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L’éternelle jeunesse des enfants du cinéma

Vous ne vieillirez pas…

On les connaît davantage par le personnage qu’ils ont incarné que par leur prénom et leur nom de famille. Dans notre mémoire, ils s’appellent, et s’appelleront toujours, Paulette, Michel, Antoine, Zazie, Victor, Petit Gibus ou Anne.

Jeux_interdits

De même qu’on ne peut imaginer les êtres qu’on admire changer ou se livrer aux règles de la vie quotidienne – boire, manger, aller aux toilettes, de même il est difficile d’imaginer un seul instant que ces enfants puissent vieillir.

Dans notre imaginaire de cinéphile, ils échappent aux règles du temps. Ils ne peuvent prendre aucune ride, et encore moins mourir : ce serait nous trahir, trahir l’enfant qui demeure en nous et qui a, un jour, contemplé cette jeunesse dans le miroir tendu du film.

C’est peut-être pour cette raison que, bien souvent, une fois l’état de grâce envolé, une fois l’enfance physique abolie, et l’insouciance, la spontanéité, le charme qui l’entouraient disparus, les enfants du cinéma eux-mêmes s’évanouissent. Ils nous abandonnent tout autant que nous les abandonnons. On ne leur laisse généralement aucune seconde chance.

Les exceptions restent rares : Brigitte Fossey (Paulette dans Jeux interdits), après avoir magnifiquement joué dans L’Homme qui aimait les femmes et dans Raphaël ou le débauché, entre autres, deviendra la mère d’une autre enfant du cinéma, Vic, Sophie Marceau dans La Boum. Jean-Pierre Léaud, après Les Quatre cents coups, incarnera pour toujours la jeune garde de la Nouvelle vague. Et il aurait été dommage de ne pas voir s’épanouir la Charlotte Gainsbourg de L’Effrontée dans Ma femme est une actrice ou Prête-moi ta main.

 Les mémorables oubliés

Mais les autres ? Ceux pour qui le temps a figé l’instant de grâce dans la seule expérience cinématographique que nous ayons d’eux ? Ils sont pour nous moins des êtres vivants que des personnages, mais parfois la curiosité l’emporte : y’a-t-il une vie après l’enfance ? Ce genre de question peut prendre des allures un tantinet mélo : on se croirait dans une émission « appel à témoins », ou dans une série télévisée « portés disparus ».

Les enfants du cinéma

Pourtant, François-Guillaume Lorrain, l’auteur des Enfants du cinéma, paru en édition poche en mai 2013 (édition originale chez Grasset en 2011), ne tombe jamais dans le mélo, le pathos ou le voyeurisme. Son propos est toujours d’une rare élégance, teintée de nostalgie. De Jeux Interdits jusqu’à Au revoir les enfants, il observe ces différents visages de l’enfance : ceux et celles qui ont réussi le passage à l’âge adulte, ceux qui ont renié ce passé auxquels on les rappelle sans cesse, ceux qui regrettent, ceux qui n’ont pas laissé de traces, ceux qui cultivent le souvenir.

A la recherche de l’enfant perdu

Souvent le texte est la retranscription de l’enquête. L’auteur ressemble alors à ces rois sans divertissement qu’ont imaginé Pascal et Giono, et pour qui la chasse importe peut-être davantage que la prise. En effet, Lorrain nous rapporte les courriers, les coups de téléphone, les recherches (dans le bottin, dans les archives, mais aussi sur Google et Facebook), pour retrouver les oiseaux rares. Il évoque les obstacles : les changements d’adresse et de noms, la mémoire balbutiante ou la disparition des témoins directs. À ce moment, le livre a des accents de romans à suspense, et l’on voudrait sauter quelques pages pour savoir : perdus ou retrouvés ?

Retrouvés, l’enfant sauvage Jean-Pierre Cargol retourné à son univers gitan et l’espiègle Zazie devenue professeure. Perdus, sans laisser d’adresse, le fidèle ami d’Antoine Doinel, René, dans Les Quatre cents coups, et le petit Momo qui donne la réplique à Simone Signoret dans La Vie devant soi.

Cette quête de René, le petit blond avec lequel Doinel fume des cigarettes et fait l’école buissonnière, est l’un des épisodes du livre qui m’a le plus passionnée. Pas seulement parce qu’il s’agit de retrouver un des comédiens de Truffaut, mais parce que l’auteur semble à la poursuite d’une chimère qui n’en finira pas de lui échapper :

« Pourquoi ai-je jeté mon dévolu sur lui ? Il n’a que le second rôle. Il figure pourtant là, très souvent, dans notre champ de vision, presque autant que l’autre. Mais il est le garçon d’à côté, qu’on ne remarque pas, que le regard escamote. La postérité l’a oublié. On ne se souvient que de l’autre. Exclusivement. Injustement. Antoine Doinel est entré dans l’histoire. Jean-Pierre Léaud a volé la vedette, bouffé la pellicule. L’anonyme est son copain, son ombre, son Sancho Pança, son Sganarelle. (…) C’est pourtant lui que j’ai retenu. Il y a évidemment de la malchance à débuter aux côtés d’un phénomène nommé Léaud. Comment ne pas éprouver de la tendresse pour ce malchanceux ? Sur l’écran, Patrick Auffay perd déjà la partie. Dans la vie, il va continuer à la perdre, s’éclipsant sur la pointe des pieds loin du cinéma. »

Voilà pour les disparus… qu’en est-il des retrouvés ? Il y a ceux qui restent dans l’univers artistique, ceux qui se sont convertis en photographes, en assistants, en metteurs en scène. Et il y a les autres, qui ont changé de trajectoire, parfois à regrets, parfois résolument : ceux qui travaillent dans une banque ou un garage, pendant que d’autres sont devenus directrice d’une agence de mannequin (la petite Anne de Diabolo menthe), mathématicien reconnu récompensé de la médaille Field (le petit Max de La Passante du sans-souci, dernier film de Romy Schneider), ou gardien de la mémoire paternelle (Michaël Chaplin, seul et unique exemple du cinéma anglo-saxon dans ce livre consacré aux enfants du cinéma français).

Ce dernier nous dévoile d’ailleurs un aspect inattendu et cruel de l’enfant « fils de », celui du vilain petit canard. Mauvais élève, acteur d’Un roi à New-York aux côtés de son père, il a longtemps vécu en marges de la « dynastie » Chaplin, qui lui avait coupé les vivres. Il a connu la dèche à laquelle son père avait échappé pour devenir Charlot. Il a publié un brûlot sur celui-ci après la parution de l’inoubliable autobiographie de Chaplin. Aujourd’hui, il est engagé dans la fondation Chaplin avec ses frères et sœurs.

Mémoires d’enfances

Qu’ils se terminent ou non par des retrouvailles, les différents épisodes de ce livre surprendront toujours. Lorrain trouve le ton juste, entre l’émotion et le suspense, jamais intrusif, mais bienveillant, étonné, et soucieux de sauvegarder la magie qu’ont incarné un jour ses rencontres.

Lorsque le livre se referme, on ne se sent pas rassasié. Emerveillement où se mêlent quelques regrets, que viendra peut-être soigner un prochain livre, on l’espère en tout cas : où sont les enfants de L’Argent de poche ? Qu’est devenue la petite qui jouait Natty Gann (suis-je la seule à avoir adoré cet homologue féminin du héros de Croc blanc) ? Et le petit garçon de La Vie est belle, de Roberto Benigni, et Toto de Cinéma Paradiso ? «Mais où sont les neiges d’antan ?»

Ce livre nous laisse comme des enfants, insatiables, curieux et rêveurs.

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  1. Sérieusement Juliette…quand est-ce que tu envoies ton CV pour être chroniqueuse dans une revue sur le cinéma…parce que là je pense que tu as un talent certain pour faire la promo des livres !
    Cet article est vraiment touchant car il met le doigt sur quelque chose qu’on ne réalise même pas. C’est vrai que j’ai toujours imaginé Paulette de « Jeux interdits » petite, que « Si j’aurais su j’aurais pas v’nu » aura toujours 7 ans dans mon imaginaire… Pourtant, qu’est-ce que ça doit être au niveau du développement psychologique de l’enfant d’avoir connu un succès incroyable très jeune et puis d’un coup…plus rien ! Ce livre a vraiment l’air intéressant sur ce plan !

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