Pour ce second compte-rendu de l’année 2018-2019, je retourne à des premières amours, à savoir une comédienne qui a été pour beaucoup dans ma cinéphilie, et je continue sur ma lancée de cette année – involontaire – qui met à l’honneur les femmes au cinéma.

Lorsque j’ai lancé ce blog, l’un des premiers articles que j’ai écrits était consacré à Romy Schneider. Elle m’a toujours fascinée et émue et, si encore beaucoup de sa filmographie m’est inconnue, j’en ai vu suffisamment pour en cerner l’incroyable complexité.

Je ponctuerai cet article de quelques-uns de ces films.

État de bibliothèque

Comme je l’expliquais à quelqu’un, Romy est l’un des aspects du cinéma sur lequel j’ai le plus de livres. Aspect ? Le terme peut paraître curieux. Disons qu’entre les réalisateurs, les thèmes, les époques, les genres et les acteurs, elle est l’actrice sur laquelle j’ai le plus de livres.

Certes, elle ne fait pas d’ombre à Hitchcock et Chaplin, encore moins à Truffaut, sur lequel j’achète le moindre livre qui sort et pour qui je recense régulièrement ce que j’ai et ce qui me manque.

La simple raison est que pour Romy, le tri est nécessaire.

Pourquoi ? Parce que la moindre publication peut verser dans le mélo, « cinéma à l’ancienne et crinoline », le pathos « mon dieu quel destin tragique », ou le relevé pharmaceutique « alcool et médicaments ».

Avant de lire un livre sur Romy, je tente donc d’observer s’il prend en compte l’un de ces quatre critères :

  1. il donnera la parole à la principale intéressée
  2. il racontera sa vie d’un ton neutre et objectif
  3. il se concentrera sur des photos et/ou des facs similés
  4. il apportera un éclairage inédit sans sensationnalisme

J’ai donc dans ma bibliothèque : le journal intime de Romy Schneider, une biographie publiée il y a plusieurs années, 3 ouvrages photos (dont l’un exclusivement sur L’Enfer de Clouzot) et le livre dont je vais vous parler aujourd’hui.

Une quatrième de couverture trompeuse…

C’est dans la presse que j’ai entendu parlé de ce livre pour la première fois, une parution récente, et qui intervient quelques mois seulement après la sortie d’un film paraît-il controversé (car faisant la part belle à une addiction à l’alcool et aux médicaments) sur Romy.

Je n’ai pas vu ce film, pas à cause d’un a priori négatif, mais simplement par manque de temps et parce qu’il ne passait dans aucune salle à proximité lorsque j’ai été plus disponible.

Ce n’est qu’après coup que j’ai compris pourquoi on parlait tant de Romy en ce moment : le 23 septembre dernier, elle aurait eu 80 ans. Les semaines précédant cette date, plusieurs ouvrages sont parus, Arte a diffusé plusieurs films avec Romy, comme d’habitude Alain Delon s’est fendu d’une communication larmoyante sur la question…

Pourquoi cette date anniversaire m’a-t-elle donc échappé ?

Explication n°1 : (la plus réaliste) je ne prête pas forcément attention aux dates anniversaires, j’essaye déjà de retenir ceux de mes proches…

Explication n°2 : (la plus romanesque) Sans doute associer ces deux termes « 80 ans » et « Romy » reste inconcevable. Romy fait partie de ces êtres qui ne vieilliront jamais, et qui me rappellent cet extrait du Premier homme d’Albert Camus :

C’est à ce moment qu’il lut sur la tombe la date de naissance de son père, dont il découvrit à l’occasion qu’il l’ignorait. Puis il lut les deux dates « 1885-1914 » et fit un calcul machinal : vingt-neuf ans. Soudain une idée le frappa qui l’ébranla jusque dans son corps. Il avait quarante ans. L’homme enterré sous cette dalle , et qui avait été son père, était plus jeune que lui.
Et le flot de tendresse et de pitié qui d’un coup vint lui emplir le coeur n’était pas le mouvement d’âme qui porte le fils vers le souvenir du père disparu, mais la compassion bouleversée qu’un homme fait ressent devant l’enfant injustement assassiné – quelque chose ici n’était pas l’ordre naturel et à vrai dire, il n’y avait pas d’ordre mais seulement folie et chaos là où le fils était plus âgé que le père. La suite du temps lui-même se fracassait autour de lui immobile, entre ces tombes qu’il ne voyait plus, et les années cessaient de s’ordonner suivant ce grand fleuve qui coule vers sa fin.

Donc – pour en finir avec cette digression : Romy n’a pas 80 ans, et j’ai lu un autre livre sur Romy.

Romy Schneider intime, de Alice Schwarzer est paru en août 2018 aux éditions de l’Archipel.

Sur la quatrième de couverture, un extrait du livre et ces deux lignes :

Durant une nuit entière, Romy s’est confiée à Alice Schwarzer comme jamais encore elle ne l’avait fait.

Allons bon, voilà qui est intéressant ! J’ai donc été facilement persuadée que le livre était une retranscription complète (une sorte d’entretien en mode traveling) d’une conversation.

Décembre 1976, on est en pleine période française, après La Piscine, en pleine période Sautet, et avant la date fatidique de 1981, le décès de David.

Donc pour moi le livre était une sorte d’arrêt sur image, d’instantané en pleine carrière où il y aurait certes des confessions, mais sans que cela donne au lecteur le sentiment d’être abusivement intrusif.

La quatrième de couverture n’était pas totalement trompeuse : l’auteur revenait largement sur cet entretien de 1976, mais il s’agissait davantage d’un fil conducteur pour retracer le parcours de Romy. Elle lui donnait régulièrement la parole mais en s’appuyant aussi sur le journal intime – que je connaissais déjà – et sur des lettres, que j’ai découvertes.

Alors, qu’est-ce que cet ouvrage a de différent des autres biographies et de la littérature déjà abondante sur Romy Schneider ? Que peut-il apporter de plus ?

Deux choses.

La biographie féministe de Romy Schneider

La première, c’est que cette biographie est l’oeuvre d’Alice Schwarzer, journaliste allemande, fondatrice et rédactrice du magazine féministe EMMA, figure emblématique – je l’ai découvert – du féminisme en Allemagne, « traductrice culturelle » (dit Wikipédia) de Simone de Beauvoir.

Elle a rencontré Romy Schneider en 1976 et souhaitait faire son portrait pour le premier numéro de son magazine, dont la sortie était prévue pour début 1977.

Dès l’avant-propos, le ton est donné :

Nous sommes en 1976. Nous les féministes, nous venons pour la première fois de briser le silence, de rompre l’omerta qui pèse sur la violence sexuelle, sur la maltraitance, le harcèlement et le viol (…) À Hollywood, la bulle n’a éclaté qu’un demi-siècle plus tard, en 2017, avec l’affaire Weinstein.

Et ce ton, il est dur, souvent cinglant, parfois attristé et sans illusion.

Donnant la parole à Romy, et ponctuant le récit d’extraits de son journal intime et de lettres, Alice Schwarzer revient sur la trajectoire d’une petite jeune fille, prodige du cinéma allemand.

Ce n’est pas une sinécure.

Évidemment on commence avec l’ombre de la seconde guerre mondiale, et l’amitié (voire plus) des parents de Romy, en particulier sa mère, avec un certain Adolf Hitler. Déterminant pour la suite, la construction d’une personnalité pleine de culpabilité, et des choix cinématographiques jamais anodins.

Ensuite, il y a tout ce carcan culturel et familial qui l’enferme dans le personnage de Sissi (et dans quelques rôles aussi « meringués »). La mère, intrusive, égocentrique et qui voit peu à peu sa fille l’éclipser ; le beau-père, une espèce de profiteur abusif qui a bien flairé la poule aux oeufs d’or.

Puis il y a la fuite pour retrouver Delon à Paris après le tournage de Christine. Après cela, le livre prend comme éclairage les rapports de Romy avec les hommes, ceux qui la mettent en scène et ceux qui vivent avec elle.

Et là non plus ce n’est jamais heureux : soit elle les domine et ça ne dure pas longtemps, soit ils la dominent et… ça ne dure pas longtemps.

Alice Schwarzer décrit une Romy hypersensible, qui attend beaucoup mais qui ne sait pas toujours ce qu’elle attend, qui accepte de se soumettre, mais pas trop longtemps, qui quitte un rôle (cinématographique ou familial) dans lequel elle se sent trop à l’étroit pour retrouver finalement un autre rôle qui n’est pas plus libre.

Les extraits de lettres et le journal témoignent de cette situation d’écorchée vive dont elle n’est jamais sortie.

À plusieurs reprises, l’auteur s’indigne et prend la défense d’une femme qui ne s’aimait pas et que beaucoup n’ont pas su aimer.

Éclairage allemand

La seconde chose qui rend cet ouvrage différent de ce que j’ai pu lire ailleurs, c’est la perspective qu’il adopte.

Dans tout ce que j’ai pu lire jusqu’ici, j’avais ce point de vue : Romy était une actrice allemande, qui s’était installée en France pour mener le plus beau de sa carrière – La Piscine, tous les films de Claude Sautet, Garde à vue

Grâce au livre d’Alice Schwarzer, j’ai pu voir l’autre côté du miroir (ou du Rhin), car cette dernière revient évidemment non seulement sur les premières années, puis sur les relations que les allemands et Romy ont entretenues après son premier départ, son mariage avec Harry Meyen et sa vie à Berlin, avant son retour en France.

Elle a d’ailleurs un oeil très critique sur la période française, de La Piscine (un rôle qu’elle juge « à côté de la plaque ») à tous les films de Sautet.

Au-delà de ces critiques, le livre offre un éclairage sur la vie artistique et culturelle de l’Allemagne (et sur les relations franco-allemande) entre 1938 et 1982 : les comédiens et comédiennes, l’univers du cinéma et du théâtre, les différences culturelles entre France et Allemagne et comment les deux pays se perçoivent mutuellement sous le prisme d’une femme et d’une actrice : Romy Schneider.

Se réconcilier avec Sissi ?

À quel moment voit-on Sissi pour la première fois ?

En ce qui me concerne, ça devait être enfant, à Noël, lors d’une des nombreuses rediffusions. J’ai adoré Sissi toute mon enfance, je l’ai délaissée lorsque j’ai découvert le reste de la filmographie de Romy Schneider.

Ensuite, je l’ai revu, mais si j’ai la trilogie sur mes étagères, elle ne sort pas très souvent de son coffret. Je lui préfère le dernier – en français Sissi face à son destin (!!!) et le film sur Victoria, Les jeunes années d’une reine.

J’ai de l’affection pour ces films mais ils ne définissent plus pour moi, depuis très longtemps, ce qu’est Romy Schneider.

Alice Schwarzer, à la fin de son livre, semble se réconcilier avec Sissi. Je me contente, pour ma part, de l’ombre de l’impératrice dans le Ludwig de Visconti.

Et si je devais retenir trois films de cette filmographie, sur lesquels je terminerais cet article, voilà ce que je garderais :

  • Les Choses de la vie
  • César et Rosalie
  • La Banquière