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Trente, quarante, soixante

Nous passons notre temps à nous souvenir et à commémorer.

Lorsque j’ai commencé à envisager ce nouvel article cinéphile et son compte-rendu de lecture habituel, c’était en plein été, et deux constats me sont venus en tête.

Le premier, c’est qu’une nouvelle fois, je parlerai de Romy Schneider en septembre, fidèle à la chanson d’Hélène : « Ce soir, nous sommes septembre », sur laquelle j’ai eu plusieurs fois l’occasion de revenir.

Le second, je l’ai énoncé dès la première phrase de cet article.

En effet, lorsque l’on regarde certaines émissions télévisées, lorsque l’on feuillette la presse, ou même lorsque l’on consulte la page d’accueil de Wikipédia, il ne se passe pas un jour sans que l’on soit confronté, forcément, à ce qui s’est passé le même jour il y a un an, dix ans, cent ans…

Cet été, à quelques jours d’intervalles, ce sont trois de ces anniversaires qui sont venus se rappeler à moi.

Trente, quarante, soixante

Commençons par les deux extrémités, et gardons le milieu pour la fin.

  • Trente

Le premier de ces anniversaires pourrait paraître surprenant sur un site consacré principalement au cinéma, puisqu’il s’agit de la disparition, le 2 août 1992, de Michel Berger.

Au coeur de l’été, le 2 août, nous avons donc eu eu droit au lot habituel de reportages, de passants qui ânonnent des chansons de manière plus ou moins juste, et d’émissions hommages à l’artiste fauché en pleine gloire.

Ayant été bercée par les musiques de cette génération Berger et ayant écouté plus qu’à mon tour Starmania, Berger, Gall, Balavoine et Sanson, je n’ai alors pas été épargnée par l’envie moi aussi de réécouter La Groupie du pianiste ou Ella, elle l’a.

Par ailleurs, j’ai toujours trouvé un côté très cinématographique aux chansons de Michel Berger, et du coup, si je l’ajoute à cet article « célébrations », il ne fera pas figure d’intrus.

Quelques jours après, c’est un autre anniversaire que nous avons célébré.

  • Soixante

Le 5 août 1962 disparaissait Marilyn Monroe.

Le 5 août 2022 a donc vu son lot d’hommages, de passants croisés dans la rue qui évoquent la soirée d’anniversaire de John Fitzgerald Kennedy « Happy birthday Mr President » en lui associant le Poupoupidou de Certains l’aiment chaud.

Nous avons revu la robe blanche au dessus de la bouche de métro, et les reportages sont revenus à l’envi sur la comédienne incarnation du glamour, avec ses portraits réalisés par Andy Warhol, l’une des femmes les plus photographiées, et sur sa mort toujours sujet aux théories les plus fantasmées, à 36 ans.

Parmi les personnalités interrogées durant ces reportages, l’une des plus intéressantes reste Isabelle Danel, qui avait publié en 2012 (pour les cinquante ans de la disparition de la star, donc) un dictionnaire thématique : Marilyn Monroe de A à Z, un ouvrage qui, selon moi, reste la référence sur Marilyn.

Dans ces reportages, Isabelle Danel rappelait que Marilyn, au-delà de l’image du sex-symbol quelque peu écervelé, était aussi une femme passionnée de lectures et d’écritures, et qu’avaient été publiés pour la première fois en 2010 les Fragments :

des textes de Marilyn accompagnés de leurs fac-similés.

Si l’on veut poursuivre l’évocation de Marilyn, on se replongera dans sa filmographie (pour ma part, je reverrais bien Certains l’aiment chaud, qui reste mon préféré…), on relira le superbe Blonde, de James Carol Oates :

dont il me tarde de découvrir l’adaptation sur Netflix, et dont la sortie est prévue le 23 septembre…

  • Quarante

Nous avons passé les trente et les soixante en revue, arrêtons-nous maintenant sur les quarante.

En effet, le 29 mai 1982, une autre icône du cinéma disparaissait : Romy Schneider.

À nouveau, depuis le début de l’année, hommages et publications – certaines racoleuses, d’autres plus sérieuses – se sont succédés.

Les néophytes ont pu découvrir certains des films de Romy sur Netflix, la plateforme ayant mis en ligne pas moins de 8 films où elle apparait (vérification faite à la mi-août) : entre autres trois Claude Sautet, Les Choses de la vie, Max et les ferrailleurs et César et Rosalie, mais aussi Christine et La Piscine pour ne citer qu’eux.

Mais le plus bel hommage, c’est évidemment celui proposé par la Cinémathèque française, une exposition et une rétrospective qui ont été organisées entre le 16 mars et le 30 juillet 2022.

Exposition Romy Schneider – Cinémathèque française

Cette exposition, que j’ai découverte à ses tout derniers jours le 28 juillet, était magnifiquement orchestrée.

Jusqu’ici, il n’y a qu’une seule exposition proposée par la Cinémathèque qui m’a un petit peu déçue, celle proposée sur l’enfance au cinéma en 2017, qui était davantage une exposition d’ambiances – mais ce n’est que mon avis personnel.

Depuis, chacune des expositions proposées à laquelle j’ai pu me rendre n’a suscité chez moi que l’émerveillement, et celle consacrée à Romy Schneider n’a pas fait exception !

Retour en images et en quelques étapes…

La première rencontre que nous faisons à l’entrée de l’exposition est celle-ci, le regard de Romy Schneider, magnétique et hypnotique dans Les Choses de la vie, de Claude Sautet :

L’évocation est ensuite à la fois chronologique et thématique, associant les photographies, les extraits de films et d’archives, les ambiances, les objets et les costumes.

Période autrichienne avec Sissi (mais pas seulement) et pour l’occasion, un dais projetant des extraits des films et dans lequel on retrouve la fameuse perruque de 5 kilos que l’actrice devait supporter, un tableau en pied d’Elisabeth de Wittelsbach, une photo où Romy pose devant ce même tableau :

Période parisienne et la rencontre notamment avec Alain Delon, Coco Chanel et Luchino Visconti – qui lui fera ré-endosser le costume de l’impératrice dans son Ludwig :

L’exposition nous replonge ensuite dans les diverses aventures cinématographiques de Romy Schneider : les comédies américaines, la rencontre avec Orson Welles, le tournage interrompu de L’Enfer, d’Henri-Georges Clouzot, avant de revenir sur les retrouvailles avec Alain Delon dans La Piscine.

Les occasions manquées aussi, dont témoigne cette lettre de Truffaut, évoquant un projet avec Romy :

Suit la période Claude Sautet, où l’on retrouve les plans de travail hyper méticuleux du réalisateur, et les photographies issues de ses films, accompagnés du costume de Rosalie :

Les dernières parties de l’exposition sont consacrées aux différents projets « mémoriels » de la comédienne, et retrace cette volonté de travailler sur des films évoquant la seconde guerre mondiale (Le Train, Le Vieux fusil, La Passante du Sans-souci)

mais aussi de faire confiance à de jeunes réalisateurs, comme Andrzej Żuławski avec L’important c’est d’aimer, ou Francis Girod qui tourne Le Trio infernal et qu’elle retrouve en 1980 dans La Banquière (mon préféré) :

Enfin on retrouve à la fin de l’exposition une sélection de photographies, nous rappelant qu’avec Marilyn, Romy Schneider reste la comédienne dont le visage et la silhouette ont le plus impressionné la pellicule, qu’elle soit fixe ou en mouvement.

L’exposition proposait d’ailleurs une sélection en partenariat avec l’INA :

Un autre livre sur Romy Schneider

Sortie de cette exposition, comme toujours à la cinémathèque, l’arrêt à la librairie est un passage incontournable.

J’aurais pu, pour changer, me plonger dans le très bel ouvrage de Luc Larriba sur le tournage du film La Piscine, publié en février 2022 :

J’aurais pu tenter l’une ou l’autre des nouvelles biographies publiées cette année, ou rééditées en grand format, comme celle de David Lelait.

Mais ce que je voulais surtout, c’était pouvoir retrouver le cheminement de l’exposition, avec ses extraits d’interviews, ses citations, ses photographies, ses affiches et ses costumes.

Or, à la librairie de la Cinémathèque, le catalogue de l’exposition était introuvable, je ne l’ai retrouvé que quelques jours plus tard en librairie.

Il s’agit cependant d’un ouvrage magnifique, publié par Clémentine Deroudille, et doublement édité par la cinémathèque et Flammarion :

L’ouvrage revient en toute sobriété et élégance sur l’ensemble de l’exposition, le texte étant principalement composé d’interviews de Romy Schneider, d’extraits de ses journaux intimes et de ses lettres, ou de témoignages de ceux qui l’ont directement côtoyée.

Encore une fois, il s’agit donc d’un pari magistralement gagné par la Cinémathèque française, dont je guette avec impatience la prochaine exposition : « Top secret : cinéma et espionnage » qui sera proposée à partir d’octobre prochain !

Et même si le catalogue de l’exposition n’était pas disponible dans la librairie du 51 rue de Bercy, je n’ai pas pu résister à la tentation de rapporter de cette énième visite un petit souvenir : il s’agit de deux jeux de cartes réservés exclusivement aux cinéphiles, l’un reprenant les films d’Hitchcock, l’autre ceux de Charlie Chaplin.

Je vous en glisse ici un petit aperçu :

Ce que j’ai trouvé vraiment chouette avec ces deux jeux de cartes, c’est que contrairement à certains jeux de cartes thématiques que j’avais quand j’étais enfant, les images ne figurent pas seulement sur les figures (rois, dames, valets), mais bien sur la totalité des cartes, sur lesquelles on retrouve acteurs, scènes et affiches des films de Chaplin et d’Hitchcock.

Et cela ajoute à la panoplie d’objets et d’images dont j’ai pu parler dans mes deux hors-série de cet été, pour le prolonger un peu…

Voilà pour l’évocation de ces icônes du cinéma, au premier plan desquelles figure, comme à l’accoutumée en septembre, mélancolique et automnale, Romy Schneider, qui clôt l’article comme elle l’a ouvert, avec cette citation que je garde en mémoire :

Je vous souhaite un bon mois de septembre, et vous dis à très bientôt pour un nouvel article sur Cinephiledoc !

Hors-série 2 : dix images de cinéma qui sont chez moi

Comme à mon habitude, je vous propose deux hors-série estivaux sur ce blog.

Après un petit mois de déconnexion, voici le deuxième hors-série, qui sera tout aussi léger et, comme le promet le titre, tout aussi imagé que le premier.

Avec un peu de paresse, mais tout de même une pincée de réflexions, j’ai voulu vous partager dix images qui peuplent mon intérieur, et qui, pour certaines, m’accompagnent depuis un long moment.

Je ne vais pas forcément les présenter de manière chronologique, ni même faire une étude approfondie de leur composition, mais juste expliquer, en toute subjectivité, comment elles ont, elles aussi, construit ma cinéphilie.

Portraits en solo

  • Les Lumières de la ville

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours connu cette photographie de Charlot, descendant les escaliers dans Les Lumières de la ville.

Elle est d’une assez bonne taille (environ 90×75 cm) et elle était à l’origine accrochée dans la maison familiale sur un pallier donnant sur ma chambre et sur celle de mes parents.

Mon père était un fan de Chaplin, et quand j’étais petite, il m’invitait chaque soir à dire « Bonne nuit » à Charlot avant d’aller me coucher.

Malgré toute l’affection que j’ai eue depuis pour Charlot, le fait de lui dire « Bonne nuit » me terrifiait, j’étais persuadée que le bonhomme allait descendre durant la nuit de son affiche pour venir jouer les vampires dans ma chambre…

Depuis, évidemment, j’ai vu et revu les films de Chaplin, j’ai ajouté d’autres images des Temps modernes et du Kid et du Cirque à cette affiche, qui s’est déplacée plusieurs fois, que j’ai fait ré-encadrer et qui est désormais dans mon salon.

  • La Nuit américaine

Par comparaison à celle de Charlot, cette photographie de Truffaut paraît minuscule : elle est dans un cadre en bois posé sur l’une de mes bibliothèques (elle figure juste à côté du clap mentionné dans l’article précédent).

On reconnaît qu’il s’agit d’une photographie de tournage de La Nuit américaine, non seulement à la veste de cuir portée par le personnage de Ferrand dans le film, mais aussi, étant donné la façon dont la photo est découpée, à l’oreille droite de Nathalie Baye qui figure à gauche de Truffaut – et qui joue le rôle de la scripte Joëlle dans le film.

C’est aussi l’une des seules photographies que j’ai imprimée directement et que j’ai encadrée de manière quelque peu artisanale, et figurant ainsi à côté d’autres dont je parlerai un peu plus loin, elle me fait aussi l’effet d’une de ces photographies qui figurent dans la chapelle de Julien Davenne dans La Chambre verte

  • Bogie

Justement, pas très loin de Truffaut, on retrouve cette photographie d’Humphrey Bogart dans un beau cadre noir…

Cette photo m’a été offerte par mon père. Bogart, comme Marilyn Monroe ou Audrey Hepburn, faisait partie (et fait peut-être toujours partie) des acteurs qui sont le plus facile à trouver dans des magasins de décoration.

Vous voulez un décor d’intérieur de cinéma ? Vous trouverez forcément Marilyn et sa robe blanche dans Sept ans de réflexion (ou bien-sûr la série d’Andy Warhol), Audrey Hepburn et son fume-cigarettes dans Diamants sur canapé, et Bogart en évocation incontournable du film noir.

Couples mythiques

  • Bogie and The Look

Sur la même bibliothèque, entre Bogart et Truffaut, il y a cette photographie d’Humphrey Bogart et Lauren Bacall issue du Grand sommeil.

Le Grand sommeil est le deuxième film qui les réunit, après Le Port de l’angoisse, et avant Les Passagers de la nuit et Key Largo.

J’ai découvert le couple Bacall / Bogart peu après avoir vu La Nuit américaine, Howard Hawks faisant partie des cinéastes auxquels Truffaut rend hommage dans son film. Cherchant donc méthodiquement à construire ma culture cinématographique, j’ai découvert Le Port de l’angoisse dans l’un des cinémas parisiens qui a l’époque projetait les grands classiques, l’Action écoles.

Je suis allée ensuite farfouiller plusieurs fois dans la librairie Cinédoc qui était située passage Jouffroy à Paris, à côté du musée Grévin, et qui proposait, outre des ouvrages et des revues sur le cinéma, quantité d’affiches, photos de tournage et cartes postales… d’où provient entre autres cette photo du Grand sommeil.

  • La Belle et la Bête

C’est dans cette même librairie que j’avais trouvé nombre d’affiches de films, la plupart des affiches néerlandaises (je ne sais pas pourquoi). Je ne les ai pas toutes conservées, mais l’une de mes préférées reste cette affiche du film de Cocteau, avec Jean Marais et Josette Day, que j’ai fait depuis ré-encadrer.

On y retrouve la fameuse rose issue du conte – et que réutilisera Disney – et si je fais une entorse à ce que j’ai indiqué en introduction et m’intéresse brièvement à la composition, on retrouve sur cette affiche un élément fréquent, avec l’homme qui littéralement surplombe / domine la femme, cette dernière en posture de fragilité ou d’évanouissement, dans une position qui donnerait un torticolis à tout être humain normalement constitué…

  • Gone with the wind

Même composition pour cette affiche d’Autant en emporte le vent, qu’une amie m’avait offert dans une taille absolument gigantesque (si l’on mesure avec les images précédentes, je dirais que l’affiche faisait au moins deux Charlot et demi, soit environ 2m X 1,5m).

Pour les besoins de la photo, j’ai quelque peu tronqué la partie droite de l’affiche et le nom d’une des comédiennes, Olivia de Havilland, qui incarne cependant mon personnage préféré, avec celui de Clark Gable.

La version « géante » de cette affiche a d’abord trôné dans l’une de mes chambres d’étudiantes – il n’y avait quasiment pas de place pour autre chose. Puis dans l’une des pièces de mon appartement. Enfin, pour être un peu plus raisonnable sans forcément y renoncer, je lui ai trouvé une version « miniature » et j’ai roulé et rangé la grande soeur dans un placard.

  • It’s a wonderful life

Pour cette dernière image de couple, j’ai choisi cette affiche du film de Frank Capra, en français La Vie est belle.

J’ai toujours trouvé l’argument de ce film incroyable : un homme au bord du suicide reçoit la visite d’un ange qui lui fait découvrir ce qu’aurait été son environnement proche s’il n’avait pas existé, lui redonnant ainsi goût à la vie.

Sur ma photo vous pouvez voir en reflet comme cette affiche fait pendant à l’affiche de Charlot.

Je n’ai pas revu ce film depuis longtemps, mais je me souviens que dans un épisode de Friends, Monica le conseille à Phoebe, et l’affiche, il me semble, apparaît également dans le décor.

Ce serait d’ailleurs intéressant que quelqu’un se penche sur les références cinématographiques dans les séries télévisées, en particulier dans Friends, qui en abonde (la chambre de Joey étant, entre autres, tapissée d’affiches de cinéma).

Deux hommes, une femme

Attention, rien de tendancieux dans cette formulation. Il y a simplement chez moi, encadrées de manière rigoureusement similaire, deux photographies de cinéma.

  • Jules et Jim

La première est issue du film Jules et Jim, avec la fameuse course de Jeanne Moreau, Oskar Werner et Henri Serre sur le pont.

  • Fenêtre sur cour

La seconde est une photographie de tournage de Fenêtre sur cour où figurent James Stewart, Grace Kelly et Alfred Hitchcock.

Retour aux sources

Enfin pour la dernière des dix images, je vous propose un petit retour aux origines du cinéma :

avec cette affiche du Voyage dans la Lune de Georges Méliès. J’avais trouvé celle-ci lors d’une de mes nombreuses visites à la Cinémathèque, ce qui me donne une transition toute trouvée avec le prochain article cinéphile, dans lequel je reviendrai, entre autres, sur ma dernière visite à la Cinémathèque française.

D’ici là je vous souhaite une excellente fin d’été et je vous dis à très bientôt sur Cinephiledoc !

Le cinéphile adore les rumeurs

Pour ce nouveau compte-rendu de lecture, j’aimerais emprunter des chemins aussi hasardeux et aussi aléatoires qu’une rumeur, et avant d’en arriver au fait, c’est-à-dire au livre qui m’a conduit à écrire cet article, j’aimerais faire étape ici et là en vous proposant des itinéraires cinématographiques et télévisuels inattendus.

Chuchoter à l’oreille

En guise de point de départ de cette excursion, je vais revenir pour la énième fois à l’une des vidéos les plus réussies, à mon sens, de la chaîne Blow Up d’Arte : « Have you heard ? », vidéo que j’ai découverte il y a quelques années par hasard, et dont j’ai pu me servir dans des séances sur la désinformation avec des élèves :

Mais au-delà de l’utilisation professionnelle que j’ai faite de cette vidéo, ce qui m’a amusée, c’est de voir combien ce mécanisme de la rumeur (que j’avais à l’époque tenté de retranscrire sous forme d’infographie) se retrouvait dans un certain nombre de scénarios de films.

Sans chercher l’exhaustivité, quatre exemples plus ou moins récents me sont venus à l’esprit.

  • Lettres anonymes et faits divers

On peut naturellement penser au Corbeau d’Henri-Georges Clouzot, sorti en 1943. L’intrigue est ainsi conçue :

Dans une petite ville de province, un certain nombre de citoyens reçoivent des lettres anonymes qui contiennent des informations diffamatoires, en particulier en ce qui concerne un des médecins de la ville, le docteur Germain, soupçonné par l’auteur des lettres — qui les signe d’un mystérieux « Le Corbeau » — de pratiquer des avortements clandestins.

Le fait que le film s’appuie sur un fait divers bien réel, remontant à l’époque à une vingtaine d’année, et que le scénario fasse son miel de la pratique des lettres anonymes dans le contexte de l’Occupation, donne un sel bien particulier à cette intrigue.

  • Sur une fausse piste ?

Le deuxième exemple, un peu plus récent, qui m’est venu, ne tient pas tant à l’intrigue du film qu’à son titre : Mon petit doigt m’a dit…, de Pascal Thomas, sorti en 2005.

Il s’agit d’une adaptation du roman homonyme d’Agatha Christie, qui met en scène un couple de détectives incarné par Catherine Frot et André Dussolier (dans le roman, Tommy et Tuppence Beresford, dans le film Bélisaire et Prudence).

Le point de départ de l’enquête est la rencontre de Prudence avec une vieille dame dans une maison de retraite qui lui parle d’une enfant emmurée dans une cheminée…

J’ai vu ce film un nombre incalculable de fois et en connaît par coeur la plupart des répliques.

  • Les dîners qui tournent mal

Rumeurs et non-dits se retrouvent souvent dans les réunions familiales et les dîners, au point qu’Hitchcock (encore lui) ait utilisé quasiment au sens propre l’expression du squelette dans le placard dans l’un de ses films : La Corde.

Dans ce huis-clos oppressant, deux amis étranglent un de leur camarades de classe, puis préparent un dîner auquel sont conviés le soir même, sur le lieu du crime, la famille de la victime. Le cadavre est placé dans un coffre sur lequel est servi le buffet.

Moins macabres, les intrigues du Prénom (sorti en 2012) et du Jeu (sorti en 2018) utilisent les ressorts de la fausse nouvelle et des non-dits pour faire sortir un certain nombre de squelettes du placard.

Regarder par le trou de la serrure

Non content d’adorer les rumeurs, le spectateur est un voyeur, qui prend plaisir à espionner et à regarder ce qui se passe chez les autres par le trou de la serrure.

L’exemple le plus évident qui met le spectateur dans cette position parfois inconfortablement assumée est à nouveau l’oeuvre de sir Alfred, Fenêtre sur cour, sorti en 1954.

Jeff est un photographe qui, à la suite d’un accident, se retrouve en fauteuil roulant et passe son temps à observer ses voisins, dont un qu’il commence à soupçonner de meurtre.

Non seulement nous sommes spectateurs de l’histoire de Jeff, mais par son intermédiaire, nous savourons son propre voyeurisme.

On pourrait énumérer longtemps les films et les épisodes de séries télévisées qui se sont inspirés de Fenêtre sur cour.

Il y en a cependant qui m’a procuré la même impression à la fois de plaisir et de malaise ces dernières années.

Il s’agit du film de François Ozon sorti en 2012, Dans la maison, avec Fabrice Luchini et Ernst Umhauer.

Claude, un élève brillant, doué et manipulateur du lycée Gustave Flaubert, à tendance pervers narcissique, provoque l’enthousiasme de son professeur de français à qui il fait part de ses écrits voyeuristes, qu’il rédige au détriment d’un camarade de classe.

Avec Dans la maison, François Ozon nous met dans la posture de Fabrice Luchini, nous sommes les victimes consentantes de ce manège orchestré par Claude, et nous nous repaissons de l’histoire qu’il tisse pour nous, et tant pis pour les conséquences, réelles ou inventées.

Si cet exemple issu du cinéma d’Ozon est le plus flagrant selon moi, je n’en oublie pas une autre de ses oeuvres, Swimming Pool, sorti en 2003, qui manie avec tout autant de virtuosité la confusion entre l’intrigue du film et ce qui ressort de l’imagination des personnages.

Trouver le coupable

Nouvelle étape de mon itinéraire, tout aussi jubilatoire pour le spectateur, mais aussi plus facilement assumée, celle qui suit la découverte du cadavre.

Côté séries télévisées (et même côté films), j’ai déjà eu l’occasion de revenir abondamment sur les adaptations d’Agatha Christie, ayant vu à peu près l’intégralité des épisodes d’Hercule Poirot, et de ses diverses incarnations sous les traits de David Suchet, d’Albert Finney, de Peter Ustinov et de Kenneth Branagh – même si ma préférence va toujours au premier.

Si je suis moins amatrice de Miss Marple (et de ses différentes incarnations – sauf peut-être Angela Lansbury dans Le Miroir se brisa), il y a une série que j’adorerais revoir, et je céderai certainement un jour à la tentation d’acheter les DVD. Cette série, c’est Arabesque (Murder, she wrote) avec la même Angela Lansbury.

Je la regardais petite à la télévision chez ma grand-mère, et j’étais fascinée par ce personnage d’auteure de romans policiers qui enquête.

J’ai repensé assez récemment à cette série, et je dois ce souvenir, ainsi qu’une autre conséquence, au YouTubeur Damien Duvot, alias MrMeeea, qui avouait dans l’une de ses vidéos adorer la série Columbo.

Il a fallu que ce dernier fasse quelques analyses des premiers épisodes pour que je plonge tête baissée dans le binge watching de toute la série, disponible sur une plateforme de streaming qui s’occupe aussi de livraisons…

En en discutant avec une amie, je me suis également rendue compte que j’appréciais des personnalités aussi différentes que Columbo et Hercule Poirot, l’un se vantant continuellement de ses petites cellules grises, l’autre étant méprisé par le meurtrier jusqu’à ce que…, mais qui parviennent tous deux au même résultat : faire perdre sa superbe à un coupable qui croyait pourtant s’en tirer.

Bien évidemment, le plaisir à savourer Hercule Poirot n’est pas le même que celui qu’on a devant Columbo, et l’on peut y voir à nouveau la distinction que fait Hitchcock entre le suspense et la surprise.

Avec Hercule Poirot, nous ne connaissons l’identité du coupable que lorsqu’il nous la révèle à la fin de l’épisode. Avec Columbo, nous savons dès le début qui est le meurtrier, la question étant de savoir comment Columbo va le démasquer.

Dans le premier cas, nous sommes placés dans la posture du capitaine Hastings, ou du docteur Watson si nous décidons de changer d’univers, nous sommes le fidèle partenaire.

Dans le second, nous sommes Columbo lui-même.

Suivre l’enquête / mener l’enquête

À partir de ces deux postures : Hercule Poirot ou Columbo, j’en arrive à ma dernière étape et – enfin – à ma lecture du mois de mai.

Et c’est là que l’ami Philippe Lombard pousse un soupir de soulagement : enfin on y vient.

Enfin presque…

Ce que j’aime aussi dans le cinéma, c’est ce qui regroupe tous ces fils : rumeurs, observation (voire plus), traque, et enquête, et si possible, me demander durant tout le film s’il raconte une histoire vraie ou s’il est complètement inventé.

Dans le second cas, l’un de mes films préférés est Garde à vue, de Claude Miller, où Lino Ventura « cuisine » Michel Serrault, qu’il soupçonne du meurtre de deux fillettes.

Dans le premier cas, ce sont tous les films inspirés de faits divers, qu’il s’agisse d’une recension complète des événements ou de quelques allusions habilement glissées ici ou là – petites annonces, enquêtes, filatures…

C’est à ces faits divers, généralement macabres, que Philippe Lombard donne la part belle dans l’un de ses derniers ouvrages : Ça s’est tourné près de chez vous ! Une histoire des faits divers du cinéma français, publié comme à l’accoutumée aux éditions La Tengo en novembre 2021.

La galerie de portraits qu’il nous propose fait quelque peu froid dans le dos… on a l’impression d’une visite chez Madame Tussauds ou dans une maison hantée : tueurs en série, scènes de crimes, auteurs de casses mémorables et ennemis publics numéros 1 chacun leur tour… il n’y a bien que dans le dernier chapitre que l’on côtoie des personnages un peu plus fréquentables, et encore, ce n’est pas si sûr que ça !

Chacune de ces figures, au-delà des histoires qu’elles portent – meurtres, braquages, affaires louches et règlements de comptes – renvoie à un univers cinématographique que le lecteur peut allègrement convoquer.

À titre personnel, il me suffit de voir une évocation des soeurs Papin pour avoir envie de me replonger dans la lecture des Bonnes de Jean Genet ou pour avoir envie d’éplucher toute la presse disponible sur le site Retronews de la BnF.

De la même manière, tel ou tel tueur en série va irrémédiablement appeler chez moi le souvenir de Lacenaire dans Les Enfants du Paradis, et cette réplique culte, où transparait l’orgueil du personnage :

Quand j’étais enfant, j’étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres… « Ils » ne me l’ont pas pardonné, ils voulaient que je sois comme eux, que je dise comme eux. Levez la tête Pierre-François… regardez-moi… baissez les yeux… Et ils m’ont meublé l’esprit de force, avec des livres… de vieux livres… Tant de poussière dans une tête d’enfant ? Belle jeunesse, vraiment ! Ma mère, ma digne mère, qui préférait mon imbécile de frère et mon directeur de conscience qui me répétait sans cesse : « Vous êtes trop fier, Pierre-François, il faut rentrer en vous-même ! » Alors je suis rentré en moi-même… je n’ai jamais pu en sortir ! Les imprudents ! Me laisser tout seul avec moi-même… et ils me défendaient les mauvaises fréquentations…

Quant au seul nom de Landru, il évoque pour moi Barbe bleue, mais surtout le film de Chaplin Monsieur Verdoux, que j’adore :

C’est sur cette dernière évocation que je vous invite, une nouvelle fois, à lire ou relire les différents ouvrages de Philippe Lombard, et en particulier ce cru 2021, qui a été particulièrement riche !

La preuve :

La couverture de Ça s’est tourné près de chez vous – qui rappelle les deux précédents ouvrages également sortis chez La Tengo (Ça tourne mal / Ça tourne mal à Hollywood) me donne d’ailleurs l’espoir qu’un Ça s’est tourné près de chez vous à Hollywood pourrait peut-être être concocté ?

Oui ? Non ? Bientôt ? En tout cas, je guette le prochain !

Bonne(s) lecture(s) à toutes et tous et à très bientôt sur Cinephiledoc !

Tout le monde veut être Cary Grant…

Pour ce premier compte-rendu de lecture de 2022, j’ai décidé de reprendre une structure déjà éprouvée sur ce site : un acteur / un cinéaste / un ou des films.

C’est cette forme que j’ai utilisée pour mon article cinéphile de septembre dernier, avec Romy Schneider et Claude Sautet, mais aussi l’article de mai 2021 où j’évoquais Sean Connery et l’univers James Bond.

Cette structure, je ne la trouve pas forcément naturellement, et je ne l’utilise pas systématiquement.

Écrire l’article

Pour certains articles, la forme est intuitive, je vais pouvoir les préparer longtemps à l’avance, utiliser le prétexte d’une date anniversaire, d’un événement, d’un déclic (c’est ce qui sera le cas pour le prochain article du mois de mars, que j’ai déjà bien en tête).

Pour d’autres, même après avoir lu le livre auquel est consacré le plus gros de l’article, je rame. Je cogite, je tourne les idées dans ma tête, je me demande comment fournir au compte-rendu de lecture proprement dit l’écrin de l’article.

En effet, pour moi, il ne s’agit pas (seulement) de faire un compte-rendu exhaustif de ma lecture. Il s’agit de convoquer tout un contexte cinéphile pour l’accompagner.

Je laisse le livre à proximité – c’est aussi la raison pour laquelle j’évite d’utiliser des versions numériques de ce livre – pour pouvoir le feuilleter à nouveau. Je le reprends, je tourne autour, j’en feuillette d’autres, je procrastine et je grogne.

Et puis, généralement, je trouve enfin l’idée par hasard, l’idée qui donnera à l’article son fil conducteur, en tous les cas pour moi.

À l’origine, feuilleter le catalogue Gallimard

Revenons en arrière, à ce qui m’a poussé à choisir l’ouvrage que j’évoquerai dans un instant.

Je feuilletais les brochures que publie régulièrement la maison d’édition Gallimard, et qu’elle envoie aux établissements scolaires, pour indiquer les nouvelles sorties. Généralement, j’y glane quelques idées d’achats pour le CDI, mais pas la majorité, loin de là.

Au milieu des romans, dans la brochure que je tenais entre les mains, je trouve ce titre : Être Cary Grant, de Martine Reid, publié en avril 2021. Pas dans les pages consacrées aux essais, mais au milieu des romans.

Je vois la couverture, avec le visage familier et sa fossette. Je fais appel à ma mémoire et je fouille dans mes rayonnages… mis à part La Vie que tu t’étais imaginée de Nelly Allard, je n’ai pas souvenir d’avoir lu beaucoup de romans publiés chez Gallimard et consacré à un acteur.

Flammarion, avec sa pépite sur Greta Garbo, Un renoncement, de René de Ceccatty, me semble plus coutumier du fait.

Va donc pour Être Cary Grant.

Replonger dans des souvenirs cinéphiles

Cary Grant fait partie des acteurs que j’ai côtoyés au moment où je commençais à construire, tout doucement, mon univers cinématographique, de manière consciente. Je ne parle pas des premiers films vus étant enfant, mais de ceux que j’ai progressivement choisis.

Vers 15-16 ans donc, après le déclic « Truffaut », j’ai commencé à regarder les cycles du Cinéma de minuit, enregistrés sur cassettes. J’ai aussi choisi, pendant les vacances scolaires, quelques films à aller voir dans les cinémas parisiens (Grand action, Action école, Action Christine et le Championnet).

Ces choix s’appuyaient alors sur ce que je considérais comme une bible : les Chroniques du cinéma

C’est avec ce livre que je découvrais le parcours de Lauren Bacall et d’Humphrey Bogart, de Bette Davis, de Katharine Hepburn et de Spencer Tracy, de Vivien Leigh, de Grace Kelly.

J’ai donc pu découvrir dans les cinémas parisiens L’Impossible Mr Bébé, qui réunit Katharine Hepburn et Cary Grant, puis plus tard, en DVD ou à la télévision : La Dame du vendredi, Sylvia Scarlett, Indiscrétions, Elle et lui ou encore Charade, beaucoup plus tard.

Je retrouvais aussi l’image lisse et très bien mise en scène de Cary Grant dans un ouvrage acheté à l’époque :

Cary Grant : les images d’une vie, de Yann-Brice Dherbier, publié en 2009 chez YB Editions, une maison d’éditions qui proposait au lecteur pour différentes stars hollywoodiennes ces « images d’une vie », sous un format particulièrement soigné.

Retour au présent

C’est en ayant ces souvenirs en tête que j’avais posé le livre de Martine Reid sur ma bibliothèque, à l’été 2021. Il était en bonne place sur ma pile de lecture, mais je retardais le moment de venir à sa rencontre.

Puis, en novembre dernier, je tombe sur un documentaire Arte, disponible en replay jusqu’au 11 février 2022 : Cary Grant, de l’autre côté du miroirqui donne la part belle à cette citation émouvante de l’acteur : « Tout le monde voudrait être Cary Grant. Moi aussi, je veux être Cary Grant ! »

J’y découvre de nouvelles facettes du personnage : l’enfance, les mariages successifs, la psychothérapie sous LSD…

J’ai envie de confronter à ce documentaire le roman biographique de Martine Reid. Je me plonge donc dans cette lecture.

Quatrième de couverture

La quatrième de couverture de Être Cary Grant part de cette même citation, si troublante :

« Tout le monde veut être Cary Grant. Même moi, je veux être Cary Grant. »

Des comédies romantiques de l’âge d’or du cinéma américain aux chefs-d’œuvre d’Alfred Hitchcock, Cary Grant (1904-1986) demeure l’une des stars d’Hollywood les plus célèbres au monde.
Gentleman flegmatique, séducteur caustique, il a réussi grâce à un physique exceptionnel à incarner « l’homme idéal », fantasme de millions de spectatrices et spectateurs. Derrière cette belle image de cinéma se cache pourtant un être tourmenté, dont toute l’existence est fondée sur le leurre.

Sur cette quatrième de couverture, le mot leurre est en italique. C’est ce résumé qui a retenu mon attention, et qui m’a donné envie d’aller plus loin : Cary Grant n’y est pas seulement une star hollywoodienne, ou un être complexe comme le présente le documentaire produit par Arte.

C’est un personnage de roman à part entière, une incarnation qu’il a méticuleusement construite lui-même, avec des fêlures que l’on entrevoit à intervalles plus ou moins réguliers.

C’est tout cela que veut nous faire ressentir Martine Reid, en choisissant comme titre non pas simplement Cary Grant, mais Être Cary Grant.

L’homme dont on va entendre l’histoire a deux noms. Ceux-ci désignent dans le temps deux vies qui n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre. Du fait de ces deux noms, tout est irrémédiablement double chez lui : il est né deux fois, dans deux lieux distincts ; il est mort deux fois aussi, mais de façon assez dissemblable, la première mort, on va le voir, apparaissant aussi interminable que la deuxième est soudaine.

Cette construction opérée par les studios de cinéma et par l’acteur lui-même s’est faite au détriment d’un nom, Archibald Leach, d’une enfance et d’un milieu, d’une sexualité et d’une identité. Pour parvenir à incarner Cary Grant, il faut se débarrasser des oripeaux Archie Leach, quitte à les voir resurgir par inadvertance.

Non seulement, Martine Reid réussit à faire de Cary Grant ce personnage de roman qu’il était déjà de son vivant, mais elle réussit aussi à nous restituer admirablement l’ambiance du Hollywood de ces années-là, la période d’activité de l’acteur s’étalant de 1932 à 1966.

L’ouvrage ne s’ouvre pas, comme on pourrait le croire, par la citation que je viens d’en extraire. Il s’ouvre avec une scène beaucoup plus familière pour le lecteur et le spectateur : il s’ouvre sur La Mort aux trousses.

Spectateur d’Hitchcock : James Stewart ou Cary Grant ?

Parmi les films que j’ai cités plus haut de la filmographie de Cary Grant, il y en a que j’ai volontairement omis.

Si je voulais consacrer cet article à l’acteur hollywoodien, c’est aussi pour le prétexte qu’il me donnait de parler à nouveau du cinéma d’Alfred Hitchcock, que j’évoque déjà assez régulièrement sur ce site, pour parler de ses intrigues, de ses actrices fétiches, de ses storyboards, de sa cuisine, de ses itinéraires… mais pas encore de ses acteurs.

Cary Grant est à égalité avec James Stewart dans le cinéma d’Hitchcock. Et pour moi il ne s’agit pas de dire si l’un est meilleur que l’autre.

  • James Stewart : période hitchcockienne 1948-1958. Quatre films : La Corde, Fenêtre sur cour, L’Homme qui en savait trop, Sueurs froides.
  • Cary Grant : période hitchcockienne 1941-1959. Quatre films : Soupçons, Les Enchaînés, La Main au collet, La Mort aux trousses.

Ce que l’on peut comparer, ce sont les personnages qu’ils incarnent.

Concernant James Stewart, nous sommes spectateurs avec lui. Nous observons, nous sommes voyeurs de l’action, nous assistons à l’intrigue, nous la voyons se construire sous ses yeux comme sous les nôtres. Nous avons le vertige avec lui.

Concernant Cary Grant, notre rôle est moins celui d’un voyeur que d’un témoin, voire d’un complice. Nous partageons l’action.

C’est du moins ce que je ressens, à titre personnel, lorsque je revois les films d’Hitchcock avec ces deux acteurs.

Et qu’ai-je fait sitôt ma lecture de la biographie de Martine Reid achevée ? Évidemment, j’ai revu La Mort aux trousses.

Revoir La Mort aux trousses

Il y a deux films d’Hitchcock que j’ai vus et revus et que je connais jusqu’au bout des ongles. Fenêtre sur cour et La Mort aux trousses.

Lorsque je les revois, je cède soit à l’envie du huis-clos, soit à l’envie du voyage.

Pour le deuxième, ce sont les mêmes images qui me reviennent en tête :

  1. un générique qui dessine peu à peu les immeubles new-yorkais et Hitchcock qui rate son bus
  2. une soirée et une course-poursuite alcoolisées avec Cary Grant qui finit au poste de police de Glen Cove
  3. Jessie Royce Landis en mère tellement insupportable « Alors messieurs, vous voulez vraiment tuer mon grand garçon ? »
  4. une visite aux Nations Unies
  5. un repas sans dessert avec Eva Marie Saint mais avec une truite un peu trop saumonée dans le Chicago Express
  6. la fameuse scène avec l’avion qui prend le contrepied de tous les rendez-vous cinématographiques (de jour, au milieu de nulle part, au soleil)
  7. la main de James Mason sur le cou d’Eva Marie Saint à la soirée d’enchères
  8. le mont Rushmore et le pistolet chargé à blanc (avec le petit garçon à l’arrière-plan qui se bouche les oreilles)
  9. la maison de James Mason, inspirée de Frank Lloyd Wright
  10. la poursuite sur le mont Rushmore et la scène finale

Mais si vous voulez voir ou revoir La Mort aux trousses, c’est tout de même Blow Up qui en propose le meilleur visionnage en accéléré :

Bref, l’ouvrage de Martine Reid m’a permis de revoir La Mort aux trousses (en vitesse normale), m’a fait rouvrir L’Amérique évanouie de Sébastien Clerget – qui nous fait propose quelques itinéraires cinématographiques à travers les États-Unis – et La Sauce était presque parfaite, un superbe recueil de recettes hitchcockiennes.

De quoi donner envie, sinon d’être Cary Grant, du moins de lire Être Cary Grant, non ?

À l’ombre du cinéma

Pour ce dernier compte-rendu de lecture de l’année 2020 – le prochain article étant consacré à mon traditionnel palmarès de lecture – je vais revenir sur l’un des livres les plus délicats et les plus émouvants que j’ai eus entre les mains cette année.

C’est l’un de ces livres dont on arrive à la fin en regrettant vraiment de l’avoir fini, et bien que l’histoire soit sans suspense aucun, on se prend à redouter les derniers chapitres, les dernières phrases, les derniers mots.

Lecture de confinement

Ce livre, que j’annonce cette fois sans retard et sans associations d’idées préalables – elles viendront après – c’est L’Amie américaine de Serge Toubiana, publié aux éditions Stock en mars 2020.

Lorsque j’ai eu connaissance de la publication de cet ouvrage, je savais déjà de qui et de quoi il parlait, avant même d’en avoir lu un résumé et de l’avoir eu entre les mains. Le titre et le bandeau étaient suffisamment évocateurs pour que j’aie immédiatement envie de lire ce livre.

Étant donnée sa date de publication, je me suis hâtée de le commander, pour le recevoir avant que le confinement et les aléas de la poste m’en empêchent. Heureusement, dès la mi mars, le livre était dans ma boîte aux lettres, et après les lectures des derniers Hercule Poirot, des trois premiers volumes de L’Amie prodigieuse et de La Servante écarlate (entre autres), j’ai eu le bonheur de me plonger dans l’ouvrage de Serge Toubiana.

Truffaut, Helen, Hitchcock

Je suis donc passée, avec beaucoup de plaisir pour mon esprit amateur d’associations d’idées et de jeux de mots, de L’Amie prodigieuse à L’Amie américaine.

Connaissant les goûts de Serge Toubiana pour le cinéma de Truffaut – car, vous l’avez compris, c’est encore de Truffaut qu’il s’agit ici – je suis persuadée que ce titre L’Amie américaine est trop proche de La Nuit américaine pour être totalement innocent…

En effet, Serge Toubiana est l’auteur d’une biographie de François Truffaut co-écrite avec Antoine de Baecque, qui fait référence en la matière et que j’ai classée cet été dans les 10 lectures indispensables sur le cinéma. Il y a quatre ans il avait publié des mémoires que j’ai déjà évoquées : Les Fantômes du souvenir. Il a par ailleurs été directeur de la Cinémathèque française entre 2003 et 2015.

Son Amie américaine est une biographie consacrée à Helen Scott.

Des femmes, François Truffaut en a compté beaucoup dans sa vie : épouse, filles, muses, collaboratrices, amies. Les femmes sont omniprésentes également dans son cinéma, depuis la mère des Quatre cents coups à la partenaire idéale incarnée par Fanny Ardant dans Vivement dimanche !

Et si l’on peut dire, la relation qu’il eut avec Helen Scott est un condensé de toutes ces relations. Helen Scott est principalement connue des cinéphiles pour avoir accueillie Truffaut aux États-Unis pour les débuts de sa carrière hollywoodienne en janvier 1960, et pour avoir traduit en simultané les entretiens entre Hitchcock et Truffaut en 1962, puis pour avoir travaillé sur l’édition anglaise du Hitchbook.

En témoigne cette photo :

En témoignent également les entretiens enregistrés au magnétophone :

Helen avant François

Ce que l’on connait moins, et ce que Serge Toubiana s’emploie à nous raconter, c’est la vie d’Helen Scott avant sa rencontre avec Truffaut, et la force de cette amitié une fois la rencontre survenue.

On y découvre son enfance entre New York et Paris, son militantisme communiste dans les années trente, ses relations avec la résistance et la France libre pendant la seconde guerre mondiale, son mariage très éphémère avec un monsieur Scott dont elle a gardé le nom toute sa vie.

Certains mystères qui restent irrésolus donnent à Helen la dimension d’un personnage de roman : a-t-elle assisté aux procès de Nuremberg ? était-elle une espionne soviétique ?

Toujours est-il que la femme qui côtoyait dans les années trente et quarante une certaine élite politique (défilent devant nous Geneviève Tabouis, Eleonor Roosevelt, Pierre Mendès-France), a traversé quelques années de galère, black-listée et victime du maccarthysme, avant d’être engagée par le French Film Office comme publiciste en 1959.

Ma chère Helen, mon cher François

Ce que nous raconte enfin Serge Toubiana dans L’Amie américaine, c’est, à partir de 1960, l’histoire d’un coup de foudre puis d’une amitié à la fois fantasmée, fusionnelle, mais aussi épistolaire.

Ici, petite digression personnelle : je me souviens après avoir découvert le cinéma de Truffaut (c’était il me semble au lycée entre 2002 et 2004) j’avais commencé à accumuler les livres qu’il avait écrits et ceux qui lui étaient consacrés.

J’avais ainsi mis la main sur une biographie d’Annette Insdorf parue aux éditions Gallimard dans la collection « Les découvertes », le Dictionnaire Truffaut, la biographie co-écrite par Antoine de Baecque et Serge Toubiana, et j’avais appris que sa correspondance avait été publiée.

Pour mettre la main dessus, quelle aventure, à une époque où certes mes parents disposaient déjà d’un ordinateur et d’une connexion Internet (avec le fameux modem) mais où le marché du livre d’occasion n’était pas aussi accessible qu’il peut l’être maintenant.

J’avais donc trouvé sur un site un exemplaire d’occasion, récupéré dans une librairie parisienne (était-ce passage Jouffroy ?) et qui figure depuis, encore aujourd’hui dans ma bibliothèque.

Dans cette Correspondance, une sélection des lettres de Truffaut. La première des lettres à Helen qui y figure date de mars 1960, la dernière date de février 1975.

La lecture de L’Amie américaine nous donne à voir cette correspondance comme beaucoup plus abondante, principalement du côté d’Helen, qui peut écrire 5 lettres quand Truffaut n’en répond qu’une…

Elle nous donne à découvrir quelques-unes de ces lettres, toujours lucides, toujours pleines d’affection et d’humour, entre « Scottie » et « ma Truffe », qui se livrent tantôt à des coups de gueule, tantôt à des confidences.

Elle nous donne enfin à connaître une personnalité des plus touchantes et des plus fascinantes, par son humour, sa simplicité et sa culture.

Helen Scott a côtoyé bon nombre de réalisateurs, acteurs et scénaristes, français et étrangers (de Rossellini à Bill Murray), a encouragé la carrière outre-Atlantique de plusieurs metteurs en scène, a réalisé les sous-titres de films français, a mis en contact untel et untel, puis, s’étant installée à Paris, a fréquenté cinémathèque et ciné-clubs, réalisateurs et producteurs.

Et pour Truffaut ? Elle participe évidemment à l’aventure du Hitchbook – la bible du cinéphile par excellence – elle assiste au tournage de Fahrenheit 451, elle relit des scénarios, est parmi les premiers spectateurs des films, conseille et encourage, et apparaît même dans Domicile conjugal, dans une scène aux côtés de Jean-Pierre Léaud :

Évidemment, j’oublie, je vais vite en besogne, je n’insiste pas sur des détails ô combien touchants de cette amitié, que Serge Toubiana prend, lui, le temps de nous raconter.

Les dernières pages, je l’ai dit, sont sans suspense (ni surprise). Elles me permettent cependant une nouvelle digression.

Promenade à Montmartre

Cette digression, je vais tâcher de ne pas la rendre trop macabre… et si jamais j’y échouais, je tâcherai de me rattraper dans la dernière partie de cet article.

Après avoir découvert le cinéma de Truffaut, je suis allée en prépa à Vanves, puis j’ai fait mes études à la Sorbonne. Jusqu’à ma deuxième année de master, j’ai principalement fréquenté le sud de Paris, le parc Montsouris, la porte d’Orléans et la station Corentin Celton.

Puis je me suis installée dans un petit studio rue Damrémont et pour aller à l’INSPÉ qui s’appelait encore l’IUFM, je descendais la rue Damrémont puis la rue Caulaincourt, qui surplombait le cimetière Montmartre, pour rejoindre le boulevard des Batignolles.

J’allais de temps en temps me promener dans le cimetière Montmartre, avec à l’entrée Lucien et Sacha Guitry, Michel Berger, Dalida et Fred Chichin, et je ne manquais pas de m’arrêter dans les allées de l’avenue Berlioz, où se trouve une grande tombe en marbre noir avec des lettres blanches, sur laquelle on trouve toujours des tickets de métro.

Mais à aucune de mes visites je n’avais imaginé qu’Helen, disparue trois ans après Truffaut, se trouvait à proximité, voisine discrète mais toujours fidèle.

Figures de l’ombre, passeurs de cinéma

Le livre de Serge Toubiana m’a fait souvenir de quelques-uns (et ici plutôt quelques-unes) de ces passeurs de cinéma, ces personnages que le spectateur ne soupçonne pas toujours, mais qui restent indispensables à une oeuvre et à sa transmission.

Je suis reconnaissante à l’auteur de L’Amie américaine d’avoir ainsi mis en lumière la silhouette d’Helen Scott, et je me suis alors imaginée combien il serait captivant que certains destins de ces figures de l’ombre se retrouvent éclairés.

Je me souviens de la scénariste Frances Marion, enfin sur le devant de la scène dans le Hollywood Boulevard de Melanie Benjamin.

Qui pourra écrire la biographie de Lotte H. Eisner, collaboratrice de Henri Langlois à la Cinémathèque française et spécialiste du cinéma de Murnau ou de Fritz Lang ?

Qui pourra écrire une biographie d’Edith Head, qui a réalisé notamment les costumes du Eve de Mankiewicz, de Vacances romaines, et, pour Hitchcock de Vertigo, Fenêtre sur cour ou La Main au collet, et a remporté pas moins de huit Oscars ? Qui, d’ailleurs, pour écrire un livre sur Alma Hitchcock ?

Qui, pour écrire un livre sur Suzanne Schiffman, l’assistante de Truffaut et l’une de ses plus proches collaboratrices ?

Qui, cette fois, pour écrire un livre sur Nina Companeez, réalisatrice des Dames de la côté et de L’Allée du roi ?

Il est vrai que certaines de ces personnalités, aussi discrètes qu’efficaces, préfèrent rester dans l’ombre… mais n’en sont pas moins de formidables passeurs de cinéma.

Je vous encourage à les découvrir, et vous dis à très bientôt, sur Cinephiledoc !

Quant à moi, je vais ranger L’Amie américaine en bonne place dans l’étagère de ma bibliothèque où se trouvent les livres de Truffaut ou ceux qui lui sont consacrés, livres qui commencent à constituer à eux-seuls un fonds à part entière (j’en ai dénombré 32 jusqu’ici) parmi tous mes ouvrages sur le cinéma…

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