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Mois : mars 2013 (Page 2 sur 2)

Souvenirs d’enfance : Le Roi et l’Oiseau

L’un de mes premiers souvenirs cinématographiques est la découverte du film Le Roi et l’oiseau.

© Gebeka Films

© Gebeka Films

À vol d’oiseau : Petit aperçu

Pour ceux qui n’ont pas le bonheur de connaître ce film, petit aperçu : Le Roi et l’oiseau est un poème – je ne peux pas dire les choses autrement – réalisé par Jacques Prévert et Paul Grimault autour du conte d’Andersen, La Bergère et le ramoneur.

L’Oiseau, toucan polyglotte et poète, représente le seul opposant au Roi de Takicardie, tyran bigleux et totalitaire, tombé amoureux du tableau de la charmante petite bergère. Une nuit, le portrait du roi prend la place du roi véritable, et se lance à la poursuite de la bergère et du ramoneur, aidés par l’oiseau dans leur quête de liberté.

Ce film est un petit bijou, un concentré de beauté. Nul besoin d’aller plus loin : tout a déjà été dit, même par les réalisateurs japonais des studios Ghibli, Isao Takahata et Hayao Miyazaki, qui se considèrent comme les disciples de Paul Grimault.

Depuis ma première rencontre avec lui, j’ai dû le voir une bonne trentaine de fois, à raison parfois de deux fois par an, et chaque nouvelle rencontre me semblait toujours plus belle et plus riche que la précédente.

L’oiseau et l’oiseleur

Lors d’une de mes visites en librairie pour préparer les articles cinéphiles de ce blog, je suis tombée en arrêt devant ce qu’on appelle sur les sites de vente en ligne un « beau livre ». C’est d’ailleurs plus pour désigner un format et opposer ces ouvrages, qui ne tiennent pas dans un sac à main, au format poche.

Le Roi et l'Oiseau Jean-Pierre Pagliano

Pour résumer, j’ai eu un coup de foudre. Le Roi et l’Oiseau : Voyage au cœur du chef-d’œuvre de Prévert et Grimault, de Jean-Pierre Pagliano, paru en octobre 2012 aux éditions Belin est une merveille.

Mais ce qui m’a d’abord frappée est un jeu de mots, ou du moins de sonorités, sur le nom de l’auteur – une blague qu’on a sans doute dû lui faire souvent. Son nom me faisait penser au personnage de l’oiseleur dans La Flûte enchantée, Papageno. Et j’ai trouvé logique qu’un oiseleur qui ne met personne en cage soit le spécialiste de ce drôle d’oiseau.

Au-delà du format, il s’agit réellement d’un beau livre, avec photos, affiches, archives, croquis, études au fusain et gouaches. On y retrouve l’univers si particulier du film, depuis ses esquisses jusqu’à son aboutissement : l’éclatante lumière du palais clinquant et de ses jardins, et l’obscurité de la ville basse, le bestiaire révolté – oiseaux, chien, ours, tigres et lion – les traits fins ou burlesques de ses moindres personnages.

«Pour faire le portrait d’un oiseau»

Le livre de Jean-Pierre Pagliano, c’est aussi une étude passionnante du projet Le Roi et l’Oiseau.

L’auteur nous mène d’abord à la rencontre de Paul Grimault, dessinateur génial ayant fréquenté aussi bien les surréalistes, Picasso et Prévert, que l’univers du cinéma (Jean Aurenche, Jacques Demy). Il nous conduit dans son atelier, où l’on découvre les témoignages de ses plus proches collaborateurs.

L’histoire du Roi et l’Oiseau, c’est aussi l’histoire mouvementée d’un film hybride (La Bergère et le Ramoneur, premier projet de Prévert et Grimault, tronqué, trahi, volé en 1952 – et Le Roi et L’Oiseau, repensé, refait, retrouvé en 1980), dont la fabrication a pris près de quarante ans, entrecoupée de faillites et de péripéties judiciaires.

Pagliano cite Grimault : « On dit que j’ai mis trente-cinq ans pour faire Le Roi et l’Oiseau… En réalité, j’ai mis cinq ans (en deux fois) pour le réaliser et trente pour trouver le fric ! »

Le Roi et l’Oiseau, c’est l’Odyssée d’Ulysse qui met vingt ans à retrouver Ithaque. Comme le dit si bien l’auteur :

« Aujourd’hui, on pourrait, par jeu, considérer le film comme une parabole ironique de sa propre genèse. Identifier au Roi le méchant Producteur (…). Voir dans la faillite des Gémeaux (la maison de production originelle de 1952) un remake de la débâcle du royaume. Et pendant qu’on y est, attribuer à Prévert et Grimault les rôles du Ramoneur et de l’Oiseau, champions de la Justice et de la Liberté. La Bergère ? Elle est, comme le film lui-même, l’enjeu et la victime provisoire du conflit. »

La moitié du livre est donc consacrée au récit de cette incroyable création, qui n’est pas sans rappeler les aventures de Pierre Etaix avec ses propres œuvres…

Un chant d’oiseau…

Enfin, on en arrive à la partie la plus belle : l’analyse du film, qui n’est pas une glose ennuyeuse, mais une émouvante étude des personnages principaux, de l’humour et des motifs choisis par Prévert et Grimault : l’œuvre dans l’œuvre, l’être et le reflet, le détournement du conte, la fantaisie, la mise en abyme, la voix du poète.

Le Roi et l’Oiseau est comme un rêve, il ressemble à ces pièces de théâtre, depuis Shakespeare et son Songe d’une nuit d’été, jusqu’à Genet et son Balcon, en passant par L’illusion comique de Corneille, où l’on ne distingue plus très bien la réalité de la fiction.

Je ne résiste pas à la tentation de citer mon passage préféré du livre de Pagliano :

« Le Roi et l’Oiseau offre bien des ouvertures sur le rêve : la transmutation d’objets d’art en êtres vivants, la confusion des espèces et des origines, les plus improbables métissages : engins volants ou aquatiques aux formes animales, croisements d’hommes et de chauves-souris… À cette atmosphère onirique contribuent les décors à la Chirico et les poursuites sans fin, comme dans les cauchemars, avec ces amoureux qui dévalent les cent mille marches en les effleurant à peine… L’espace se dilate vers le ciel constellé ou plonge dans de vertigineuses lignes de fuite. Les proportions s’inversent lorsqu’un personnage est brusquement happé par le géant métallique. Elles se brouillent, superbement, quand les ombres des deux fuyards se convulsent dans le phare du Robot comme d’horizontales flammes noires. »

L’ouvrage se referme sur l’analyse du réalisateur du Tombeau des lucioles, qui ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà : il faut voir Le Roi et l’Oiseau, le revoir, et le faire voir.

Dictionnaires thématiques

Selon Roland Barthes, « Le dictionnaire est une machine à rêver. » Et, en effet, lorsque l’on  parcourt les pages d’un dictionnaire consacré plus exclusivement au cinéma, aux acteurs ou aux réalisateurs, une foule d’images reviennent en mémoire…

Mais ce n’est sans doute pas aux dictionnaires thématiques que pense Roland Barthes. Lui, l’amoureux des mots, le décrypteur de sens, est capable de rêver sur chaque mot. La plupart des littéraires que je connais ont leur petit lot de mots fétiches, mais contrairement à ce que l’on peut penser, ce ne sont pas que des figures de style (oxymore,  allitération, et autres prosopopées…). Les miens, ce sont crépuscule, hallucination, mélancolie, calligraphie, palimpseste, uchronie

Dictionnaires et encyclopédies

Si je joue sur les mots, c’est pour mieux souligner que tous ces dictionnaires thématiques dont je vais parler dans un instant, n’ont de dictionnaire que le titre et, à la rigueur, le classement alphabétique… À eux seuls, ils permettent de souligner la confusion qui est faite entre dictionnaire et encyclopédie, question souvent ressassée en documentation :

  • un dictionnaire est un ouvrage qui contient l’ensemble des mots d’une langue ou d’un domaine d’activité (droit, géographie – quelle horreur – philosophie, cinéma aussi) par ordre alphabétique, en donne la définition, fournit des exemples et des correspondances (étymologie, synonymes, antonymes, etc.)
  • une encyclopédie (l’un de mes mots préférés également, à cause de son étymologie) propose de faire le tour de l’ensemble du savoir ou d’une question au moment précis où cette question se pose. Elle peut être organisée de manière thématique ou alphabétique (Wikipédia propose par exemple une entrée par Portails, par index alphabétique, ou, pour les adeptes du butinage, le choix d’un article au hasard).

J’ai souligné qu’il pouvait exister des dictionnaires sur le cinéma, mais justement, les dictionnaires propres à un domaine d’activité, ou à un thème particulier, font partie de ces ouvrages pour lesquels la frontière avec l’encyclopédie est beaucoup moins rigide. Ils ne se contentent généralement pas de donner la définition d’une technique, la date et les principaux acteurs d’un film. Ils ne s’arrêtent pas au seul mot, ils approfondissent la question.

Dictionnaires thématiques et encyclopédiques sur le cinéma

À chaque domaine d’activité son dictionnaire, donc. On trouve de nombreux dictionnaires de cinéma et du cinéma, le spécialiste prolifique du genre – et l’une des références – étant Jean Tulard, qui a publié en 1982 la première édition du premier volume de son Dictionnaire du cinéma consacré aux réalisateurs. Le second volume, paru en 1985, était consacré aux acteurs, producteurs, scénaristes et techniciens du cinéma. En 1990, il a dirigé la publication d’un Guide des films, et en 2009, il a publié son Dictionnaire amoureux du cinéma, forme pour laquelle l’auteur choisit subjectivement dans le thème « cinéma » les articles et les aspects qui l’intéressent.

Ce qui est intéressant, si l’on se penche sur le dictionnaire de Jean Tulard, qui se revendique comme « dictionnaire du cinéma », c’est qu’à chaque fois, il choisit un angle d’attaque particulier : réalisateur, acteurs, films… Ces ouvrages-là sont des dictionnaires de noms propres à part entière (noms, dates, filmographies). On trouve aussi des dictionnaires sur les techniques, les courants cinématographiques, le cinéma par pays. Par contre, des ouvrages comme les Dictionnaires amoureux sont davantage à classer dans les encyclopédies, selon moi.

D’autres ouvrages généraux sur le cinéma ressemblent tantôt à des dictionnaires, tantôt à des encyclopédies : j’en retiendrai deux. La Chronique du cinéma (2002) racontait le cinéma au jour le jour, année par année, des Frères Lumières à Amélie Poulain. Les 1001 films à voir avant de mourir (2012) propose aussi un classement chronologique de succès et d’indispensables du cinéma, en se rapprochant, par son approche subjective, des dictionnaires amoureux.

Mais j’aborderai un autre jour cette question des ouvrages généraux… Revenons aux dictionnaires. J’en ai déjà présenté deux, à chaque fois l’oeuvre d’une seule personne, dans ce que ça peut avoir d’excellent (le Dictionnaire Hitchcock de Laurent Bourdon), ou d’un petit peu plus décevant (Louis de Funès de A à Z de Bertrand Dicale). Un réalisateur et un acteur. Voyons maintenant deux ouvrages collectifs.

2 exemples : le Dictionnaire Truffaut et Marilyn Monroe de A à Z

Là encore, un réalisateur et un acteur. Deux dictionnaires très bien pensés, très bien construits.

Marilyn Monroe de A à Z

Marilyn Monroe de A à Z, sous la direction de Isabelle Danel, paru en mai 2012 – une année riche en nouveaux ouvrages sur Marilyn, à l’occasion des 50 ans de sa disparition – chez Tana éditions. La même maison que le Louis de Funès de A à Z. D’ailleurs le choix de couleurs est intéressant : bleu pour De Funès, rose flashy pour Marilyn, on a un peu l’impression, sur ce coup-là, d’être dans un catalogue de jouets pour Noël : rose pour les filles, bleu pour les garçons.

Il n’empêche, c’est un très bon dictionnaire, bien fait, avec des renvois clairs, mais pas excessifs. Le contenu ne tombe jamais dans le pathos ou dans le sordide, ni dans la caricature facile. Les films sont bien présentés : une fiche technique, puis un résumé, enfin une analyse du projet depuis sa genèse jusqu’à son accueil. Ainsi est évité l’écueil d’un détail par ci, un détail par là, que j’avais évoqué dans l’article précédent.

Ce dictionnaire s’ouvre, comme il se doit avec Marilyn Monroe, sur l’article Actrice, pour se clore sur l’un des pseudonymes de Marilyn, « Zonk, Zelda » – consonne doublée, comme Danielle Darrieux, Michelle Morgan, Brigitte Bardot… et Marilyn Monroe. Si l’on ne retient que quelques articles, quelle image de la star avons-nous ? Ambivalence,  Blonde, Cinq, Enfance, Fragments, Grain de beauté, Hollywood, Livres, Métro, Nue, Pou Pou Pidou, Sexe, Trente-six, Ukulélé, Voix, Walf of fame, Zonk.

dictionnaire truffaut

Le Dictionnaire Truffaut aux éditions de la Martinière. C’est un ouvrage dirigé par Antoine de Baecque et Arnaud Guigue, paru en 2004, et c’est l’un de mes ouvrages préférés sur François Truffaut. Je vais donc essayer d’être objective, mais ça risque d’être difficile.

Comme je l’ai déjà dit, le premier contact avec un livre, c’est le contact physique, visuel et tactile : on soupèse, on regarde, on feuillette – on maudit les livres sous plastique, ou du moins l’absence d’exemplaires de présentation. La couverture du Dictionnaire Truffaut est très sobre, blanche, avec une minuscule photo du visage du réalisateur éclairé à la bougie.

Ce qui m’a toujours plu dans ce dictionnaire, c’est non seulement son exhaustivité, mais le choix de certaines répliques qui deviennent des articles à part entière : « Ni avec toi, ni sans toi », « C’est une joie et une souffrance », Figure achevée. Selon l’auteur de l’article, le ton est porté davantage vers l’analyse, ou vers le sensible – mais pas la sensiblerie.

Cela s’est sans doute remarqué, j’aime les articles transversaux, qui permettent de voir une oeuvre selon une approche particulière, et, comme dans certains dictionnaires, c’est le cas ici : Amour définitif, érotisme, évanouissement, Fétichisme, Imperméables, Livres, Mannequin de cire, Nouvelle vague, Obsessions, Passé… Enfin, à la fin, séparé, il y a la partie Chiffres : 00-14, « 10% d’inspiration, 90% de transpiration »… et c’est une belle trouvaille.

En guise de conclusion, quelques phrases de l’article « Livres », rédigé par Eric Neuhoff :

Qu’est-ce qu’il deviendrait sans eux ? Les livres, il y en a partout. Il les montre. Il en achète. Il les adapte. Il les écrit. (…) Quand Truffaut sort d’une salle de cinéma, c’est pour entrer dans une librairie. (…) Dans l’univers de Truffaut, on ne meurt pas avant d’avoir écrit la dernière ligne de son manuscrit. Ses volumes, il les protège, les recouvre soigneusement de papier cristal (les femmes, il veut les mettre sous Cellophane). Il ne les prête pas, mais les offre. Tout jeune, il a hésité entre être romancier ou avocat. Les livres sont ses repères, ses «Rosebud».

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