Seulement une petite semaine après le compte-rendu de lecture de février, voici déjà celui de mars. J’ai quelques raisons de le publier aussi rapidement.

La première, c’est que je connaissais déjà fin février le livre dont je parlerai en mars, je l’avais pré-commandé et j’attendais sa sortie avec impatience.

La seconde, c’est qu’une fois le fameux livre reçu, j’ai mis à profit les quelques jours restants des vacances d’hiver, et j’ai dévoré ce livre en exactement 7h.

Enfin, la troisième raison, c’est qu’aujourd’hui j’ai 30 ans.

J’aurais pu publier ce compte-rendu à la mi-mars ou fin mars sans mentionner mon changement de dizaine, et me contentant aujourd’hui de tweeter quelques liens, que vous avez peut-être vu passer…

Mais puisque la lecture est finie, et que le livre m’a particulièrement emballée – hormis une petite déception, qui, connaissant l’auteur, était prévisible – je commence cet article par un petit flash-back en 1986.

1986, musique et cinéma

Évidemment, j’ai laissé de côté la politique, l’économie, la démographie, les conflits, le tunnel sous la Manche, la cohabitation et une catastrophe nucléaire bien connue pour s’être arrêtée à la frontière…

J’ai également laissé de côté les anniversaires de décès, trop déprimants, les 30 ans de Balavoine et Coluche, les 25 ans de Gainsbourg et les 10 ans de Nougaro.

J’ai été soulagée de voir que, même si nous étions en plein dans les années 80 (Ève lève-toi, En rouge et noir, Premier baiser, Ouragan, etc.) il fallait aussi compter avec le succès de mon album préféré de Goldman, Non homologué, sorti l’année précédente, des Rita Mitsouko, et de Balavoine, et la sortie de l’album True blue de Madonna ou encore de la chanson Nikita d’Elton John.

Au box-office, j’ai retrouvé un Chabrol, L’inspecteur Lavardin, auquel je préfère Poulet au vinaigre, un Blier, Tenue de soirée, qui ne m’a jamais autant marquée que Préparez vos mouchoirs ou Buffet froid ou encore Les Acteurs, deux adaptations de Pagnol signées Claude Berri, les Pirates de Polanski, un carton américain (Top Gun), et le meilleur Alien, Aliens le retour.

J’ai gardé le meilleur pour la fin : Fievel et le nouveau monde, qui a bercé mon enfance, et si je ne dois retenir qu’un film, Le Nom de la rose, de Jean-Jacques Annaud, une belle coïncidence pour la lectrice cinéphile que je suis devenue.

Je ne vous embête pas plus longtemps avec 1986, passons à ma lecture de mars.

Autobiographie ? Pas vraiment…

Début février, j’étais en train de farfouiller virtuellement – plus prosaïquement je m’enquerrais, en ligne, des publications à venir rayon cinéma – quand je suis tombée sur lui.

Lui, c’était un ouvrage dont la sortie était annoncée pour le 2 mars, et que j’ai aussitôt pré-commandé. Intérieurement, je me disais que si le livre en question n’était pas à la hauteur de mes espérances, j’aurais ainsi tout le temps d’en changer. Je n’en ai pas eu besoin.

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Il s’agit de l’autobiographie – le terme ne me satisfait pas – de Fabrice Luchini, publiée chez Flammarion, Comédie française : Ça a débuté comme ça

Lorsque je vois des comédiens (pour le cinéma ce sont généralement des comédiens, pour la chanson, des chanteurs, dont certains à vingt ans qui publient leurs mémoires…) publier leur autobiographie, j’ai toujours deux appréhensions :

  • que ce soit écrit avec les pieds, ou écrit avec l’aide de quelqu’un, ou bien, ô miracle, que le comédien décédé ait laissé ses mémoires cachées sous l’escalier…
  • que le livre en question soit le prétexte d’un grand déballage.

Ma bibliothèque compte donc relativement peu d’autobiographies finalement, hormis celle de Signoret dont les talents d’écrivain égalent ceux de comédienne, et celle de Michel Serrault, qui est d’une drôlerie absolue.

Si j’ai choisi l’autobiographie de Luchini, c’est parce qu’intérieurement (encore) je me doutais bien que j’échapperai sans nul doute possible à mes deux appréhensions.

Et pour cause, en dépit de l’argument de vente de Flammarion que j’imagine comme « un des acteurs préférés des Français se dévoile enfin » et en dépit de la quatrième de couverture, Comédie française n’est pas une autobiographie.

Objet littéraire non identifié ? Certainement !

Certes, Luchini rapporte quelques anecdotes de sa vie, son enfance, ses années comme garçon coiffeur, Perceval et Éric Rohmer, mais ces anecdotes, vous les connaissez déjà, si comme moi vous avez assisté avec jubilation au Point sur Robert, ce spectacle où Luchini mêle souvenirs et lectures des grands textes littéraires qu’il affectionne.

Ce n’est pas pour déballer, loin de là, que Luchini écrit ce texte, ce n’est pas non plus pour se dévoiler. Ou s’il se dévoile, c’est par petites touches discrètes, comme ces quelques pages intercalées entre deux chapitres où il tient une sorte de journal de tournage fragmentaire.

Certes, il raconte des étapes, des rencontres, il commence par son enfance et pose la plume en 2015. Le texte est ponctué, envahi de citations littéraires. Finalement, lorsque l’on aime Luchini et lorsqu’on a bien en tête son phrasé, sa gestuelle, son timbre de voix lorsqu’il est en scène ou devant la caméra, ce qui enchante le plus dans ce livre, c’est d’avoir l’impression, à le lire, de l’entendre.

Et finalement, encore, ce n’est pas pour le grand déballage qu’on a acheté cette « autobiographie », c’est pour retrouver quelqu’un qui, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, ne laisse jamais indifférent.

Un curieux personnage paperolles qui à chaque page ajoute une multitude d’impressions, une centaine de nouvelles pages, à travers les auteurs littéraires qu’il évoque, Céline, Molière, La Fontaine, Nietzsche, Rimbaud, et qui le définissent, même si le terme a quelque chose de trop définitif, ou plutôt l’esquissent.

Brillant écervolant qu’il est

Je ne fais pas ce jeu de mots par simple plaisir de le faire. À ma lecture, je me suis souvenue de la lettre que Beaumarchais reçoit de Voltaire dans Beaumarchais l’insolent : « Brillant écervelé que vous êtes… »

Écervelé, qui a peu de jugement, dit le dictionnaire. Écervelé, distrait ? rêveur ? Cette façon qu’a Luchini de plonger dans les textes, de voler sur les mots, en nous entraînant à sa suite, m’a fait passer d’écervelé à écervolant. J’aime les calembours, je l’ai gardé.

Je me suis replongée dans la filmographie de Luchini, puisque c’est par le cinéma, plus que par les lectures, que je l’ai d’abord connu.

De 1969 (début de sa carrière) à 1985, je n’ai rien vu, pas même le fameux Perceval de Rohmer, qui lui a valu de connaître Roland Barthes.

Mes premières impressions, c’est d’abord un rendez-vous manqué. En 1995 sort L’Année Juliette. Mes parents me le montre, je ne le comprends pas. Qu’est-ce que c’est que ce type, ce menteur compulsif, qui s’invente toute une liaison imaginaire avec une Juliette disparue ? Je mettrai du coup près de dix ans à apprécier et à comprendre le personnage.

2003, je le rencontre à nouveau, dans Confidences trop intimes, un Patrice Leconte que j’adore, sur un scénario de Jérôme Tonnerre, l’auteur du Petit voisin, un de mes livres de chevet. Du coup je redécouvre le Colonel Chabert, Beaumarchais l’insolent (mon préféré), Le Bossu, P.R.O.F.S. (plus ancien et que je rêve de trouver en DVD).

Puis, entre 2006 et 2012, je le découvre au théâtre et je ne le quitte quasiment plus  : Jean-Philippe, Molière, Paris, Musée haut, musée bas, La Fille de Monaco, Les Invités de mon père, Potiche, Les Femmes du 6e étage et le brillant Dans la maison.

Malheureusement, après, par manque de temps, je le rate, je manque Alceste à bicyclette, Gemma Bovery, et surtout L’Hermine. Mais je le rattraperai bien un jour où l’autre.

Bref, si je n’avais que quelques films à conseiller à ceux qui veulent découvrir ou redécouvrir le phénomène Luchini, lesquels retenir ?

  • Beaumarchais l’insolent, d’Édouard Molinaro, d’après une pièce de Guitry. Tout en verve, en bons mots (évidemment, c’est Guitry), avec un Luchini transfiguré, et un casting français exceptionnel : Serrault, Piccoli, Brialy, Jean Yanne, Jacques Weber, Balmer… Petite mise en bouche avec le fameux « Brillant écervelé que vous êtes… »
  • Confidences trop intimes, déjà cité, de Patrice Leconte, l’histoire d’un quiproquo : Anna (Sandrine Bonnaire) a rendez-vous chez un psychanalyste, elle se trompe de porte et va se confier à M. Faber (Luchini), conseiller fiscal, qui n’ose pas la détromper.
  • Le dérangeant et brillant Dans la maison, un film de François Ozon, lui aussi familier des objets filmiques non identifiés, puisqu’il alterne le clair et l’obscur, le chatoyant et le troublant. De François Ozon, j’aime Huit Femmes, Potiche, pour leurs couleurs et leur gaieté souvent amère, mais j’aime aussi Jeune et jolie, et ce voyeur Dans la maison, dans lequel on lit aussi et on écrit beaucoup :

Et du coup, Comédie française, dans tout ça ?

En refermant le livre…

Je n’étais pas partie en me disant « je vais tout connaître de Luchini », je ne m’attendais pas à ce que ses confidences soient trop intimes (il faut que j’arrête ce genre de jeux de mots).

Après tout, lorsque l’on se rend sur la page de présentation de l’ouvrage, par Flammarion, ce dernier est classé dans les « Essais littéraires », c’est bien mieux, plus riche et plus prometteur qu’autobiographie.

Alors, déçue que Luchini ne m’ait pas révélé son plat préféré, la grippe qu’il aurait eu en telle année, ou la liaison passionnée avec unetelle, même s’il confie qu’il n’aime pas les portables, qu’il aime Nagui, ou qu’il voudrait être de gauche mais c’est compliqué… ? Pas le moins du monde, car rien ne ressemblerait moins à l’image que j’ai de lui, certes réductrice, parcellaire, et tant mieux.

Cette autobiographie dont il dit au début que les éditeurs la lui réclament, c’est encore le prétexte pour lui de dire les textes, les mots, et les auteurs qu’il aime. Et une nouvelle fois, de les partager avec le lecteur qui venait peut-être pour ça, peut-être pour autre chose.

Pour mes trente ans, sans le savoir, Luchini m’offre une autobiographie qui n’en est pas une, un voyage à travers les livres où il se dévoile, comme un portrait proustien, par instantanés, où l’on croit l’entendre, et le ré-entendre, comme si l’on venait de le quitter, dans Le Point sur Robert.

Il me donne envie de lire, de relire, et de retourner le voir, au théâtre et au cinéma. Et c’est largement à la hauteur de mes espérances !