Fin d’année 2017 (bon, pour exact, entre juillet et décembre 2017) : trois monuments du cinéma français.

Claude Rich, Jeanne Moreau, Jean Rochefort

Ces trois-là ont bercé ma cinéphilie.

Ils faisaient partie des personnages que je croyais éternels du fait de leur longévité.

Claude Rich, pour moi, allait du truculent personnage d’Antoine Delafoy dans Les Tontons flingueurs au Crime est notre affaire de Pascal Thomas, en passant par Talleyrand dans Le Souper ou Panoramix dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre.

Claude Rich est allé jusqu’à jouer Claude Rich dans Les Acteurs de Bertrand Blier, et à mettre le doigt, non sans distance et sans auto-dérision sur son côté « Claude Rich » :

Jeanne Moreau.

L’un de mes premiers souvenirs de Jeanne Moreau, c’est dans un film de Jean Dréville, La Reine Margot, où elle incarne ce personnage bien avant Adjani dans le film de Patrick Chéreau. Et enfant, puis adolescente, j’ai encensé ce film. Il faut dire que j’adorais aussi Françoise Rosay en Catherine de Médicis, et la petite apparition de Louis de Funès en Nostradamus.

Jeanne Moreau, je l’ai adorée dans Ascenseur pour l’échafaud, dans Les Quatre cents coups, dans Jules et Jim et dans Viva Maria, en étoile de la Nouvelle vague. À l’international, dans Le Procès, dans Le Journal d’une femme de chambre et dans Une Histoire immortelle. Plus tard, plus mûre, avec sa voix si particulière et sa détresse, dans Les Valseuses. Âgée et sans illusion, dans Le Temps qui reste de François Ozon. Et finalement à la télévision, en Mahaut d’Artois dans le remake des Rois maudits.

Mais toujours sous la pluie de Louis Malle et chantant un certain tourbillon pour Truffaut…

Vous l’aurez compris, cet article est un prétexte à faire résonner certaines voix. Passons à la principale.

Un jour en octobre 2017

Ce jour-là, c’était un lundi. Je me souviens du décès de Jean Rochefort comme je peux me souvenir de celui de Simone Veil, celui de David Bowie, celui de Michaël Jackson ou celui de Michel Serrault. Pas pareils vous me direz.

Mais de la même manière, je sais exactement ce que je faisais au moment du 11 septembre 2001, au moment du décès de Diana ou de celui de Mitterrand…

Voilà si l’on remonte assez loin dans « mon temps ».

Et je vais arrêter là la rubrique nécrologique !

Bref, ce lundi matin, j’échangeais par SMS avec une copine prof-doc qui se reconnaîtra, et une fois la nouvelle tombée, notre sentiment était commun : il fallait faire connaître (ou reconnaître) aux élèves ce qu’était Jean Rochefort. Non seulement la personnalité cinématographique, l’acteur et le comédien, mais aussi le formidable passeur de culture.

Et du coup, en quelques minutes, j’ai fabriqué ça :

Je ne prétends pas connaître par coeur l’intégralité de la filmographie de Jean Rochefort, mais j’ai le souvenir exact de son visage, sans moustache ou avec, dans tous les films où je l’ai vu.

En partenaire de Jean-Paul Belmondo dans Cartouche, ou de Jean Marais dans Le Masque de fer (quoiqu’il me semble qu’ils n’aient aucune scène commune, et qu’il faudrait plus parler de Jean-François Poron comme partenaire). Je n’ai jamais été une fan de la saga Angélique, donc je ne peux rien en dire. Voilà pour la période « sans moustache ».

Quelle moustache !

Mais pour moi, Jean Rochefort, ce sont deux rôles.

D’abord l’inaltérable Étienne Dorsay.

Plus que l’abbé Dubois dans Que la fête commence, plus qu’Antoine dans Le Mari de la coiffeuse, j’adore Rochefort dans Un éléphant ça trompe énormément et dans Nous irons tous au paradis, avec ses trois compères, Brasseur, Bedos et Lanoux.

L’absurdité, le contraste entre la voix du narrateur (Jean Rochefort) et la situation dont le spectateur est témoin, le flegme d’Étienne, les dialogues soignés, et la tendresse que l’on a pour chacun des personnages, en dépit de leurs défauts, tout cela rend ces deux films très attachants, et assez intemporels.

Mais il y a un autre rôle où j’adore Rochefort. C’est celui du marquis de Bellegarde dans Ridicule (sans moustache), en particulier une scène où il évoque sa collection de bons mots et où il rapporte celui prononcé par un jeune soldat décapité durant une bataille, qui trouve le temps de prononcer « Ciel, mais où ai-je la tête ? » (pardon pour l’inexactitude, je cite de mémoire).

Le comble est que pour ces deux films, je ne trouve pas d’extrait vidéo qui me satisfasse…

Consolons-nous donc avec un épisode des Boloss des belles lettres, et pas des moindres, celui sur Madame Bovary !

Je rajoute le lien de la chaîne YouTube, ça fera passer du bon temps 😉

https://www.youtube.com/channel/UC32vOdZp-NN4eZZhJrUNR6w

Par écrit, on entend encore sa voix

En mars 2018, les éditions Nova ont publié un livre regroupant des interviews et des conversations de Jean Rochefort.

Le titre ? Ultime : Jean Rochefort, interviews & conversations.

Collection Ultime.

Comme indiqué en deuxième de couverture :

ultime : La collection qui tire le portait d’une immense figure culturelle par le biais d’entretiens majeurs et de conversations inédites.

Effectivement, ça résume bien l’idée générale.

J’ai lu ce livre en une journée. C’est un petit bonheur à dévorer.

Après les quelques premiers entretiens, où Rochefort débutant rappelle plusieurs fois, à des interlocuteurs différents, son parcours, son enfance, ses premières armes au théâtre et au cinéma, on s’envole.

Les échanges fourmillent de pépites, dont le fameux « Sans moustache, j’ai l’air asexué ».

L’un des bonheurs à découvrir, est une interview à trois voix avec Marielle et Noiret, où chaque question des journalistes commence par « Vous n’en avez pas marre ? » :

Vous n’en avez pas marre de vous voir ? (…)

Vous n’en avez pas marre de toutes ces interviews ?

Chacune de ces questions ponctue l’interview sans la surcharger, laissant les trois énergumènes développer la réponse.

Lire cet ouvrage m’a rappelé Bernard Pivot échangeant avec Truffaut dans Apostrophes, et indiquant que la qualité des entretiens était que parfois, certaines questions étaient plus longues que les réponses.

(je remets l’échange ci-dessous, c’est vraiment un beau moment)

C’est le cas quand Rochefort est en conversation avec deux personnes : Frédéric Beigbeder et Frédéric Mitterrand, et je ne pense pas que ce soit une question de prénom…

… mais plutôt une question de profession. Les deux Frédéric ayant fait profession d’écrivains, ils n’ont pu que s’accorder avec cet amoureux de la littérature (c’est du moins ce que j’ai ressenti à ma lecture) – Frédéric Mitterrand lisant également dans cet entretien des extraits d’un livre écrit par Rochefort.

Ce petit livre de 200 pages est à garder, parcourir, feuilleter, poser, et reprendre, et ranger à côté des Mémoires cavalières de Noiret, de quelques livres de Brialy ou du Vous avez dit Serrault ? de Michel Serrault… bref, à côté de ces monstres qui savent tout jouer et qui, en plus, lorsqu’ils écrivent, restent en mémoire.

Rien de plus à ajouter, si ce n’est pour retrouver, encore une fois, Jean Rochefort, l’épisode que Blow Up lui a consacré :

Bons mots, bons films, bonnes lectures et bel été à tous (après le dernier article #profdoc de l’année scolaire) !