Voici un troisième épisode de mes notes de lecture sur l’intelligence artificielle, où je commence à cerner l’objectif de ces notes :

avoir une vision d’ensemble sur la question et qui me permette de proposer ou de concevoir des séances pédagogiques sur l’IA, aussi bien dans des disciplines associées aux sciences pures (SNT, enseignement scientifique, mathématiques) que dans les sciences humaines (SES, éco-gestion, EMC, HGGSP, HLP…).

Ce troisième épisode abordera donc la question sous l’angle des sciences humaines avec un premier focus sur les aspects économiques et géopolitiques de l’intelligence artificielle.

Dans cet épisode :

  1. les ouvrages Intelligence artificielle, l’affaire de tous et Géopolitique de l’intelligence artificielle
  2. revue de presse avec les numéros de la revue Le Monde diplomatique n° 829 et du Courrier international n°1685, 1695 et 1704
  3. une sélection de ressources

Intelligence artificielle, l’affaire de tous : de la science au business, Thierry Bouron

Il s’agit donc pour moi d’un quatrième ouvrage sur l’intelligence artificielle, après une première lecture à coloration davantage scientifique, et deux lectures de vulgarisation qui tendaient à proposer une vision d’ensemble de la question.

Cet ouvrage a été publié en juillet 2020 aux éditions Pearson et apporte un éclairage davantage professionnel : économie, business, management et marketing. 

Cela se remarque dans les exemples donnés et dès l’introduction, qui revient sur la révolution induite par les intelligences artificielles à la fois dans les différents secteurs économiques mais aussi dans les formations professionnelles.

Ainsi l’auteur rappelle que la Chine a été la première à expérimenter des cours sur l’intelligence artificielle dans une quarantaine de lycées. 

La coloration économique de l’ouvrage est visible aussi dans sa construction, puisqu’en introduction l’auteur souligne les impacts économiques de l’IA, et comment mettre en place une stratégie d’entreprise en en tenant compte.

Deux chapitres rappelant l’essentiel par des exemples et une base historique et scientifique. 

Le chapitre 1 « L’observation d’IA » fait un top 10 des IA impressionnantes, et explique en quoi elles le sont : une IA capable de créer un morceau de musique ou un texte littéraire, les robots Kiva d’Amazon capables d’aller chercher les produits dans les étagères où ils sont stockés, les boutiques Go store, AlphaGo, l’assistant Google qui prend un rendez-vous à notre place. 

Le chapitre 2 « L’IA est plurielle » fait un rappel historique de l’IA qui était déjà abordé dans les ouvrages des précédentes notes de lecture : test de Turing, conférence de Dartmouth, hivers de l’IA. Il revient également sur les notions de machine learning, deep learning et sur les différents courants de pensées liés à l’IA.

  • Le business de l’intelligence artificielle : innovations, investissements économiques et politiques

Dans le chapitre 3 « Un business démesuré », l’auteur s’intéresse aux évolutions induites par l’IA dans l’entreprise, avec le phénomène d’innovations disruptives (ruptures qui peuvent provenir de la création d’un nouveau service, d’un élargissement de l’accessibilité, d’un nouveau modèle de business ou de nouveaux systèmes opératoires). 

Pour ces derniers est convoqué l’exemple du système de recommandation de produits par Amazon. 

L’auteur revient ensuite sur les perspectives de marché de l’IA (impact sur la croissance mondiale par une augmentation de la productivité, la proposition de nouveaux services et un gain de temps), sur les investissements en IA (notamment distribution de contenus sur les réseaux sociaux) et sur les politiques gouvernementales. Pour la France : rapport Villani publié en 2018, prévision d’investir 1,5 Milliards sur cinq ans, sélection de 4 pôles de recherche régionaux. 

Dans le domaine de l’industrie. Les GAFAM ont investi dans l’IA : Alphabet est le premier acteur dans l’acquisition de sociétés d’IA. 

Définition d’une IA COMPAGNY

  1. Stratégie d’acquisition de données
  2. Regroupement et centralisation des données dans des entrepôts
  3. Mise en place de procédures contrôlant le respect des données privées
  4. Automatisation des procédures
  5. Création de nouveaux métiers autour des data sciences

Description des différentes stratégies des GAFAM en IA. Google : agents conversationnels. Facebook : recherche et analyse semantique de textes, images et vidéos (détection de contenus / de faux comptes). Amazon : robots. Apple : Siri. 

Pour soutenir ces évolutions : développement des compétences et des formations universitaires dans ce domaine.

  • Risques de l’intelligence artificielle dans le secteur économique

Dans le chapitre 4, « Les risques effectifs », l’auteur revient sur plusieurs risques soulevés par l’IA. La question des systèmes autonomes permet de traiter le domaine de l’armement et de la défense militaire. 

La partie la plus éclairante concerne les risques propres aux machines apprenantes, notamment à travers la question des corrélations de données (voir l’étude mentionnée de Tyler Vigen : Spurious Correlations et celle sur les fausses corrélations dans un contexte politique : Hack your way to scientific glory) et celle de la généralisation induite par un jeu de données (un outil de recrutement qui élimine certains profils parce qu’ils sont au départ peu représentés). 

Les autres risques mentionnés sont les usages abusifs (exemple de Compas) et les risques liés aux données personnelles avec l’exemple de l’affaire Cambridge Analytica. 

Le dernier risque évoqué est l’impact de l’IA sur l’emploi.

  • Fonctionnement de l’intelligence artificielle

Les 3 chapitres suivants reviennent sur le fonctionnement de l’intelligence artificielle, déjà abordé dans d’autres ouvrages à coloration plus scientifique : « machines apprenantes », « réseaux de neurones artificiels » et « systèmes autonomes » avec des apartés mathématiques pour creuser la question. 

J’ai quelque peu survolé ces chapitres parce qu’ils sont un peu trop mathématiques pour moi, même si dans celui consacré aux systèmes autonomes, une sous-partie « Simulation multi-agents » a retenu mon attention. L’auteur y étudie le renforcement des comportements de consommateurs via l’IA, illustré par le schéma suivant :

Il propose également un jeu de rôles sur les comportements de consommateur, pour manipuler des agents intelligents et se mettre dans la peau d’une IA.

Ce jeu pourrait éventuellement être réutilisé en SNT ou en éco-gestion. Certaines indications sur le nombre de cartes et leur répartition ne sont pas très claires, aussi j’ai essayé de l’adapter de mon mieux dans un jeu que j’ai intégré à une séance de SNT, et que je compte tester prochainement. 

Enfin le dernier chapitre de l’ouvrage « Études de cas » revient sur différentes applications d’intelligence artificielle dont Internet et les agents conversationnels.

Concernant Internet, sont abordés la recommandation et le ciblage : de quelle manière Amazon influence les achats par le système de recommandation personnalisée (un quart des achats sur le site), la suggestion de vidéos sur YouTube et Netflix, la publicité ciblée via les cookies et l’historique de navigation.

Concernant les agents conversationnels, l’auteur fait un rappel du test de Turing, et étudie quelques applications : Siri, Alexa, les chatbots et les enceintes connectées.

En conclusion l’auteur rappelle l’importance de se tenir au courant de l’actualité dans le domaine de l’intelligence artificielle, pour le secteur économique mais cela peut être élargi. Il fait un récapitulatif par un exercice de questions / réponses des différents points abordés dans l’ouvrage.

Mon avis sur l’ouvrage :

Le plus : un véritable éclairage thématique de l’intelligence artificielle. J’ai certes laissé de côté les aspects les plus mathématiques, mais l’ensemble du propos est très éclairant, et peut interroger même sur des domaines comme différents secteurs économiques (immobilier, ressources humaines, entreprise) ou les formations professionnelles, ce qui peut permettre de lier aussi la thématique aux filières d’études des élèves et à leur choix d’orientation.

Par ailleurs, l’auteur a une posture véritablement pédagogique, avec des moments de questions / réponses qui peuvent être réutilisés en classe.


Géopolitique de l’intelligence artificielle, Pascal Boniface

Cet ouvrage a été publié aux éditions Eyrolles en janvier 2021, et il fait partie de la bibliographie très prolifique de Pascal Boniface, spécialiste de géopolitique.

On lui doit des ouvrages plusieurs fois réédités sur les relations internationales (Comprendre le monde) et qui relient la géopolitique à certaines thématiques (le sport, les jeux olympiques, le Covid…).

L’ouvrage consacré à l’intelligence artificielle se décline en sept chapitres, après une introduction où l’auteur rappelle son parcours littéraire malgré son intérêt pour la question, ce qui sera éclairant pour la suite de l’ouvrage.

Le premier chapitre « Intelligence artificielle, histoire et définition » revient de manière succincte sur des éléments déjà abordés dans les ouvrages abordés précédemment : le test de Turing, la conférence de Dartmouth, les hivers de l’IA, deep learning et machine learning, traitement des données.

Un encart revient sur le rôle de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) créée en 1958 qui finance aux États-Unis la recherche et le développement dans le domaine des technologies militaires, avec un département dédié à l’innovation et à l’information créé en 2005.

Dans le deuxième chapitre « Corne d’abondance ou machine à exclure ? », l’auteur revient sur la vision que la société a généralement des innovations techniques et des craintes qu’elles suscitent, largement relayées par Pascal Boniface (inégalités, chômage, accès à la santé et transhumanisme, relations des états avec les géants du numérique).

Le troisième chapitre « Les GAFAM vont-ils tuer l’État ? » accentue ces craintes, en faisant notamment un tableau comparatif entre les fortunes des dirigeants et le PIB de certains pays (Amazon / Bezos en 2020 = Qatar en 2019, Elon Musk = Maroc).

Il étudie de quelle manière ces dirigeants s’emparent de domaines jusqu’ici régaliens (la conquête spatiale pour Musk) et affaiblissent les institutions, et leurs arrangements avec la fiscalité, malgré les tentatives de régulation étatiques ou inter-étatiques.

Dans le quatrième chapitre, « Printemps des libertés ou hiver totalitaire ? », Pascal Boniface revient sur le risque d’une surveillance absolue induite par le Big data, en s’appuyant notamment sur l’affaire Cambridge Analytica.

Pour contrebalancer, il rappelle également le rôle des réseaux sociaux notamment dans les mobilisations populaires (printemps arabe, mouvement #MeToo), et relativise le lien entre réseaux sociaux et bulle de filtres, rappelant qu’un lecteur de Libération ira rarement lire Le Figaro.

Le point le plus intéressant du chapitre est l’encart consacré au contrôle social en Chine, et à la façon dont les citoyens chinois sont classés, de AAA (citoyen exemplaire) à D (citoyen malhonnête).

Le chapitre 5 revient d’ailleurs sur « Le duel Chine / États-Unis ». En effet, la Chine concentre ses dépenses non dans le domaine militaire, mais dans le domaine technologique, surtout depuis qu’elle a connu son « moment Spoutnik » avec la défaite de son champion contre AlphaGo.

Elle conjugue depuis croissance économique, montée en puissance technologique et patriotisme, ce qui lui donne un avantage considérable par rapport aux GAFAM, dont les dirigeants n’ont pas les mêmes relations aux institutions gouvernementales. Elle dépasse les États-Unis en publications scientifiques et en dépôt de brevets. Le chapitre revient sur les tentatives américaines pour juguler certaines entreprises chinoises (Huawei et plus récemment l’application TikTok).

Face aux deux géants, le chapitre 6 « Quo vadis, Europa ? » rappelle le retard européen en matière d’investissements. Le RGPD adopté en 2016 peut-être perçu à la fois comme un frein et comme un modèle attractif. Une stratégie européenne a été proposée en 2018 pour rattraper ce retard, en finançant la recherche et l’innovation.

Le dernier chapitre « La France dépassée ? » revient sur les initiatives françaises en matière d’informatique et d’intelligence artificielle :

  • 1966 : Plan calcul et création de l’IRIA (Institut de Recherche, d’informatique et d’automatisme) ancienne INRIA
  • 2018 : lancement des quatre instituts interdisciplinaires de l’IA  (3IA)
  • 2019 : plan de 1.5 milliard d’euros d’investissement dans l’IA jusqu’en 2022 ; supercalculateur installé sur le plateau de Saclay
  • projet d’un cloud souverain et appels d’offres sur la protection des données

En 2019, un tableau recense les pays et régions du monde ayant déposé le plus de brevets IA dans le monde. Rang 1 : USA, rang 2 : Chine. La France arrive au rang 14.

Mon avis sur l’ouvrage :

L’ouvrage de Pascal Boniface était celui que je souhaite le plus lire dans la sélection que je m’étais faite sur la question, et c’est également ce qui m’avait attiré dans son introduction : le fait qu’il s’agisse d’un littéraire se questionnant sur une problématique scientifique.

Cependant, j’ai eu l’impression durant ma lecture que, malgré les éléments de définition du premier chapitre, il traite de l’intelligence artificielle quasiment exclusivement avec la perspective des géants du numérique, même en considérant les aspects qui y sont corrélées (contrôle social, traitement des données).

En gros, j’aurais lu ce livre en premier, il m’aurait servi de porte d’entrée. L’avoir lu en dernier m’a laissé quelque peu sur ma faim. Au lieu d’un auteur spécialiste de géopolitique qui s’intéresse à l’intelligence artificielle, j’aurais eu besoin (à titre personnelle) d’un spécialiste de l’intelligence artificielle qui s’intéresse à la géopolitique.

Revue de presse

Pour cette revue de presse, contrairement aux épisodes précédents, j’ai décidé de ne pas trop détaillé le contenu des périodiques concernés et de me concentrer sur ce que j’ai pu trouver de plus récent – hors quotidiens.

Le Monde diplomatique n°829

Je l’ai retenu parce qu’il propose un éclairage sur l’intelligence artificielle en Chine : «La Chine entravée dans la bataille de l’intelligence artificielle » (p.12-13).

La Chine a porté ce secteur comme priorité nationale dès 2017 et dispose de différents atouts : précurseur dans le paiement via smartphone, le recours aux robots dans les services publics, l’association étroite entre entreprises, chercheurs et administrations.

Elle bénéficie de travailleurs qualifiés et ses applications sont reconnues (TikTok, cloud d’Alibaba, chatbots, système de circulation automobile, reconnaissance faciale, service de robots taxis, générateur d’images).

Plusieurs freins viennent gêner ces progrès : la fuite des cerveaux chinois, le retard et le blocage des investissements notamment dans le secteur des semi-conducteurs (et du coup le risque de pénurie qu’ils suscitent), la mainmise de l’État, les sanctions des États-Unis à l’encontre de la Chine.

Un encart revient sur l’application TikTok et les pressions et initiatives pour l’interdire en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest.

Courrier international n°1685 (16-22 février 2023)

C’est le premier de l’année, pour ce périodique, à s’intéresser en Une à ChatGPT, avec un article publié dans The Sunday Times du 5 février. Il revient sur les « exploits » de l’outil depuis son lancement en novembre 2022, l’utilisation de ChatGPT par les étudiants britanniques (et les réactions des universités), par les employés pour rédiger des lettres de motivation, dans le milieu du journalisme ou de la programmation.

Le numéro de The Economist du 30 janvier propose lui un retour sur les centres de recherche privés et les entreprises qui ont favorisé la montée en puissance de l’intelligence artificielle, avec d’un côté les géants OpenAI, Amazon, Google et Meta, et de l’autre les organismes chinois financés par l’État comme la Beijing Academy of AI.

Un entretien publié dans le New York Times en décembre 2022 avec Yejin Choi, scientifique et informaticienne, revient enfin sur les idées reçues concernant l’intelligence artificielle.

Le dossier propose en outre :

  • une chronologie de la genèse de ChatGPT
  • une revue de presse revenant sur les réactions suscitées par l’outil (éducation, emploi, recherche, sécurité)
  • ses principaux exploits

Courrier international n°1695 (27 avril – 3 mai 2023)

Le dossier proposé dans ce numéro « Intelligence artificielle : fini de rire » est un peu plus conséquent et propose une vision plus pessimiste, étayée par des articles de la presse américaine, suisse et tchèque.

Il revient sur les risques suscités par le développement des modèles de langue : fuite d’informations, réponses biaisées, hameçonnage, tentatives d’arnaques, qui passent par l’injection dans l’outil de prompts (consignes) pour obtenir des informations personnelles de la part de l’internaute.  (MIT Technology Review)

Un extrait du Temps est consacré au double jeu d’Elon Musk en matière d’IA : signataire d’une pétition demandant une pause de la recherche tout en créant une start-up spécialisée sur la question.

Un entretien avec Niels Ackermann, photojournaliste, revient sur les prouesses des IA génératives dans la création d’images et l’utilisation de ces images et de deepfakes dans les médias. (Heidi news)

La revue de presse du dossier revient sur certaines mesures de régulation prises au moment où paraissait ce numéro : suspension de ChatGPT en Italie, censure en Chine.


Courrier international n°1704 (29 juin – 5 juillet 2023)

Il s’agit ici d’une controverse proposée sur une seule page : « IA : L’Europe fait-elle bien de légiférer ? » avec

  • côté POUR un article du Süddeutsche Zeitung (Allemagne) : publication du IA ACT le 14 juin par le Parlement européen avec l’accent mis sur la protection des données personnelles et le respect de la vie privée, ainsi que la lutte contre la désinformation ;
  • côté CONTRE un article de Rzeczpospolita (Pologne) : l’excès de réglementation européenne comme frein à l’essor économique et le fait pour l’Europe de rester à la traîne dans la course technologique.

En deux mots, d’un côté sécurité, de l’autre liberté.

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