Cela devient une habitude – tenace ? il faudra encore quelque temps pour le déterminer – finir les lectures cinéphiles de l’année par des retrouvailles avec François Truffaut.

Déjà l’année dernière, j’avais terminé ces lectures, avant le traditionnel palmarès de décembre, par L’Amie américaine de Serge Toubiana, qui m’avait énormément émue.

Cette année, après avoir établi ma petite liste de fin d’année, j’ai hésité entre une biographie et l’ouvrage sur lequel je vais revenir dans un instant.

Hésité, pourquoi ?

Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage

Après un mois de septembre consacré à Claude Sautet et Romy Schneider, un mois d’octobre sur l’univers de Christopher Nolan, il me restait à la fin du mois d’octobre quatre livres à découvrir sur ma pile de lecture (je viens mentalement d’en ajouter un cinquième).

D’ordinaire, je les classe par date de parution, pour pouvoir les approcher dans un certain ordre chronologique, et j’essaye d’alterner plus ou moins harmonieusement les thématiques.

C’est pourquoi j’avais d’emblée évacué l’idée de parler de Truffaut directement après Sautet, ce que de toute façon je n’aurais pas fait, puisque l’ouvrage sur Nolan se plaçait très justement entre l’évocation du Paris de Claude Sautet, le très beau livre de Sarah Biasini et le témoignage sur François Truffaut.

Et il semblerait qu’inconsciemment, ce petit rituel ou cette forme d’hommage indirect s’installe dans mes habitudes : en octobre, je lis Truffaut, je regarde Truffaut et je pense Truffaut.

Allons-y donc pour cette dernière lecture (ou plutôt ces dernières lectures) de 2021.

Une histoire de titre

Il m’arrive de temps à autres de noter dans une rubrique dédiée de mon bullet journal les livres sur le cinéma qui me font envie.

Je les sépare de ma liste de lecture habituelle, qui est beaucoup plus conséquente, où j’inscris scrupuleusement les conseils de ma marraine, des amis, des copains copines profs docs, les autres idées glanées ici ou là…

Dans cette rubrique pour cette année je n’ai noté que quelques mots :

  • été 2021 : coups de coeur lectures
  • Livre Christopher Nolan
  • Claude Sautet à Paris
  • Livre Sarah Biasini
  • Les Orphelins de Truffaut

Ma prise de notes est cette fois loin d’être scrupuleuse, il s’agit juste d’un aide-mémoire à la va-vite : il manque les titres, parfois les auteurs, toujours les éditeurs.

Et ce fameux ouvrage désigné par « Les Orphelins de Truffaut », j’en ai écorché le titre, l’ayant récupéré là encore précipitamment depuis mes alertes reçues par mail et depuis un article qui revenait sur sa publication.

Il s’agit des Orphelins de François, de Bernard Gheur.

Trouver le livre

Que Bernard Gheur m’excuse de cette distraction, qui n’est pas éloignée de celle par laquelle j’avais désigné le livre de Sarah Biasini, l’appelant « Toute la beauté du ciel », et associant dans ma tête le témoignage de La Beauté du ciel et le roman de Mélissa Da Costa lu quelques mois plus tôt, Tout le bleu du ciel

Parfois dans ma tête les titres se mélangent ainsi, et forment de curieuses associations d’idées. Pour le livre de Bernard Gheur, c’est plus terre à terre : j’avais entendu parlé d’un livre sur Truffaut, intitulé Les Orphelins de… et j’ai complété avec ce qui me semblait le plus évident.

Le titre exact en était Les Orphelins de François : récit de vie. Il a été publié en février 2021 aux éditions Weyrich, une maison d’édition située à Neufchâteau.

Ce qui m’a confortée dans l’envie de lire ce livre, outre sa proximité apparente avec le témoignage de Jérôme Tonnerre dans Le Petit voisin – l’un de mes ouvrages préférés sur Truffaut – c’est que je ne suis pas parvenue à le commander en ligne en format papier (ou du moins difficilement), et que je me suis rabattue en grognant un peu (beaucoup) sur le format e-book.

Ce n’est pas que je suis réfractaire à ce second format. J’ai une liseuse que j’utilise très régulièrement, surtout dans les transports en commun, et ce n’est pas la première fois que je me sers d’elle pour mes lectures cinéphiles.

Mais pour les ouvrages sur Truffaut, j’aime reprendre le livre, le feuilleter à nouveau quand j’en parle, mettre des post-it aux endroits qui m’ont marquée, pouvoir le citer à volonté, ce qui me semble moins pratique, moins instinctif, avec le format e-book. J’en suis quitte pour me fier à ma mémoire, et à la quatrième de couverture.

Passants, orphelins, passeurs

Cette quatrième de couverture, la voici, telle qu’elle est proposée sur le site Decitre entre autres :

Le 24 octobre 1984, au cimetière de Montmartre, Claude de Givray prononce l’éloge funèbre de son ami François Truffaut.
« Si François n’était pas né, s’il n’avait pas été cinéaste… »
Et moi, que serais-je devenu si François Truffaut n’avait pas existé ?
À 16 ans, je n’aurais pas parcouru les rues de Liège une caméra à la main, ni fait la sortie des écoles de filles, en quête de jolies actrices.
À 17 ans, je n’aurais pas pris le rapide Moscou-Paris de 00h10, aux Guillemins, pour découvrir un film en exclusivité, remonter les Champs-Elysées, sonner à certaines portes.
À 20 ans, sans sa lettre merveilleuse, sur papier pelure, postée à Paris, je ne me serais pas jeté dans l’écriture d’un roman.
Et, à 39 ans, quittant mon journal un dimanche soir d’octobre, après le bouclage de la dernière édition, je ne me serais pas mis à pleurer comme un enfant perdu…

C’est une très belle quatrième de couverture, et si j’avais eu le livre entre les mains, en le retournant et en la découvrant, j’aurais d’autant plus eu envie de le lire.

Mais elle ne rend pas justice selon moi au tout début du livre, à la façon si délicate et élégante avec laquelle l’auteur commence le voyage, où s’entrecroisent sa vie et l’empreinte à la fois fugitive et incontournable de François Truffaut.

Qu’il me soit autorisé de vous la faire connaître via une grossière capture d’écran :

J’ai lu ces premières lignes, qui m’ont donné l’impression d’être aux côtés d’Orson Welles et de Joseph Cotten dans Citizen Kane. Je croyais entendre les rotatives du journal, l’effervescence un temps suspendue de la salle de rédaction…

Oui, Elvis, et alors ? Un peu plus loin (et sept ans plus tard), nous sommes à nouveau dans une salle de rédaction, le 21 octobre 1984, et il est 20h02. Bernard Gheur doit écrire les deux articles que son journal, La Meuse, consacrera à François Truffaut : une biographie et un témoignage personnel de ses relations, principalement épistolaires, avec le cinéaste.

C’est ce témoignage, ce « récit de vie », qu’il partage avec le lecteur.

Suivant ses pas d’enfant puis d’adolescent liégeois, on scrute avec émotion son triple visionnage de Tirez sur le pianiste, ses souvenirs du film perdu d’un festival de Cannes où se découpait la silhouette familière de Truffaut (costume bleu et cravate rouge), on assiste, bien sûr, à cet éloge de Claude de Givray, mais surtout, on recueille ses échanges précieux avec Madeleine Morgenstern, dans son appartement de la Muette.

Ces échanges et ces impressions, il serait vain de vouloir en faire l’inventaire ici. Ils sont trop variés pour qu’on en sélectionne un parmi tous les autres, et cependant ils ont tous comme traits communs l’émotion, le sourire et la pudeur.

J’ai lu le livre de Bernard Gheur à la faveur d’un trajet sur Paris, j’avançais dans ma lecture, qui faisait remonter plusieurs souvenirs :

  • une rencontre à la Cinémathèque avec Madeleine Morgenstern (favorisée à l’époque par Serge Toubiana),
  • des échanges toujours riches quoiqu’irréguliers avec Laura (ma méconnaissance de la géographie me fait m’inquiéter pour elle à chaque incendie californien),
  • et la bibliothèque surchargée du bureau de Jean Gruault…

Comme à chaque lecture consacrée à François Truffaut, je me retrouve dans la même posture que Thierry Jousse, merveilleux concepteur de Blow Up Arte, lorsqu’il visionne un film pour nous en quelques minutes, la partie Zapping de Blow Up…

Je n’ai pas retrouvé de films de Truffaut ayant fait l’objet d’une telle opération, aussi vais-je mettre pour l’exemple celui de La Mort aux trousses :

Mon trajet sur Paris m’a donc conduite jusqu’à Saint-Lazare, ma liseuse dans mon sac, avec pour projet d’aller fureter du côté des Batignolles, et plus précisément dans la librairie Bulles en tête.

Je suis descendue place de Rome, avec les derniers mots d’un chapitre des Orphelins de François en tête, je me suis dit que ce serait bien de descendre la rue de Rome sur la musique des Quatre cents coups (pour changer de Montmartre),

j’ai eu envie de revoir Antoine Doinel courir le long de la mer avant un regard caméra,

de revoir une ouvreuse de cinéma guider le spectateur en retard pour la séance avec une lampe dont la lumière glisse sur ses jambes,

de faire claquer sur des pavés une paire de bottines que j’ai trop portées, et qui me donne l’impression d’être Fanny Ardant dans Vivement dimanche !, avant de me souvenir que je ne sais pas marcher avec des talons, que j’ai beaucoup moins de robes dans mes armoires et de toute façon, beaucoup moins d’élégance que Barbara,

de réentendre quelques-unes des répliques de Vivement dimanche ! dont justement « Écoutez Barbara, je suis dans l’embarras », « Je me gratte l’oreille parce que ça m’aide à réfléchir »,

de revoir un chat laper du lait dans La Nuit américaine – mais pas seulement –

d’écouter la voix de Véronique Silver « au fond je me retrouve comme Edith Piaf, rien de rien, je ne regrette rien »

avant de reprendre le métro, je suis passée à la FNAC Saint-Lazare, pour acheter un autre livre : François Truffaut film par film, de Laurent Delmas et Christine Masson.

Bref, j’ai lu Les Orphelins de François, de Bernard Gheur… et ben c’était vachement bien.