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Catégorie : Films (Page 2 sur 7)

A l’assaut des minaudantes !

Je minaude, tu minaudes, vous minaudez…

Le visage est un masque qui ne prend qu’une seule et unique expression. Les yeux sont écarquillés, les lèvres s’avancent dans une petite grimace qui se veut adorable et qui n’est qu’exaspérante. Moue, mine, petite voix qui agace l’oreille. Le visage peut changer, la moue reste la même. Blonde ou brune, grande ou petite, l’actrice est une minaudante.

Minaudante, c’est le nom qu’avec Eva, thèsarde adepte de foutaises et d’échanges inter-blogaux ; nous avons attribué à ces comédiennes d’une seule expression. C’est aussi le défaut de ces filles-là, qui ont marqué les esprits, heureusement ou malheureusement, avec un grand rôle où elles ont été soit disant révélées. Une fois que le rôle principal est décroché, nul besoin de faire davantage d’efforts, après tout : pourquoi se contenter de jouer alors qu’on a juste à être ? Et ces comédiennes, fortes des exemples qui les entourent, vont s’enfermer (ou être enfermées) dans un seul rôle : celle qui minaude.

Il est difficile de comprendre ce mécanisme qui semble typiquement français, et par lequel Depardieu ne fait que du Depardieu, Deneuve a le talent plus ou moins évident de caricaturer Deneuve, etc., etc.

La minaudante est donc le dernier bastion de la femme et de la comédienne française réduite à son minima dramaturgique et intellectuelle. Au 21e siècle, elle reste cette petite chose fragile et exaspérante que l’homme doit protéger et subir – et pourtant je suis loin d’être une féministe déchaînée.

Les mythes féminins au cinéma

Cauchemar, Füssli

Elle est l’héritière des mythes cinématographiques successifs : la femme soumise, la femme fragile et l’héroïne en danger, celle qui ouvre une bouche démesurée par la surprise, celle qui hurle sous les menaces du tueur et du monstre, celle qui s’évanouit de terreur. La femme modèle, idéale, femme au foyer parfois, en tout cas parfaite, les ongles peints, le brushing inaltérable.

Cette femme-là, personne ne l’a mieux incarné que Lauren Bacall dans le film de Vincente Minelli, La Femme modèle. Elle est la femme impeccable qui se change trois fois par jour, la femme radieuse et épanouie, mais qui hurle à la vue du sang ou qui s’évanouit lorsqu’elle voit son homme en danger. Ironie, caricature, Lauren Bacall y est merveilleuse parce que justement, c’est une comédienne, et non une actrice. Elle a le talent de se moquer des femmes, et en particulier d’elle-même. Elle fait des mines, qui ne sont que celles de son personnage, et qu’elle abandonnera dans un autre film où le personnage sera tout autre.

Mais d’autres prendront cette mine, cet air de « je souffle sur mon vernis à ongles pour le faire sécher » pour argent comptant, et en feront leur marque de fabrique. Elles auront dès lors toujours l’air d’attendre que leur vernis à ongles soit sec.

Minauder, à la française…

Parmi ces minaudantes, on retrouve pêle-mêle : Audrey Tautou, Mélanie Laurent, Judith Godrèche, Marion Cotillard. Désolée si je taille dans le vif. Je laisse à Eva les deux premières (c’est la semaine de l’échange, et je connais sa prédilection pour ces deux-là) qu’elle vous présente dans son dernier article.

Judith Godrèche est la minaudante par excellence. Je ne m’abaisserai pas à faire des plaisanteries sur son nom, mais je me risquerai tout de même à dire qu’elle le porte bien. Je n’ai jamais vu quelqu’un chez qui, excusez la charge, le mot désigne aussi bien la chose. Depuis Ridicule, où elle incarne une jeune femme scientifique et résolue à l’aube de la Révolution française, elle a gardé cet air exaspérant de « blonde » qu’on est obligé de prendre au second degré. L’exemple le plus frappant est L’Auberge espagnole où ses répliques sont d’une niaiserie achevée : « Xavier, vous me trouvez coincée ? » Sans blague ! Je compatis tout de même : c’est difficile de jouer les cruches, et de ne jouer que cela, et de faire si peu d’efforts que le réalisateur pense qu’on ne peut jouer que ça. Il faut une bonne dose d’auto-dérision, de dignité intérieure et d’abandon de soi pour se résoudre à de tels rôles. Du moins je l’espère pour elle !

Passons à Marion Cotillard. C’est une autre paire de manches. Excellente dans Un long dimanche de fiançailles (il faut dire que n’importe quel rôle féminin peut sembler profond à côté d’Audrey Tautou), tout le monde l’a trouvée grandiose dans La Môme, moi comprise. Elle a dû croire qu’avec un Oscar, on n’a plus rien à prouver à personne, et depuis, elle garde la même moue exaspérée, qu’on peut traduire « Je suis la femme par excellence et vous n’êtes que des insectes ».

Elle est aussi révélatrice d’une réalité incroyable propre aux minaudantes. Les minaudantes, qui, avec courage et audace sortiront de leur cadre deviendront de vraies actrices (Deneuve en est le plus bel exemple, après qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, c’est autre chose). Les autres, même dans un bon rôle, resteront minaudantes (Marion Cotillard dans The Dark knight rises et dans Inception). Sans audace, elles ne sortent pas du moule, et sont condamnées à une mort artistique – et physique – que l’on peut résumer par l’adage shakespearien : beaucoup de bruit pour rien.

L’allure et le ton

Les acteurs français ne sont pas non plus dénués de ces airs et de ces mines. J’en veux pour exemple Clovis Cornillac, qui joue toutes ses scènes (colère, bonne humeur, désespoir) avec l’air désabusé du type qui constate qu’il n’y a rien à la télé ce soir.

Les minaudantes – et leurs homologues masculins – diront tout de la même manière. Un exercice de style sans audace ni prise de risque qui ferait ressembler chacune de leurs répliques, quelle qu’elle soit, à un échange avec son voisin de table : « Passe-moi le sel ! » A ceci près que c’est de sel (et de tout corps) que manque leur jeu !

Et pourtant, il y a de l’espoir. Comme je l’ai dit, il suffit d’un peu d’audace pour sortir du cadre. Finalement, si l’on peut distinguer actrices et comédiennes, et si les minaudantes sont définitivement à ranger parmi les premières, d’autres catégories sont à l’oeuvre dans le cinéma français :

  1. Les monstres sacrés : comédiennes parvenues à maturité, anciennes minaudantes ou non, et dont le fait d’être suffit à justifier qu’elles apparaissent dans un film – mais elles, justement, en sont à un tel stade de leur carrière, qu’elles n’ont plus rien à prouver à quiconque. Deneuve, Ardant, Huppert, Adjani, et j’en passe.
  2. Les épanouissements progressifs. Ces comédiennes que l’on croit cantonnées à un même rôle, mais qui, ne vous y trompez pas, sont prêtes à tout pour surprendre. La plus belle démonstration d’audace. L’exemple le plus frappant est celui de Catherine Frot, que l’on croit au début cantonnée aux rôles de bille de clown, mais qui est juste magnifique dans les rôles dramatiques, qui sont les plus beaux de sa carrière : La Tourneuse de pages, Le Passager de l’été, L’Empreinte. Une vraie comédienne, issue des planches, et qui le prouve à chaque instant. On peut aussi compter parmi elles Sylvie Testud qui ne s’est jamais laissée enfermer dans quoi que ce soit…
  3. Les jeunes pousses prometteuses. Seront-elles minaudantes, passé un premier rôle convaincant, l’avenir le dira… du moment qu’elles sortent de l’étiquette bien rangée du « meilleur espoir ».

Cruel cet article ? Peut-être. Les jugements qui s’y expriment peuvent paraître sans appel. Je ne prend pas souvent parti contre. Je préfère toujours l’éloge au blâme. J’ose espérer que ces minaudantes qui me déplaisent aujourd’hui auront une maturité qui les montrera sous un autre jour, qui me les révélera. Je ne leur demande que ça. Et j’espère pour le cinéma français que les jeunes pousses d’aujourd’hui seront les monstres sacrés de demain. Sur ce, je laisse la parole à Eva pour continuer le massacre…

L’euphorie universelle : Boby Lapointe

Le joli mois de mai, pas si joli que ça, vous a plombé le moral ? Vous regardez avec mélancolie tomber la pluie en espérant un été radieux, alors qu’une connaissance casse l’ambiance à coups de dictons populaires sur la Saint Médard et la Saint Barnabé ? Vous êtes noyés (au sens propre et figuré) dans la morosité du quotidien et reculez le moment de commencer l’inventaire du CDI ? Un seul remède, une seule solution, radicale, imparable, miraculeuse : écouter du Boby Lapointe.

boby_lapointe

Par les hasards de la conversation et de « la chanson qui te trotte dans la tête », Boby Lapointe a envahi toute ma semaine dernière. J’ai fredonné « Marcelle » le vendredi, j’ai chanté en coeur au téléphone « La maman des poissons » le samedi, et j’ai discuté avec Eva le dimanche du bonheur linguistique de « Ta Katie t’a quitté ». Ces hasards fabuleux nous ont conduit finalement, avec Eva, à imaginer des articles conjoints sur Thèse antithèse foutaises et sur Cinephiledoc, un peu à l’image de l’échange que j’avais pu faire en début d’année avec Rainbow Berlin sur la journée de l’amitié franco-allemande, mais en beaucoup moins sérieux…

Si elle maîtrise tous les ressorts de la sémiotique et de la linguistique, et si son article porte davantage sur cet aspect de l’univers du divin Boby, le mien tentera de percer à jour cet hasard miraculeux sous sa forme la plus énigmatique : que se passe-t-il quand deux amateurs de Boby Lapointe se rencontrent ?

Les hasards de la rencontre

Il faut déjà partir d’un constat : cette rencontre n’est pas évidente. Elle intervient dans un cadre ou une ambiance particulière, propre à deux univers : la chanson et la confidence. Pour aborder le sujet « Boby Lapointe », il faut aimer la chanson, il faut généralement être un bon vivant, apprécier une absolue truculence verbale et avoir une culture de la variété française au sens propre du terme, c’est à dire ne pas reculer devant ce qu’il y a de plus foisonnant, de plus exubérant dans l’expression de la chanson française.

Ensuite, il faut être mis en confiance. Pas parce qu’il s’agit d’un plaisir honteux, cet amour de Boby Lapointe, mais parce qu’il s’agit d’une confidence d’éternel enfant. Les amoureux de Boby sont de grands enfants, qui ont chopé le virus entre 5 et 25 ans et ce virus ne les a plus quittés. Ils l’ont gardé en eux comme un secret, et la moindre mélodie, la moindre association d’idées qui les ramènent à Boby Lapointe leur fait l’effet de la madeleine de Proust : l’univers s’élargit, explose les dimensions communes de l’infiniment petit et de l’infiniment grand dans une profusion émotionnelle et verbale.

Et c’est ainsi que dans une ambiance festive, propre à la joie et à la bonne humeur, l’amateur de Boby Lapointe va se mettre à déclamer :

 « Elle a l’oeil vif, la fesse fraîche et le sein arrogant,

L’autre sein, l’autre oeil et l’autre fesse itou également,

Mais ça n’est pas monotone

Et même quand c’est l’automne,

Je m’écris en la voyant :

TIENS voilà LE PRINTEMPS !!!!! »

(Il faut dire que les chansons de Boby Lapointe sont elles-mêmes vives, fraîches, arrogantes de bonheur communicatif. Et ça n’est pas monotone, et même quand c’est l’automne, je m’écris en l’entendant : tiens voilà le printemps !!!)

A cet instant, les yeux sont braqués vers l’amateur. L’entourage s’interroge : est-il devenu subitement dingue ? Jusqu’au miracle : à l’autre bout de la table ou de la pièce, une autre voix se fait entendre :

« Marcelle, si j’avais des ailes,

Je volerai grâce à elles ! »

Et les deux compères, soudain en harmonie parfaite, communion, extase, vont finir le refrain en se tordant de rire et tout au bonheur de s’être trouvés :

« Marcelle

Vers la plus belle

Des jouvencelles

Celle qui a pris mon coeur

Ta petite soeur… Poum poum ! »

Ils enchaîneront très vite sur un autre ovni musical (on ne s’arrête jamais à une chanson). Dès lors, l’assistance passera par diverses réactions :

  1. Elle s’interrogera sur la santé (ou l’absence de santé) mentale des deux énergumènes et envisagera un possible internement.
  2. Elle ne comprendra pas un broc de leur curieux langage  : c’est contagieux ?

Et la réponse est : oui, c’est contagieux.

Ça se soigne, docteur ?

Au-delà de cette incompréhension (les amateurs de Boby Lapointe sont au sommet de la tour de Babel, les autres ne sont qu’au pied) se révèlent les vertus et les mérites intarissables de cet univers : un apprentissage de l’articulation et du jeu de mots, un amour de la langue et du calembour, l’admiration face au déchaînement verbal dont Boby Lapointe n’est que l’accomplissement, longtemps après Cyrano et sa tirade du nez, le rêve onomastique de Proust, la magie renouvelée de Cocteau et l’inventaire incroyable de Prévert.

Ce qu’ignoreront les profanes, c’est que cette maîtrise, cette joie née de la rencontre entre deux amateurs, n’aura pu se faire sans efforts, et qu’ils en sont maintenant aussi fiers que le jongleur qui a enfin réussi à placer sa cinquième balle. Pouvoir réciter « Ta Katie t’a quitté », s’émerveiller des jeux de mots à chaque ligne de « Framboise », c’est faire partie d’un cercle fermé, c’est être initié à l’ésotérisme d’une religion particulièrement réjouissante.

Boby Lapointe se mérite. A moins que l’alcool ne délie la langue (chacun son ivresse), il sera impossible à quelqu’un de parfaitement imbibé de pouvoir le réciter. Les néophytes s’appliqueront, le livret sur les genoux, à traduire cette langue davantage propre à rassembler que le moindre Esperanto. Mais même les plus chevronnés en conviendront : le sous-titrage est indispensable à tout nouveau converti. J’en veux pour preuve cette anecdote rapporté par Truffaut, à propos du tournage de Tirez sur le pianiste (encore un hasard de rencontre entre le cinéaste amoureux des livres et le poète amoureux des images…) :

 Sur le point de commencer un film, Tirez sur le pianiste (…) je demandai à Boby Lapointe de venir chanter Framboise devant la caméra. On ne pratiquait guère le play-back à cette époque et, du reste, je crois bien que Boby n’avait pas encore enregistré de disque. Il joua et chanta donc « en direct » (…), solidement planté sur ses jambes, inclinant le torse en mesure, la tête ballotant de gauche et de droite au rythme de la musique, le visage restant complètement sérieux avec une sorte de tristesse acharnée dans le regard.

Mon producteur, Pierre Braunberger, n’aimait pas cette scène de Boby chantant Framboise et il me disait : « On ne comprend pas les paroles, il faut couper la chanson. Votre chanteur doit apprendre à articuler ou alors il faut le sous-titrer ! » Je pris cette observation au pied de la lettre et je fis faire un sous-titrage, chaque vers de la chanson apparaissant au bas de l’image, syllabe par syllabe, dans un synchronisme parfait.

Le titre de l’article est « Boby Lapointe, le chanteur sous-titré » (Le Plaisir des yeux, François Truffaut). Avec un sens de l’à-propos, Truffaut joue à son tour avec les mots et invente bien avant les soirées mièvres dans les bars et les jeux Wii, le karaoké. Il met à la portée du public la virtuosité vocale de Framboise (à retrouver ici), que j’adore juste pour ces quelques vers :

Pour sûr qu’elle était d’Antibes !
C’est plus près que les Caraïbes,
C’est plus près que Caracas.
Est-ce plus loin que Pézenas ?
Je n’sais pas :
Et tout en étant Française,
L’était tout de même Antibaise :
Et bien qu’elle soit Française,
Et, malgré ses yeux de braise,
Ça ne me mettait pas à l’aise
De la savoir Antibaise,
Moi qui serais plutôt pour…

Ce déluge verbal, cette euphorie du langage, est vouée au partage. On n’écoute pas Boby Lapointe tout seul dans son coin. Il faut le faire lire, le faire écouter, échanger la bonne humeur et les articles. D’où le défi d’Eva, nouvelle défense et illustration de la langue française (pour parodier Du Bellay) : peut-on faire tenir un an de cours de français dans une chanson de Boby Lapointe ? On peut, on le peut absolument ! Réponse ici.

Revoir La Nuit américaine

Telle est la bonne résolution que l’on pourrait faire tenir aux amoureux du cinéma durant ce mois de mai 2013, plus que de regarder la montée des Marches et que de suivre la remise des prix du festival de Cannes.

La nuit américaine affiche

Il y a quarante ans tout juste, en effet, La Nuit américaine était présentée au Festival de Cannes. Pour ceux qui ne connaissent pas, La Nuit américaine, c’est tout simplement le plus bel hommage au cinéma, réalisé par François Truffaut, entre l’âge d’or hollywoodien des films des années 50 et les films plus récents.

Différents regards sur le cinéma

Tous ces films évoquent le cinéma d’une manière qui leur est propre. Les premiers ont un regard à la fois nostalgique et critique :

  • Le plus cynique. En 1950, Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard), réalisé par Billy Wilder, évoque l’univers disparu des stars du muet, sous le regard ironique d’un scénariste raté qui vient d’être assassiné par une star déchue.
  • Le plus classe. En 1950 également, Joseph Mankiewicz réalise Eve (All about Eve), sur l’univers des comédiens (l’histoire se concentre davantage sur les comédiens de théâtre) et sur les rapports compliqués entre la star et ses fans. Bette Davis est merveilleuse dans ce film à l’humour corrosif.
  • Le plus dramatique. En 1954, le même Mankiewicz réalise La Comtesse aux pieds nus, qui retrace la carrière fulgurante et le destin brisé d’une star incarné par la magnifique Ava Gardner. Bogart incarne quant à lui un réalisateur désabusé, qui a vu passer au firmament ce météore.
  • Le plus musical. L’inévitable, l’indispensable Chantons sous la pluie, porté par Gene Kelly, Donald O’Connor et Debbie Reynolds, évoque en 1952 les derniers feux du muet, l’éclosion du film musical, et la nécessité qu’ont les studios et les acteurs de s’adapter ou de disparaître.

Les seconds, quant à eux, offre un regard plus historique ou comique sur le cinéma :

  • Le plus romantique (et le plus « à l’anglaise »). En 1999, Coup de foudre à Notting Hill donne un aperçu du star system contemporain, de l’univers de la presse à scandale et des paparazzi, autour de l’histoire d’amour un peu fleur bleue entre un anonyme (Hugh Grant) et une star américaine (Julia Roberts).
  • Le plus Blier. Pour ceux qui connaissent Blier, Les Acteurs, réalisé en 2003, offre un panorama du cinéma français au vitriol, avec situations et dialogues improbables à la clef, bref, un vrai Blier.
  • Le plus superproduction. Aviator, de Martin Scorcese, avec une pléiade d’acteurs(Di Caprio, Cate Blanchett, etc.) retrace la carrière du magnat hollywoodien Howard Hughes, fondu de cinéma et d’aviation.
  • Le plus récent. 2011, The Artist, film plébiscité, qui, en muet, reprend quelque peu l’intrigue de Chantons sous la pluie, pour évoquer la transition douloureuse du muet au parlant.

Le cinéma mis en abyme.

La Nuit américaine est la croisée de ces deux regards, c’est le chant du cygne d’un certain cinéma et l’éveil d’un regard pour un autre. C’est aussi celui qui évoque moins l’univers du film et de ses créatures filmées que leur fabrication et leurs coulisses. Pas seulement réalisateurs, producteurs et acteurs, mais aussi assistants, décorateur, accessoiristes, doublures, et en cela, il est unique en son genre. L’envers du décor, en somme, où parfois, en fines touches, en rêves ou sur des couvertures de livres, la magie du cinéma apparaît.

C’est l’histoire d’un film sur le tournage d’un film. C’est donc aussi celui où à l’illusion cinématographique se superpose l’histoire fictive, prétexte, et simple à dessein de « Je vous présente Pamela », où une belle-fille tombe amoureuse de son beau-père.

Toutes les facettes du cinéma sont présentes : les anciens tenants de l’âge d’or hollywoodien, incarnés par Valentina Cortese et Jean-Pierre Aumont, la star américaine (Jacqueline Bisset), le jeune premier, jeune garde de la Nouvelle vague (Jean-Pierre Léaud). On y retrouve toutes sortes de références au cinéma cher à Truffaut : Citizen Kane d’Orson Welles, les répliques de Marcel Carné, les allusions à Cocteau, Hawks, Renoir, Hitchcock, Bunuel, jusque à la star enceinte (Alexandra Stewart), qui évoque Vera Miles avant le tournage de Vertigo et remplacée par Kim Novak.

Le voir, le revoir, s’en souvenir.

On peut revoir ce film vingt fois, on n’en épuise pas pour autant toutes les surprises, tous les clins d’oeil, ni tous les aspects : musiques de film, cascades, faiblesses d’acteurs, traveling, plan de travail, figurants (humains ou animaux), maquillage, rushes et répétitions, et bien-sûr, nuit américaine, cette technique qui consiste à tourner une scène de nuit en plein jour.

Enfin, pourquoi revoir cette Nuit américaine ? Parce qu’elle est jalonnée d’instants suspendus, faits de minutes de silence – rêves de cinéma – et de dialogues qui resteront en mémoire :

« Le tournage d’un film, c’est un peu comme le trajet d’une diligence au Far-West. D’abord on espère faire un beau voyage, puis très vite on en vient à se demander si on arrivera à destination. »

« Les films avancent comme des trains… comme des trains dans la nuit. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a pas de temps mort. »

« Moi pour un film je pourrais quitter un type, mais pour un type je ne pourrais jamais quitter un film »

«Cet acteur, toute sa vie, il a rêvé de jouer Hamlet. Enfin, il réussit à monter son spectacle, mais il était tellement mauvais, tellement mauvais, que tous les soirs il se faisait siffler. Alors un soir il en a eu assez. Il s’est arrêté en plein milieu du monologue to be or not to be, il retourne son visage vers le public et il leur dit : I didn’t write that shit ! C’est pas moi qui a écrit cette merde !»

Et mon préféré :

« C’est curieux comme les acteurs sont vulnérables, n’est-ce pas ?

– Non, c’est normal, tout le monde a peur d’être jugé ; mais dans votre métier, le jugement fait partie de la vie, dans le travail et en dehors du travail.

– Dès que nous rencontrons quelqu’un, nous nous demandons : Qu’est-ce qu’il pense de moi ? Est-ce qu’il m’aime ? Oh, je pense que c’est la même chose pour tous les artistes. Quand Mozart était enfant et qu’on lui demandait de jouer, il répondait : «Je m’en vais te jouer tout ce que tu voudras mais dis-moi d’abord que tu m’aimes.»

– Et puis, c’est le métier où l’on s’embrasse le plus !

– Vous avez remarqué, n’est-ce pas ? Oui, on passe son temps à s’embrasser… Il paraît que la poignée de main a été inventée pour prouver qu’on ne portait pas d’armes, qu’on n’était pas ennemis… et bien pour nous ça ne suffit, faut montrer qu’on s’aime : mon chéri, my darling, my love, tu es magnifique, nous avons besoin de ça !»

La Nuit américaine scénario

Scénario intégral, suivi du journal tenu par Truffaut lors du tournage de Fahrenheit 451, disponible aux éditions des Cahiers du cinéma, collection Petite bibliothèque.

Dans les coulisses de Diamants sur canapé

Comme je l’ai mentionné dans un article précédent, j’ai trouvé sous le sapin à Noël quelques perspectives de lectures fort sympathiques ! Parmi elles, il y avait ce livre :

Mise en page 1

5e Avenue, 5 heures du matin, de Sam Wasson. Avec pour sous-titre : Audrey Hepburn, Diamants sur canapé et la genèse d’un film culte. Cet ouvrage est sorti en octobre 2012 aux éditions Sonatine et a reçu des critiques unanimement élogieuses et amplement méritées.

Je n’ai pu trouver le temps de le lire que durant ces deux dernières semaines, mais déjà, en le « manipulant », beaucoup de choses m’avaient séduite :

  • Son format : c’est un livre assez petit, mais épais. Il donne l’impression d’être une somme. Sa tranche est en tissu, ce qui fait penser à un carnet ou un journal de bord. On va dire que je pinaille, mais un livre, c’est d’abord un objet pour lequel tous les choix ont été mûrement réfléchis. Lorsque j’entre en contact avec un livre, j’apprends à apprécier sa forme, son odeur, le grain de sa page, ses polices de caractères et sa mise en page. Je le tourne, je le retourne, je le parcours : en gros, je fais connaissance ; je le hume et l’étudie avant de le boire.
  • La vie réelle en film, le film en vie réelle, comme vous voudrez. C’est un détail, mais c’est fichtrement bien trouvé : un générique de film pour évoquer les principaux personnages réels qui ont contribué à la construction de Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s). Je ne vais pas tous les citer, mais on y retrouve aussi bien des rôles principaux : Audrey Hepburn, Truman Capote, Givenchy, Blake Edwards, Henry Mancini, que des rôles secondaires : Colette, Billy Wilder, Marilyn Monroe).
  • La structure : les différents chapitres proposent une généalogie inédite du film, presque à partir des cinq sens : l’odorat, le goût, la vue, l’ouïe, le toucher. Ici, ce sont : Y penser, Le vouloir, Le voir, Le toucher, S’y laisser prendre, Le faire, Aimer ça, En vouloir plus. Toute une approche érotique de la création artistique collective !

Puis, j’ai commencé à lire. L’auteur suit la trajectoire des acteurs, des producteurs, des scénaristes, des réalisateurs, des écrivains, de tout ce microcosme qui contribue à un objet final : le film. On y apprend une foule de détails, qui vont de la vie privée (en particulier celle de Audrey Hepburn) au casting du chat, à la composition de Moon river, et à au projet d’une autre fin pour le film…

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Deux petits exemples :

1. La première scène de tournage : Holly Golighlty descend d’un taxi devant Tiffany et déguste des viennoiseries tout en contemplant les vitrines de la bijouterie. Dans la tête d’Audrey Hepburn :

« La rue était déserte, comme ces routes poussiéreuses dans les westerns. La foule ne tarderait cependant pas à s’assembler. 

Tout était si absurdement difficile, jusqu’à la viennoiserie dans le sac en papier près d’elle sur un siège. Comment allait-elle faire pour avaler ce truc ? Audrey ne voulait pas faire d’histoire, mais elle avait les viennoiseries en horreur et avait demandé à Blake si cela ne le dérangerait pas qu’elle déambule devant la vitrine de Tiffany en mangeant plutôt un cornet de glace. Mais il avait refusé. Evidemment, sa décision était entièrement justifiée. C’était l’heure du petit déjeuner après tout et ce ne serait pas vraisemblable. »

2. L’histoire de la chanson Moon River. Pour moi, Moon river est l’une des plus belles chansons présentes dans un film. La musique, les paroles, forment un tout absolument captivant. Le livre nous apprend tous les détails de la collaboration entre Henry Mancini, compositeur, et Johnny Mercer, parolier, ainsi que la gaffe d’un des producteurs, qui était le seul à vouloir faire dégager du film cette « putain de chanson ».

Ce qui reste de ce livre, lorsqu’on l’a refermé, c’est un vague sentiment de mélancolie, un regard presque amoureux sur un film avec, pour reprendre une expression de Chaplin à propos du Kid, « un éclat de rire, et peut-être une larme ». C’est tout un aperçu d’une époque, avec ses stars, sa mentalité, ses métamorphoses…

Je ne nierai pas qu’on a vraiment envie de revoir ce film, merveilleux sur grand écran. Il donne envie de se plonger dans l’oeuvre de Truman Capote, auteur du Petit déjeuner chez Tiffany, déçu de l’adaptation de son roman : j’ai lu le texte il y a quelques années et j’avoue qu’il faudrait que je le relise. De Capote, j’ai surtout aimé Musique pour caméléons, que j’avais découvert grâce au film d’Almodovar, Tout sur ma mère. J’ai commencé De Sang froid, que je trouve très prenant.

Et bien-sûr, après ce livre, c’est indispensable, on veut revoir quelques bijoux de la filmographie d’Audrey Hepburn. Comme pour mon article précédent sur Spielberg, je n’en donnerai arbitrairement que trois, hormis Diamants sur canapé, qui est l’un de mes préférés :

  • Vacances romaines (Roman Holiday) : parce que c’est l’un des premiers films d’Audrey Hepburn, et qu’elle irradie dans cette belle comédie aux côtés de Gregory Peck, et parce que c’est le film conseillé à tous ceux qui veulent découvrir Rome à travers le regard des studios hollywoodiens.
  • My fair lady : le film de la consécration. Un monument, réalisé par George Cukor, avec des chansons magnifiques, même si ce n’est pas Hepburn qui chante. Le film d’une autre époque, qui confronte l’érudition et le populaire, la misogynie et l’élégance.
  • Seule dans la nuit (Wait until dark) : fin de carrière. Une Audrey Hepburn filiforme interprète une femme aveugle (non-voyante pour les gens que le mot choque), seule chez elle, et qui reçoit la visite d’un groupe de gangsters, voulant récupérer la poupée bourrée d’héroïne tombée accidentellement dans les mains de son mari à l’aéroport. Un rôle très différent, un sentiment de terreur et d’enfermement.

Un petit Spielberg pour démarrer la semaine ?

Rien de tel qu’une petite séance de cinéma pour commencer la semaine en douceur. Aujourd’hui, c’était la deuxième séance avec une classe de quatrième et une de troisième, dans le cadre du dispositif Collège au cinéma, que j’avais déjà eu l’occasion de mentionner.

Duel affiche2

Au programme cette fois-ci, le premier film de Steven Spielberg, Duel, sorti en 1971. Pour ceux qui ne l’ont jamais vu, et qui, comme moi jusqu’ici, connaissent mieux les films plus récents comme Hook, Il faut sauver le soldat Ryan ou Arrête-moi si tu peux, voir Duel est tout de même une expérience incontournable, et qui me donne d’autant plus envie de me plonger dans ce livre, sur lequel j’ai salivé pendant longtemps sans me décider à l’acheter…

dictionnaire spielberg

L’histoire est assez simple : David Mann, représentant de commerce, effectue un trajet professionnel sur une route de Californie. Il est pris en chasse par le chauffeur d’un poids lourd qu’il a cherché à dépasser à plusieurs reprises et qui cherche par tous les moyens, à le supprimer.

Le ressort de l’angoisse dans ce film est, non seulement, que l’on ne voit jamais le visage du conducteur, mais aussi que la poursuite échappe à toute logique, comme dans tous ces films où la folie s’installe progressivement. Les mobiles des personnages restent inconnus, et même si le doute est moins permis que dans d’autres films, le héros oscille lui aussi entre calme et fébrilité, comme en témoigne son monologue intérieur. Il fait partie de ces personnages qui cherchent à prouver, contre tout le monde, le bien-fondé, réel ou imaginaire, de leur terreur. On les retrouve aussi bien chez Maupassant, en particulier dans Le Horla ou La Chevelure, dans les situations absurdes du Procès de Kafka, que dans certains films de Hitchcock.

D’ailleurs, si Duel rappelle certains films, ce sont bien ceux de Hitchcock : quelques motifs de la bande originale ressemblent à s’y méprendre à ceux de Psychose, et cette scène toujours recommencée de poursuite sur les routes américaines rappelle l’instant mémorable de La Mort aux trousses (North by northwest) où Cary Grant tente d’échappe à un avion dans un champ de maïs et la place qu’il occupait dans l’esprit de Hitchcock :  au lieu de filmer une scène de meurtre dans une ruelle sombre, en pleine nuit, sous la pluie, il choisit de la filmer en rase campagne, en plein jour et sous un soleil de plomb.

© D.R.

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En la matière, l’un de mes livres de chevet reste l’excellent ouvrage des entretiens Hitchcock / Truffaut, indispensable à tout cinéphile qui se respecte ! Voici ce que dit Hitchcock de cette scène :

« J’ai voulu réagir contre un vieux cliché : l’homme qui s’est rendu dans un endroit où il va probablement être tué. Maintenant, qu’est-ce qui se pratique habituellement ? Une nuit « noire » à un carrefour étroit de la ville. La victime attend, debout dans le halo d’un réverbère. Le pavé est encore mouillé par une pluie récente. Un gros plan d’un chat noir courant furtivement le long d’un mur. Un plan d’une fenêtre avec, à la dérobée, le visage de quelqu’un tirant le rideau pour regarder dehors. L’approche lente d’une limousine noire, etc. Je me suis demandé : quel serait le contraire de cette scène ? Une plaine déserte, en plein soleil, ni musique, ni chat noir, ni visage mystérieux derrière les fenêtres ! »

Je m’arrête là, malheureusement, mais la totalité de cet ouvrage est une merveille…

Faire un premier film comme Duel, quel culot ! Et quand on pense à tous ceux qui ont suivi, ça donne le tournis. Pour ma part, s’il n’y en avait que trois à retenir, de manière complètement arbitraire, je prendrai :

  1. Arrête-moi si tu peux (Catch me if you can) : parce que cette histoire vraie est ahurissante, que le duo Tom Hanks / Leonardo Di Caprio fonctionne du tonnerre, parce que les seconds rôles sont géniaux et que, pour moi, c’est le meilleur film de Spielberg, avec une bande originale signée John Williams, ce qui ne gâte rien !
  2. Indiana Jones et la dernière croisade (The Last Crusade) : parce que le mystère religieux revisité par le film d’action, c’est toujours vendeur, parce que voir Harrison Ford et Sean Connery se chamailler est irrésistible, et que les lieux filmés (Venise, Pétra) font juste rêver.
  3. Hook ou la revanche du capitaine Crochet : un casting de rêve, Dustin Hoffmann en Capitaine Crochet, les décors fabuleux de Londres et du pays imaginaire, et le second rôle du flic incarné par Phil Collins.

Et n’oublions pas, Lincoln sur les écrans, le 30 janvier, mais aussi le biopic sur Hitchcock, avec l’excellent Anthony Hopkins et la non moins excellente Helen Mirren, le 6 février !

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