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Jeux de mots, accentuation, atténuation et point Godwin

Avant le prochain article cinéphile, voici un petit post sans prétention, inspiré par cet article de Thèse antithèse foutaises, et qui mêlera figures de style, mots très curieux et sujets tendancieux…

L’idée de départ est de voir de quelle manière nous jouons avec et sur les mots au quotidien.

L’un de mes précédents articles explorait de quelle manière, pour les littéraires, l’amour des cartes heuristiques peut être lié au plaisir de représentation géographique et imaginaire des mots. Pour ces littéraires, le travail de formulation d’une recherche, l’analyse d’une notion pour préparer une séquence et le moindre des projets pris sous le prisme du vocabulaire et des champs lexicaux, peuvent prendre des allures d’escapade exotique.

Cependant, bien que cet aspect des choses m’enchante, je préfère en relever les implications les plus informelles et les plus ludiques, à savoir : les jeux d’énigmes, le double discours et l’ironie en tant qu’outils pédagogiques, et les conversations caféinées.

Jeux de mots

Depuis quelques temps, j’ai redécouvert la magie d’un dictionnaire… Pas même le dictionnaire de figures de style, qui recense les anacoluthes, prosopopées et autres zeugmes, mais le dictionnaire réduit à sa simple expression et à sa destination première : collecte et définition des mots de la langue française.

A quoi dois-je ce bonheur ? Aux journées de formation, où une collègue a dit mettre toutes les semaines une énigme sur la porte du CDI. L’idée m’a paru excellente, et dès la semaine d’après, j’ai commencé à mettre mes « énigme du jour » sur la porte. Je cherche le mot qui me semble le plus mystérieux et j’en demande le sens. J’ai déjà affiché : nyctalope, triskaïdékaphobie, procrastination et aujourd’hui, palimpseste.

Bien-sûr, je ne peux pas faire trop compliqué, mais j’aime jouer avec les sonorités et voir les réactions qu’elles provoquent. Évidemment, nyctalope est tout de suite pris pour une insulte ; les autres suscitent juste quelques difficultés à être prononcés. Mais cela fait plaisir de voir les élèves se ruer sur un dictionnaire, même si, j’avoue, la récompense (une boîte de Smarties ou un Carambar) y est pour beaucoup.

Je pense à un mot dont la découverte m’a marquée – pas forcément le plus long ou le plus difficile à trouver – c’est le cas pour procrastination, qui chante à merveille l’occupation la plus agréable qui soit, et palimpseste, dont j’aime les deux « p » qui donnent bien l’idée d’une écriture qui se réécrit sur un même support sans cesse recyclé. Pour la prochaine énigme, je pense à utopie, crépuscule ou encore à kaléidoscope…

De l’imprononçable à l’ironie : palettes du discours.

L’amie de Thèse Antithèse Foutaises évoque sa figure de style favorite : le zeugme, qui correspond ma foi très bien à sa loufoquerie, à sa capacité de digression et de changement de ton. Chaque littéraire semble donc voué à apprécier dans une plus large mesure une figure de style en particulier, qui finit par le représenter.

Mes figures de prédilection sont celles dans lesquelles s’expriment le mieux un double discours, une nuance, un soulignement, voire de l’ironie ou du cynisme : la litote et l’antiphrase, avec une légère préférence pour la litote, qui est devenue dans un cercle d’amis, l’un de mes surnoms.

La litote, en effet, est le juste milieu entre le silence réprobateur et la méchanceté gratuite. C’est une figure de style assez subtile, qui permet à son usager de déguiser sa pensée de façon à en faire deviner toute la force véritable.

Cette figure, qui va de conserve avec le sens de la répartie, je l’admire chez mes amis, comme chez certains écrivains qui manient la plume avec le plus élégant cynisme (Sartre dans Les Mots, Queneau dans Le Chiendent, Drieu La Rochelle dans Gilles). Ces auteurs que j’ai cités étaient ceux que nous faisait découvrir mon ancien directeur de recherche, connu par tous ses étudiants pour son humour pince-sans-rire, qui s’accompagnait généralement d’un petit sourire en coin du plus bel effet.

C’est sans doute grâce à ce dernier que je dois le meilleur exemple des bienfaits de l’ironie en pédagogie et dans les relations humaines en général. Les exemples sont quotidiens, quoique parfois risqués, du classique :

– Madame, j’ai plus de place sur la feuille.

– Eh bien écris sur la table…

au non moins classique et beaucoup plus cruel :

 – J’ai rien fait.

– Si, tu existes.

Mes sources d’inspiration sont diverses – je suis parfois en panne sèche de répartie originale – j’ai pu dire à un élève baratineur qu’il serait capable de vendre du sable dans le désert. Il est vrai que je suis davantage un public facile qu’une artiste en la matière : j’admire l’ironie chez les autres comme une habileté, une sorte d’artisanat exercé, mais j’ai plus de difficulté à la mettre en pratique et à la doser…

De l’ironie au point Godwin : dérapages du discours

Ou comment passer de la maîtrise total à la perte de contrôle. L’ironie, en particulier, et la relation à autrui en général, étant des exercices de haute voltige, que ce soit dans le face à face direct ou sur Internet, il est inévitable dans une conversation polémique d’atteindre le point Godwin.

Greg Williams

Greg Williams

Petit rappel de définition :

La loi de Godwin provient d’un énoncé fait en 1990 par Mike Godwin relatif au réseau Usenet, et popularisée depuis sur Internet : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. » Dans un débat, atteindre le point Godwin revient à signifier à son interlocuteur qu’il vient de se discréditer en vérifiant la loi de Godwin. Par extension, du fait de la polysémie du mot « point », des « points Godwin » sont parfois attribués à l’unité. (source : Wikipédia)

Ce qui est le plus fascinant, à mon sens, c’est de considérer les deux moments de la discussion, point de départ et point d’arrivée, car le point de dérapage reste lui très subjectif, et très humain.

Exemple concret de recette : l’explosion de deux bombes au marathon de Boston comme ingrédient de base. Ajouter un participant à la discussion plus enthousiaste qu’informé, plus engagé politiquement que le reste du groupe. Déjà s’aperçoit la pente vers :

  • théorie du complot
  • Corée du Nord
  • le 11 septembre : malgré les avions, faut-il y croire ou non ?
  • La guerre froide, la superpuissance américaine…

Remuez, mélangez tous ces ingrédients individuellement inoffensifs (ou presque) et vous obtenez un magnifique raccourci pour expliquer Boston par l’incendie du Reichstag organisé par Hitler…

Bref, pour résumer :

Bombes sur le marathon de Boston ———————————> Incendie du Reichstag.

A partir de ce constat très simple, il serait amusant d’imaginer pour chaque personne son point Godwin, ou ce qui va déterminer l’arrivée du point Godwin dans son système de pensée, sans se restreindre à Hitler, évidemment. Ainsi :

  • Pour un scientifique : la moindre des ignorances ou des incohérences du non-scientifique envers lui serait équivalent à refaire le procès de Galilée ;
  • Pour un littéraire, le point Godwin n’aurait pas d’autre formulation que le rappel des inepties de Frédéric Lefebvre sur « Zadig et Voltaire ». On y retrouverait aussi pêle-mêle Thomas More condamné au bûcher, Flaubert et Baudelaire condamné pour indécence ou la mort de Socrate…
  • Pour un professeur documentaliste, ce serait la simple mention de l’expression « dame du CDI ».
  • Pour un cinéphile, ce serait très certainement les films de Vin Diesel.

Et pour vous, quel est le point Godwin ?

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  1. Qu’est-ce que serait le Point Godwin pour un muséologue…hum…le musée ethnographique du bouchon de Bergeon-en-Josace peut-être ??
    Et sinon j’aime bien l’idée du « jeu du dictionnaire », mais du coup ce n’est pas trop la ruée vers le CDI lors de la récré pour sauter sur le dico ? Auquel cas c’est une épreuve de vitesse ! ^^
    Tu pourrais rajouter une difficulté supplémentaire, comme leur demander de dire une phrase où le mot est utilisé correctement ? (vieux réflexes de prof de français, sorry…)

    • Tiens je ne connaissais pas le musée ethnographique du bouchon. Sinon je sais qu’il existe des merveilles (!!!) telles que le musée de la chope à bière, ou le musée du carnaval en Belgique, avec une succession de « Gilles » à faire peur !
      Pour la difficulté supplémentaire, je ne sais pas trop : je veux vraiment que ce soit un jeu pour eux, et pas un exercice. Si je rajoutais quelque chose, j’aurais peur de les décourager !

  2. Giwdul

    Je savais bien que tu ne pouvais qu’être une fan de Vin Diesel.

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