Régulièrement, des textes sur Hitchcock sont publiés : recueils d’articles et d’entretiens, dictionnaires, analyses diverses et variées de son oeuvre sous différents angles : psychanalytiques, filmographiques, biographiques et même culinaires… J’ai eu l’occasion d’en évoquer dans deux articles, l’un sur une parution récente, l’autre consacrés aux « indispensables » sur Hitchcock.

L’ouvrage qui m’intéresse ici est un texte assez court, et indéfinissable. Il ne se consacre ni à la biographie d’Hitchcock, ni à sa filmographie de manière directe. Il ne fournit pas une analyse approfondie d’un aspect de l’oeuvre. Le terme qui lui convient le mieux, c’est l’évocation.

Les blondes hitchcock

En effet, ce livre de quatre-vingt pages, Les Blondes flashantes d’Alfred Hitchcock, est moins l’étude scrupuleuse d’un sujet que le partage d’un fantasme à l’état pur de l’auteur, Serge Koster, avec le spectateur, qu’il semble imaginer quasi exclusivement comme masculin. Les hommes fantasment sur Grace Kelly et Eva-Marie Saint ; les femmes sur Cary Grant et James Stewart. Seulement il semble concéder que les héroïnes d’Hitchcock ont la même particularité qu’une comédienne comme Romy Schneider : les femmes les admirent sans les jalouser, les hommes les vénèrent sans vulgarité (ou presque).

Le livre, paru en mai 2013 aux éditions Léo Scheer, nous chante les blondes hitchcockiennes. Cette évocation est poétique, toute en digressions. La seule trame, c’est la succession de ces blondes : Grace Kelly, Kim Novak, Eva-Marie Saint, Tippi Hedren. Le contenu, en dépit des chapitres et des sous-chapitres, n’a de structure que celle du rêve éveillé, au parfum provocant légèrement iconoclaste et gentiment sexuel.

Dès la couverture, en-dessous du titre, le ton est donné : une élégante Grace Kelly entr’ouvre un rideau qui évoque davantage une vulve que les coulisses d’un théâtre… A la suite de cette invitation que ne voudra pas reconnaître une âme innocente, la parole est laissée à Hitchcock, avec l’une des citations les plus célèbres des entretiens Hitchcock / Truffaut :

« Quand j’aborde les questions de sexe à l’écran, je n’oublie pas que, là encore, le suspense commande tout. Si le sexe est trop criard et trop évident, il n’y a plus de suspense. Qu’est-ce qui me dicte le choix d’actrices blondes et sophistiquées ? Nous cherchons des femmes du monde, de vraies dames qui deviendront des putains dans la chambre à coucher. »

Dans les quatre-vingt pages suivantes, l’auteur brodera ses variations sur ce thème, alliant souvenir idéalisée du film, plaisir du voyeurisme ressassé, détails biographiques d’Hitchcock, références littéraires et cinématographiques, citant allégrement Proust, Joyce, Freud, Hugo, etc. Un voyage dans l’imaginaire par le trou de la serrure. Pour témoin, ces quelques mots sur Grace Kelly :

« Sous le fard et l’éclat du visage qui illumine la nuit pâle et ombreuse, la blonde flashante, lasse du rôle de madonne, avide des pâmoisons de Madeleine, dépouille le mannequin de la mondanité pour la salope qu’elle aspire à être – nous chuchote Hitch. Si je passe la vitesse supérieure, j’attends de la star qu’elle lance son ordurier défi que durcit l’ankylose : qu’il l’encule s’il l’ose ! »

On a vu plus gracieux… on verra plus élégant, en tout cas plus feutré, dans ce livre.

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La partie sur Kim Novak est l’une des plus belles du livre. Elle est à l’image du film, de Sueurs froides (Vertigo), toute en détours, en désordres et en vertiges :

« Dans la légende antique, Pygmalion, roi de Chypre, sculpteur amoureux de sa statue, obtient d’Aphrodite qu’elle anime Galatée : don de vie, vie de bonheur à deux. Dans Vertigo, tous les éléments sont inversés : une vivante est remodelée sur le patron d’une morte, les forces du malheur sont mises en branle par un maniaque nécrophile, la statue court inexorablement à sa perte. »

Grace Kelly la flamboyante aux trois films – comme le dit l’auteur un prélude (Le Crime était presque parfait) et la conclusion (La Main au collet) encadrant le chef d’oeuvre (Fenêtre sur cour). Kim Novak la charnelle et Eva-Marie Saint l’éthérée, comédiennes d’un seul film chacune,  Sueurs froides et La Mort aux trousses.

L’ouvrage se referme sur les deux films qui ont apporté « splendeur et misères » à Tippi Hedren, la comédienne des Oiseaux et de Marnie, créature et souffre-douleur d’Hitchcock, malmenée physiquement dans les Oiseaux et brutalisée psychologiquement dans Marnie. Serge Koster revient sur les critiques injustes qui lui ont été faites et sur la façon dont le Pygmalion, déçu sexuellement de sa créature, a mis d’autant plus d’énergie à la détruire.

Hitchcock nous est présenté comme un adorateur d’idôles, qu’il magnifie ou qu’il malmène à son gré, au gré de ses caprices, de son génie ou de ses déconvenues. Qu’il considère le spectateur comme un voyeur n’est que le point de départ : il fait de lui le voyeur ultime et universel, qui n’en finit pas d’observer, de savourer des personnages qui ont le sexe et le fantasme au bord des yeux.

Devant ce livre, les prudes et les hypocrites passeront leur chemin. Les autres se reconnaîtront et se perdront dans cette évocation délirante sous forme de dépucelage, et dans lequel, à l’image du film de Truffaut, Les Deux anglaises et le Continent, il y a toujours du sang sur l’or…