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Souvenirs d’enfance : Le Roi et l’Oiseau

L’un de mes premiers souvenirs cinématographiques est la découverte du film Le Roi et l’oiseau.

© Gebeka Films

© Gebeka Films

À vol d’oiseau : Petit aperçu

Pour ceux qui n’ont pas le bonheur de connaître ce film, petit aperçu : Le Roi et l’oiseau est un poème – je ne peux pas dire les choses autrement – réalisé par Jacques Prévert et Paul Grimault autour du conte d’Andersen, La Bergère et le ramoneur.

L’Oiseau, toucan polyglotte et poète, représente le seul opposant au Roi de Takicardie, tyran bigleux et totalitaire, tombé amoureux du tableau de la charmante petite bergère. Une nuit, le portrait du roi prend la place du roi véritable, et se lance à la poursuite de la bergère et du ramoneur, aidés par l’oiseau dans leur quête de liberté.

Ce film est un petit bijou, un concentré de beauté. Nul besoin d’aller plus loin : tout a déjà été dit, même par les réalisateurs japonais des studios Ghibli, Isao Takahata et Hayao Miyazaki, qui se considèrent comme les disciples de Paul Grimault.

Depuis ma première rencontre avec lui, j’ai dû le voir une bonne trentaine de fois, à raison parfois de deux fois par an, et chaque nouvelle rencontre me semblait toujours plus belle et plus riche que la précédente.

L’oiseau et l’oiseleur

Lors d’une de mes visites en librairie pour préparer les articles cinéphiles de ce blog, je suis tombée en arrêt devant ce qu’on appelle sur les sites de vente en ligne un « beau livre ». C’est d’ailleurs plus pour désigner un format et opposer ces ouvrages, qui ne tiennent pas dans un sac à main, au format poche.

Le Roi et l'Oiseau Jean-Pierre Pagliano

Pour résumer, j’ai eu un coup de foudre. Le Roi et l’Oiseau : Voyage au cœur du chef-d’œuvre de Prévert et Grimault, de Jean-Pierre Pagliano, paru en octobre 2012 aux éditions Belin est une merveille.

Mais ce qui m’a d’abord frappée est un jeu de mots, ou du moins de sonorités, sur le nom de l’auteur – une blague qu’on a sans doute dû lui faire souvent. Son nom me faisait penser au personnage de l’oiseleur dans La Flûte enchantée, Papageno. Et j’ai trouvé logique qu’un oiseleur qui ne met personne en cage soit le spécialiste de ce drôle d’oiseau.

Au-delà du format, il s’agit réellement d’un beau livre, avec photos, affiches, archives, croquis, études au fusain et gouaches. On y retrouve l’univers si particulier du film, depuis ses esquisses jusqu’à son aboutissement : l’éclatante lumière du palais clinquant et de ses jardins, et l’obscurité de la ville basse, le bestiaire révolté – oiseaux, chien, ours, tigres et lion – les traits fins ou burlesques de ses moindres personnages.

«Pour faire le portrait d’un oiseau»

Le livre de Jean-Pierre Pagliano, c’est aussi une étude passionnante du projet Le Roi et l’Oiseau.

L’auteur nous mène d’abord à la rencontre de Paul Grimault, dessinateur génial ayant fréquenté aussi bien les surréalistes, Picasso et Prévert, que l’univers du cinéma (Jean Aurenche, Jacques Demy). Il nous conduit dans son atelier, où l’on découvre les témoignages de ses plus proches collaborateurs.

L’histoire du Roi et l’Oiseau, c’est aussi l’histoire mouvementée d’un film hybride (La Bergère et le Ramoneur, premier projet de Prévert et Grimault, tronqué, trahi, volé en 1952 – et Le Roi et L’Oiseau, repensé, refait, retrouvé en 1980), dont la fabrication a pris près de quarante ans, entrecoupée de faillites et de péripéties judiciaires.

Pagliano cite Grimault : « On dit que j’ai mis trente-cinq ans pour faire Le Roi et l’Oiseau… En réalité, j’ai mis cinq ans (en deux fois) pour le réaliser et trente pour trouver le fric ! »

Le Roi et l’Oiseau, c’est l’Odyssée d’Ulysse qui met vingt ans à retrouver Ithaque. Comme le dit si bien l’auteur :

« Aujourd’hui, on pourrait, par jeu, considérer le film comme une parabole ironique de sa propre genèse. Identifier au Roi le méchant Producteur (…). Voir dans la faillite des Gémeaux (la maison de production originelle de 1952) un remake de la débâcle du royaume. Et pendant qu’on y est, attribuer à Prévert et Grimault les rôles du Ramoneur et de l’Oiseau, champions de la Justice et de la Liberté. La Bergère ? Elle est, comme le film lui-même, l’enjeu et la victime provisoire du conflit. »

La moitié du livre est donc consacrée au récit de cette incroyable création, qui n’est pas sans rappeler les aventures de Pierre Etaix avec ses propres œuvres…

Un chant d’oiseau…

Enfin, on en arrive à la partie la plus belle : l’analyse du film, qui n’est pas une glose ennuyeuse, mais une émouvante étude des personnages principaux, de l’humour et des motifs choisis par Prévert et Grimault : l’œuvre dans l’œuvre, l’être et le reflet, le détournement du conte, la fantaisie, la mise en abyme, la voix du poète.

Le Roi et l’Oiseau est comme un rêve, il ressemble à ces pièces de théâtre, depuis Shakespeare et son Songe d’une nuit d’été, jusqu’à Genet et son Balcon, en passant par L’illusion comique de Corneille, où l’on ne distingue plus très bien la réalité de la fiction.

Je ne résiste pas à la tentation de citer mon passage préféré du livre de Pagliano :

« Le Roi et l’Oiseau offre bien des ouvertures sur le rêve : la transmutation d’objets d’art en êtres vivants, la confusion des espèces et des origines, les plus improbables métissages : engins volants ou aquatiques aux formes animales, croisements d’hommes et de chauves-souris… À cette atmosphère onirique contribuent les décors à la Chirico et les poursuites sans fin, comme dans les cauchemars, avec ces amoureux qui dévalent les cent mille marches en les effleurant à peine… L’espace se dilate vers le ciel constellé ou plonge dans de vertigineuses lignes de fuite. Les proportions s’inversent lorsqu’un personnage est brusquement happé par le géant métallique. Elles se brouillent, superbement, quand les ombres des deux fuyards se convulsent dans le phare du Robot comme d’horizontales flammes noires. »

L’ouvrage se referme sur l’analyse du réalisateur du Tombeau des lucioles, qui ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà : il faut voir Le Roi et l’Oiseau, le revoir, et le faire voir.

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  1. Eva

    Mon dessin animé préféré ! J’aimais particulièrement le nom du roi avec des additions dedans !
    Sinon très bel article, très fine analyse ! 🙂

    • Moi j’ai toujours adoré l’énumération d’étages lorsque le Roi est dans l’ascenseur « panoplies en tout genre, feux d’artifices, dernières cartouches… » et puis le discours de l’Oiseau aux lions « alors, mes amis lions, votre redoutable indignation ne pourra se contenir entre les quatre murs de cette sombre prison !… » 😉

  2. Oh, c’était aussi un dessin animé qui m’a beaucoup marqué! Je ne l’avais pas chez moi, mais j’avais un animé qui possédait la cassette, et à chaque fois que j’allais chez lui, je le regardais! Ce livre a l’air vraiment super ^^

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