’Adèle Hugo – et de son père si encombrant – la mention « Ouvrage publié avec le soutien de la Fondation d’entreprise La Poste » m’a fait sourire, et, par le cheminement des associations d’idées, m’a rappelé ce petit coffret publié en 2001 :

J’ai pensé aussi à toutes ces lettres échangées et envoyées dans les films de Truffaut, en particulier les pneumatiques de Baisers volés, et cette lettre de la mère de Bertrand Morane dans L’Homme qui aimait les femmes :

Mon amour… Je ne comprends rien à tes silences… je n’ai reçu aucune lettre de toi depuis deux semaines et je me demande si mes lettres te parviennent… Décidément les mystères de la poste sont insondables…

La petite particularité de la correspondance entre Juliette Drouet et Victor Hugo était que le coffret contenant deux livres séparait distinctement les deux épistoliers, ce que j’ai toujours regretté.

Encore une fois, dans cette Correspondance avec des écrivains, les échanges qui ont pu être retrouvés ne sont séparés parfois que par une autre lettre qui s’intercale dans la chronologie des envois et du courrier reçu.

Discussions sur le cinéma

La dernière lettre figurant dans cette correspondance est datée de janvier 1984, et elle laisse le cinéphile sur une note songeuse teintée d’émotion.

Cette émotion, il la trouve inchangée dans sa lecture de La Leçon de cinéma, publiée en octobre 2021 chez Denoël, toujours sous la direction de Bernard Bastide.

Faisons un petit détour justement par la quatrième de couverture et par la préface de Bernard Bastide.

Pour la première :

En 1981, François Truffaut, l’ancien fougueux critique de cinéma, fait l’autocritique de ses propres films.
En s’appuyant sur des scènes et des anecdotes de tournage, Truffaut revisite, avec émotion et franchise, sa carrière, des Mistons (1959) à La Femme d’à côté (1981).

Lorsque l’on se plonge dans la préface de Bernard Bastide, on comprend la genèse de cette leçon de cinéma : une première proposition de Jean Collet, en 1977, de publier un livre d’entretiens sur le modèle de l’auguste parent publié pour la première fois en 1966, Hitchcock / Truffaut, et complété en 1980. Proposition déclinée.

Puis une deuxième proposition en 1980 : une série d’émissions télévisées, La Leçon de cinéma. L’émission réalisée avec François Truffaut en 1981 sera la seule à être diffusée, et ce seulement en mai 1983, soit seulement un an avant le décès de Truffaut.

Comme l’indique Bernard Bastide, cette émission n’a jamais été rediffusée ni même éditée sur support vidéo. Elle a cependant été métamorphosée une première fois en livre, dans une édition allemande, sous le titre Monsieur Truffaut, wie haben Sie das gemach ?, ce qui reprend le titre allemand du Hitchcock / Truffaut, Mr Hitchcock, wie haben Sie das gemach ?, à laquelle s’ajoute une édition de poche parue en 1993.

Quarante ans après le tournage de cette émission, le cinéphile a donc entre les mains la transcription d’une émission télévisée qu’il (re)verra peut-être un jour ?

À défaut de cette émission introuvable, s’il veut écouter et voir François Truffaut parler de cinéma, il lui faudra farfouiller sur les plateformes de vidéos en ligne, pour glaner des « rencontres » en 1972 dans les archives de Radio Canada, un entretien du réalisateur avec Christian Defaye dans les archives de la Radio Télévision Suisse (1975), ou encore la fameuse émission Apostrophes diffusée en avril 1984 :

Temps suspendu

Écouter ces émissions, c’est avoir en tête la voix de Truffaut, que l’on retrouve donc dans ce magnifique ouvrage qu’est La Leçon de cinéma.

Si l’on a continuellement en tête la comparaison avec le Hitchbook, ce n’est pas seulement par la forme du texte, sous forme d’entretiens – quoique les questions sont généralement plus concise que celles que posait parfois Truffaut à Hitchcock – c’est aussi par l’aspect chronologique.

Sans l’entendre, on sent cette voix, tantôt peut-être hésitante, tantôt précipitée.

Pour chacun des films, les auteurs de l’entretien (Jean Collet, Jérôme Prieur et José Maria Berzosa, qui réalise l’émission) ont choisi une ou deux scènes qu’ils font visionner à Truffaut… s’ensuivent questions et réactions fidèlement rapportées.

J’ai aimé cet extrait, suite au visionnage d’une scène de Tirez sur le pianiste ! 

Tout au long d’un tournage, les acteurs souffrent parce que toutes les scènes, les unes après les autres, vont leur offrir des difficultés auxquelles ils ne s’attendaient pas. Un acteur a répété sa scène, il la sent bien, il a les jambes écartées, bien plantées dans le sol et il est sûr de lui. Tout d’un coup, le metteur en scène va le faire jouer coincé derrière un bar, tout tassé, avec des types qui passent devant lui. Il y a toujours un élément qui fait que rien ne se passe comme prévu. C’est une souffrance que l’acteur doit sans cesse s’efforcer de surmonter.

Chaque scène suscite son lot de souvenirs et d’associations d’idées : pour Fahrenheit 451, on se remémore la scène de la vieille dame qui se sacrifie pour ses livres ; pour Baisers volés, cet échange de regards fabuleux entre Antoine Doinel et Fabienne Tabard…

« Vous aimez la musique, Antoine ? – Oui, monsieur. »

… une scène que j’ai toujours trouvée aussi irréaliste que touchante, avec ce lapsus que ne peuvent comprendre que les grands timides troublés par une apparition – ici incarnée par Delphine Seyrig.

Pour les quelques pages consacrées à La Nuit américaine, on retrouve Truffaut en voix off, dans une curieuse mise en abîme :

Un tournage de film, ça ressemble exactement au trajet d’une diligence au Far-West (…) Qu’est-ce qu’un metteur en scène ? Un metteur en scène, c’est quelqu’un à qui on pose sans arrêt des questions. Des questions à propos de tout. Quelquefois, il a les réponses, mais pas toujours.

Lorsque l’émission est enregistrée, François Truffaut vient de finir le tournage de La Femme d’à côté, qui constitue donc l’avant-dernier chapitre de l’ouvrage.

Le film y est abordé brièvement, puis suivent quelques questions plus générales sur le métier de cinéaste : quand avez-vous décidé de faire des films, comment travaillez-vous, l’écriture du scénario, le tournage en studio, les films en couleurs et les films en noir et blanc, la relation au public…

Évidemment, le cinéphile sait qu’il reste un film à tourner, Vivement dimanche !, et le temps se suspend à cette dernière phrase de l’entretien :

J’ai, en revanche, l’impression d’être aujourd’hui plus audacieux, de dévoiler des choses qu’il y a encore dix ans je n’aurais pas osé montrer…

Et pour « achever la figure » (expression que le fidèle associe immédiatement à La Chambre verte), le lecteur retournera immédiatement à l’essentiel, et se replongera, à nouveau, inlassablement, dans le cinéma de François Truffaut.

Des dialogues aux petits oignons

Lorsque l’on commence, enfant, à regarder des films, les dialogues ne sont pas forcément ce qui retient notre attention. Plus tard, ce n’est pas non plus forcément ce qui nous interpelle lorsque l’on découvre un film.

Et pourtant, plus j’y pense, plus la voix et l’intonation, et le rythme, et la musique, tout cela me paraît crucial.

Voix, rythme, musique et dialogues

Lorsque petite je regardais des dessins animés Disney, j’étais sensible aux voix et aux musiques, à tel point que lorsque je découvre dans l’édition récente d’un film que le doublage a été modifié, je me sens trahie.

Lorsque je compare l’ancien doublage et le nouveau doublage de la chanson « Histoire éternelle » de La Belle et la bête, il arrive forcément un moment où j’arrête de comparer, je coupe le son de la version la plus récente, pour remettre ce que je considère comme la « vraie voix » de Mrs Samovar.

J’ai une véritable mémoire sonore de ces choses-là, et je peux me souvenir des années après d’un dialogue de film, simplement parce que je l’ai entendu et entendu encore.

Lorsque j’étais un peu plus âgée et que je ne regardais plus que des dessins animés Disney, j’ai eu un CD-ROM sur le cinéma français. Ce CD-ROM permettait de voir des photographies de films, d’écouter des dialogues cultes et de voir des extraits de films.

C’est ainsi que j’ai toujours gardé en mémoire cet échange entre Pierre Brasseur et Arletty dans Les Enfants du Paradis, bien avant de voir le film :

Rendez-vous, destin tragique, voilà seulement deux minutes que nous vivons ensemble, et vous voulez déjà me quitter. Et me quitter pour quoi, pour qui, pour un autre évidemment, et vous l’aimez cet autre ?

Oh moi j’aime tout le monde.

Eh bien voilà qui tombe à merveille, je ne suis pas jaloux, mais lui, l’autre, il l’est, hein, jaloux ?

Qu’est-ce que vous en savez ?

Oh ils le sont tous, sauf moi…

J’arrête là, je pourrais continuer jusqu’à la fameuse réplique de Arletty (et le meilleur râteau de l’histoire du cinéma) « Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour« .

Déjà j’avais plus de facilités à retenir ce genre de choses que les déclinaisons en allemand et les verbes irréguliers anglais…

Je les retenais, je les emmagasinais, mais je n’avais pas encore perçu l’importance de celui (ou de ceux) qui en était à l’origine. J’aurais été incapable de dire que les quelques lignes que je viens de citer de mémoire étaient l’oeuvre de Jacques Prévert.

Un univers de voix

Ce n’est désormais pas étonnant que les voix et les musiques aient pris une telle importance pour moi, lorsque je regarde dans ma « discothèque » et que j’y trouve pêle-mêle les bandes originales de Chaplin, Hitchcock, Truffaut, Barry Lyndon, et qu’on y retrouve aussi Chantons sous la pluie, Le Seigneur des anneaux, My Fair Lady, Mary Poppins et les musiques de Nino Rota et d’Ennio Morricone.

Si je dépasse cette atmosphère musicale pour en venir aux voix, celles qui m’entourent sont évidemment celle de Truffaut (notamment dans La Nuit américaine – et on sait le soin minutieux qu’il apportait à ses dialogues), celles de Bourvil et de De Funès, celles des personnages de Kaamelott ou de Astérix et Obélix mission Cléopâtre, celles de Catherine Frot et André Dussolier dans Mon petit doigt m’a dit et Le Crime est notre affaire.

Si je donne un tour un peu plus anglophone à la chose, je vais garder en tête principalement (et autant pour la voix que pour les paroles qu’elle assène) Bette Davis, Lauren Bacall et Humphrey Bogart, Katharine Hepburn et Greta Garbo. Plus récemment je garde celle d’Alan Rickman, ou de Helen Mirren dans The Queen, et la plupart des répliques du Seigneur des anneaux.

Mais là encore, je serais bien en peine de citer de mémoire qui a écrit les dialogues du Eve de Mankiewicz ou du Port de l’angoisse de Hawks, bien qu’il me revienne presque miraculeusement en mémoire que ceux du Grand sommeil soient l’oeuvre de Raymond Chandler.

Il me semble que la première fois que j’ai retenu le nom d’un scénariste, c’était pour le scénario de Confidences trop intimes, un film de Patrice Leconte, dont les dialogues avaient été écrits par Jérôme Tonnerre, auteur également d’un de mes livres préférés sur Truffaut, Le Petit voisin.

C’est ce qui m’a peut-être permis de dissocier dans un film le réalisateur qui met en scène, l’acteur qui prononce les dialogues et le scénariste qui les a écrits, même si parfois, en quelques occasions, les frontières se brouillent.

Un orfèvre des répliques

Pourquoi cette longue introduction, dont je suis coutumière presqu’à chaque fois qu’il s’agit de présenter un livre ?

Parce que j’ai reçu en début d’année l’un des petits derniers de Philippe Lombard. Philippe Lombard, cette fois-ci, pas la peine de m’éterniser, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer sa cinéphilie et son hyperactivité dans mon article du mois de février, consacré à son ouvrage Ça tourne mal.

Cette fois-ci, c’est avec les dialogues d’Audiard qu’il nous régale : Sous la casquette de Michel Audiard : les secrets de ses grandes répliques a été publié en mars 2020 aux éditions Dunod.

Ce livre m’a donné l’occasion de mieux connaître un scénariste et un réalisateur dont j’avais jusque-là retenu deux choses :

  • il avait signé les dialogues des Tontons flingueurs, que je connais aussi quasiment par coeur ;
  • il a habité Dourdan, pas très loin de chez moi

Il faisait aussi partie de cette bande Blier – Ventura – Gabin dont je retrouvais avec affection de temps en temps les images d’archives :

Je ne résiste pas à en partager un deuxième extrait :

Voilà quel était l’état de mes maigres connaissances sur Michel Audiard au moment où j’ai ouvert le livre de Philippe Lombard.

Ce que ce dernier décortique dans Sous la casquette de Michel Audiard, ce sont les influences et les sources d’inspiration d’Audiard : on y retrouve son style, son langage, la musique de ses dialogues, ses passions (le vélo, Céline et Proust…) les références de son époque, qui vont de la prostitution aux flics, de la télévision et de la publicité à la vie politique, et de l’Occupation à Paris.

Au détour d’une réplique ou d’une citation de roman, on découvre une atmosphère, un esprit, on retrouve un certain parfum.

Quand Philippe Lombard cite Audiard : « J’ai mon 14e arrondissement qui me colle aux godasses », je n’ai pas pu m’empêcher de retrouver le mien (ou plutôt celui de ma grand-mère), de 14e arrondissement : le bassin du parc Montsouris, son observatoire, la statue du général Leclerc, l’église d’Alésia et le Lion de la place Denfert-Rochereau… je ne suis donc pas prête de le trouver aussi laid que le trouvait Audiard, à le lire.

Au fil des pages, je me suis rendue compte que j’en connaissais un peu plus sur Audiard que je l’imaginais, et, outre les Tontons flingueurs, il y avait quelques films qui m’avaient marquée sans que j’ai pu soupçonner qu’ils étaient signés de la plume de ce dernier.

Panthéon Audiard

  • Les Tontons flingueurs

Au sommet de mon panthéon Audiard, il y a évidemment les Tontons flingueurs, que je connais quasiment par coeur.

Si je voue un culte à certaines répliques telles que « éparpillé aux quatre coins de Paris façon puzzle » ou à la scène de la cuisine, j’ai une tendresse particulière pour la réplique de Francis Blanche :

Et c’est pour ça que je voudrais intimer l’ordre à certains salisseurs de mémoire qu’ils feraient mieux de fermer leur claque-merde.

ainsi que pour Lino Ventura, l’homme de la pampa parfois rude qui sait rester courtois…

  • Un Singe en hiver

Un Singe en hiver fait partie de mes découvertes les plus récentes, je l’ai vu très tardivement. Et pourtant je n’ai pu que me délecter de ces dialogues aux petits oignons et de ces échanges alcoolisés entre Gabin et Belmondo.

  • Tendre poulet

S’il y a une comédienne française dont j’aime la voix et que je n’ai pas citée plus haut, c’est Annie Girardot.

Il était donc tout naturel qu’à un moment je tombe sur Tendre poulet, cette histoire facétieuse de retrouvailles entre un professeur de grec à la Sorbonne incarné par Philippe Noiret tendance un peu anar, et un « flic en jupons » et avec beaucoup de gouaille, Annie Girardot, que l’on suit dans l’une de ses enquêtes.

C’est fin, plutôt trépidant et finalement irrésistible.

  • Garde à vue

Enfin, j’en termine avec le plus sombre mais dont inconsciemment, j’avais retenu très tôt l’une des répliques, qui figurait dans le CD-ROM dont j’ai parlé plus haut.

En effet, dès le générique de ce CD-ROM, on entendait la voix de Michel Serrault :

Ne dites pas ça, c’est pas vrai.

Alors oui, à première vue, ce n’est pas la réplique de cinéma la plus mémorable qui soit. Mais elle m’est restée dans la tête jusqu’à ce que je puisse la retrouver dans le film de Claude Miller, un huis clos très tendu avec Lino Ventura et Michel Serrault.

Pourquoi ai-je eu l’occasion de voir (et de revoir plusieurs fois) ce film : parce qu’au-delà de ce duo de choc que j’adore et qui reste des plus improbables, Ventura et Serrault, c’est l’un des derniers rôles de Romy Schneider, apparition fantomatique et glaçante.

Alors oui, j’ai bien conscience qu’avec ce dernier film, je ne clos pas temporairement ce panthéon sur la note la plus joyeuse et débridée, mais il fait partie de ces huis clos où les répliques s’enchaînent avec virtuosité et s’échangent comme des balles de tennis, percutantes et efficaces.

Et c’est aussi pour cela qu’elles restent en tête.

Voilà pour cette petite promenade dans l’univers des dialogues de cinéma et des mots d’Audiard, j’espère vous avoir donné envie de réécouter vos propres répliques cultes, et je vous dis à très bientôt pour un nouvel article sur Cinephiledoc !

Trouvez le titre…

L’ouvrage dont je vais vous parler aujourd’hui m’a donné beaucoup de mal : je tenais vraiment à lui consacrer un article, mais je ne savais pas par quel bout le prendre et il m’a fallu une bonne dose de concentration, plusieurs associations d’idées pêle-mêle et un sens de l’organisation qui n’est pas encore très sûr de lui pour me décider à écrire.

Tourner autour du pot

J’avais pourtant décidé de publier cet article pour le mois d’avril, mais, face aux difficultés mentionnées plus haut, j’ai procrastiné.

L’une des autres difficultés rencontrées était de trouver un titre à cet article, difficulté que, vous vous en doutez, je n’ai pas surmonté. J’aurais pu détourner quelques titres littéraires ou cinématographiques, « À la recherche du titre perdu », « Et pour quelques titres de plus », « L’homme qui aimait les titres », « Un titre sans divertissement » (moins prometteur).

J’ai préféré vous laisser la main.

Ensuite, mon esprit a vagabondé d’un titre de film à l’autre, d’un titre de livre à l’autre. Je me suis demandée si des titres – et uniquement des titres – m’avait incité à lire un livre ou à aller voir un film. Je me suis dit que cela pouvait être le cas – À la recherche du temps perdu, Le Songe d’une nuit d’été, La Solitude est un cercueil de verre, Tous les hommes sont mortels, L’Ombre du vent – mais que ce n’était pas systématique, et d’ailleurs je n’aime pas particulièrement les titres trop longs.

Je n’aime pas non plus les titres trop courts – finalement, c’est comme les saisons, je suis résolument tempérée. J’en ai déduis que les titres n’étaient pas vraiment un élément qui m’incitait à aller vers les livres ou vers les films.

Ensuite je me suis demandée si mes réticences envers les titres ne venaient pas de mes préférences pour les titres non traduits – j’ai toujours préféré Wuthering Heights aux Hauts de Hurlevent (ou à Hurlevent tout court dans certaines éditions) mais là encore, je me suis vite rendue compte qu’il n’y avait rien de radical dans ces préférences.

J’ai pensé à Cyrano :

Duel qu’en l’hôtel Bourguignon Monsieur de Bergerac eût avec un bélître.

-Qu’est-ce que c’est que cela s’il vous plait ?

-C’est le titre.

Photo Credit: justmakeit Book crisis
(Creative Commons, Attribution-NonCommercial 2.0 Generic ) Font : MISO regular by Mårten Nettelbladt.

J’ai tapé « Titres romans » dans mon moteur de recherche, j’y ai trouvé des listes des plus beaux titres – rien qui ne m’a vraiment convaincu – par contre j’ai retrouvé une pépite dans mon historique : un générateur de titre proposé par Omer Pesquer. Vous entrez votre prénom et votre nom, et le site vous génère un titre avec sa couverture, l’expérience est assez amusante :

http://www.omerpesquer.info/untitre/index.php

Enfin j’ai ressorti quelques ouvrages sur le cinéma parmi mes préférés, pour voir si j’y trouvais une accroche pour démarrer cet article – déjà bien entamé – et j’ai feuilleté dans le désordre le superbe Écrit au cinéma de Michel Chion et Cinematic Overtures d’Annette Insdorf, l’un de mes livres fétiches sur Hitchcock, le Dictionnaire Hitchcock de Laurent Bourdon, où j’ai vainement cherché une entrée « Titre » ou « Intertitre » (j’y reviendrai plus tard),  et mes yeux se sont attardés sur mon non moins fétiche Tartes à la crème et coups de pieds aux fesses d’Enrico Giacovelli.

L’homme qui faisait des titres et l’homme qui faisait des intertitres

Bref, après toutes ces associations d’idées  – et d’autres sur lesquelles je reviendrai plus tard – une page du livre (que je ne vous ai toujours pas présenté) m’est revenue en mémoire, l’auteur y raconte que le premier métier de Claude Chabrol consistait à trouver des titres français pour les films distribués en France par la Fox, et il y rapporte les propos de Chabrol « Négligeant la lettre, j’allais directement à l’esprit ».

Cela m’a amusée que le réalisateur des Innocents aux mains sales, de Poulet au vinaigre, et de Merci pour le chocolat, grand admirateur et défenseur du cinéma d’Hitchcock (préfacier du dictionnaire que j’ai mentionné plus haut) ait eu un travail pas si éloigné de celui d’Hitchcock à ses début.

En effet, celui-ci a commencé comme auteur et graphiste d’intertitres dans une société de production britannique – d’où mes recherches infructueuses, toujours dans le même dictionnaire.

Du coup j’ai repensé aux génériques et aux titres d’Hitchcock. Je me suis souvenue que Blow Up (encore eux) avait fait une vidéo sur les génériques d’Hitchcock, parmi d’autres vidéos sur d’autres génériques…

Et pour le coup, je me suis rendue compte que, s’il y avait des titres de films qui retenaient mon attention, c’était bien ceux d’Hitchcock, d’où un petit travail de décorticage :

Il y a ceux qui sont sans ambiguïtés : Rebecca, Soupçons (Suspicion), L’ombre d’un doute (The Shadow of a doubt), La Corde (Rope), Fenêtre sur cour (Rear Window), L’Homme qui a savait trop (The man who knew too much), Psychose (Psycho), Les Oiseaux (Birds).

Et il y a les autres, qui me laissent plus perplexes : La Maison du docteur Edwardes pour Speelbound, Les Enchaînés pour Notorious, Le Crime était presque parfait pour Dial M for Murder, La Main au collet pour To catch a thief, et surtout, surtout : La Mort aux trousses pour North by northwest.

Finalement j’ai compris que trouver des titres était une affaire bien plus complexe qu’il n’y paraît, et que tous ces détours témoignaient du tour de force du petit livre dont je vais enfin vous parler : s’il a réussi à me faire cogiter de la sorte, son pari est véritablement gagné.

Manuel d’auteur de titres à l’usage du cinéphile

Ce livre, c’est celui de Philippe Lombard, auteur hyperactif sur le cinéma, avec à son actif : Les Grandes Gueules du cinéma français, L’Univers des Tontons flingueurs, et de deux livres dont j’ai encore parlé très récemment : Le Paris de François Truffaut et Paris 100 films de légende.

En 2019, il a déjà publié deux livres, dont celui qui nous intéresse aujourd’hui, aux éditions Dunod : Arrête de ramer, t’attaques la falaise ! – La face cachée des titres de films enfin révélée !

Pourquoi tenais-je tant à parler de ce livre ? D’abord parce que c’est un livre de Philippe Lombard, et je commence à bien apprécier la qualité de ces livres. Ensuite parce que ce livre fait partie des petits livres pépites qui nous en apprennent plus sur le cinéma tout en nous distrayant.

Dans la même veine, vous avez les livres tout en infographies dont j’ai déjà parlé (Star Wars Graphics et Disney Graphics publiés chez Hachette pratiques), ou les petits livres de chez 404 éditions comme Comprendre les super-héros quand on a même pas remarqué que Superman porte son slip par dessus son collant. Là aussi on sent l’effort de titre.

Arrête de ramer, t’attaques la falaise ! – La face cachée des titres de films enfin révélée ! est un livre avec lequel on ne s’ennuie pas.

Pas seulement parce qu’on y retrouve des anecdotes que l’on connait déjà, comme les idées de titres proposées par Truffaut pour Les Quatre cents coups :

Pas seulement parce que l’auteur propose des quiz, des petits jeux (du type « associez le titre original et sa traduction en québécois ») et parce que visuellement, certaines pages font mouche

– j’ai adoré l’alphabet en titres de films, la double page « là haut dans les étoiles », un titre pour chaque jour de la semaine, une traversée de Paris avec des titres, les titres à l’usage du quotidien ou encore la Timeline des titres depuis Un million d’années avant JC jusqu’aux Exterminateurs de l’an 3000

mais aussi parce qu’on y apprend énormément de choses. On y retrouve notamment un top 10 des titres les plus longs, des pages consacrées à Michel Audiard et à la troupe du Splendid, un chapitre sur les titres de films les plus incompréhensibles et un chapitre très drôle sur les titres de films X.

Cela m’a d’ailleurs fait penser à une des petites blagues du moment, qui consiste à dire « Titre » après une phrase entendue et que l’on juge digne d’être un film du genre… ma préférée du moment ? Quand je regarde Top chef et que les candidats, en pleine cuisine, disent « Je mouille avec de l’eau »…

Bref, vous l’aurez constaté, le livre de Philippe Lombard peut vous emmener très loin. Il peut vous faire repenser à vos lectures favorites, vous faire ressortir vos réflexions les plus sérieuses, vous donner l’occasion de vous remémorer toute la filmographie de deux cinéastes réunis (voire d’autres films aux titres qui vous trottent dans la tête : Princesse Mononoké, Mon Voisin Totoro, Le Voyage de Chihiro…) pour que finalement la suite de vos idées prennent un tour bien plus ludique voire inattendu…

Ce petit dépaysement onomastique (clin d’oeil à mes années à suivre pas à pas le narrateur de La Recherche), c’est avec une économie de moyens et un humour constant que Philippe Lombard nous l’offre.

Qu’il en soit une nouvelle fois remercié, en attendant de découvrir son prochain tour de force !

Beaux rêves de titres et à très bientôt sur Cinéphiledoc !

Lettre à la Femme d’à côté

Il y a deux mois, dans le cadre de l’exposition consacrée à François Truffaut à l’occasion des 30 ans de sa disparition, la Cinémathèque française et le magazine Télérama ont lancé un concours d’écriture, Lettre à la Femme d’à côté, auquel j’ai participé.

Ma lettre n’a malheureusement pas été retenue parmi les trois lauréates sélectionnées par le jury, et dont la lecture est disponible ici. C’est pourquoi je la publie aujourd’hui sur Cinephiledoc. J’espère que cette lettre à Mathilde, personnage captivant de La Femme d’à côté, vous plaira.

Chère Mathilde,

Qu’il est étrange de se mettre à t’écrire, toi que j’ai rencontrée tardivement, et que je trouvais si intimidant de côtoyer.

la femme d'à côté

J’avais certes croisé beaucoup de tes sœurs déjà, Colette, Fabienne, Christine, Catherine, Anne et Muriel, Marion… mais il y en avait peu dont l’intensité m’impressionnait autant que la tienne. Et pourtant je restais en retrait, spectatrice, voyeuse, car intervenir plus directement dans cette histoire aurait été comme une effraction. J’aurais eu l’impression de trahir un secret, et je redoutais presque cette proximité tout autant que je la recherchais.

Je n’ai pas l’habitude d’écrire des lettres – ou plutôt j’en ai eu l’habitude et, comme beaucoup je suppose, je l’ai perdue. Mais je me suis souvenue que cette habitude-là, tu ne l’avais pas prise. Elle n’aurait été qu’un témoignage de plus de l’absolu de ton caractère. Une redondance.

Alors qu’il fallait à tout prix que cette passion, cette intransigeance des sentiments, ce refus de tout compromis, soient détachés de tout ce qui aurait pu paraitre désuet. Il fallait que tu vives aujourd’hui, et de toute éternité, et de ton univers, les lettres ne faisaient pas partie.

Je me souviens davantage de coups de téléphone, de conversations interrompues brutalement et de ligne occupée. Des lettres ? Aucune.

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Parce que tu ne faisais plus partie de celles qui écrivent leur passion. Tu faisais partie de celles qui la vivent pleinement. Et pourtant, à l’instant où j’écris ces mots, je me rends compte à quel point il est injuste de dire que Anne et Muriel, ou que Catherine, vivaient moins intensément leur passion que toi.

Encore une fois, je ne parviens pas à t’écrire comme il le faudrait. Je pourrais dire une foule de choses. Je pourrais t’expliquer à quel point tu m’as émue, bouleversée, marquée. A quel point j’ai voulu faire mien ce message, mienne cette épitaphe à laquelle tu n’auras pas droit, « Ni avec toi, ni sans toi ». Mais la pudeur, la timidité, et même le regard des autres, ne pouvaient que m’en empêcher.

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Il n’y a que toi, Mathilde, pour l’incarner, mais qui pourrait te prendre pour modèle sans trembler ? Qui pourrait tout autant redouter de vivre ta vie et craindre de ne pas l’avoir vécue ?

Et puis, pardonne-moi, mais cette lettre, j’aurais voulu l’écrire à un autre. Attends, attends. Cet autre, j’aurais voulu lui dire que son cinéma m’a éveillée à la vie, a éduqué mon regard, a forgé mon être, m’a appris à aimer les livres, le cinéma, les êtres disparus et les êtres entiers tels que toi. Je lui aurais dit qu’il a été mon grand frère, mon fils, mon père.

J’aurais voulu lui dire je ne sais combien de choses, que bien sûr, il m’aurait été impossible de formuler si, par un hasard irréel, j’avais été mise en sa présence. Une fois encore, la réalité, et la pudeur, auraient retenu mes mots…

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Pourtant, j’aurais tant voulu lui dire… alors je le dis à toi, messagère sans concession. Et cette lettre que, du coup, je ne t’écris pas, si jamais tu le croises, remets-la lui.

Voilà un petit article un peu court, et qui sort de l’ordinaire… Mais j’aurais regretté qu’il reste au fin fond de mon ordinateur, sans le partager avec vous.

Il m’a d’ailleurs donné envie de partager quelques textes, que je publierai de temps à autre, à l’occasion, dans la rubrique « Écriture » de ce blog, en plus des habituelles critiques cinéphiles et des habituelles réflexions professionnelles.

À bientôt !

Cycle Truffaut. Chapitre 2 : la parole et l’écriture

Comme annoncé précédemment, cet article sera consacré à Truffaut en tant qu’auteur, Truffaut écrivain, Truffaut épistolier, Truffaut interlocuteur et Truffaut graphomane…

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Pourquoi, à juste titre, Truffaut peut-il être considéré comme un homme « hyper-documenté » ? Parce que l’écriture nourrit sa vie et son oeuvre, que ce soit par la lecture ou par l’activité même d’écriture.

La lecture et l’écriture filmées

Partons d’une simple constatation maintes fois abordée dans les ouvrages qui lui sont consacrées : la lecture et l’écriture sont omniprésentes dans ses films. On voit les personnages lire et écrire, on voit l’écriture de Truffaut, si particulière, sans majuscules, se délier dans certaines scènes, et les livres, lettres, lignes, bref, toutes les traces écrites imaginables sont au coeur de son cinéma.

Meilleurs moments :

  • les scènes de lecture et d’écriture des Quatre cents coups. Antoine Doinel lit Balzac, rend hommage à Balzac. Il écrit des alexandrins, puni dans son coin à l’école, ce qui lui vaut les lignes « Que je dégradasse les murs de la classe… » Il écrit des lettres, recopie des mots d’excuses…
  • les lettres échangées dans Jules et Jim et dans les Deux Anglaises et le Continent, et que les personnages lisent à voix haute sur un écran neutre.
  • les lettres échangées entre Antoine Doinel et Fabienne Tabard dans Baisers volés.
  • l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans L’Enfant sauvage.
  • le livre, objet interdit et omniprésent dans Fahrenheit 451, et la lecture, comme activité secrète mais récitée à voix haute.
  • la lecture et l’écriture au quotidien de la vie d’écolier dans L’Argent de poche.
  • le livre qu’écrit Bertrand Morane dans L’Homme qui aimait les femmes.
  • enfin, un dernier exemple (mais pas le seul), l’écriture de Truffaut/Ferrand dans La Nuit américaine, écriture mise en scène par les acteurs : « Même si ce que vous dites est vrai, moi je ne pourrais pas oublier. Je suis décidée, je vais vivre seule, je sais que la vie est dégoûtante. »

Voilà pour quelques scènes où sont mises en scène, de manière presque toujours simultanée, la lecture et l’écriture. Revenons maintenant à l’activité d’écriture, non pas en dehors des films, ce qui n’est jamais le cas, mais plutôt, là encore, conjointement à eux.

Truffaut épistolier

L’écriture étant l’une des formes d’expression qu’il affectionne le plus, la plupart de ses personnages et des personnalités qu’il admire la pratiquant, il est naturel que la lettre ait pour Truffaut un attrait particulier.

Nous l’avons vu, c’est généralement la lettre que Catherine, Jules et Jim, Antoine Doinel, utilisent pour communiquer, et pas seulement dans des films « d’époque » où elle est le seul moyen de communication, mais dans ses autres films, où elle vient concurrencer le téléphone.

correspondance truffaut

La Correspondance de François Truffaut, publiée en 1988, rassemblent des textes ayant été échangés entre 1945 – il a treize ans – et 1984. Dans cette correspondance « professionnelle », adressée d’abord en majorité à Robert Lachenay, son ami d’enfance qui partage avec lui sa passion de la littérature et du cinéma, on retrouve très vite des figures connues du cinéma, ses acteurs, ses scénaristes, ainsi que des réalisateurs qu’il admire et des proches collaborateurs.

On y retrouve l’échange de lettres qu’il eut avec Helen Scott, qui participa à l’enregistrement et à la traduction des entretiens Hitchcock / Truffaut. On y retrouve également la fameuse lettre adressée à Godard après la projection de La Nuit américaine, lettre de rupture artistique et amicale définitive entre les deux cinéastes.

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On y trouve des lettres adressées à Hitchcock, dont la première, évoquant déjà l’idée des entretiens, rappelle leur première rencontre :

Il y a quelques années j’étais journaliste de cinéma, lorsqu’à la fin 1954 je suis allé avec mon ami Claude Chabrol, vous interviewer au studio Saint-Maurice où vous dirigiez la postsynchronisation de To Catch a thief. Vous nous aviez demandé d’aller vous attendre au bar du studio, et c’est alors que, sous l’émotion d’avoir vu quinze fois de suite une « boucle » montrant dans un canot Brigitte Auber et Cary Grant, nous sommes tombés, Chabrol et moi, dans le bassin gelé de la cour du studio. (…)

Par la suite, à chacun de vos passages à Paris, j’ai eu le plaisir de vous rencontrer (…) et l’année suivant vous m’avez même dit : « Je pense à vous chaque fois que je vois des glaçons dans un verre de whisky. »

La liste des correspondants est longue et riche : Aznavour, acteur de Tirez sur le pianiste, Nathalie Baye, qui apparaît dans trois de ses films, Clouzot, Costa-Gavras, Delerue, son compositeur attitré, Godard et Hitchcock, déjà mentionnés, Henri Langlois, directeur de la Cinémathèque française, Alain Souchon, qui a composé la chanson de L’Amour en fuite, ou encore Jean-Louis Trintignant.

La lecture de ces lettres fait revivre le cinéma entre 1945 et 1984, et donne un exemple toujours impressionnant de l’amour que l’on peut lui porter.

Truffaut interlocuteur

La Correspondance de Truffaut nous donne une idée des préparatifs des entretiens avec Hitchcock. J’ai déjà eu l’occasion, dans plusieurs articles, qu’ils soient consacrés à la forme même de l’entretien, ou à Hitchcock, d’évoquer cette bible du cinéphile qu’est le Hitchbook.

hitchbook

Cet ouvrage donne à la fois une leçon de cinéma et met en lumière la façon, non seulement, de travailler d’Hitchcock, en faisant connaître l’homme et le cinéaste, sans jamais tomber dans l’indiscrétion, mais également la façon dont deux réalisateurs peuvent, brillamment, échanger sur leur métier.

Et selon moi, la préface à ces entretiens, rédigée par Truffaut, reste l’un des plus beaux hommages jamais écrits :

L’homme était mort, mais non le cinéaste, car ses films, réalisés avec un soin extraordinaire, une passion exclusive, une émotivité extrême masquée par une maîtrise technique rare, n’en finiraient pas de circuler, diffusés à travers le monde, rivalisant avec les productions nouvelles, défiant l’usure du temps, vérifiant l’image de Jean Cocteau parlant de Proust : « Son oeuvre continuait de vivre comme les montres au poignet des soldats morts. »

La phrase, écrite pour Hitchcock, clôturant la préface de l’édition définitive des entretiens, est valable pour Truffaut.

Cet exercice de l’entretien, Truffaut s’y est d’ailleurs soumis tout au long de sa carrière – avec peut-être moins de virtuosité que lui-même en a mis à interroger Hitchcock, du côté de ses différents interlocuteurs.

Ces entretiens, publiés dans la presse entre 1959 et 1984, ont été rassemblés par Anne Gillain dans un recueil publié en 1988 chez Flammarion, Le Cinéma selon François Truffaut.

Le cinéma selon Truffaut

On y retrouve, non seulement des échanges à l’occasion de la sortie de ses films – en cela le recueil respecte scrupuleusement la chronologie filmographique de Truffaut – mais aussi des réflexions sur le cinéma, sur les réalisateurs qu’il admire, ainsi que des souvenirs et des impressions d’enfance.

Enfin, on retrouve dans les entretiens diffusés sur France culture entre 1976 et 1982, avec Claude-Jean Philippe, « Mémoires d’un cinéaste », cette parole qui évoque ses « premières émotions cinématographiques » (l’un de mes entretiens préférés), le cinéma français à la Libération, l’époque des Cahiers du cinéma, ainsi que certains de ses films.

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On y constate que la parole de Truffaut, sans cesse dans l’échange, et, qu’il questionne ou qu’il réponde, témoigne toujours de ce bonheur d’évoquer le cinéma.

Truffaut critique

Ce n’est donc pas pour rien que les principaux recueils de critiques dont il est l’auteur s’intitulent Les films de ma vie et Le Plaisir des yeux.

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Dans le premier, on retrouve des articles qu’il a lui-même sélectionnés, sur des réalisateurs qu’il admire, Chaplin, Hitchcock, Welles, Cocteau, Guitry, à l’occasion de la sortie ou de la redécouverte de certains de leurs films.

Dans le second, que j’ai souvent parcouru, lu et relu, on retrouve bien-sûr les articles qui forment, en quelque sorte, l’acte de naissance de la Nouvelle vague – « Une certaine tendance du cinéma français »- des hommages aux réalisateurs admirés, mais également aux comédiens et comédiennes qui ont tourné avec lui : Adjani, Ardant, Deneuve, Dorléac, Marie Dubois ou encore Jean-Pierre Léaud.

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Mais le texte que je préfère entre tous, c’est celui choisi pour être l’épilogue de ce recueil, et qui a pour titre : « Voilà pourquoi je suis le plus heureux des hommes ».

Je suis l’homme le plus heureux du monde, voilà pourquoi : je marche dans une rue et je vois une femme, pas grande mais bien proportionnée, très brune, très nette dans son habillement avec une jupe sombre à larges plis qui bougent au rythme de sa démarche plutôt rapide (…) son visage n’est pas souriant, cette femme marche dans la rue sans chercher à plaire, comme si elle était inconsciente de ce qu’elle représente : une bonne image charnelle de la femme, une image physique, mieux qu’une image sexy, une image sexuelle. Un promeneur qui la croise sur le trottoir ne s’y est pas trompé : je le vois se retourner sur elle, faire demi-tour et lui emboîter le pas. Je regarde la scène. (…)

Je ne peux citer l’intégralité de cet article : face à une scène de drague ordinaire, quotidienne, Truffaut spectateur imagine d’emblée un matériel cinématographique dans lequel la femme, abordée par l’homme, réagit et force l’homme, en l’invectivant, à se regarder dans une glace. Suite à ce récit – on retrouve la scène telle qu’elle a été imaginée par Truffaut dans La Peau douce – ce dernier conclut :

Voilà pourquoi je suis le plus heureux des hommes ; je réalise mes rêves et je suis payé pour ça, je suis metteur en scène.

Faire un film , c’est améliorer la vie, l’arranger à sa façon, c’est prolonger les jeux de l’enfance, construire un objet qui est à la fois un jouet inédit et un vase dans lequel on disposera, comme s’il s’agissait d’un bouquet de fleurs, les idées que l’on ressent actuellement ou de façon permanente. Notre meilleur film est peut-être celui dans lequel nous parvenons à exprimer, volontairement ou non, à la fois nos idées sur la vie et nos idées sur le cinéma.

Là encore s’exprime l’amour du métier, l’amour du cinéma, qui se révèle de manière pleine et définitive dans ce qui évoque directement les films de Truffaut : scénarios, journal de tournage et projets.

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À noter que certains de ces textes, lettres, critiques, articles, sont rassemblés dans un magnifique ouvrage par Dominique Rabourdin, Truffaut par Truffaut, paru une première fois en 1985 aux éditions du Chêne et réédité en 2004.

Truffaut auteur et réalisateur de films

J’aborderai rapidement cette dernière partie, en indiquant seulement quelques références :

  • Les Aventures d’Antoine Doinel, réunissant les scénarios et les notes de travail des Quatre cents coups, Antoine et Colette, Baisers volés, Domicile conjugal et L’Amour en fuite ;
  • L’ouvrage qui regroupe le scénario de La Nuit américaine et le journal de tournage de Fahrenheit 451, publié aux éditions des Cahiers du cinéma, dans la collection « Petite bibliothèque » ;
  • Le cinéroman L’Homme qui aimait les femmes ;
  • Enfin, même si je suis convaincue d’avoir oublié des choses, le dernier scénario co-écrit avec Jean Gruault, Belle époque, et mis en roman par ce dernier, ouvrage qui suit personnages réels et personnages fictifs entre 1900 et 1914.

Il y a sans doute des oublis dans ce tour d’horizon de la production écrite de Truffaut. Je ne prétends pas être exhaustive, mais simplement donner un aperçu de ce qui m’a touchée, enthousiasmée, et transformée, dans la lecture de ces textes. J’espère avoir donné quelques envies de (re)lectures et de (re)découvertes cinématographiques.

Et à découvrir ou redécouvrir, voici à nouveau une sélection de trois films.

Lettres, lectures, littérature et cinéma

  •  Jules et Jim (1962). Jeanne Moreau, lumineuse Catherine, qui aime Jules, puis Jim, puis Jules, puis Jim, au début du vingtième siècle. Il est difficile d’y choisir une scène, une phrase, un moment entre tous, tout y est tour à tour léger et émouvant : Jeanne Moreau courant sur un pont, Jeanne Moreau chantant « Le Tourbillon de la vie »… On a en le regardant un sentiment de quiétude tranquillement inquiète, ponctué par la lecture de fragments entiers du roman éponyme d’Henri-Pierre Roché.
  • Les deux Anglaises et le Continent (1971). Claude (Jean-Pierre Léaud) hésite entre deux soeurs Anglaises, Anne, avec laquelle il noue une amitié sentimentale, et Muriel, pour laquelle il éprouve une véritable passion. Ce que j’aime dans ce film, c’est le sentiment réel, qui a été formulé, il me semble, par Truffaut lui-même, d’assister à la rencontre du narrateur de la Recherche avec les soeurs Brontë.

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  • L’Histoire d’Adèle H. (1975). Truffaut met en scène la fille cadette de Victor Hugo, Adèle, fuyant l’ombre immense de son père et le fantôme de sa soeur Léopoldine, progressivement aliénée dans son amour non réciproque pour un jeune lieutenant anglais. Adjani y est bouleversante et terrifiante.

Voilà pour cette seconde sélection. Bonne (re)découverte !

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