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Étiquette : Paul Auster

Enquêtes, eaux troubles et cinéma

Encore une fois avec retard, voici le compte-rendu de lecture que j’aurais dû publier en mars. Comme généralement j’attends avec impatience une publication qui retiendra mon attention jusqu’au 15 ou au 20 du mois, lorsque finalement je me retrouve le bec dans l’eau, je fais le tour des publications un peu moins récentes, et parfois – parfois seulement – je trouve quelques pépites…

Adhésion sans conditions

Le choix sur lequel je me suis arrêtée plaira à tous, cinéphiles ou non, tant son intrigue est foisonnante. C’est un roman, pour la deuxième fois de l’année, dans lequel je me suis plongée avec beaucoup plus de plaisir – même si ma lecture a été souvent interrompue, faute de temps – que le roman biographique sur James Dean, dont j’ai fait le compte-rendu en janvier.

Il s’agit de Londres après minuit, d’Augusto Cruz, publié en février 2015 chez Christian Bourgeois.

Londres-après-minuit

Autant le dire tout de suite, ce livre est un véritable coup de cœur : rien n’est à ajouter, rien n’est à enlever. Je ne suis d’ailleurs pas la seule à avoir eu cette réaction à sa lecture, ayant vu circuler avis et critiques dithyrambiques.

J’ai ressenti un vrai bonheur à le lire, principalement parce que l’auteur m’a entraînée et perdue dans une intrigue sans pour autant se moquer de moi. Son histoire, complexe et foisonnante ne cède jamais ni à la facilité, ni au deus ex machina de dernière minute.

Dans un premier temps, et d’une manière quelque peu systématique, je vais lister les nombreuses qualités de cet ouvrage, puis je reviendrai plus en détails sur certaines d’entre elles dans un second temps.

  • L’ouvrage mélange savamment la réalité et la fiction, les personnages ayant réellement existé et des personnages inventés dans une intrigue qui s’étale, si l’on considère les événements rapportés et ceux vécus, sur environ 80 ans ;
  • Le roman est construit comme un roman policier incroyablement efficace, à l’histoire et aux péripéties haletantes, ce qui rend difficile de lâcher le livre lorsqu’on l’a en mains ;
  • Il évoque avec érudition le cinéma d’horreur, de science-fiction et l’univers du film noir, et crée une cinémathèque imaginaire, à moitié réelle, à moitié fantasmée, à couper le souffle pour le cinéphile amateur ou averti ;
  • Il évoque également l’univers du FBI et le personnage de son directeur à la longévité exceptionnelle et à la toute-puissance redoutable, John Edgar Hoover, le lecteur a donc en toile de fond l’histoire des États-Unis, mafia, prohibition, assassinats et chasses aux sorcières compris ;
  • L’intrigue fait voyager le lecteur à Londres (évoqué simplement par le titre du livre), aux États-Unis et au Mexique, en évoquant pour ce dernier un certain nombre de spécialités culinaires et de paysages luxuriants, dépaysement garanti ! ;
  • Enfin – mais je pourrais continuer, en cherchant bien, à allonger cette liste – c’est un livre superbement bien écrit (en tout cas très bien traduit) et d’une qualité rare !

Maintenant que j’espère vous avoir alléché à la perspective de cette lecture, avec cette succession d’arguments tous plus objectifs les uns que les autres, revenons au livre en lui-même.

Londres après minuit : première rencontre

Lorsque j’ai décidé de lire ce livre, je suis partie avec une idée fausse, l’idée que son titre me donnerait le cadre, le contexte, le décor de son intrigue. J’ai imaginé dans ma tête une histoire de cinéma, avec en arrière plan les rues de Londres, le métro, Saint Paul, Hyde Park, les taxis, et une ambiance à la Jack l’éventreur.

Il y a certes une ambiance à la Jack l’éventreur dans ce livre, qu’on doit tout autant à ce que cherche le héros, qu’aux êtres qui le poursuivent et le hantent.

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McKenzie est un ancien agent du FBI, ayant fait partie de la garde rapprochée de Hoover, et ayant recueilli ses dernières confidences. Il est contacté par un collectionneur fantasque, passionné du cinéma d’horreur et de science-fiction, et souffrant des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer, Forrest J. Ackerman. Ce dernier souhaite qu’il retrouve un film muet, Londres après minuit, l’un des films déclarés perdus  et recherché le plus désespérément par les cinéphiles. Cette quête le conduira dans les abysses du cinéma mondial et des studios hollywoodiens aux fin-fonds de la brousse mexicaine.

Ajoutez à cela que tous ceux ayant participé de près ou de loin au tournage du film et à sa mythologie, et tous ceux qui ont eu la chance de le voir, ont également disparu dans des circonstances pour le moins mystérieuses.

Entrainant à leur suite le lecteur, McKenzie et Augusto Cruz tissent une tapisserie sans cesse en péril où se mêlent Nosferatu et Frankenstein, Metropolis et La Momie, Le Grand sommeil et Le Trésor de la Sierra Madre.

Cinéma et roman noir

Quand le cinéma maudit rencontre le roman noir, il suffit que le tout soit bien écrit et bien mené pour que le cocktail soit détonnant ! C’est évidemment le cas pour Londres après minuit.

Le lecteur embarque pour une aventure qui, par ses dédales, n’est pas éloignée d’un film comme Le Grand sommeil, et d’ailleurs, quelle que soit l’époque que le romancier nous restitue, on s’attend à chaque instant à croiser Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Edward G Robinson, Rita Hayworth, ou Orson Welles.

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Quelques éléments de l’intrigue restent dans l’ombre… le lecteur n’aura jamais de réponses à certaines de ses interrogations. Je ne dirai pas lesquelles.

Tout se bouscule, les personnages de détectives privés, leur cigarette et leur borsalino, les monstres et les serial killers à l’ancienne.

Lorsque je lis un roman, et d’autant plus lorsque ce dernier évoque le cinéma, je m’attends à quelque chose de foisonnant, de mystérieux, tout en plis et en replis, et le plus souvent, c’est le roman noir qui y excelle et m’apporte le plus de satisfaction.

J’avais déjà évoqué dans plusieurs articles le roman que je place au panthéon de l’évocation cinéphile et de l’intrigue policière : Le Livre des illusions, de Paul Auster. Il y a aussi L’Homme intérieur, de Jonathan Rabb, un roman noir qui vous plonge dans le cinéma allemand des années 30, avec parmi la grande galerie de personnages fictifs et réels, Fritz Lang.

Mais parmi mes lectures cinéphiles et mes autres lectures, dernièrement, aucune ne m’a apporté autant de plaisir que celle de Londres après minuit.

Une ode au cinéma

Je ne chercherai pas ici à démêler l’habile tissage de l’auteur entre le vrai et le faux, l’imaginaire et la réalité, les événements ayant réellement survenus et ceux propres à l’intrigue. N’est-ce pas le propre de toute fiction, et en particulier du cinéma, de vouloir nous faire croire à une invention et de faire de la réalité une illusion ?

Cependant un scénariste et un cinéaste seraient bien en peine s’ils devaient adapter cette histoire à l’écran, et il est vain pour moi de tenter de la résumer.

L’auteur alterne l’histoire présente et les flashbacks, l’intrigue policière et l’évocation cinéphile, d’un chapitre à l’autre. Mais à chaque instant où le cinéma revient au premier plan, c’est avec la même magie, et une passion inaltérable.

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Certes, c’est le cinéma d’horreur qui reste omniprésent dans toute cette affaire, Londres après minuit étant un film d’horreur disparu. Des créatures surgissent et hantent les lieux comme il se doit : celles déjà évoquées de Frankenstein et de Nosferatu, celles qui les ont incarnés comme Bela Lugosi et Boris Karloff, celles du robot de Metropolis et du gorille de King Kong. Monstres presque humains qui passent de l’écran au monde réel, et qui côtoient les humains monstrueux – ou presque – que rencontre le héros.

Si j’ai déjà évoqué cette atmosphère du film noir qui rappelle l’intrigue si particulière du Grand Sommeil, sous la caméra de Howard Hawks, c’est toute une galerie de films et de personnages que le lecteur, s’il est un cinéphile averti, reconnaîtra : les films de John Huston, Le Trésor de la Sierra Madre, Key Largo, Les Désaxés, mais aussi Boulevard du crépuscule, La Comtesse aux pieds nus, Les Passagers de la nuit, tous ces films avec Bogart et Bacall, et plus généralement, tout ce cinéma des années 50, tous les Hitchcock, et pour finir, tout le cinéma depuis les premiers temps du muet jusqu’aux déclins des studios.

Collectionner : redonner vie aux objets

Enfin, la dernière chose que j’évoquerai de ce livre, mais non la moindre, sera celle qui parlera peut-être aux documentalistes, en tout cas à tous ceux qui se prennent de passion – pas toujours documentalistes donc – pour collectionner, trier, archiver et recenser tout le savoir et tous les trésors de l’humanité (à l’heure où certains s’emploient, quant à eux, à détruire les vestiges de la civilisation) : archéologues, conservateurs, chercheurs, ou simples curieux.

Citizen Kane

Le livre abonde de ces personnages obsédés rien qu’à l’idée d’acquérir, pour le mal ou pour le bien, une œuvre unique, de rassembler ce savoir en un lieu lui aussi unique et d’en donner ou d’en interdire l’accès. Des êtres semblables au Charles Foster Kane du Citizen Kane d’Orson Welles (encore une évocation cinéphile) ou à Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, auquel j’avais consacré un article il y a quelques mois.

Au premier rang de ces personnages figure le collectionneur Forrest Ackerman, qui charge McKenzie de son enquête. Citer quelques lignes le mettant en scène permettra de donner une idée du cinéma et du collectionneur dans ce livre, et de rendre hommage à la qualité de ce roman. Voici donc l’incipit de ce texte :

Forrest Ackerman vivait pour les monstres et certains d’entre eux, les plus légendaires, survivaient grâce à lui. (…) Dans son dos s’empilaient des tours de DVD, de beta vidéo-cassettes et de VHS, de films super 8 ou de 16 mm et de boîtes en fer-blanc dans lesquelles il rangeait des négatifs. Chaque centimètre de mur était recouvert de photos où des dinosaures, des extraterrestres et d’autres êtres étranges l’étreignaient et saluaient avec enthousiasme l’appareil. Les rayonnages, bourrés de livres, menaçaient à tout moment de s’écrouler tandis que trois meubles pour archives qu’il était impossible de fermer semblaient prêts à cracher de leurs entrailles des centaines de documents : si les monstres logés dans son bureau ne l’avalaient pas, ce seraient sans doute ces montagnes de papier qui le feraient.

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Que vous soyez profs docs, bibliothécaire, cinéphile, simplement curieux, humaniste exaltant avec ferveur le savoir et la mémoire des civilisations, ou juste adepte des intrigues policières à couper le souffle, Londres après minuit est fait pour vous. Il est, à sa mesure, l’équivalent du Nom de la rose d’Umberto Eco, avec la même érudition, le même suspense qui se mérite et qui se donne, et le même amour de l’art, qu’il provienne d’une bibliothèque du Moyen-âge ou de l’arrière-salle d’un cinéma.

Hors-série n°2 : les romans font leur cinéma

Première partie.

Cet hors-série aurait également pu s’appeler : que mettre dans votre liseuse ou votre sac de plage ? Quels romans évoquent le mieux l’univers du cinéma ? Le septième art étant l’un des plus jeunes, les romans – et plus généralement les écrits – qui y font référence ne pourront remonter qu’au début du vingtième siècle. Je n’en ferai pas pour autant une liste chronologique.

Certains évoquent le cinéma en impressionnistes, par légères touches, qui se fondent dans le décor du roman : le septième art n’est qu’un imaginaire collectif, un nouveau divertissement soudain apparu, et qui suscite une nouvelle culture, de nouvelles richesses, de nouvelles habitudes. Les auteurs de ces oeuvres ont assisté, parfois à l’apparition, souvent à la jeunesse de ce divertissement d’abord méprisé avant d’être accepté.

D’autres font du cinéma leur personnage central… ou si ce n’est le cinéma en lui-même, en tout cas est-ce l’une ou l’autre de ses créatures : comédiens, réalisateurs, critiques ou simples spectateurs. Si bien que l’on retrouve dans le texte l’une de ces mises en abyme propres au cinéma : le spectateur n’observe pas le film sur l’écran, il suit au fil de sa lecture le film en train de se faire, étroitement mêlé à l’intrigue du roman.

Voici quelques exemples du cinéma comme décor et comme acteur du roman, sans organisation particulière, si ce n’est une organisation subjective, de mes propres souvenirs de lecture…

Les Mots, Sartre

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Dans ce roman autobiographique où Sartre évoque avec ironie son enfance – fils d’un mort, élevé par un grand-père amoureux des livres, petit génie sans orthographe qui se rêve écrivain – le cinéma apparaît dans sa toute jeunesse, divertissement populaire et spectacle de foire, et comme un plaisir interdit qu’on savoure en cachette :

« Je défie mes contemporains de me citer la date de leur première rencontre avec le cinéma. Nous entrions à l’aveuglette dans un siècle sans traditions qui devait trancher sur les autres par ses mauvaises manières et le nouvel art, l’art roturier, préfigurait notre barbarie. Né dans une caverne de voleurs, rangé par l’administration au nombre des divertissements forains, il avait des façons populacières qui scandalisaient les personnes sérieuses ; c’était le divertissement des femmes et des enfants ; nous l’adorions ma mère et moi, mais nous n’y pensions guère et nous n’en parlions jamais : parle-t-on du pain s’il ne manque pas ? Quand nous nous avisâmes de son existence, il y avait beau temps qu’il était devenu notre principal besoin. »

Après avoir évoqué ce nouvel art populaire, Sartre évoque ce qu’il représente pour lui, enfant. Et ce sont parmi les plus belles lignes jamais écrites dans un roman sur le cinéma, selon moi. C’est d’ailleurs difficile de ne prendre arbitrairement qu’un extrait dédié au septième art, dans cette oeuvre :

« Moi, je voulais voir le film au plus près. Dans l’inconfort égalitaire des salles de quartier, j’avais appris que ce nouvel art était à moi, comme à tous. Nous étions du même âge mental : j’avais sept ans et je savais lire, il en avait douze et ne savait pas parler. On disait qu’il était à ses début, qu’il avait des progrès à faire ; je pensais que nous grandirions ensemble. (…) Inaccessible au sacré, j’adorais la magie : le cinéma,  c’était une apparence suspecte que j’aimais perversement pour ce qui lui manquait encore. Ce ruissellement, c’était tout, ce n’était rien, c’était tout réduit à rien : j’assistais aux délires d’une muraille (…). Du noir et du blanc, je faisais des couleurs imminentes qui résumaient en elles toutes les autres et ne les révélaient qu’à l’initié ; je m’enchantais de voir l’invisible. »

Sartre est l’un de ceux qui est né « avec le cinéma » et qui a écrit sur lui. Il fait partie de ces écrivains qui traversent un siècle et qui en vivent les moindres évolutions. Dans les oeuvres fictives (Les Mandarins) et autobiographiques de Beauvoir (tout le cycle qui va des Mémoires d’une jeune fille rangée à la Cérémonie des adieux), le cinéma apparaît ponctuellement sous la forme d’une rencontre avec un film, un comédien ou un réalisateur. De divertissement populaire, il devient progressivement art à part entière et référence d’une société dont les écrivains sont le reflet.

À l’américaine : Fitzgerald et Walker Percy

Fitzgerald est à la mode en ce moment, grâce ou à cause (chacun son point de vue) de la dernière adaptation de Gatsby le magnifique, avec Leonardo di Caprio. S’il n’évoque pas le cinéma, Gatsby est certainement l’un des plus beaux romans qui existent. Le cinéma a cependant une place importante dans l’oeuvre et la vie de Fitzgerald. Il a été scénariste à Hollywood et le septième art apparaît dans deux de ses romans : Le Dernier nabab et Tendre est la nuit.

tendre est la nuit

Dans Tendre est la nuit, la vie d’un couple fascinant, Dick et Nicole Diver, est vue à travers les yeux d’une jeune comédienne, Rosemary. Cette dernière a été révélée dans un film « Daddy’s girl » et elle fait partie de ces stars des années 20-30 qui se doivent de rester fidèles à leur personnage. Daddy’s girl, c’est la « fille à papa »… tout comme Mary Pickford était la « petite fiancée de l’Amérique », Douglas Fairbanks le panache au masculin, et Rudolph Valentino, la séduction. De cet univers de stars, avec ses exigences, ses fantasmes et ses scandales, nous n’avons que de vagues échos :

« si on laissait les choses suivre leur cours normal, aucune puissance au monde ne pourrait empêcher Rosemary d’être éclaboussée par les retombées de l’affaire. Le scandale Arbuckle n’était pas encore oublié. Elle s’était engagée, par contrat, à rester jusqu’au bout une irréprochable Daddy’s girl. »

Tout cela dans une atmosphère où la frivolité n’est que le masque de la mélancolie et du secret…

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Walker Percy, quant à lui, est l’auteur d’un roman étrange, Le Cinéphile, publié en 1962, où le personnage est le spectateur par excellence et où l’action est un perpétuel ralenti. Comme l’indique la quatrième de couverture, Binx Bolling est une sorte d’Etranger à l’américaine, passionné de cinéma :

« Au-dessus de l’entrée de notre cinéma de quartier, on peut lire en permanence : « Ici, le bonheur ne coûte pas cher ». Et il est vrai que je suis heureux au cinéma, même si le film est mauvais. Beaucoup de gens, je l’ai lu quelque part, passent leur vie à chérir les moments inoubliables de leur passé : la découverte du Parthénon à l’aube, la rencontre, une nuit d’été dans Central Park, d’une belle fille solitaire (…). Moi aussi, un soir j’ai rencontré une fille dans Central Park, mais je n’en conserve pas un très grand souvenir. Ce dont je me souviens par contre, c’est du moment où, dans La Chevauchée fantastique, John Wayne tue trois hommes avec sa carabine, tout en se jetant sur le sol dans la rue poussiéreuse, et de celui où, dans Le Troisième Homme, le petit chat découvre Orson Welles dans l’embrasure d’une porte. »

Policiers et films noirs

Le Miroir se brisa, d’Agatha Christie est l’un des romans policiers qui s’intéresse de près à l’univers du cinéma, aux apparences, aux stars et à leurs failles secrètes. Il met en scène Miss Marple aux prises avec le meurtre d’une secrétaire dans l’entourage d’un couple célèbre, le réalisateur Jason Rudd et la comédienne Marina Gregg. Ce n’est cependant pas la seule fois où Agatha Christie fait apparaître des actrices parmi ses personnages, des femmes excentriques et qui ont généralement beaucoup à cacher. Il y a aussi Arlena Marshall, la victime des Vacances d’Hercule Poirot, et la fabuleuse Mrs Hubbard du Crime de l’Orient-Express, ma préférée, même si je ne sais plus si cela est dû au personnage du roman, ou à l’interprétation qu’en donne Lauren Bacall dans le film de Sidney Lumet.

l'homme intérieur jonathan rabb

L’un des meilleurs policiers que j’ai pu lire avec le cinéma en toile de fonds et en personnage, c’est un roman incroyable, L’Homme intérieurde Jonathan Rabb. L’intrigue se passe à la fin des années 20, à Berlin, où le policier Nikolaï Hoffner est chargé d’enquêter sur la mort d’un des cadres de l’UFA, et dont l’un des principaux suspects n’est autre que le réalisateur Fritz Lang ! Vous l’aurez sans doute compris, l’auteur s’amuse à mêler histoire politique, histoire du cinéma et fiction. C’est prodigieux, bien mené et très prenant. L’atmosphère est étouffante, on y côtoie les bas-fonds de Berlin et les personnalités de l’époque, on déambule dans les quartiers berlinois et les studios de Babelsberg, et les allers-retours entre histoire et invention sont permanents, si bien qu’on s’attendrait presque à croiser, en plus de Fritz Lang, et faisant fi de toute chronologie, le Bogart du Grand sommeil ou les fantômes ressuscités de Boulevard du crépuscule.

Mon préféré : Le livre des illusions, Paul Auster

le livre des illusions auster

C’est un roman que je me souviens avoir lu un été, en vacances. J’ai déjà eu l’occasion de le mentionner. Pour supporter le deuil de sa femme et de ses deux enfants morts dans un accident d’avion, David Zimmer, professeur d’université, décide de se consacrer à l’écriture d’un livre dédié à un cinéaste muet qui a mystérieusement disparu, Hector Mann. Cette entreprise va le conduire de découvertes en nouvelles énigmes, et à l’exploration de tout un univers éphémère, brumeux, toujours entre l’éclat de rire et la grimace, celui du cinéma comique muet.

Qu’Hector Mann soit un personnage fictif importe peu. Paul Auster parvient à nous faire croire qu’il a réellement existé, et qu’il a fait partie de ces étoiles à présent disparues. Il lui a fabriqué un costume, une allure, une panoplie de gags qui rappellent le vagabond de Chaplin ou l’éternel rêveur qu’est Buster Keaton, et même une filmographie, dont il détaille chaque plan !

« Avant le corps, il y a le visage, et avant le visage il y a la mince ligne noire entre le nez et la lèvre supérieure. Filament agité de tics angoissés, corde à sauter métaphysique, fil dansant la chaloupée des émotions, la moustache d’Hector est un sismographe de son état profond et elle ne vous fait pas seulement rire, elle vous indique aussi ce qu’Hector pense, elle vous donne accès à la machinerie de ses pensées. (…) Rien de tout cela ne serait possible sans l’intervention de la caméra. L’intimité avec la moustache parlante est une création de l’objectif. À diverses reprises, dans chacun des films d’Hector, l’angle change soudain et un plan général ou moyen est remplacé par un gros plan. Le visage d’Hector remplit l’écran et, toutes références à l’environnement étant éliminées, la moustache devient le centre du monde. »

Si l’on ne lisait pas plus avant, et si l’on décidait brutalement de passer du muet au parlant, on croirait partir à la rencontre de toutes ces stars du muet et du parlant dont on retient l’élément physique : moustache de Charlot, regard de Garbo, cigarette de Bogart…

Ce livre est une incroyable traversée à la poursuite de ce même invisible que recherchait Sartre au début de cet article… la recherche d’un éphémère absolu, d’un univers où se côtoie rêve et réalité : celui du cinéma.

Suite de cet hors-série le mois prochain !

Dans l’univers des comiques muets

Splendeur et décadence du cinéma muet

« Les comiques étaient censément petits, difformes ou gros. C’étaient des lutins et des bouffons, des cancres et des parias, des enfants se faisant passer pour des adultes ou des adultes à la mentalité d’enfants. Pensez aux rondeurs juvéniles d’Arbuckle, à sa timidité pleine d’affectation et à ses lèvres peintes, féminines. (…) Et puis parcourez la liste des accessoires et accoutrements qui ont façonné les carrières des maîtres incontestés : les chaussures avachies et les vêtements dépenaillés du vagabond de Chaplin, le vaillant Milquetoast de Llyod, aux lunettes cerclées d’écailles ; l’ahuri de Keaton, avec son chapeau plat et son visage figé ; le naïf à la peau blafarde de Langdon. »

Movie Theatre 1917

Ceci est un extrait du roman de Paul Auster, Le Livre des illusions, roman que j’ai sans cesse eu à l’esprit durant ma dernière lecture, consacrée au cinéma comique américain. Le Livre des illusions est paru en 2004. Il raconte comment, à la mort de sa femme et de ses enfants dans un accident d’avion, un professeur d’université, David Zimmer, trouve refuge dans l’écriture d’un livre consacré à un cinéaste disparu, Hector Mann.

Paul Auster nous plonge dans l’univers mélancolique et mystérieux du cinéma muet et de ses artistes torturés et éphémères, condamnés à faire rire et à s’adapter au parlant, ou à disparaître. C’est une histoire plus belle et plus vraie que nature, qui rappelle aussi bien Sunset Boulevard (Boulevard du crépuscule) que Singin’ in the rain (Chantons sous la pluie) ou plus récemment, The Artist.

Le titre qui zoome ! Donnez-moi le menu…

À ces hommages fictifs au passé du cinéma, fait écho un ouvrage bien réel. Il s’agit presque d’un fascicule, d’un peu plus d’une centaine de pages, et au titre à rallonge : Tartes à la crème et coups de pied au fesses : Le Cinéma comique américain. Vol. 1 : Les années flamboyantes du court-métrage. Ouf ! Paru en novembre 2012 aux éditions Gremese, c’est l’œuvre de Enrico Giacovelli.

Tartes à la crème

Le but de l’ouvrage : nous offrir un panorama de cent ans de cinéma comique américain, depuis les premiers films Edison jusqu’à Woody Allen. Nous n’avons pour l’instant que le premier volume, mais à la fin, l’auteur nous annonce gracieusement les épisodes qui suivront.

Dans ce premier épisode, la période étudiée est celle qui du court-métrage muet, celle que l’auteur délimite entre la naissance du cinéma et 1920. Après une brève – et très belle – introduction qui consacre la supériorité du rire sur le sérieux et le tragique, il part à la recherche de la première comédie, au cœur des studios Edison. Puis nous découvrons les grandes figures du muet à leurs débuts, éternelles ou oubliées : Mack Sennett, Mabel Normand, Roscoe « Fatty » Arbuckle, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Llyod, Larry Semon, Charley Chase.

J’ai vu beaucoup de Chaplin, mais surtout les longs-métrages. Je connais un tout petit peu Buster Keaton. J’ai entendu parler de Mack Sennett et de Harold Llyod. Par contre, les autres noms mentionnés m’étaient totalement inconnus. Et pourtant, ce petit ouvrage est construit comme un voyage, bien illustré et parfois si agréablement raconté qu’on a presque l’impression de voir ces films que l’on n’a jamais vus.

On apprend à connaître ces personnages et la construction de leur univers particulier, avec leurs accessoires, leurs tics, leurs grimaces, leurs défauts, leurs vies et leurs films à toute allure et cette condamnation inévitable au silence et à l’oubli – sauf pour les plus célèbres d’entre eux. On découvre, on sourit, on est ému…

… Laissez-moi sur ma faim !

… Et bien souvent, on reste sur sa faim, parce que l’on voudrait savoir la suite. Pas seulement à la fin du volume, mais parce que, maladroitement, l’auteur veut en garder pour plus tard. Un exemple :

Dans le quatrième chapitre, Giacovelli nous présente Roscoe « Fatty » Arbuckle, un comique américain qui, avec son visage de poupon et ses allures de bonhomme Michelin, a incarné le « gros lard » (je cite) du cinéma muet. Il évoque son absence relative de subtilité, ses tentatives pour émouvoir, puis son déclin :

« Les films sont achevés, difficilement, mais leur destin est à jamais lié au scandale personnel qui heurte l’acteur comique de plein fouet, un certain 11 septembre amer et obscur, comme il y en a eu d’autres au cours de l’histoire américaine. »

On passe sur la référence inutile aux attentats du World Trade Center, qui n’ont aucun rapport choucroutal avec le reste, et consciencieusement, on saute à la note de bas de page, qui nous informe sèchement : « Nous en reparlerons plus en détails dans le deuxième volume. »

La suite du texte fait plusieurs mentions mystérieuses au fameux scandale, poursuit tout de même en évoquant les derniers films, puis la mort du comique et sa postérité… et tant pis pour les lecteurs alléchés par le dit scandale : vous n’en saurez pas plus avant le 2e volume !

Pourtant, l’auteur avait bien réussi à intéresser, voire à passionner, avec ses anecdotes et cette rétrospective de l’âge d’or du muet : pourquoi donc s’embarrasser de ces petites manœuvres destinées à hypnotiser le lecteur « Venez, venez acheter mon 2e volume quand il sortira ! » ? Pourquoi, alors que nous avons le détail alléchant des prochains épisodes à la toute fin, s’encombrer en plus d’un encadré tape-à-l’œil « Coming soon » ?

Cependant, ce petit fascicule se lit bien, et même parfois captive. Vous vous intéressez aux mondes disparus, vous avez une vocation contrariée d’archéologue, ou tout simplement l’univers du muet, et ses films avec, comme le Kid de Chaplin, « Un éclat de rire, et peut-être une larme » vous fascine ? Faites plaisir à l’auteur, ouvrez-le !

Il en faut bien un : le petit détail comique !

Est-ce une erreur de traduction, de l’américain à l’italien, puis de l’italien au français ? Page 27, reproduction d’une affiche de Nickelodeon, un film de Peter Bogdanovich dédié aux débuts du cinéma comique. L’affiche annonce :

Before Rhett kissed Scarlett. Before Laurel met Hardy… etc.

La légende de l’affiche traduit : « Avant que Rhett ait embrassé Rossella, avant que Laurel ait rencontré Hardy… »

Soit le personnage d’Autant en emporte le vent se prénomme Rossella en italien, et nous sommes forcés de compatir à sa douleur, soit la traductrice française n’a JAMAIS vu Autant en emporte le vent. Qui se cotise pour lui offrir le DVD ?

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