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Retour en enfances

Pour ce compte-rendu cinéphile du mois d’avril, je vous propose une exposition, deux livres et un coffret qui ont tous en commun de mettre les enfants à l’honneur.

Contrairement à un précédent article, dans lequel il s’agissait de retrouver, derrière le personnage, l’enfant devenu adulte qui l’avait incarné, ce sont cette fois les visages fictifs qui auront la part belle.

Depuis le 29 mars, en effet, la Cinémathèque française propose une exposition, « Mômes & Cie », et j’ai pris l’habitude d’attendre ces expos avec impatience et de vous en faire un compte-rendu sur ce blog.

 

Pour préparer cette visite – et cet article – je me suis demandée qui incarnait pour moi le mieux un enfant au cinéma. J’ai écarté les grands classiques, non pas volontairement, mais parce que j’ai pu suffisamment en parler dans d’autres articles.

J’ai laissé le Kid avec Charlot, Antoine Doinel avec son copain René, et tous les personnages de dessins animés, pour les retrouver peut-être un peu plus tard.

Et j’ai préféré laisser la place à Toto, qui pour moi reste à la fois l’un des enfants les plus espiègles du cinéma italien, avec sa petite bouille malicieuse, et véritablement l’enfance de ma propre cinéphilie…

Évidemment, c’est toujours particulier d’entendre Philippe Noiret doublé en italien, mais la magie reste la même… Un gamin minuscule, qui aime le cinéma comme un fou, qui nous fait découvrir tout un pan du cinéma international de 1945 à 1980 (je taille large) et qui ne se doute pas de sa propre vocation.

J’ai repensé aussi au film collectif Enfances, sorti en 2007 et racontant l’enfance de six grands réalisateurs (Hitchcock, Bergman, Tati, Renoir, Welles, Fritz Lang)… je me suis dit que j’aimerais qu’un jour, ce petit bijou sorte en DVD…

Fidèle à mon habitude et avec ces visages en tête, je suis allée voir l’expo de la Cinémathèque.

Mômes et Cie

Le matin même du jour où j’avais décidé de respecter cette tradition cinémathécale (adjectif en cours de définition avec Léo Paget), la chronique PopNCo de Rebecca Manzoni sur France Inter, consacrée à E.T., m’avait mise dans le bain.

https://www.franceinter.fr/emissions/pop-co/pop-co-12-avril-2017

J’ai profité d’un temps quasi estival pour venir à cette expo, et en arrivant à Bibliothèque François Mitterrand, j’ai marché jusqu’au parc de Bercy, ce qui m’a permis de tomber directement sur l’entrée de la cinémathèque :

Je n’ai pas pris beaucoup de photos à l’intérieur : comme une friandise, l’exposition se savoure, se déguste avec les yeux, assis ou allongés par terre.

Dans les différentes salles, les différentes émotions de Vice-versa, moins le dégoût et plus le courage. Un grand écran, des décors minimalistes. La première salle dans laquelle on débouche, c’est la Joie, et j’ai été accueillie par le Kid.

Tout de suite on est saisi. Des grandes salles avec les émotions, des plus petites salles annexes avec des photos, affiches, citations. Quelques costumes, comme la robe couleur de lune de Peau d’âne et la robe du magicien du Voyage dans la lune de Méliès. Un Nimbus 2000 flottant dans les airs.

Pour finir une dernière salle, « À vous de jouer », avec un grand mur à crayonner à la craie, Kirikou sortant de la brousse, une lanterne magique, Persepolis à faire défiler.

Simplement, efficacement, cette exposition pour les enfants et ceux qui le sont restés, vous ramènent directement en enfance. Je n’ai pas regretté le voyage, loin de là.

Et cette fois-ci, j’ai cédé à la tentation et ai pris le catalogue de l’exposition.

1001 visages, 1001 prénoms…

Vous me direz, je n’ai pas compté…

C’est un beau livre qui appelle à la nostalgie, ce catalogue d’exposition. Enfance et cinéma : d’Antoine à Zazie a été co-édité par les éditions Actes Sud et la Cinémathèque française, et est paru en mars 2017.

 

L’essentiel de l’ouvrage est pensé comme un abécédaire, qui ne commence pas tout à fait à Antoine et ne finit pas tout à fait à Zazie. Comme de juste pour une publication de la Cinémathèque, il s’ouvre sur une préface de son président, Costa-Gavras, et de son directeur général, Frédéric Bonnaud.

Suivent trois témoignages de cinéastes : Christophe Honoré, Michel Ocelot et Nicolas Philibert, ainsi qu’une très belle citation de François Truffaut, présence tutélaire et indispensable, puisque réalisateur des Quatre cents coups, de L’argent de poche et de L’Enfant sauvage.

Le lecteur ne sera donc pas étonné de retrouver Antoine Doinel – car Antoine ne peut être (presque) que lui – Victor, Julien ou Patrick en tournant les pages…

Quelques impressions au fil des pages…

Retrouver Alexandre, avec son théâtre de marionnettes et sa lanterne magique, son air à la fois lunaire et boudeur, et se souvenir de la découverte pas si lointaine de Fanny et Alexandre, d’Ingmar Bergman.

Voir évoquée la Alice de Alice au pays des merveilles et se dire que, même si chez Tim Burton, c’est Alan Rickman qui fait la voix de la chenille, c’est tout même le Disney que je préfère…

Se dire que c’est logique que ce soit Serge Toubiana qui signe le texte sur Antoine Doinel…

Sourire en lisant le texte de Mathieu Macheret sur le Voyage de Chihiro, parce qu’il fallait bien qu’il y ait un film de Miyazaki dans le lot.

Frissonner en repensant à Sixième sens et à cette réplique mémorable « Je vois des gens qui sont morts ».

Suivre Harry Potter des romans de J.K. Rowling à la saga cinématographique avec Christophe Honoré.

Fredonner « A spoonful of sugar » et espérer que son bureau se range tout seul, comme la chambre de Jane et Michael dans Mary Poppins.

Se rappeler la première fois où l’enfance passe de l’insouciance à l’horreur dans Au revoir les enfants

Avec Charlot, courir sur les toits pour retrouver le Kid, ramassé par les services sociaux.

Revoir Persepolis.

En tombant sur Matilda, croire avoir affaire à l’adaptation du roman de Roald Dahl alors qu’il s’agit d’un film de Paul Newman…

Se remettre du choc de la petite Paulette orpheline de Jeux interdits, et de cette musique hypnotique à la guitare.

Éclater de rire à la mine quelque peu alcoolisée de Petit Gibus dans La Guerre des boutons d’Yves Robert (et pas les remakes ultérieurs).

Voir avec plaisir un film de Wes Anderson représenté : Moonrise Kingdom.

Refermer le livre avec le dialogue entre Gabrielle Sébire, commissaire de l’exposition, et Patrick Bouchain, son directeur artistique.

Que dire de plus ?

Comme la plupart des catalogues d’exposition de la Cinémathèque, il s’agit là d’un très bel ouvrage, pensé comme une galerie de portraits.

Justement, le seul petit regret serait que des photos, j’aurais aimé en avoir plus, et c’est une surprise, cette étonnante sobriété dans un ouvrage sur les enfants au cinéma. Mais c’est un regret qui s’oublie vite, tant le livre suscite en lui-même d’images et de souvenirs…

Il m’a d’ailleurs immédiatement fait penser à un autre ouvrage que je venais d’acheter…

Chihiro, Totoro, Mononoké

La mode est aux documentaires consacrés aux films d’animations, pas seulement en livres, mais aussi en vidéo.

Dans les rayons des librairies, est-ce la célébration d’un anniversaire quelconque, mais on retrouve un certain nombre de livres sur l’univers Disney (et j’espère qu’un jour, Taschen éditera en format poche le très beau livre qu’il a consacré aux archives Disney).

Plusieurs fois, la chaîne Arte a diffusé un magnifique documentaire sur Walt Disney, en deux parties. Je n’ai pas trouvé de vidéo d’extrait, et ce documentaire n’existe (pour l’instant ?) pas en DVD, mais voici le lien vers sa version VOD sur le site de la chaîne :

http://boutique.arte.tv/f10870-walt_disney_deux_parties

Il fallait bien que les studios Ghibli fassent eux aussi l’objet d’un documentaire – même si par le passé, au moins un beau livre consacré à Miyazaki avait été publié.

C’est le cas ici, et je rassure tout de suite les économes, voici qui vous donnera un bel aperçu, exhaustif et à la hauteur, des studios Ghibli.

Hommage au studio Ghibli : les artisans du rêve est un ouvrage collectif publié en mars 2017 et co-édité par Ynnis et Animeland.

Le livre, agréable et coloré, s’ouvre sur les biographies des deux membres fondateurs du studio : Hayao Miyazaki et Isao Takahata.

S’ensuit une présentation succincte mais complète de la genèse de Ghibli et de ses premières oeuvres : Nausicaä et Le Château dans le ciel. Puis l’ouvrage se contente de suivre la chronologie et les productions successives, de manière simple et efficace, avec pour chaque période, une page d’introduction :

Totoro et le Tombeau des lucioles, sortis simultanément, Kiki la petite sorcière, les « années fastes » avec notamment Porco Rosso et Princesse Mononoké, le « sacre de Miyazaki » avec Le Voyage de Chihiro et Le Château ambulant (mon préféré),

la relève puis le retour de Miyazaki avec Le Vent se lève.

Après l’étude des oeuvres les plus récentes, viennent l’interview de trois anciens animateurs des studios, tout un chapitre sur l’univers musical de Ghibli, avec un compositeur emblématique : Joe Hisaishi, des articles qui étudient le style, les personnages féminins, l’univers étendu (musée, exposition, produits dérivés), et enfin une vingtaine de pages d’illustrations hommages.

En 130 pages, ce petit livre réussit avec élégance et virtuosité son hommage à l’univers Ghibli et se révèle un indispensable pour tous les amoureux du studio. Non seulement, il donne envie de revoir tous les films les uns après les autres, mais il n’oublie pas de rappeler l’influence d’un film en particulier sur Miyazaki et Takahata : Le Roi et l’oiseau, de Paul Grimault et Jacques Prévert.

Détail ? Pas si je veux vous toucher un dernier mot d’un coffret déniché dans une de nos grandes enseignes…

Le Roi et l’oiseau, encore et toujours

Le 11 avril, il y a 40 ans, disparaissait Jacques Prévert. Est-ce la raison pour laquelle ce coffret était en vente ? Pas que je sache…

© Gebeka Films

Prévert, c’est l’oiseau, impertinent, qui fait fi de la royauté, poète et libérateur. Le Roi et l’oiseau est sorti deux ans après la mort de Prévert, et il a tout d’une oeuvre testamentaire, prenante, émouvante et inoubliable.

Pour ceux qui souhaiterait découvrir ou redécouvrir l’une des plus belles contributions du poète au cinéma (avec Les Enfants du Paradis), guettez ce coffret, vous y trouverez évidemment le film, des documentaires, la bande originale, des facs-similés, des partitions et l’affiche du film entre autres…

Et pour ceux qui souhaiteraient d’abord en savoir plus, quoi de mieux qu’un numéro de Blow Up :

Espérant avoir réveillé votre âme d’enfant avec toutes ces images, je vous dis à bientôt sur Cinéphiledoc !

2016 : Palmarès de lecture

Voici le désormais traditionnel palmarès de mes lectures cinéphiles de l’année écoulée.

Mais avant toute chose, je commencerai par un petit aperçu de ce que j’ai inauguré en 2014 avec l’exposition en hommage à François Truffaut, et de ce que j’ai poursuivi cette année avec la visite de Chaplin’s wolrd : la visite d’une exposition en lien avec le cinéma.

En cette fin d’année, il s’agit de l’une des expositions de la saison 2016-2017 de la Cinémathèque française : « De Méliès à la 3D : la machine Cinéma ».

Avant…

Je ne résiste pas à un petit panel d’impressions parisiennes avant la visite de cette exposition : promenade entre Saint-Michel et Notre-Dame, arrêt à Shakespeare and Co, librairie et salon de thé à l’ambiance feutrée et bibliophile (voir ci-dessous), et déjeuner au Marcello, un petit restaurant italien très sympa presque en face de la Cinémathèque française, qui loge dans l’ex American Center construit par l’architecte Frank Gehry, au 51 rue de Bercy.

Pendant « De Méliès à la 3D »

J’ai déjà dit à quel point j’appréciais les expositions de la Cinémathèque française, le jeu subtil entre le son, l’image, les objets et les textes (ici peu présents). Je le redis encore une fois.

Le commissaire de l’exposition est Laurent Mannoni, auteur du passionnant ouvrage sur L’Histoire de la Cinémathèque française, et directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque française (en gros, c’est lui qui s’occupe de tous ces objets fascinants que l’on découvre au fil de cette exposition : caméra, praxinoscope, mais aussi des lanternes magiques… toute l’archéologie du cinéma en somme).

C’est un passionné à l’œuvre et on le ressent dans toute cette exposition : cela lui fait plaisir de montrer tous ces monstres de machines aux visiteurs, de les faire fonctionner sous nos yeux et de nous faire ressortir de là émerveillés.

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Comme pour chacune des expositions de la Cinémathèque, on commence par des affiches, et une entrée, on a l’impression d’entrer au cinéma, ou plutôt d’entre « en cinéma », comme on entre en religion, et l’on va vagabonder parmi ce foisonnement d’objets de culte laïque…

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Tout y est : de l’invention la plus ancienne d’Edison, le kinétoscope (savoureusement désignée sous le nom de « the latest Edison ») aux caméras les plus modernes, aux projections 3D et de réalité virtuelle, en passant par les gigantesques hauts parleurs, le plateau de tournage reconstitué de Marcel Carné, et par la fameuse Steadicam chère à Stanley Kubrick.

L’expérience de réalité virtuelle sur laquelle se conclut l’exposition, avec le Kinoscope, est absolument merveilleuse : le film proposé pour l’occasion est un petit chef d’œuvre de poésie et de magie.

Évidemment, il vaut mieux avoir le Cardboard pour pouvoir visionner cette vidéo dans les meilleures conditions, mais j’ai tout de même voulu en garder une trace…

Après…

Je n’ai pas acheté le catalogue de l’exposition, certes très beau, mais je commence à manquer de place dans mes étagères…

J’ai néanmoins flashé sur ce qui est mon dernier coup de cœur de l’année 2016, une perle aux éditions Taschen, comme les archives Kubrick dans mon précédent article : Muybridge. The Human and Animal Locomotion Photographs.

Petit résumé de cet ouvrage, composé en majorité de planches d’images qui décomposent le mouvement :

Le photographe anglais Eadweard Muybridge (1830-1904) fut un pionnier de l’observation visuelle du mouvement des hommes et des animaux. En 1872, il aida notoirement l’ancien gouverneur de Californie, Leland Stanford, à mettre fin à une polémique en photographiant un cheval au galop. Muybridge avait inventé un système complexe d’obturateurs simultanés permettant d’obtenir des arrêts sur image, et de prouver par-là pour la première fois de manière irréfutable qu’un cheval au galop décolle ses quatre sabots du sol pendant une fraction de seconde.

Après cette exposition, j’ai visité pour la énième le musée du cinéma, où était installée durant cette période une exposition temporaire consacrée au cinéma japonais.

Voilà pour cette jolie petite sortie cinéphile, j’en profite pour remercier Léo Paget, comédien, réalisateur et cousin de son état, de m’y avoir accompagné, passons maintenant au palmarès 2016.

Palmarès 2016

D’abord un point rapide :

J’ai lu cette année 14 livres exclusivement consacrés à l’univers du cinéma et des séries télévisées.

Sur ces 14, trois étaient consacrés à un film en particulier, trois autres à un réalisateur, deux à un acteur, deux évoquaient un aspect précis du cinéma, deux autres un aspect précis des séries télévisées.

L’avant dernier évoquait tant d’aspects du cinéma qu’il n’entre dans aucune des catégories précédentes… Quant au dernier, inclassable lui aussi, il l’était, mais moins par les sujets qu’il abordait que par sa manière de les aborder.

Sur ces quatorze lectures, je n’ai rien à redire, et je n’ai passé avec elles que de bons moments, mais il y en a tout de même certaines qui m’ont marquée plus que d’autres et qui figureront dans ce palmarès.

Catégories « sériephile / sérievore »

Évidemment, dans cette catégorie, les deux livres précédemment cités, et qui m’ont autant plu l’un que l’autre, à savoir :

  • Rêves et séries américaines de Sarah Hatchuel, autant pour le sujet du livre, captivant, pour l’auteur, des plus érudites et nous faisant remémorer des scènes de films et de séries télévisées où les personnages ne cessent de vaciller entre rêves et réalité, et nous entre réalités et fictions… Mais aussi parce que le livre promettait presque un contenu numérique (sites Web, vidéos sur YouTube) que j’aurais aimé plus accessible et plus ambitieux, mais tout de même alléchant…

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Catégorie « films et réalisateurs »

Dans cette catégorie, à laquelle 6 livres pourraient appartenir, je choisis de n’en retenir que deux.

Certes, j’ai beaucoup aimé le récit du tournage de La Grande Vadrouille, et j’ai aimé réfléchir sur différents aspects de Shining et de Alien qui m’avait échappé (dans la même collection de ces deux petits ouvrages, j’attends d’ailleurs toujours la sortie de ceux consacrés respectivement au Parrain et aux Sept samouraïs)… mais là encore, deux livres m’ont particulièrement marquée.

  • Le premier est une lecture encore relativement récente : Les Archives Stanley Kubrick aux éditions Taschen, et déjà mentionné au début de cet article, puisque j’ai trouvé à la Cinémathèque une autre pépite de ces éditions. J’ai apprécié cette lecture moins pour son contenu que pour le fait que Taschen faisait la démarche de mettre à la portée de (pratiquement) toutes les bourses quelque chose d’aussi riche et d’aussi beau visuellement.

  • Le deuxième est un petit échantillon de ce qu’aura été pour moi l’année 2016, à savoir une année Chaplin : la lecture du dernier projet de Chaplin, The Freak, m’a permis de prolonger le bonheur suscité par la visite de Chaplin’s world. Ce livre, qui se lit comme un roman, est l’un des plus beaux hommages qu’on pourrait rendre à ce cinéaste, un joyau d’écriture et de recherche, et que je n’hésite pas à placer parmi mes plus belles expériences de 2016.

Catégorie « écrire au cinéma / écrire le cinéma »

Pour cette dernière catégorie, deux ouvrages qui mêlent avec virtuosité écriture et cinéma.

  • Le premier, Les Écrivains du 7e art, de Frédéric Mercier, explore les relations tumultueuses entre les écrivains et le cinéma : expériences ratées, projets avortés ou méconnus, ambitions déçues… dans un voyage ouvert sur, peut-être une nouvelle exploration…

9782840496953

  • Enfin, ultime sélection de ce palmarès 2016, Les Fantômes du souvenir de Serge Toubiana, qui remet à l’honneur le prix de la « madeleine de Proust » que j’avais accordée en 2013 à l’ouvrage de Jean-Pierre Pagliano sur Le Roi et l’Oiseau. C’est l’impression que suscitent en moi de tels ouvrages, qui respirent l’enfance, la nostalgie, les paradis perdus (et retrouvés), les images en mouvement qu’on aperçoit un jour et qui restent gravées en nous, et les rencontres, forcément belles, avec les films et avec les êtres… qui nous font rêver et espérer.

Et c’est sur cette note d’espoir que je clos ce palmarès, vous souhaitant pour 2017 toute la douceur, toute la sérénité, et, pour plagier Serge Toubiana, toute la mémoire du monde…

Souvenirs de films, souvenirs d'enfances

Dans mes articles cinéphiles, j’évoque souvent certains de mes souvenirs cinématographiques les plus marquants. Il n’est pas rare que je commence un article par « La première fois que j’ai vu tel ou tel film… » ou par « L’un de mes plus beaux souvenirs cinématographiques reste… »

On se souvient souvent d’un film comme d’une rencontre, que ce soit un vrai coup de foudre, un rendez-vous manqué ou une aversion immédiate. Je préfère généralement parler des rendez-vous manqués, auxquels il arrive bien souvent qu’on laisse une seconde chance, ou des coups de foudre, quasiment jamais des aversions…

Témoigner de mes souvenirs cinéphiles me permet de me remémorer certaines scènes, de ponctuer le film d’émotions et de susciter, à la lecture des livres que je parcours, les plus belles scènes à mes yeux, dans un perpétuel aller-retour.

Cet article ne fera pas exception.

J’y évoquerai deux lectures, qui n’ont de commun que le cinéma, et les souvenirs, les miens, et ceux d’un autre. Car je ne suis pas la seule à accorder une telle importance aux souvenirs de films, loin de là.

Premier souvenir

« Un jour mes parents se rendirent à Tunis, la capitale, et m’emmenèrent avec eux voir La strada. Ce devait être en 1956, j’avais donc sept ans. Le film a provoqué en moi une peur incroyable et suscité une répulsion profonde. Tout dans le film m’effrayait. Aussi bien les visages que les corps des comédiens, leurs gesticulations et leur promiscuité. De même le décor, l’Italie pauvre, en noir et blanc, misérable. Si bien que j’ai vu le film sans le voir, par intermittence, les yeux souvent fermés ou baissés. »

C’est par ces quelques lignes que s’ouvrent Les Fantômes du souvenir, de Serge Toubiana, publiés chez Grasset en octobre 2016. Et ces lignes sont l’une des deux raisons qui m’a immédiatement convaincue de lire la suite. La seconde raison, je la donnerai un peu plus tard.

Un souvenir d’enfance, un souvenir de film, le premier film donc. La Strada. On ne peut pas vraiment parler d’un coup de foudre… Lorsque j’ai lu ces quelques lignes, je me suis souvenue moi aussi de ma première Strada : vers quinze ou seize ans, avec mon père, à la télévision : « Tu vas voir, Fellini, c’est magnifique ! » Je ne crois pas avoir été aussi emballée, pas plus par La Strada que par La Dolce vita… mon Fellini à moi reste Fellini Roma, et je n’ai jamais réussi, encore, à revoir La Strada.

Mais revenons à ce livre et à son auteur, Serge Toubiana. Critique de cinéma, il a été rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, directeur de la Cinémathèque française entre 2003 et 2016, et il reste pour moi le co-auteur d’une magnifique biographie de François Truffaut, avec Antoine de Baecque.

Quant à ses Fantômes du souvenir, il est simple, beau, on y fait de belles rencontres (Truffaut, évidemment, Godard, inévitablement, Coppola, Isabelle Huppert…), on y assiste à des événements cinéphiles (anniversaire des Cahiers du cinéma, expositions à la Cinémathèque, projections…), on y observe d’abord la formation d’un cinéphile, puis les coulisses d’une revue, et les coulisses d’une institution.

On y suit des projets tels que la préparation d’un documentaire sur Truffaut, ou la découverte, dans les locaux des Films du carrosse, des bandes sur lesquelles étaient enregistrés les fameux entretiens Hitchcock / Truffaut. On y voit défiler le cinéma en perpétuels allers-retours, présent et passé se côtoient : Henri Langlois et nouvelle Cinémathèque, parcours de cinéastes, portraits d’hier et d’aujourd’hui.

Page après page de cet itinéraire dont on prolonge sans cesse la lecture, dont on diffère sans cesse le moment de le reposer, ce qui m’a le plus frappé, c’est une extraordinaire bienveillance. Hormis La Strada, moins aversion que rendez-vous manqué, et qui fait plus figure d’électrochoc ou de souvenir proustien, Serge Toubiana ne semble retenir que les belles rencontres, les expériences enrichissantes et les émotions.

Et chez cet amoureux de cinéma, vous ne trouverez ni hostilité, ni élitisme, juste (et presqu’exclusivement) les bons souvenirs.

Souvenir d’une rencontre

Je venais d’achever mon Master 1 de Littérature française, et mon directeur de recherche, Jean-François Louette, m’avait enjoint de trouver un sujet de mémoire pour ma deuxième année.

J’avais réussi à le convaincre que mon sujet, tout cinéphile qu’il était (l’influence de Proust dans le cinéma de Truffaut), pouvait tout à fait faire l’objet d’un mémoire de littérature.

Cet été-là, en 2008, Serge Toubiana intervenait à la radio, je ne me souviens plus à quelle fréquence, pour évoquer les entretiens Hitchcock / Truffaut, et l’on m’avait soufflé l’idée de le contacter. J’ai donc pris mon courage à deux mains et j’ai laissé un commentaire sur le blog qu’il tenait, en tant que directeur de la Cinémathèque française. J’ai eu très vite la surprise de recevoir une réponse, m’invitant à le rencontrer.

Cela peut paraître dérisoire à une personne extérieure, mais entrer dans les bureaux de la Cinémathèque française, patienter dans une salle à côté de personnes qui s’interpellent, demandant si « on n’a pas des nouvelles de Deneuve », s’assoir dans un bureau rempli de livres et de DVD et donnant sur la Seine, et parler de Truffaut avec Serge Toubiana, cela a de quoi impressionner, et avoir toujours envie de remercier, même 8 ans après.

Voilà pour la deuxième raison qui m’a poussée à lire ce livre, où j’ai reconnu à chaque page cette disponibilité et cet indéfectible amour du cinéma, à l’image de la description qu’il fait du réalisateur Wim Wenders à la fin d’un chapitre :

Jamais froid ni intimidant, toujours amical et généreux. Il transmettait mieux que quiconque à cette époque, l’amour du cinéma, l’ancien et le nouveau. Et d’où qu’il vienne.

Et passé ce souvenir, j’en reviens aux souvenirs !

Premiers souvenirs

En relisant la première phrase de Serge Toubiana, je me suis demandée quel film pourrait m’avoir marquée enfant autant que La strada avait pu le marquer.

Évidemment, des films marquants, il y en a eu, aussi bien des Chaplin que des films d’animation, avec, pour mes souvenirs les plus anciens, une prédilection pour les Don Bluth (Fievel, Brisby et le secret de Nimh, Le Petit dinosaure).

Mais il y en a peut-être trois dont le souvenir n’a été ni effacé, ni déformé : Le Roi et l’oiseau, auquel j’avais déjà consacré un article, Cinema Paradiso, dont j’ai parlé à plusieurs reprises, et Barry Lyndon.

Et c’est justement à Barry Lyndon que je pensais au moment où j’ai ouvert Les Fantômes du souvenir, parce qu’au même moment je parcourais Les Archives Stanley Kubrick, publiées généreusement fin 2016 par les éditions Taschen.

Pourquoi généreusement ? Parce que ces archives, comme celles de Chaplin ou plus récemment de Walt Disney, ont été d’abord éditées dans un format « extra large » et à un prix nettement moins abordable… J’espère donc que cette initiative Kubrick sera suivie d’autres, qui mettront à la portée du cinéphile ces superbes documents.

Dans ces archives, on retrouve évidemment une analyse détaillée des films et de la carrière de Kubrick, ainsi que des projets avortés, (le fameux Napoléon dont je ne cesse de vous rabattre les oreilles). Et une large place est laissée à la photographie, ce qui m’a donné envie de revoir Barry Lyndon.

Barry Lyndon

Barry Lyndon… pour moi à l’origine deux cassettes vidéos, première et seconde partie, en français, avec la voix inoubliable du narrateur, Jean-Claude Brialy.

Une histoire en costumes, magnifique, avec des décors somptueux, et des personnages auxquels, petite, je ne comprenais pas grand chose : un garçon un peu niais du fin fonds de l’Irlande, amoureux déçu, qui s’en va jouer au petit soldat, qui change d’uniforme, qui devient joueur, puis qui se marie…

Et puis il y avait cette musique, que j’écoutais en boucle sur cassette audio, et en alternance à mon panthéon musical avec le Let’s dance de David Bowie et le Non homologué de Jean-Jacques Goldman. Une musique incroyable qui vous arrive dans la tronche dès les premières minutes et qui ne vous lâche plus…

Aujourd’hui, Barry Lyndon a pris pour moi une autre mesure.

Il y a toujours la musique, cette scène d’ouverture fascinante, ce narrateur à l’ironie et à la voix envoûtantes :

Je peux difficilement choisir parmi mes scènes préférées, celle des Grenadiers anglais ? celle de la désertion vers la Prusse ? celle du jeu éclairé à la chandelle ? Je reprendrai juste celle de la bataille :

Avec le temps, j’ai compris que je ne parviendrai jamais à ressentir de sympathie pour les personnages : Barry est un amoureux déçu, qui a perdu toutes ses illusions et qui devient une crapule qu’on souhaite tout de même voir arriver à ses fins.

Quasiment tous les autres personnages sont lâches, hypocrites, menteurs, et même les bons laissent indifférents, comme lorsqu’on lit les Liaisons dangereuses, et qu’on se surprend à préférer la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, tout odieux et machiavéliques qu’ils soient, face à la niaiserie et à la candeur de tous les autres.

J’ai appris à apprécier la composition des scènes, la magnifique photographie, et le soin accordé à chaque détail.

Toujours maintenant, j’ai plaisir à voir et revoir Barry Lyndon, il reste mon Kubrick indétrônable… et après de longues recherches, des années de disette où elle n’était plus disponible, j’ai enfin remis la main sur la bande originale, qui reprend sa place dans mon atmosphère musicale.

Et pourtant, il y aura certainement des articles à venir où j’évoquerai des souvenirs cinématographiques qui m’auront marquée tout autant que Barry Lyndon.

Mais je repense à cet article de François Truffaut sur Isabelle Adjani :

Je dis parfois à Isabelle Adjani : « Notre vie est un mur, chaque film est une pierre. » Elle me fait toujours la même réponse : « Ce n’est pas vrai, chaque film est le mur. »

À très bientôt !

Cycle Truffaut. Chapitre 6 : Truffaut à la Cinémathèque

Nous arrivons quasiment au terme de notre voyage à travers la vie et l’oeuvre de François Truffaut.

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Durant ce cycle, j’ai exploré les écrits du cinéaste, la manière dont sa vie et son oeuvre s’enrichissaient constamment de documents, et continuaient, encore aujourd’hui, de se développer sous la plume de spécialistes et d’amoureux du cinéma.

J’ai évoqué les biographies et les témoignages qui lui sont consacrés, et les ouvrages documentaires qui se penchent sur ses films.

À présent, voici quelques impressions suscitées par l’exposition que la Cinémathèque française consacre à Truffaut, à l’occasion des trente ans de sa disparition.

Promenade au coeur de l’exposition Truffaut

Voici les quelques souvenirs qui me restent de cette visite… Je m’excuse par avance pour la qualité des photos, prises avec mon smartphone.

La première chose qui frappe lorsque l’on pénètre dans cette exposition, c’est la musique. Le visiteur est d’emblée accueilli par les notes du « Grand Choral », issu de la bande originale de La Nuit américaine.

Quelques photos, quelques archives. On se retourne, et l’on découvre un couloir dans lequel sont exposés des documents issus de l’enfance et de l’adolescence de Truffaut : photographies familiales, carnets de cinéphile dans lesquels Truffaut notait les films qu’il allait voir et le nombre de fois qu’il les voyait.

Le détail qui n’échappera pas au truffaldien converti, c’est, dans l’embrasure d’une porte, un cartable en cuir. Le ton est donné : école buissonnière, clandestinité, Antoine Doinel, Les Quatre cents coups.

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Les images des Quatre cents coups défilent d’ailleurs sur un écran. On retrouve les premiers textes critiques de Truffaut. Un mur entier de couvertures des Cahiers du cinéma. Une machine à écrire.

L’avantage et l’inconvénient des expositions de la Cinémathèque se retrouvent ici, aucune salle n’est séparée complètement de la suivante. On entend la musique de La Nuit américaine en regardant des images des Quatre cents coups, celle de La Femme d’à côté en suivant la suite des aventures d’Antoine Doinel. Et après tout, tout se mélange, pourquoi pas ?

Dans un angle, des archives, des photos, des affiches, retracent toute la maturité d’Antoine Doinel, depuis Antoine et Colette jusqu’à L’Amour en fuite. Le visage de Marie-France Pisier, de garçonne, se transforme peu à peu. Celui de Jean-Pierre Léaud change à peine.

Le plus émouvant, et le plus beau de cette exposition, c’est la reconstitution du bureau de Truffaut et de sa maison de production, « Les Films du carrosse », depuis la porte d’entrée :

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jusqu’au bureau lui-même :

On y retrouve la collection de Tour Eiffel de Truffaut, et du même coup, c’est le début des Quatre cents coups qui nous revient, et cette scène incroyable de Vivement dimanche !, où Fanny Ardant assomme un homme à coup de Tour Eiffel… Et puis les livres…

On s’amuse de voir Jeanne Moreau tricher à la course dans Jules et Jim. Dans l’une des salles suivantes, trois écrans se partagent la vedette et nous montrent des extraits de la plupart des films, pèle-mêle, avec les détails obsédants qui reviennent : les étreintes, les jambes des femmes…

Le visiteur se penche sur des documents, à nouveau, qui émeuvent ou font sourire : le visage de Françoise Dorléac, l’épitaphe manquée de La Femme d’à côté « Ni avec toi, ni sans toi », la couverture du livre de Bertrand Morane, L’Homme qui aimait les femmes.

Dans un coin, il peut apercevoir la robe de Catherine Deneuve dans Le Dernier métro :

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Il parcourt encore quelques salles : une spectaculaire salle d’archives aux classeurs bleus, dans laquelle on peut retrouver des photographies de plateau, et des témoignages des collaborateurs de Truffaut.

Dans une petite salle, à peine un recoin, il peut voir et entendre les musiques de films de Truffaut. Dans une autre, quelques extraits de L’Enfant sauvage et de L’Argent de poche, films dédiés à l’enfance. La presque fin du voyage, c’est la salle « internationale » : Truffaut recevant l’oscar pour La Nuit américaine, Truffaut célébrant Hitchcock, Truffaut tournant en Angleterre Fahrenheit 451 :

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Truffaut acteur pour Spielberg dans Rencontres du troisième type. Je mélange sans doute un peu les souvenirs et les salles… je suis allée voir cette exposition le 8 octobre, mais je prendrai soin de corriger, à l’occasion d’une prochaine visite, ce qui est ressurgi pèle-mêle, et en désordre (ou presque), de ma mémoire.

La dernière salle est une salle de projection où de jeunes acteurs s’essayent à la pose truffaldienne.

À l’occasion de cette exposition, la Cinémathèque propose l’intégrale des films de Truffaut, un coffret de CD rassemblant l’ensemble des musiques de ses films (un vrai bijou que je vous recommande) et un catalogue d’exposition à la hauteur de l’événement !

Quelques mots sur le catalogue d’exposition

Ce catalogue, François Truffaut, a été publié par La Cinémathèque française et les éditions Flammarion le 8 octobre.

catalogue d'exposition truffaut

Sous la direction de Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque (et également co-auteur de la biographie de Truffaut que j’ai déjà mentionnée), l’ouvrage rassemble non seulement une très riche iconographie, mais également des témoignages des proches collaborateurs de Truffaut.

Cette iconographie reprend largement les documents présents dans l’exposition : archives, lettres, télégrammes, scénarios annotés, photographies de tournage et promotionnelles.

Le livre s’ouvre sur trois textes, de Serge Toubiana, de Bernard Benoliel et de Karine Mauduit, qui éclairent différents aspects de la personnalité de Truffaut, et en quoi cette personnalité rend possible l’exposition de la Cinémathèque qui lui rend aujourd’hui hommage (le texte de Karine Mauduit revient notamment sur l’obsession « archiviste » de Truffaut).

Puis le lecteur suit l’itinéraire de Truffaut, de l’enfance jusqu’aux passions amoureuses qu’il a immortalisées sur l’écran, en passant par sa période critique, la Nouvelle vague, et le personnage d’Antoine Doinel, le tout de manière principalement iconographique.

Pour les témoignages, l’ouvrage est organisé de manière à restituer la fabrication d’un film / des films de Truffaut : l’écriture, d’abord, avec ses scénaristes (Jean Gruault et Claude de Givray) et un article de Carole Le Berre revenant sur le travail écrit préparatoire à chaque film.

nuit américaine

Puis vient le tournage, avec Pierre-William Glenn, directeur de la photographie, et Jean-François Stévenin, qui fut d’abord stagiaire, puis second assistant, avant de devenir acteur.

Après le tournage, le montage du film, avec Martine Barraqué et Yann Dedet, monteurs de Truffaut, et la musique, avec un bel article qui fait la rétrospective de l’utilisation de la musique – celle de Delerue, celle de Herrmann, celle de Duhamel, celle de Jaubert – dans les films de Truffaut, rétrospective orchestrée par François Porcile.

Enfin on en arrive à la promotion du film, avec le témoignage de Jean-Louis Livi, ancien agent de Truffaut, et de Martine Marignac, son ancienne attachée de presse.

entretiens hitch truffaut

Mais ce qui reste, pour moi, le plus émouvant, ce sont les deux derniers textes de ce catalogue. Le premier, dédié à Madeleine Morgenstern, se consacre à « L’amie américaine » de Truffaut, Helen Scott, et permet d’en apprendre plus sur cette personnalité fascinante, qui a participé à la naissance des entretiens Hitchcock / Truffaut et à la reconnaissance du cinéma français de la Nouvelle vague aux États-Unis. Sont retranscrits certaines des lettres échangées avec Truffaut, pleines d’humour et de tendresse.

Le second texte est celui de Jérôme Tonnerre, auteur du Petit voisin, ouvrage que j’ai déjà évoqué précédemment. « Fatalement dimanche », texte intriguant, où l’émotion affleure à chaque mot et déconcerte tout autant qu’elle bouleverse, entraîne le lecteur à imaginer un Truffaut toujours vivant qui aurait continué à réaliser des films…

la chambre verte

Curieux texte d’un cinéfils qui n’a jamais voulu accepter, à la manière de Julien Davenne dans La Chambre verte, la disparition il y a trente ans de François Truffaut. Et finalement, pourquoi curieux ? N’est-ce pas plutôt l’évidence même, puisque nous non plus, tous ceux qui aiment Truffaut et son cinéma, nous ne l’acceptons pas.

Que nous l’ayons connu ou non ne change rien, ne le dit-il pas lui-même dans cette même Chambre verte ? « Nos morts peuvent continuer à vivre ». Il en est le plus bel exemple.

Les femmes, le spectacle, le cinéma… 3 films

Voici pour finir ce cycle Truffaut, trois films (qui comptent parmi mes préférés), trois films qui célèbrent, de quelque manière que ce soit, l’amour sous toutes ses formes : l’amour des femmes, l’amour d’une femme qui hésite entre deux hommes, et l’amour du cinéma.

  • L’Homme qui aimait les femmes (1977). L’un des alter-ego de Truffaut, magistralement interprété par Charles Denner. Le film raconte l’obsession répétée et croissante d’un homme pour les jambes des femmes, et perpétuellement lancé à leur poursuite. Mes scènes préférées : toutes les scènes de son enfance, les retrouvailles émouvantes avec Leslie Caron, et toute la fabrication de son livre, secondée par Brigitte Fossey.
  • Le Dernier métro (1980). Film récompensé par 10 Césars. Sous l’Occupation, Marion Steiner (Catherine Deneuve) est prête à tout pour faire vivre son théâtre, le Théâtre Montmartre et sauver son mari, juif allemand dissimulé dans la cave, sous la scène. Elle décide d’engager Bernard Granger (Gérard Depardieu), pour le premier rôle de la pièce préparée par la troupe, « La Disparue ».
  • La Nuit américaine (1973). J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce film dans un précédent article, et à de nombreuses reprises sur ce blog. Un film magnifique dédié à l’amour du cinéma, et qui reste, indubitablement, mon préféré de François Truffaut. C’est donc sur les images de La Nuit américaine que se referme ce cycle.

Le dragon de la cinémathèque

En ce moment a lieu à la Cinémathèque française, une exposition consacrée à Henri Langlois, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance.

Source : Cinémathèque française

Source : Cinémathèque française

Henri Langlois est l’homme qui a fondé la Cinémathèque française en 1936 et, comme j’ai déjà eu l’occasion de le mentionner, le premier qui a eu l’idée de rassembler dans un même espace le film et le non-film (archives, costumes, affiches, ouvrages sur le cinéma).

Personnalité incontournable du cinéma – Cocteau le compare à un dragon gardien de ses trésors – Henri Langlois est également quelqu’un de fascinant du point de vue documentaire, ce qui se révèle à la fois dans ses écrits et dans cette exposition présentée jusqu’au 3 août 2014.

Les écrits de Langlois

À cette occasion, les écrits de Langlois ont été compilés dans un ouvrage intitulé Écrits de cinéma, publié en avril 2014 aux éditions Flammarion.

Source : Decitre

Source : Decitre

Cet ouvrage réunit près de 800 pages de textes, présentés et annotés par Bernard Benoliel et Bernard Eisenschitz, en collaboration avec la Cinémathèque et le ministère de la culture, et sous la direction d’un comité d’honneur pour le centenaire Henri Langlois. Il est préfacé par le cinéaste Costa-Gavras, président de la Cinémathèque. Suit un avant-propos des deux personnes ayant réuni les textes.

Les textes ne s’embarrassent pas toujours de la chronologie. L’ouvrage s’ouvre sur un entretien d’Henri Langlois avec Éric Rohmer et Michel Mardore pour les Cahiers du cinéma, publié en 1962. Suivent les « cahiers de jeunesse » de Langlois, poésies, textes autobiographiques, et premières critiques de films.

Les textes suivants accompagnent la « Naissance et vie de la Cinémathèque », font le panorama de vingt-cinq ans de cinéma entre 1936 et 1956, avec plusieurs hommages à des cinéastes. Trois textes rendent hommage à des figures clefs du cinéma et de la critique : André Bazin, Paul-Auguste Hardé et Georges Sadoul.

Enfin, « Cinéma d’ici et d’ailleurs » revient sur l’histoire du cinéma sous diverses formes : panoramas historiques ou géographiques, portraits de cinéastes et de comédiens, critiques de films. Un dernier chapitre est consacré aux textes publiés après 1968 et l’Affaire Langlois, et avant sa disparition en 1977.

L’importance du « commentaire » au cinéma

Contrairement à ce que pensent certains esprits étriqués qui ne supportent pas qu’un ouvrage sur le cinéma se consacre à autre chose qu’au film en lui-même, Henri Langlois se révèle, aussi bien dans ses écrits que durant cette exposition, comme l’être qui manie le mieux la comparaison, la rêverie sur le film, le pont entre deux films, entre deux cultures cinématographiques, entre deux arts.

Langlois

Pour lui, le cinéma est l’art par excellence du vingtième siècle, et c’est en cela qu’il l’associe, toujours dans un esprit poétique et « touche à tout », à toutes les autres formes d’art – peinture, musique, littérature – que ce soit à travers une programmation, dans un écrit personnel ou voué à la publication, ou dans le déroulement et la présentation d’une des expositions qu’il organisait au Musée du cinéma.

Bien entendu, le film reste la matière première, indispensable à l’amour porté au cinéma et à la transmission de cet amour. Mais pour Langlois, tout fait document. Tout aide à la compréhension du film, et c’est pour cette raison qu’il faut tout conserver. Selon lui, dès qu’une cinémathèque décide de sélectionner ce qu’elle conserve, elle fait oeuvre de vandalisme envers l’art cinématographique tout entier.

Si la Cinémathèque française faisait une sélection, où irions-nous ?

Comme la Bibliothèque nationale, nous prenons tout ce qu’on nous offre.

Nous ne sommes pas Dieu, nous n’avons pas le droit de croire à notre infaillibilité, et, d’ailleurs, d’après quel critère ?

Il y a l’art et il y a le document. (p.43)

Langlois, personnalité documentaire

À la lumière de cette lecture, et lors de la visite de l’exposition, j’ai pu explorer davantage l’univers documentaire de Langlois, tel que je le connaissais déjà – j’avais travaillé sur le non-film dans les bibliothèques spécialisées durant mon Master – mais j’ai fait aussi quelques belles découvertes.

De connu, il y avait d’abord cette volonté de « tout garder, tout montrer ». Les documentalistes connaissent la classification à facettes de Ranganathan, bibliothécaire indien, également connu pour avoir édicté cinq lois de bibliothéconomie, dont la dernière est : « Une bibliothèque est un organisme en développement ».

Il est intéressant de constater qu’Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque, avait édicté une loi quasi similaire pour le domaine du cinéma : « Une cinémathèque ne doit pas être un cimetière ». On doit y voir vivre les films, à travers toute sorte d’actions et de manifestations dévolues à cette institution.

Dans un texte intitulé « Pour une Cinémathèque française idéale », daté de 1941, Langlois fait l’énumération de ces actions : d’un côté les archives, de l’autre la diffusion.

Dans les archives, on retrouve les photos, les documents (scénarios, matériels de publicités, partitions de musique, correspondances), les documents filmés, des fichiers de classifications, la documentation journalistique et technique, ainsi que la bibliothèque :

Revues cinématographiques de tous pays. Livres sur le cinéma de tous pays. Catalogues et prospectus commerciaux de tous pays. Livres et articles manuscrits. Conférences imprimées, manuscrits ou dactylographiées.

La partie « diffusion » comporte aussi bien les expositions permanentes et temporaires du musée du cinéma, les projections, et une « bibliothèque publique sur le cinéma ».

Enfin, ce qui m’a fascinée dans l’exposition, et ce qui est directement liée à la vision de cette cinémathèque multiforme qui doit tout conserver et tout montrer, ce sont les dessins de Langlois, présentés dans le livre comme des « sortes d’organigrammes fantastiques (avec) la Cinémathèque en (leur) centre, véritable système solaire en expansion autour duquel gravite tout un monde de satellites à son service : bibliothèques, écoles, archives et cinémathèques étrangères. »

Source : http://www.telerama.fr/livre/ce-que-cachent-les-dessins-des-genies,68936.php

Source : http://www.telerama.fr/livre/ce-que-cachent-les-dessins-des-genies,68936.php

Ces dessins, pour moi, ce sont ni plus ni moins des cartes heuristiques ou des nuages de tags, destinés à synthétiser l’idée de la Cinémathèque tout en rendant compte de la profusion d’amour porté par Langlois au cinéma.

Un amoureux du cinéma

Dans sa préface, Costa-Gavras fait ainsi le portrait de Langlois :

Langlois n’était pas un critique de cinéma, il livrait au lecteur son plaisir à avoir vu, à avoir aimé un film. Et il essayait, en écrivant comme en projetant, de faire aimer le film à d’autres, ce qui touchait à l’essence même de sa vie : montrer à tout prix, collectionner pour montrer. (…) Avant tout, il y avait les films : pas le fétichisme du film, de ce qui accompagne les films, mais ce qui fait qu’ils sont, que ce soit l’écriture, les costumes, les accessoires… tout ce qui compose un film. C’est par là qu’il avait su toucher profondément à l’idée, non de la cinéphilie, mais de l’amour du cinéma. (p.22)

C’est cela qui transparait complètement lorsque l’on parcourt les textes de Langlois, aussi bien les écrits sur la Cinémathèque et sur les films, que les textes autobiographiques et personnels. On y trouve, omniprésents, un enthousiasme, une passion, quelque chose d’emporté, de fou, et d’incroyablement poétique – certaines critiques d’ailleurs sont écrites sous forme de prose poétique.

Heureux le cinéma qui m’a donné le don de la couleur et du mouvement, sans lui quelle place aurais-je à cette composition ? (p.65)

(…) le cinéma, cette force qui vous arrache à la banalité, ce songe que l’on fait tout éveillé, cette boîte à rêves, comme je l’appelle, qui est le plus puissant plaisir de l’imagination et du coeur (p.96)

Le cinéma est la synthèse des arts : arts plastique, dramatique, musical. (…) Le cinéma est ainsi l’équivalent de notre mémoire pour le cosmos. (p.207)

Dans ses critiques de films et dans ses portraits, Langlois se montre tout aussi passionné : les films qu’il évoque sont souvent grandioses, comme jamais on n’en avait vu avant, il les encense et prend souvent le lecteur à parti, pour lui faire partager cette adhésion totale et contagieuse.

Ses portraits sont, quant à eux, fourmillants de comparaisons aux autres arts : René Clair est comparé à Giotto et à Picasso, Visconti à Stendhal, Rossellini à Rembrandt, et l’historien du cinéma Georges Sadoul, à Champollion, Livingstone et Cuvier. Enfin, voilà quelques mots d’un portait de Chaplin :

Avec Chaplin, toutes les hyperboles deviennent lieu commun. Un mot suffit à définir sa place : il personnifie depuis plus de quarante ans le cinéma, il est la constante qui témoigne de l’universalité de cet art, il s’identifie si bien avec son langage qu’il défie la mode et le temps. (p.578)

Sous sa plume, tout est cinéma, chaque réalisateur, chaque film, chaque comédien devient le réceptacle de ce qu’est le cinéma, et son meilleur témoignage. Garbo est le cinéma, Sadoul est le cinéma, Stroheim est le cinéma, Chaplin est le cinéma. Car Henri Langlois « pense cinéma, voit cinéma, (son) imagination est cinéma ».

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Il n’est donc pas étonnant que la cinémathèque soit le cinéma, et que le cinéma soit cinémathèque.

Pour compléter…

  • le catalogue de l’exposition Henri Langlois, Le Musée imaginaire d’Henri Langlois, sous la direction de Dominique Païni, coédité par la Cinémathèque et les éditions Flammarion ;
  • L’Histoire de la Cinémathèque française, par Laurent Mannoni, publiée en 2006 aux éditions Gallimard ;
  • Toute la mémoire du monde, rapport de Serge Toubiana publié en 2003 et disponible ici en format PDF ;
  • La Cinéphilie, d’Antoine de Baecque, publiée aux éditions Hachette (réédition 2013) collection Pluriel Arts ;
  • le film documentaire Le fantôme d’Henri Langlois, sorti en 2004, réalisé par son dernier assistant Jacques Richard

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