Pour ce premier compte-rendu de lecture de 2022, j’ai décidé de reprendre une structure déjà éprouvée sur ce site : un acteur / un cinéaste / un ou des films.
C’est cette forme que j’ai utilisée pour mon article cinéphile de septembre dernier, avec Romy Schneider et Claude Sautet, mais aussi l’article de mai 2021 où j’évoquais Sean Connery et l’univers James Bond.
Cette structure, je ne la trouve pas forcément naturellement, et je ne l’utilise pas systématiquement.
Écrire l’article
Pour certains articles, la forme est intuitive, je vais pouvoir les préparer longtemps à l’avance, utiliser le prétexte d’une date anniversaire, d’un événement, d’un déclic (c’est ce qui sera le cas pour le prochain article du mois de mars, que j’ai déjà bien en tête).
Pour d’autres, même après avoir lu le livre auquel est consacré le plus gros de l’article, je rame. Je cogite, je tourne les idées dans ma tête, je me demande comment fournir au compte-rendu de lecture proprement dit l’écrin de l’article.
En effet, pour moi, il ne s’agit pas (seulement) de faire un compte-rendu exhaustif de ma lecture. Il s’agit de convoquer tout un contexte cinéphile pour l’accompagner.
Je laisse le livre à proximité – c’est aussi la raison pour laquelle j’évite d’utiliser des versions numériques de ce livre – pour pouvoir le feuilleter à nouveau. Je le reprends, je tourne autour, j’en feuillette d’autres, je procrastine et je grogne.
Et puis, généralement, je trouve enfin l’idée par hasard, l’idée qui donnera à l’article son fil conducteur, en tous les cas pour moi.
À l’origine, feuilleter le catalogue Gallimard
Revenons en arrière, à ce qui m’a poussé à choisir l’ouvrage que j’évoquerai dans un instant.
Je feuilletais les brochures que publie régulièrement la maison d’édition Gallimard, et qu’elle envoie aux établissements scolaires, pour indiquer les nouvelles sorties. Généralement, j’y glane quelques idées d’achats pour le CDI, mais pas la majorité, loin de là.
Au milieu des romans, dans la brochure que je tenais entre les mains, je trouve ce titre : Être Cary Grant, de Martine Reid, publié en avril 2021. Pas dans les pages consacrées aux essais, mais au milieu des romans.
Je vois la couverture, avec le visage familier et sa fossette. Je fais appel à ma mémoire et je fouille dans mes rayonnages… mis à part La Vie que tu t’étais imaginée de Nelly Allard, je n’ai pas souvenir d’avoir lu beaucoup de romans publiés chez Gallimard et consacré à un acteur.
Flammarion, avec sa pépite sur Greta Garbo, Un renoncement, de René de Ceccatty, me semble plus coutumier du fait.
Va donc pour Être Cary Grant.
Replonger dans des souvenirs cinéphiles
Cary Grant fait partie des acteurs que j’ai côtoyés au moment où je commençais à construire, tout doucement, mon univers cinématographique, de manière consciente. Je ne parle pas des premiers films vus étant enfant, mais de ceux que j’ai progressivement choisis.
Vers 15-16 ans donc, après le déclic « Truffaut », j’ai commencé à regarder les cycles du Cinéma de minuit, enregistrés sur cassettes. J’ai aussi choisi, pendant les vacances scolaires, quelques films à aller voir dans les cinémas parisiens (Grand action, Action école, Action Christine et le Championnet).
Ces choix s’appuyaient alors sur ce que je considérais comme une bible : les Chroniques du cinéma…
C’est avec ce livre que je découvrais le parcours de Lauren Bacall et d’Humphrey Bogart, de Bette Davis, de Katharine Hepburn et de Spencer Tracy, de Vivien Leigh, de Grace Kelly.
J’ai donc pu découvrir dans les cinémas parisiens L’Impossible Mr Bébé, qui réunit Katharine Hepburn et Cary Grant, puis plus tard, en DVD ou à la télévision : La Dame du vendredi, Sylvia Scarlett, Indiscrétions, Elle et lui ou encore Charade, beaucoup plus tard.
Je retrouvais aussi l’image lisse et très bien mise en scène de Cary Grant dans un ouvrage acheté à l’époque :
Cary Grant : les images d’une vie, de Yann-Brice Dherbier, publié en 2009 chez YB Editions, une maison d’éditions qui proposait au lecteur pour différentes stars hollywoodiennes ces « images d’une vie », sous un format particulièrement soigné.
Retour au présent
C’est en ayant ces souvenirs en tête que j’avais posé le livre de Martine Reid sur ma bibliothèque, à l’été 2021. Il était en bonne place sur ma pile de lecture, mais je retardais le moment de venir à sa rencontre.
Puis, en novembre dernier, je tombe sur un documentaire Arte, disponible en replay jusqu’au 11 février 2022 : Cary Grant, de l’autre côté du miroir, qui donne la part belle à cette citation émouvante de l’acteur : « Tout le monde voudrait être Cary Grant. Moi aussi, je veux être Cary Grant ! »
J’y découvre de nouvelles facettes du personnage : l’enfance, les mariages successifs, la psychothérapie sous LSD…
J’ai envie de confronter à ce documentaire le roman biographique de Martine Reid. Je me plonge donc dans cette lecture.
Quatrième de couverture
La quatrième de couverture de Être Cary Grant part de cette même citation, si troublante :
« Tout le monde veut être Cary Grant. Même moi, je veux être Cary Grant. »
Des comédies romantiques de l’âge d’or du cinéma américain aux chefs-d’œuvre d’Alfred Hitchcock, Cary Grant (1904-1986) demeure l’une des stars d’Hollywood les plus célèbres au monde.
Gentleman flegmatique, séducteur caustique, il a réussi grâce à un physique exceptionnel à incarner « l’homme idéal », fantasme de millions de spectatrices et spectateurs. Derrière cette belle image de cinéma se cache pourtant un être tourmenté, dont toute l’existence est fondée sur le leurre.
Sur cette quatrième de couverture, le mot leurre est en italique. C’est ce résumé qui a retenu mon attention, et qui m’a donné envie d’aller plus loin : Cary Grant n’y est pas seulement une star hollywoodienne, ou un être complexe comme le présente le documentaire produit par Arte.
C’est un personnage de roman à part entière, une incarnation qu’il a méticuleusement construite lui-même, avec des fêlures que l’on entrevoit à intervalles plus ou moins réguliers.
C’est tout cela que veut nous faire ressentir Martine Reid, en choisissant comme titre non pas simplement Cary Grant, mais Être Cary Grant.
L’homme dont on va entendre l’histoire a deux noms. Ceux-ci désignent dans le temps deux vies qui n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre. Du fait de ces deux noms, tout est irrémédiablement double chez lui : il est né deux fois, dans deux lieux distincts ; il est mort deux fois aussi, mais de façon assez dissemblable, la première mort, on va le voir, apparaissant aussi interminable que la deuxième est soudaine.
Cette construction opérée par les studios de cinéma et par l’acteur lui-même s’est faite au détriment d’un nom, Archibald Leach, d’une enfance et d’un milieu, d’une sexualité et d’une identité. Pour parvenir à incarner Cary Grant, il faut se débarrasser des oripeaux Archie Leach, quitte à les voir resurgir par inadvertance.
Non seulement, Martine Reid réussit à faire de Cary Grant ce personnage de roman qu’il était déjà de son vivant, mais elle réussit aussi à nous restituer admirablement l’ambiance du Hollywood de ces années-là, la période d’activité de l’acteur s’étalant de 1932 à 1966.
L’ouvrage ne s’ouvre pas, comme on pourrait le croire, par la citation que je viens d’en extraire. Il s’ouvre avec une scène beaucoup plus familière pour le lecteur et le spectateur : il s’ouvre sur La Mort aux trousses.
Spectateur d’Hitchcock : James Stewart ou Cary Grant ?
Parmi les films que j’ai cités plus haut de la filmographie de Cary Grant, il y en a que j’ai volontairement omis.
Si je voulais consacrer cet article à l’acteur hollywoodien, c’est aussi pour le prétexte qu’il me donnait de parler à nouveau du cinéma d’Alfred Hitchcock, que j’évoque déjà assez régulièrement sur ce site, pour parler de ses intrigues, de ses actrices fétiches, de ses storyboards, de sa cuisine, de ses itinéraires… mais pas encore de ses acteurs.
Cary Grant est à égalité avec James Stewart dans le cinéma d’Hitchcock. Et pour moi il ne s’agit pas de dire si l’un est meilleur que l’autre.
- James Stewart : période hitchcockienne 1948-1958. Quatre films : La Corde, Fenêtre sur cour, L’Homme qui en savait trop, Sueurs froides.
- Cary Grant : période hitchcockienne 1941-1959. Quatre films : Soupçons, Les Enchaînés, La Main au collet, La Mort aux trousses.
Ce que l’on peut comparer, ce sont les personnages qu’ils incarnent.
Concernant James Stewart, nous sommes spectateurs avec lui. Nous observons, nous sommes voyeurs de l’action, nous assistons à l’intrigue, nous la voyons se construire sous ses yeux comme sous les nôtres. Nous avons le vertige avec lui.
Concernant Cary Grant, notre rôle est moins celui d’un voyeur que d’un témoin, voire d’un complice. Nous partageons l’action.
C’est du moins ce que je ressens, à titre personnel, lorsque je revois les films d’Hitchcock avec ces deux acteurs.
Et qu’ai-je fait sitôt ma lecture de la biographie de Martine Reid achevée ? Évidemment, j’ai revu La Mort aux trousses.
Revoir La Mort aux trousses
Il y a deux films d’Hitchcock que j’ai vus et revus et que je connais jusqu’au bout des ongles. Fenêtre sur cour et La Mort aux trousses.
Lorsque je les revois, je cède soit à l’envie du huis-clos, soit à l’envie du voyage.
Pour le deuxième, ce sont les mêmes images qui me reviennent en tête :
- un générique qui dessine peu à peu les immeubles new-yorkais et Hitchcock qui rate son bus
- une soirée et une course-poursuite alcoolisées avec Cary Grant qui finit au poste de police de Glen Cove
- Jessie Royce Landis en mère tellement insupportable « Alors messieurs, vous voulez vraiment tuer mon grand garçon ? »
- une visite aux Nations Unies
- un repas sans dessert avec Eva Marie Saint mais avec une truite un peu trop saumonée dans le Chicago Express
- la fameuse scène avec l’avion qui prend le contrepied de tous les rendez-vous cinématographiques (de jour, au milieu de nulle part, au soleil)
- la main de James Mason sur le cou d’Eva Marie Saint à la soirée d’enchères
- le mont Rushmore et le pistolet chargé à blanc (avec le petit garçon à l’arrière-plan qui se bouche les oreilles)
- la maison de James Mason, inspirée de Frank Lloyd Wright
- la poursuite sur le mont Rushmore et la scène finale
Mais si vous voulez voir ou revoir La Mort aux trousses, c’est tout de même Blow Up qui en propose le meilleur visionnage en accéléré :
Bref, l’ouvrage de Martine Reid m’a permis de revoir La Mort aux trousses (en vitesse normale), m’a fait rouvrir L’Amérique évanouie de Sébastien Clerget – qui nous fait propose quelques itinéraires cinématographiques à travers les États-Unis – et La Sauce était presque parfaite, un superbe recueil de recettes hitchcockiennes.
De quoi donner envie, sinon d’être Cary Grant, du moins de lire Être Cary Grant, non ?
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