Cet article, enfin consacré au cinéma – depuis un mois, il était temps – et le premier des trois que j’espère écrire d’ici la fin de la semaine, ne surfe aucunement sur la vague actuelle de la mode vampirique (Twilight, le Journal d’un vampire, etc.)

L’ouvrage dont je vais vous parler aujourd’hui fait partie de la même collection et de la même maison d’édition que L’Amérique évanouie, auquel j’avais consacré le précédent article de la rubrique « Bibliothèque cinéphile ». J’ai découvert cette maison d’édition, Rouge profond, très récemment, et je n’ai pour l’instant pas été déçue.

miroir obscur

Le Miroir obscur a des traits communs avec L’Amérique évanouie : l’appropriation du sujet, l’érudition aussi bien littéraire que cinématographique – L’Amérique évanouie était consacrée aux représentations des Etats-Unis présentes aussi bien dans les films d’Hitchcock que dans les romans de Stephen King et leurs adaptations à l’écran, et un amour pour le film de genre – suspense et horreur.

Conquête du cinéma par le vampire

Cet ouvrage – Le Miroir obscur : Une histoire du cinéma des vampires, de Stéphane du Mesnildot – est paru en novembre 2013. Ce qui frappe, dès l’introduction, et même dès le titre, c’est ce que recouvre ce sous-titre : « une histoire du cinéma des vampires », et non pas, comme pourrait le faire un autre livre, ou comme aurait pu le suggérer le titre de mon article, une histoire des vampires au cinéma.

En effet, ce à quoi se consacre l’auteur, ce n’est pas tant le vampire comme personnage, ou du moins comme apparition à l’écran, mais davantage la conquête, l’appropriation par le vampire, cette créature visuelle si prompte à apparaître et à disparaître, de l’art visuel qu’est le cinéma. Étrange paradoxe d’une créature sans reflet dont l’apparence déborde de l’écran. Et c’est donc avec raison que, dès l’introduction, l’auteur lui donne la parole :

« Ironie (…) que Lumière soit le nom des deux frères qui bâtirent mon royaume des ténèbres. J’ai rôdé incognito parmi ces acteurs fardés, aux visages de craie, aux cheveux brillantinés et aux bouches peintes ; j’ai étreint ces femmes aux regards lourds et aux lèvres de goules, à la chair molle et maladive. (…) Davantage que noir et blanc, ce monde était charbonneux et blafard, ce monde était le mien, de toute éternité. »

Le commencement talonné par la fin

Ou la fin talonnée par le commencement, c’est selon. Toujours est-il que cette histoire d’invasion du cinéma s’ouvre sur le film de Francis Ford Coppola, dont le titre original est Bram Stoker’s Dracula.

dracula

Un retour aux origines, retour à l’un des romans fondateurs du mythe du vampire, et retour aux sources du cinéma, car le personnage de Dracula, incarné par Gary Oldman, déambule dans une Europe du début du 20e siècle, au cinéma naissant, à l’état encore balbutiant de phénomène de foire et de plaisir de foule.

Le film de Coppola est un hommage au cinéma, aux vampires imaginés par les écrivains et les cinéastes au fil du 20e siècle et incarnés aussi bien par Bela Lugosi, Boris Karloff, que Christopher Lee, et encore plus un hommage au cinéma des vampires. C’est donc tout naturellement avec le film de Coppola, datant de 1992, et rejouant l’invention et les débuts du cinéma, que s’ouvre cette histoire du cinéma des vampires :

« Après le Dracula de Coppola, peut commencer le XXe siècle, le siècle des vampires et du cinéma. »

Trois visages immortels de vampires

En un peu plus de 120 pages, Stéphane du Mesnildot explore près de 90 ans d’un cinéma tout dévoué aux vampires, depuis le Nosferatu de Murnau (1922) jusqu’à Twixt,  à nouveau de Coppola (2012). Traversée quasi chronologique si l’on excepte l’ouverture avec le Dracula de Coppola – quoique nous ayons vu de quelle manière, paradoxalement, cette exception respecte la chronologie du cinéma. Traversée poétique dans l’imaginaire et les pensées du vampire.

De cette traversée, je retiendrai trois étapes :

  • Nosferatu, vampire épidémique réalisé par Murnau. Le vampire s’y singularise par sa proximité avec le monde animal – contaminé – et végétal, et par l’omniprésence des instincts :

« Son vampire n’a en Allemagne aucune vie mondaine et ne se mêle jamais à la société des hommes. Opaque et mû par son seul instinct de survie, il représente une entité adverse à l’humanité et vouée à sa perte. Murnau définit le vampire en l’incluant dans une généalogie végétale et animale. (…)

Murnau construisit sa créature en isolant ses qualités animales : les rats pour la vermine et la contamination du mal ; la plante carnivore pour sa beauté trompeuse et malsaine ; l’araignée pour la détestation qu’elle inspire et sa perfection de prédateur ; le polype pour sa quasi inexistence, son « devenir-imperceptible » écrirait Deleuze. »

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  • Dracula (1931) « version dark » de Valentino, aristocrate et dandy incarné par Bela Lugosi. Image classique et immortalisée du vampire, théâtralisée à l’extrême :

« effets de cape allant du drapé romain à l’aile de chauve-souris, cambrure du corps, gestes incantatoires des mains »

  • Le Cauchemar de Dracula (1958) produit par les studios anglais de la Hammer, et où Dracula est incarné par Christopher Lee. Incarnation en couleur dans un film où le rouge sang est omniprésent et hyper-sexualisé :

« Le vampire a définitivement quitté la scène du petit théâtre bourgeois (…) pour la pompe du grand opéra. »

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Ce dernier film ouvre la voie à tous les films vampiriques modernes, tels que, à nouveau, le film de Coppola et Entretiens avec un vampire (1994).

Trois visions singulières du vampire – animale, aristocrate, violente et sexualisée – trois visions fondatrices au cinéma du mythe du vampire, restitué par cet ouvrage.

Réminiscence du souvenir effaré

Ce livre m’a également réservé une petite surprise, celle de faire une place à l’un de mes souvenirs de cinéma les plus anciens : La Momie (1932) avec Boris Karloff, également interprète de Frankenstein, et qui incarne ici un vampire à l’orientale, momifié vivant et ressuscité par la lecture d’un parchemin :

Décharné, les bras rigides, le corps de l’acteur est rendu plus longiligne encore par sa tunique tombant jusqu’aux pieds. Avec le fez qui allonge son front et fait ressortir des oreilles taillées en pointes, Karloff devient un Nosferatu égyptien et solaire. L’acteur ne joue jamais sur la séduction, propre à Lugosi, mais sur la volonté de survie d’un être impossible, évoluant en marge de l’humanité.

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Je vous recommande de voir ce film étrange et hypnotique, qui continuera de vous hanter des heures et des jours durant. Tout comme je vous recommande la lecture de ce livre curieux et poétique, Le Miroir obscur, qui donne un autre aperçu des vampires, que celui d’adolescents blafards et taciturnes, même si ces visions ont leur importance pour le passage de l’enfance à l’âge adulte.

Et pour ceux qui souhaitent voir ou revoir quelques grands crus du cinéma vampirique, voici une petite sélection :

  • Le Dracula de Coppola, magnifique, captivant, indispensable

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18817667&cfilm=5434.html

  • Daybreakers, film non cité dans le livre – à moins que cela m’ait échappé – qui imagine un avenir peuplé de vampires en pénurie de sang humain (ou le vampirisme traité sous la forme d’une crise sanitaire). Film sorti en 2009.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18817667&cfilm=5434.html