Voici enfin le compte-rendu de lecture du mois de mai… il sera certainement un peu plus court que les précédents, car le livre dont il parle m’a laissée sur un avis plutôt mitigé.
Il s’agit d’un roman, comme pour la 3e fois de cette année. Cinq critiques, trois romans.
Petit rappel
En janvier, il s’agissait d’une biographie polyphonique de James Dean. Si la découverte de la personnalité de James Dean m’avait assez plu, le parti pris de l’auteur, qui consistait à faire parler l’acteur, et les personnes de son entourage, de sa vie et de la leur, ne m’avait pas particulièrement emballée. Je trouvais que l’auteur se dispersait trop d’un personnage à un autre et nous faisait manquer l’essentiel, ce qui nous empêchait de nous identifier à un protagoniste en particulier.
En mars, c’était un roman très réussi où un ancien du FBI se lançait à la recherche, pour un collectionneur, d’un film muet disparu, et portant le nom du roman : Londres après minuit. La réalité se mêlait habilement à la fiction et l’auteur entraînait son lecteur dans une brume tout à fait propre à l’univers du film noir. Londres après minuit a été pour moi le vrai coup de cœur de ce début d’année.
Hésitations
Et voici donc la critique d’un autre roman, sorti en mai 2015. Cette année, visiblement, les romanciers – et tous ceux qui ont des prétentions à l’être et dont ce n’est pas la première occupation – sont très inspirés par le cinéma.
J’ai longtemps tergiversé avant de me décider à choisir cet ouvrage. Et même pendant sa lecture, à la toute fin du mois, je me suis demandée si je n’allais pas l’arrêter et lui préférer un autre roman, que j’avais également repéré – et que je garde en réserve pour le mois de juin : Alice Guy, La première femme cinéaste de l’histoire, paru aux éditions Plon en mai 2015, sous la plume d’Emmanuelle Gaume.
Finalement le temps m’a manqué et j’ai fini cette lecture avec un peu de mauvaise volonté…
Le roman en question est l’œuvre de Gilles Jacob, président du Festival de Cannes jusqu’à l’année dernière. Il a été publié chez Grasset en mai 2015, sans doute pour que sa sortie coïncide avec le-dit Festival, et porte justement, habilement, le titre : Le Festival n’aura pas lieu.
J’apprécie beaucoup les interventions de Gilles Jacob, lorsqu’on l’entend et lorsqu’on le voit, on sait immédiatement avoir affaire à un passionné, capable de beaucoup d’éclectisme dans ses goûts, et qui pourrait reprendre à son compte la phrase d’Henri Langlois : « Je pense cinéma, je vois cinéma, mon imagination est cinéma ».
Le fait est que son livre correspond lui aussi complètement à cette phrase. Une imagination cinéma.
Un Festival – galerie de portraits
Le roman suit la trajectoire de Lucien Fabas, personnage inspiré de Robert Favre Le Bret, délégué général du Festival de Cannes de 1952 à 1972 et président de 1972 à 1984. Où s’arrête la réalité, où commence le roman, je ne connais pas assez Robert Favre Le Bret pour prétendre le savoir.
Lucien Fabas, lui, se présente au lecteur comme un journaliste cinéphile et lépidoptérophile (collectionneur de papillons), envoyé sur le tournage du film Mogambo, de John Ford.
J’ai un souvenir très coloré de Mogambo, film qui se déroule dans la jungle kenyane des années 50 – les blancs y sont encore, pour peu de temps, les seuls êtres plus ou moins civilisés du décor. On y suit les hésitations amoureuses de Clark Gable entre la flamboyante brune Ava Gardner et la très sage – trop sage – blonde Grace Kelly (trop sage dans mon souvenir, bien-sûr, et que j’ai toujours préférée dans les Hitchcock, en particulier Fenêtre sur cour).
Rétrospectivement, maintenant, j’ai un souvenir beaucoup plus enthousiaste du film de John Huston, The African Queen, avec Bogart et Katharine Hepburn, que de Mogambo.
Le livre de Gilles Jacob s’ouvre donc sur l’arrivée, trempée et sans valise, de Lucien Fabas sur les lieux, où il rencontre toute l’équipe : John Ford, les 3 comédiens principaux et la soeur d’Ava Gardner, Bappie, qui sert à cette dernière de confidente, de chaperon, et occasionnellement, de souffre-douleur.
Dans cette ambiance aventureuse et glamour, ce que décrit Gilles Jacob, c’est surtout l’envers du décor, à l’ombre des stars et des artistes : l’histoire d’amour compliquée de Fabas avec Bappie, les aléas climatiques et politiques dans lesquels le tournage est plongé.
Et une fois le tournage terminé, c’est encore tout cela qu’il nous montrera : l’envers du cinéma, l’envers de Hollywood et de ses scandales, l’envers d’Ava Gardner, l’envers du Festival de Cannes et l’envers de mai 68.
On y croise toute une galerie de portraits plus ou moins flatteurs : anciennes stars du muet comme Lilian Gish, journalistes, ambitieux, réalisateurs tels que Truffaut, Godard, Polanski, Fritz Lang, et jusqu’aux politiques avec De Gaulle, arrivant de Baden-Baden en hélicoptère et repartant après quelques instants, vision fugitive et aussi surréaliste que les autres personnages.
Des images, des instantanés, des moments pris sur le vif, un héros toujours en train de courir après des papillons, cinématographiques ou non, et le cinéma comme une divinité exigeante à laquelle on sacrifie tout : voilà le propos, voilà le message proposé par Gilles Jacob.
De cette traversée, cependant, le lecteur ne sort pas transporté.
Le coup de cœur n’aura pas lieu
Certes tout dans ce livre crie l’amour du cinéma. Le personnage de Fabas préfère y sacrifier sa tranquillité, sa vie et mêmes les événements – il se bat pour empêcher l’arrêt du Festival en 68 – tout, pourvu que le cinéma règne.
Tout est louable dans ce qu’il entreprend, tout se défend, tout se comprend. Il devrait avoir l’adhésion complète du lecteur. Il court après les films, court après le temps, court après les stars. Mais sa course est celle d’un papillon, désordonnée, butinante, pleine d’indécisions et de retournements de situation.
Indécis, susceptible, borné, ombrageux, il peine à obtenir notre sympathie, et il n’est d’ailleurs pas le seul… Aucun des personnages décrit n’y parvient, d’une Ava Gardner aussi papillonnante que lui, d’un Clark Gable trop fugitif bien qu’attachant, à des jeunes cinéastes qui ne sont pas dépeints, loin de là, à leur avantage…
Et de toutes les réussites de Fabas, de tout ce qu’il peut entreprendre pour le cinéma dans une vie entièrement dédiée au cinéma, ce que retient Gilles Jacob, finalement, ce sont les échecs : les déconvenues et les mésaventures de Mogambo, l’échec sentimental du héros marié qui aime par intermittence et ne parvient pas à se décider, l’échec finalement à construire, en dehors du cinéma, quelque chose qui en vaille la peine.
Certes, ce que retient le lecteur, c’est que Fabas, loin d’être proche de Truffaut par les événements de Mai 68, l’est au moins par la philosophie, « Le cinéma est plus important que la vie ». Mais cette déclaration d’amour se perd derrière tout ce que Fabas n’a pas fait et tout ce qu’il n’a pas réussi à avoir.
Ce qu’on retiendra de ce livre, Le Festival n’aura pas lieu, c’est un chant du cygne, où le flamboiement du cinéma se teinte trop souvent d’amertume et empêche presque d’en admirer la magie.
Hollywood / Cannes
Et n’était-ce finalement pas le but de Gilles Jacob, nous présenter ce monde comme un monde perdu, plein de désillusions et de gloires passées, des fantômes un peu décevants, un peu vains, et qui ne nous laissent qu’une incommensurable impression de tristesse.
Avec un peu d’ingratitude, le lecteur ne gardera donc que le flamboiement, il retiendra la face heureuse, en lumière, nimbée dans ce livre de flou artistique : le charme de Clark Gable – qui donne envie de revoir toute la filmographie de Clark Gable – la sensualité d’Ava Gardner, qui donne envie de la poursuivre de Mogambo à Mayerling, en passant par les camps gitans et les palais de La Comtesse aux pieds nus, et la fragilité de Grace Kelly, qu’on aime tant chez Hitchcock…
Il se plongera dans les livres sur Cannes, de Gilles Jacob, qui en a écrit, et de Serge Toubiana, auteur d’un Cannes Cinéma aux photos mythiques de Traverso.
Et il retournera voir des films, des films et encore des films de cet âge d’or du cinéma.
Quelques mots pour finir…
Voilà pour cette critique en demi-teinte, d’un livre qui aurait peut-être mérité mieux. Nous verrons ce que réserve le rayon cinéma au mois de juin, et si rien ne retient mon attention, je me rabattrai sur le livre mentionné plus haut, encore un roman qui mêle réalité et fiction, le Alice Guy d’Emmanuelle Gaume.
Et si j’ai commencé le précédent article, sur le bilan de mai du CDI, par une évocation cinéphile, je terminerai cet article cinéphile de début juin, par une petite recommandation aux docs.
Dans mes pérégrinations à travers des séries, bonnes ou moins bonnes, ou excellentes et enthousiasmantes, j’ai récemment découvert, entre la saison 4 de Downton Abbey et la saison 5 de Game of thrones, ce que j’appellerai très objectivement un petit bijou.
Il s’agit de The Newsroom, série de 3 saisons, diffusée entre 2012 et 2014 et qui suit le quotidien d’une chaîne d’information américaine, le tout créé par Aaron Sorkin, scénariste du film The Social Network.
C’est une série brillante, avec des comédiens talentueux, et des dialogues virtuoses, qui dissèquent la fabrication et la diffusion de l’information au 21ème siècle. Elle plaira donc tout autant aux puristes des séries et aux documentalistes.
Petite mise en bouche avec le trailer :
À bientôt pour un autre épisode doc !
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