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Étoiles (éphémères) du cinéma muet

Il y a environ un an, j’ai publié un article sur un ouvrage très sympathique, Tartes à la crème et coups de pied aux fesses : Le Cinéma comique américain. Vol. 1 : Les années flamboyantes du court-métrage.

Tartes à la crème

En effet, malgré le titre interminable, l’auteur, Enrico Giacovelli, entraînait le lecteur dans un univers submergé d’humour et de mélancolie, et que n’aurait raté pour rien au monde un archéologue, amateur ou chevronné, du cinéma. Mieux, il faisait revivre sous nous yeux, et sans même avoir besoin de les voir, les films et les visages des pionniers du septième art.

J’avais, certes, émis quelques réserves : cet auteur, qui avait imaginé un panorama du cinéma comique en plusieurs volumes, et dont, à l’époque, uniquement le premier était paru, prenait un malin plaisir à nous ménager des effets d’annonces, à nous mettre en appétit.

Ce premier volume n’était qu’un hors d’oeuvre, et tant pis pour nous, si nous devions attendre patiemment la suite du menu. Cela allait de la petite allusion « Nous en reparlerons plus en détail dans le volume suivant »… à un encadré « Coming soon » énumérant la suite des aventures.

Il n’empêche que j’ai bel et bien sauté sur le deuxième volume, dès que j’ai eu vent de sa parution, et que je suis désormais forcée d’en convenir : cette publication par étapes et par effets d’annonce est admirablement bien orchestrée. Il m’a bien eue, Enrico Giacovelli.

L’objet du délit

Qu’avait-il donc de si alléchant, ce Volume 2, paru en janvier 2014 aux éditions Gremese ? Certes, toujours un titre à rallonge ! Le Silence est d’or : Le Cinéma comique américain. Vol. 2 : Les folles années vingt et le triomphe du long métrage. La même mise en page soignée et abondamment illustrée, ce qui apporte un véritable plaisir de lecture, tant dans la forme que dans le fond.

Le silence est d'or

En effet, voici les petits plus de ce volume 2, au niveau de la structure. Déjà, pour ceux qui auraient loupé le volume 1, pas de souci, l’auteur ne vous laisse pas le bec dans l’eau. L’ouvrage s’ouvre ainsi : « Le premier volume en 3 pages et 9 photographies ». On serait en train de visionner la nouvelle saison d’une série, le réalisateur ne s’y prendrait pas autrement : « Dans l’épisode précédent… »

Dans ce résumé en images, le lecteur est confronté aux figures principales qu’il retrouvera – dont il suivra la suite de la carrière – dans le volume 2 : Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd.

Il consacre ensuite un chapitre à quelques figures oubliées du court-métrage, et qui ne figuraient pas dans son premier volume : comiques qui émergeaient le plus souvent grâce à un signe distinctif (moustache, strabisme, boucle de cheveux), imitateurs masculins et féminins de Charlot, enfants et animaux ayant connu une brève heure de gloire au sein de cette industrie florissante.

Il ne pourrait y avoir de meilleure suite, après avoir parlé des enfants et des animaux, que d’aborder les débuts des dessins animés. Quelques pages leur sont donc dédiées, où la seule figure que j’ai malheureusement pu reconnaître, c’est celle de Félix le chat (mais quelle mise en appétit, lorsque l’on s’attarde sur le plan des volumes suivants et que l’on y reconnaît Disney, les cartoons et Tex Avery, entre autres) :

Après cette introduction et ces deux chapitres qui assistent à la fin d’un monde et à la naissance d’un autre, nous entrons dans le vif du sujet, et chacun des chapitres qui va suivre sera consacré à un comique (ou un groupe de comiques) en particulier.

Le premier d’entre eux est un comique oublié, captivé visiblement par les oeufs et les voitures, et qui cherchera à créer un univers délirant proche des cartoons, Charley Bowers. C’est l’un de ces météores du cinéma muet, qui a dû inspirer à Paul Auster son Livre des illusions, et qui n’est qu’un exemple parmi d’autres de la mort artistique provoqué par l’émergence du parlant et par le système hollywoodien :

Charley Bowers mourut oublié de tous en 1946 (…). Pendant près de trente ans, il ne restera aucune mémoire ni aucune trace de ses mondes mixtes, de ses inventions géniales et vaines, de ses petits films que l’on peut aujourd’hui définir comme un mélange de Méliès, Starewitz, Dali, Terry Gilliam et Tim Burton, agrémenté d’une touche à la Buster Keaton et à la Tex Avery.

Que de promesses ! Et quel sentiment d’injustice, auquel, malgré lui, participe le lecteur. Car, il faut bien l’avouer, si l’on parcourt ce livre avec autant de plaisir, c’est aussi pour des retrouvailles avec des figures et des films que l’industrie du cinéma, et le temps, auront plus ou moins épargnés : Max Linder, Harold Llyod, Harry Langdon, mais surtout Buster Keaton, Charlie Chaplin et Laurel et Hardy.

Chaplin et Keaton

Déjà abordés dans le premier volume, on retrouve Buster Keaton et Charlie Chaplin au sommet de leur gloire, l’un réalisant Sherlock Jr et Le Mécano de la Générale :

l’autre The Kid, La Ruée vers l’or et Le Cirque :

Les pages consacrées à Buster Keaton sont d’ailleurs l’occasion d’une confrontation avec Chaplin :

Le comique de Keaton naît de l’indifférence, de la non-participation émotive, de son regard neutre sur le monde des hommes et des objets. La vie n’est pas une émanation de l’esprit mais un fait mécanique. Ou courir ou mourir. Après que l’on a vu un film de Keaton, c’est notre intelligence qui est touchée, pas notre coeur. (…)

On est évidemment aux antipodes de Chaplin (…) Charlot lutte contre la société pour affirmer son individualisme, les droits sacro-saints de tout être humain ; Keaton utilise l’individualisme pour s’intégrer dans la société (…). Charlot peut être quiconque et partout, un paria sur les bords du Gange, un misérable dans les bas-fonds de Londres, un chien errant parmi les noirs du Bronx. Pour être Keaton et triompher comme lui sur le monde, il faut s’être échauffé les muscles, avoir un physique enviable et une bonne étoile.

Ces quelques lignes nous préparent à la lecture du volume suivant, où Chaplin s’adaptera aux exigences du parlant – ou plutôt exigera du parlant qu’il s’adapte à lui, Chaplin – et où la voix de Keaton, quasi-inexistante, sombrera dans l’absence, exception faite des quelques apparitions à l’écran qu’il fera, toujours en tant qu’ancien comique muet, dans Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, et dans Les Feux de la rampe, dirigé par Chaplin.

Outre les comiques que nous avons découverts dans le premier volume, et dont l’auteur abordera la suite de la carrière ou le déclin, avec le cinéma parlant, dans le 3e volume, nous assistons ici à la rencontre d’un couple explosif : Laurel et Hardy.  Enrico Giacovelli revient sur les carrières solo de Stan Laurel et Oliver Hardy, puis sur les circonstances de leur rencontre, et enfin sur l’élaboration progressive de leurs personnages et de leurs personnalités.

Laurel et Hardy Sources : Wikipédia

Laurel et Hardy
Sources : Wikipédia

Enfin, l’ouvrage s’attarde dans un dernier chapitre, « Slapstick Babylonia : la fin des jeux », sur les disparitions prématurées et les scandales, qui ont fait sombrer dans l’oubli certains des comiques que le premier et ce second volumes nous ont fait connaître :

  • Max Linder, qui se suicide avec sa femme en 1925 ;
  • Mabel Normand, minée par les scandales, la drogue et la tuberculose, qui disparait à 36 ans ;
  • Fatty Arbuckle – le comique fauché en pleine gloire par un mystérieux scandale, dans le premier volume – accusé de viol et de meurtre, et qui ne se relèvera jamais de ce scandale.

On se croirait dans un film noir qui reconstituerait cette époque, où pour le public, vie privée et vie publique des stars doivent nécessairement se confondre sous peine d’être condamnées, et où la presse est déjà toute puissante à faire ou à défaire une carrière.

Les atouts indéniables de ce deuxième opus

Outre le ton toujours teinté de mélancolie, Le Silence est d’or prend indéniablement son envol, par rapport au premier volume. Agréable à lire, chaque chapitre est introduit par une petite citation littéraire ou cinématographique. Celui sur Chaplin :

Le cas de Charlie Chaplin évoque celui de Molière, mais Molière devint très ennuyeux dans ses dernières productions royales et l’on a l’impression que Charlie Chaplin, évoluant d’une façon vertigineuse, ne sera jamais ennuyeux. Tout au plus, doit-on s’attendre à ce qu’il fasse quelque chose de tragique.

Louis Delluc, Charlie Chaplin. 1921

Enfin, le caractère absolument interactif de l’ouvrage, tient à un petit encart en quatrième de couverture : « Lis le livre, regarde les films ! Toutes les explications à l’intérieur de ce volume ».

Et voilà le coup de génie ! Relier le livre à une chaîne YouTube. C’est ni plus ni moins ce que propose l’auteur, juste après la page de garde. Au fur et à mesure de sa lecture, le lecteur peut se reporter aux extraits de films muets proposés par Enrico Giacovelli, selon une structure qui respecte parfaitement celle de ses ouvrages.

La communication sur cette chaîne YouTube est excellente, puisqu’elle utilise non seulement le support du livre (quatrième de couverture et encart), mais encourage également le lecteur à aller chercher cette chaîne directement sur Google ou sur le site de l’éditeur, Gremese.

On peut d’ailleurs voir sur cette chaîne, d’ores et déjà, les vidéos mises en ligne en attendant le 3e volume : encore un effet d’annonce, bénéfique, celui-ci. Car, oui, une fois refermé Le Silence est d’or, on n’a qu’une hâte, avoir le volume suivant entre les mains.

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