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Blog pour cinéphiles et profs docs

Mois : juillet 2013

Hors-série n°3 : Mon père ce héros, ma mère cette icône !

Première partie.

Ils sont, sinon les premiers spectateurs de nos « stars », du moins les plus intimes. Ils ne les connaissent pas comme nous les connaissons. Ils font la différence entre le nom de scène, s’il existe, et le nom privé, entre les instants du quotidien et ceux de la pleine lumière, de la vie publique. Ils ont une image de la « star » parfois infiniment plus idyllique que la nôtre, parfois diamétralement opposée. Ce sont les enfants de célébrités.

Ils écrivent souvent sur cet être mystérieux qu’ils ont côtoyés et face auquel il a fallu lutter pour émerger en tant qu’être propre, en tant que personnalité à part entière, et pour ne pas se limiter à être « fils de » ou « fille de ». Parfois, leurs écrits sont des règlements de compte – je pense particulièrement aux ouvrages de Michaël Chaplin (que j’ai déjà évoqué), de la fille de Bette Davis ou encore de celle de Joan Crawford. D’autres sont des déclarations d’amour. Parfois, plus trivialement, ce sont des opportunités financières. Mais ce sont surtout, et avant tout, des témoignages de premier plan. En voici quelques exemples.

A la recherche du père, ce quasi inconnu…

Il y a quelques années, quand j’ai commencé à m’intéresser au cinéma, l’acteur qui m’a le plus fascinée, au point que je voulais voir le plus de films possibles et lire le plus de choses sur lui, était Humphrey Bogart. Tout naturellement, lorsque j’ai appris que son fils Stephen avait publié un ouvrage sur lui, j’ai souhaité me le procurer.

Bogart

Bogart, mon père (Bogart : In search of my father, en anglais) est un texte très émouvant, de la part d’un enfant qui a perdu son père très jeune et qui a dû se construire contre lui (révolte, enfance difficile, il est renvoyé de toutes les écoles et devient accro à la cocaïne) avant de se reconstruire avec lui.

Le texte alterne le récit des « retrouvailles avec Bogart » – comment Stephen Bogart apprend à se souvenir de son père, en particulier au contact de sa mère, Lauren Bacall, durant la visite de l’ancienne demeure familiale – et la biographie de ce père. Il alterne récit de l’expérience personnelle, tantôt éprouvante, tantôt exaltante, du « fils de », et plongée dans la vie de Bogart :

Le fardeau le plus lourd que j’aie jamais eu à porter est la célébrité de mon père.

Elle a souvent entravé le cours de conversations banales. Elle a fait de moi l’objet d’attentions dont je me serais bien passé et m’a certaines fois privé d’attentions qui m’auraient fait plaisir. Elle m’a quelquefois rendu méfiant vis-à-vis de gens fort sympathiques. Elle m’a, je suis le premier à le reconnaître, aigri. Elle est un sujet dont, jusqu’à aujourd’hui, je refusais de parler.

Je ne suis pas le seul heureux légataire de ce problème. J’ai parlé à d’autres enfants de stars, et c’est toujours la même chanson. La gloire de l’un ou l’autre des parents exerce, semble-t-il, une poussée inverse sur leur progéniture ; leurs ailes de géant empêchent leurs rejetons de marcher.

Pour reconstituer la « mosaïque » Bogart, Stephen Bogart est allé à la rencontre de témoins illustres, directs et indirects, de ce que fut son père : réalisateurs, scénaristes, acteurs. Famille et amis. D’un bout à l’autre de ce livre prenant et énigmatique, nous entendons la voix de Bogart, celle de Bacall – qui en a rédigé la préface – et nous pénétrons dans une galerie de portraits impressionnante : John Huston, Bette Davis, Katharine Hepburn, Spencer Tracy, et bien d’autres.

Mais ce livre, c’est aussi la construction de « vies parallèles ». Le père et le fils, qui tantôt s’éloignent, tantôt se rapprochent, pour enfin, au bout d’une quête et d’un hommage, mieux se réconcilier.

Ecrire et réécrire le père à l’infini

L’un des enfants les plus prolifiques sur son père est Clelia Ventura, qui a publié durant ces dix dernières années, quatre ouvrages sur Lino Ventura.

Lino Ventura

  • Le premier d’entre eux, Lino, tout simplement, publié en 2003 aux éditions Robert Laffont, mêle, comme son sous-titre l’indique, les souvenirs d’enfance et les recettes de familles.  On y croise d’autres bons vivants (Gabin, Jacques Brel, Carmet, Audiard) et l’on découvre anecdotes et recettes qui font sourire, à l’italienne.
  • Le second est une biographie, publiée en 2004. C’est un très beau livre (mon préféré parmi cette liste), intitulé Lino Ventura : une leçon de vie. On y retrouve le témoignage de ceux qui ont côtoyé Lino Ventura, proches et partenaires, et on le redécouvre grâce aux photos, documents et manuscrits que nous offre ce livre.
  • Signé : Lino Ventura a été publié à l’occasion des vingt ans de la disparition de l’acteur, en 2007. A nouveau un beau livre qui évoque Ventura à travers vingt films, avec photos et documents rares.
  • Enfin, le petit dernier, publié l’année dernière, pour les 25 ans : Lino Ventura, Carnet de voyages.

Comme s’il fallait là encore reconstituer un puzzle et restituer au public, derrière la simplicité de l’image publique, sinon toute la complexité, du moins toute la richesse de ce père, que nous, nous ne connaissons pas.

La mémoire de la mère

Au féminin, l’un des livres qui me plait le plus, c’est celui de Giulia Salvatori sur sa mère, Annie Girardot. J’aime Annie Girardot, sa voix, sa gouaille. Annie Girardot dans La Zizanie, dans La Gifle, et surtout dans Tendre Poulet, même si je connais encore mal ses rôles dramatiques, à l’exception de La Corde raide – je n’ai pas encore vu Rocco et ses frères, Mourir d’aimer, ou Docteur Françoise Gailland.

J’étais très jeune encore quand elle est apparue, à la cérémonie des Césars, figure en noir et blanc dans un monde en couleurs, et où elle a fait cette déclaration d’amour bouleversante au cinéma, et où je me souviens avoir pensé, en moi-même, « Mais qui c’est celle-là ? Pourquoi est-ce qu’elle pleure comme ça ? » Ce n’est que plus tard que j’ai été émue.

Giulia Salvatori a publié deux ouvrages sur sa mère. Le premier en 2007, Annie Girardot : La mémoire de ma mère. Le second, celui qui est dans ma bibliothèque, est un magnifique livre publié en 2012, une biographie richement illustrée, avec de nombreux témoignages : Annie Girardot, un destin français.

Annie Girardot

Le livre se referme sur cette citation de Girardot :

Ne garder que le fantastique, l’incroyable, l’irréel, voilà pour moi la vérité. Les rondes enfantines, les confitures de nos grands-mères, la sagesse, la coquetterie, pourquoi pas ? La liberté de m’envoler, d’extrapoler… Chercher, inventer encore et  toujours le temps qui passe si vite, peur d’oublier quelque chose avant le grand voyage.

Portrait d’une mère en ange

Le dernier ouvrage que je retiendrai, pour cet article, c’est celui, très émouvant, qu’a écrit Sean Hepburn Ferrer sur sa mère, Audrey Hepburn. Il a été publié (en français) en 2004 aux éditions Plon et est difficile à trouver aujourd’hui.

Audrey Hepburn

Ce texte, Audrey Hepburn : Un fils se souvient, est une véritable déclaration d’amour d’un fils à sa mère. La préface l’évoque ainsi :

Longtemps après ma mort et bien après celle de mon cerveau (…) je me souviendrai de tout… y compris des parfums. Je ferme les yeux et mon nez… se rappelle : son parfum, poudré, élégant, réconfortant, puissant – l’essence de l’amour inconditionnel.

La suite ? Une succession d’images touchantes de simplicité et de grâce, telle que non seulement, nous l’imaginons – incomparable Audrey Hepburn de Diamants sur canapé, de Vacances romaines, de My fair lady, de Guerre et paix, de Sabrina – mais aussi telle que, vraisemblablement, elle était.

Car si parfois nous découvrons complètement une personnalité inconnue, sous la plume des enfants de célébrités, il arrive aussi que parfois, en de rares occasions, nous retrouvions de manière singulière quelqu’un que nous avions l’impression de connaître, dans une parfaite communion. Et ce à quoi nous avons accès, ce n’est pas seulement la rencontre d’une intimité, mais la confirmation que oui, cet être était bel et bien comme nous l’imaginions.

Suite de cet hors-série le mois prochain !

Hors-série n°2 : les romans font leur cinéma

Première partie.

Cet hors-série aurait également pu s’appeler : que mettre dans votre liseuse ou votre sac de plage ? Quels romans évoquent le mieux l’univers du cinéma ? Le septième art étant l’un des plus jeunes, les romans – et plus généralement les écrits – qui y font référence ne pourront remonter qu’au début du vingtième siècle. Je n’en ferai pas pour autant une liste chronologique.

Certains évoquent le cinéma en impressionnistes, par légères touches, qui se fondent dans le décor du roman : le septième art n’est qu’un imaginaire collectif, un nouveau divertissement soudain apparu, et qui suscite une nouvelle culture, de nouvelles richesses, de nouvelles habitudes. Les auteurs de ces oeuvres ont assisté, parfois à l’apparition, souvent à la jeunesse de ce divertissement d’abord méprisé avant d’être accepté.

D’autres font du cinéma leur personnage central… ou si ce n’est le cinéma en lui-même, en tout cas est-ce l’une ou l’autre de ses créatures : comédiens, réalisateurs, critiques ou simples spectateurs. Si bien que l’on retrouve dans le texte l’une de ces mises en abyme propres au cinéma : le spectateur n’observe pas le film sur l’écran, il suit au fil de sa lecture le film en train de se faire, étroitement mêlé à l’intrigue du roman.

Voici quelques exemples du cinéma comme décor et comme acteur du roman, sans organisation particulière, si ce n’est une organisation subjective, de mes propres souvenirs de lecture…

Les Mots, Sartre

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Dans ce roman autobiographique où Sartre évoque avec ironie son enfance – fils d’un mort, élevé par un grand-père amoureux des livres, petit génie sans orthographe qui se rêve écrivain – le cinéma apparaît dans sa toute jeunesse, divertissement populaire et spectacle de foire, et comme un plaisir interdit qu’on savoure en cachette :

« Je défie mes contemporains de me citer la date de leur première rencontre avec le cinéma. Nous entrions à l’aveuglette dans un siècle sans traditions qui devait trancher sur les autres par ses mauvaises manières et le nouvel art, l’art roturier, préfigurait notre barbarie. Né dans une caverne de voleurs, rangé par l’administration au nombre des divertissements forains, il avait des façons populacières qui scandalisaient les personnes sérieuses ; c’était le divertissement des femmes et des enfants ; nous l’adorions ma mère et moi, mais nous n’y pensions guère et nous n’en parlions jamais : parle-t-on du pain s’il ne manque pas ? Quand nous nous avisâmes de son existence, il y avait beau temps qu’il était devenu notre principal besoin. »

Après avoir évoqué ce nouvel art populaire, Sartre évoque ce qu’il représente pour lui, enfant. Et ce sont parmi les plus belles lignes jamais écrites dans un roman sur le cinéma, selon moi. C’est d’ailleurs difficile de ne prendre arbitrairement qu’un extrait dédié au septième art, dans cette oeuvre :

« Moi, je voulais voir le film au plus près. Dans l’inconfort égalitaire des salles de quartier, j’avais appris que ce nouvel art était à moi, comme à tous. Nous étions du même âge mental : j’avais sept ans et je savais lire, il en avait douze et ne savait pas parler. On disait qu’il était à ses début, qu’il avait des progrès à faire ; je pensais que nous grandirions ensemble. (…) Inaccessible au sacré, j’adorais la magie : le cinéma,  c’était une apparence suspecte que j’aimais perversement pour ce qui lui manquait encore. Ce ruissellement, c’était tout, ce n’était rien, c’était tout réduit à rien : j’assistais aux délires d’une muraille (…). Du noir et du blanc, je faisais des couleurs imminentes qui résumaient en elles toutes les autres et ne les révélaient qu’à l’initié ; je m’enchantais de voir l’invisible. »

Sartre est l’un de ceux qui est né « avec le cinéma » et qui a écrit sur lui. Il fait partie de ces écrivains qui traversent un siècle et qui en vivent les moindres évolutions. Dans les oeuvres fictives (Les Mandarins) et autobiographiques de Beauvoir (tout le cycle qui va des Mémoires d’une jeune fille rangée à la Cérémonie des adieux), le cinéma apparaît ponctuellement sous la forme d’une rencontre avec un film, un comédien ou un réalisateur. De divertissement populaire, il devient progressivement art à part entière et référence d’une société dont les écrivains sont le reflet.

À l’américaine : Fitzgerald et Walker Percy

Fitzgerald est à la mode en ce moment, grâce ou à cause (chacun son point de vue) de la dernière adaptation de Gatsby le magnifique, avec Leonardo di Caprio. S’il n’évoque pas le cinéma, Gatsby est certainement l’un des plus beaux romans qui existent. Le cinéma a cependant une place importante dans l’oeuvre et la vie de Fitzgerald. Il a été scénariste à Hollywood et le septième art apparaît dans deux de ses romans : Le Dernier nabab et Tendre est la nuit.

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Dans Tendre est la nuit, la vie d’un couple fascinant, Dick et Nicole Diver, est vue à travers les yeux d’une jeune comédienne, Rosemary. Cette dernière a été révélée dans un film « Daddy’s girl » et elle fait partie de ces stars des années 20-30 qui se doivent de rester fidèles à leur personnage. Daddy’s girl, c’est la « fille à papa »… tout comme Mary Pickford était la « petite fiancée de l’Amérique », Douglas Fairbanks le panache au masculin, et Rudolph Valentino, la séduction. De cet univers de stars, avec ses exigences, ses fantasmes et ses scandales, nous n’avons que de vagues échos :

« si on laissait les choses suivre leur cours normal, aucune puissance au monde ne pourrait empêcher Rosemary d’être éclaboussée par les retombées de l’affaire. Le scandale Arbuckle n’était pas encore oublié. Elle s’était engagée, par contrat, à rester jusqu’au bout une irréprochable Daddy’s girl. »

Tout cela dans une atmosphère où la frivolité n’est que le masque de la mélancolie et du secret…

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Walker Percy, quant à lui, est l’auteur d’un roman étrange, Le Cinéphile, publié en 1962, où le personnage est le spectateur par excellence et où l’action est un perpétuel ralenti. Comme l’indique la quatrième de couverture, Binx Bolling est une sorte d’Etranger à l’américaine, passionné de cinéma :

« Au-dessus de l’entrée de notre cinéma de quartier, on peut lire en permanence : « Ici, le bonheur ne coûte pas cher ». Et il est vrai que je suis heureux au cinéma, même si le film est mauvais. Beaucoup de gens, je l’ai lu quelque part, passent leur vie à chérir les moments inoubliables de leur passé : la découverte du Parthénon à l’aube, la rencontre, une nuit d’été dans Central Park, d’une belle fille solitaire (…). Moi aussi, un soir j’ai rencontré une fille dans Central Park, mais je n’en conserve pas un très grand souvenir. Ce dont je me souviens par contre, c’est du moment où, dans La Chevauchée fantastique, John Wayne tue trois hommes avec sa carabine, tout en se jetant sur le sol dans la rue poussiéreuse, et de celui où, dans Le Troisième Homme, le petit chat découvre Orson Welles dans l’embrasure d’une porte. »

Policiers et films noirs

Le Miroir se brisa, d’Agatha Christie est l’un des romans policiers qui s’intéresse de près à l’univers du cinéma, aux apparences, aux stars et à leurs failles secrètes. Il met en scène Miss Marple aux prises avec le meurtre d’une secrétaire dans l’entourage d’un couple célèbre, le réalisateur Jason Rudd et la comédienne Marina Gregg. Ce n’est cependant pas la seule fois où Agatha Christie fait apparaître des actrices parmi ses personnages, des femmes excentriques et qui ont généralement beaucoup à cacher. Il y a aussi Arlena Marshall, la victime des Vacances d’Hercule Poirot, et la fabuleuse Mrs Hubbard du Crime de l’Orient-Express, ma préférée, même si je ne sais plus si cela est dû au personnage du roman, ou à l’interprétation qu’en donne Lauren Bacall dans le film de Sidney Lumet.

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L’un des meilleurs policiers que j’ai pu lire avec le cinéma en toile de fonds et en personnage, c’est un roman incroyable, L’Homme intérieurde Jonathan Rabb. L’intrigue se passe à la fin des années 20, à Berlin, où le policier Nikolaï Hoffner est chargé d’enquêter sur la mort d’un des cadres de l’UFA, et dont l’un des principaux suspects n’est autre que le réalisateur Fritz Lang ! Vous l’aurez sans doute compris, l’auteur s’amuse à mêler histoire politique, histoire du cinéma et fiction. C’est prodigieux, bien mené et très prenant. L’atmosphère est étouffante, on y côtoie les bas-fonds de Berlin et les personnalités de l’époque, on déambule dans les quartiers berlinois et les studios de Babelsberg, et les allers-retours entre histoire et invention sont permanents, si bien qu’on s’attendrait presque à croiser, en plus de Fritz Lang, et faisant fi de toute chronologie, le Bogart du Grand sommeil ou les fantômes ressuscités de Boulevard du crépuscule.

Mon préféré : Le livre des illusions, Paul Auster

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C’est un roman que je me souviens avoir lu un été, en vacances. J’ai déjà eu l’occasion de le mentionner. Pour supporter le deuil de sa femme et de ses deux enfants morts dans un accident d’avion, David Zimmer, professeur d’université, décide de se consacrer à l’écriture d’un livre dédié à un cinéaste muet qui a mystérieusement disparu, Hector Mann. Cette entreprise va le conduire de découvertes en nouvelles énigmes, et à l’exploration de tout un univers éphémère, brumeux, toujours entre l’éclat de rire et la grimace, celui du cinéma comique muet.

Qu’Hector Mann soit un personnage fictif importe peu. Paul Auster parvient à nous faire croire qu’il a réellement existé, et qu’il a fait partie de ces étoiles à présent disparues. Il lui a fabriqué un costume, une allure, une panoplie de gags qui rappellent le vagabond de Chaplin ou l’éternel rêveur qu’est Buster Keaton, et même une filmographie, dont il détaille chaque plan !

« Avant le corps, il y a le visage, et avant le visage il y a la mince ligne noire entre le nez et la lèvre supérieure. Filament agité de tics angoissés, corde à sauter métaphysique, fil dansant la chaloupée des émotions, la moustache d’Hector est un sismographe de son état profond et elle ne vous fait pas seulement rire, elle vous indique aussi ce qu’Hector pense, elle vous donne accès à la machinerie de ses pensées. (…) Rien de tout cela ne serait possible sans l’intervention de la caméra. L’intimité avec la moustache parlante est une création de l’objectif. À diverses reprises, dans chacun des films d’Hector, l’angle change soudain et un plan général ou moyen est remplacé par un gros plan. Le visage d’Hector remplit l’écran et, toutes références à l’environnement étant éliminées, la moustache devient le centre du monde. »

Si l’on ne lisait pas plus avant, et si l’on décidait brutalement de passer du muet au parlant, on croirait partir à la rencontre de toutes ces stars du muet et du parlant dont on retient l’élément physique : moustache de Charlot, regard de Garbo, cigarette de Bogart…

Ce livre est une incroyable traversée à la poursuite de ce même invisible que recherchait Sartre au début de cet article… la recherche d’un éphémère absolu, d’un univers où se côtoie rêve et réalité : celui du cinéma.

Suite de cet hors-série le mois prochain !

Hors-série n°1 : Rétrospective du cinéma

Voici le premier hors-série de l’été de Cinephiledoc. Je l’ai annoncé et promis : quels sont les fondamentaux qui présentent le cinéma et son histoire ? Quels ouvrages offrent un aperçu du septième art dans toute sa splendeur ? Pour les amateurs et les spécialistes, pour les néophytes et les chevronnés, quelques petits conseils de lecture…

Les bibles du cinéma

D’abord une petite liste de ce que j’ai pu trouver, non exhaustive :

Voilà pour ce que vous pouvez trouver, si vous voulez avoir un (grand) aperçu du cinéma, le plus souvent organisé soit par ordre alphabétique, soit par ordre chronologique avec parfois des « focus » thématiques. J’ai laissé de côté les essais et des ouvrages plus modestes (même si, par exemple, on peut trouver quelques pépites sur le sujet dans la collection Découverte chez Gallimard) et je me suis concentrée sur la catégorie « beaux livres » – vous ne pourrez pas les emporter dans votre sac de plage, pour ça j’ai un autre hors-série de prévu !

À présent, un petit point sur ceux qui ont retenu mon attention.

L’histoire du cinéma

J’ai choisi Cinéma : la grande histoire du 7e art, un ouvrage dirigé par Laurent Delmas et Jean-Claude Lamy et publié chez Larousse en mai 2011. Pour plusieurs raisons : d’abord parce que c’est un bel objet, infiniment plus agréable à consulter que L’Histoire du cinéma pour les nuls, parce que son prix est abordable (ce qui est loin d’être négligeable, pour les personnes qui d’un seul coup veulent s’intéresser au sujet, mais qui n’ont pas pour autant envie de se ruiner), et parce qu’il  est bien fait, tout simplement.

Cinéma la grande histoire du 7e art

La mise en page est claire, l’ouvrage est très bien illustré. Il ne néglige aucun continent, aucun aspect du cinéma (dessins animés, blockbusters, biopics, etc.). Petit point prof doc, pour les collègues, et pour l’avoir vécu, il marche très bien en lycée.

Comme son titre l’annonce, il propose une organisation chronologique, avec une structure très claire : cinéma muet, âge d’or des studios, entre rêves et réalités, nouvelles vagues et cinémas du monde entier. Entre chaque partie, une frise chronologique met en parallèle histoire et cinéma.

Enfin, dans cette organisation chronologique, chaque page propose de s’arrêter sur un thème, une technique ou une personnalité en particulier. Comme thèmes ou techniques, vous avez par exemple les grands films d’aventures, « De Frankenstein à King Kong », les couples immortels, le cinéma en 3D. Comme personnalité, on retrouve aussi bien Méliès que Kubrick, en passant par Chaplin, Dietrich, Fritz Lang, Monroe, ou encore Bergman.

Bref, un livre pratique pour les amateurs, et agréable pour les spécialistes.

100, 501, 1001… je croyais que nous partions 500 pour arriver 3000 ?

Les âmes charitables ne s’arrêteront pas à mon effort de blague littéraire…

1001 films

J’ai un faible pour ces livres « essentiels ». J’aime particulièrement les 1001 films à voir avant de mourir, un pavé bien illustré publié aux éditions Omnibus, avec une page ou une double-page par film, depuis le Voyage dans la lune de Méliès jusqu’à… mon édition à moi s’arrête à Bienvenue chez les ch’tis (2008). C’est l’un des rares inconvénients des rétrospectives, tous supports confondus (dictionnaires, encyclopédies, « bibles » plus ou moins exhaustives) : à un moment, elles s’arrêtent. Il n’en reste pas moins que ces 1001 films proposent une « filmothèque idéale » (dixit la quatrième de couverture) et je me souviens m’être amusée, après l’avoir acquis, à cocher chaque film que j’avais déjà vu dans cette liste.

J’ai donc tout naturellement consulté, également, l’ouvrage consacré aux 501 réalisateurs. Il présente les mêmes avantages (et le même inconvénient). S’y ajoute une petite spécificité dans l’organisation : les réalisateurs sont classés par date de naissance. C’est quelque peu déconcertant au début  : si vous cherchez un réalisateur d’un certain âge ayant commencé ou poursuivi tardivement sa carrière, vous le trouverez bien avant un petit jeune qui fait des films au même moment. Je n’ai pas d’organisation idéale à proposer, et finalement, le lecteur peut s’y faire, s’il n’est pas trop obtus.

Enfin, parmi les « essentiels » du cinéma, on trouve les 100 classiques du 7ème art de Taschen, un très beau coffret en deux volumes (organisation chronologique : 1er volume 1915-1959, 2nd volume 1960-2000). Une très belle mise en page, sur fond noir, avec photographies du film, résumé, analyse et citations. Chaque période est introduite par une petite présentation. Le premier volume s’ouvre sur La Naissance d’une Nation de Griffith (1915) et le second se referme sur Tigre et dragon de Ang Lee (2000). J’ajouterai simplement que pour l’objet proposé, là encore le prix est des plus abordables !

Le petit dernier…

Il est tout récent (octobre 2012) et se concentre sur le cinéma français. Il fait partie des rétrospectives subjectives que j’ai mentionnées plus haut. Tout feu tout flamme : une traversée du cinéma français avec Olivier Barrot, aux éditions des Cahiers du cinéma. Là encore un très beau livre.

Tout feu tout flamme

Vous y retrouverez les figures légendaires, les lieux et les techniques, et les films incontournables du cinéma français – même si, bien-sûr, c’est l’auteur qui décide ! On démarre avec les Frères Lumières, french touch oblige, et l’on va s’arrêter un peu partout, puisque ce livre est une sorte de cocktail qui mêlerait un peu tout du cinéma français, tous nos souvenirs, tout ce que notre mémoire visuelle aurait pu retenir de ce patrimoine culturel et divertissant. Quelques exemples au sommaire : studios et décors, chanson et cinéma, le mythe Gabin, Les Enfants du Paradis, la cinéphilie, les revues de cinéma, la Nouvelle vague, Catherine Deneuve, la troupe du Splendid, Canal Plus…

L’inconvénient : le bébé pèse son poids ! À poser sur une table / le bureau / le lit avant consultation. L’avantage : c’est beau, tout simplement.

Vous croyiez que c’était fini ?

Pour clôturer ce premier hors-série de l’été, une dernière précision : j’ai choisi volontairement de ne pas m’attarder sur les dictionnaires ou encyclopédies mentionnés plus haut. Comme j’ai déjà pu le dire dans de précédents articles, la forme du dictionnaire a ses avantages et ses inconvénients elle aussi. Pour ceux qui voudraient tout de même se plonger dans l’univers du cinéma cet été tout en restant geeks et connectés, voici quelques liens cinéphiles :

Attention, lecteur méchant !

Cet article pourrait également s’intituler « le billet acariâtre du lecteur« , « le lecteur, ce sympathique asocial » ou encore « le lecteur, cet aimant à cons« . Pourquoi tant d’animosité alors que le soleil pointe enfin le bout de son nez, et que l’on va quitter les lieux ordinaires de lecture – sous la couette, ou emmitouflé sous un plaid sur le canapé, ou confortablement affalé dans un fauteuil – pour ceux plus exotique du sable, sous le parasol, de l’herbe fraiche et du transat ?

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C’est en raison d’un constat très simple, celui de la propension de nos semblables – non lecteurs – à vouloir envahir l’espace du lecteur dans les transports en commun. Vous l’avez peut-être déjà remarqué, ou sinon, essayez de vous imaginer dans cette situation : vous êtes installés, aussi confortablement et tranquillement qu’on peut l’être (et cela est déjà une valeur ô combien relative) dans le RER ou le métro ou le bus ou le tramway (rayez la mention inutile). Vous avez un livre entre les mains et profitez d’un des seuls avantages du transport en commun sur le transport individuel : ne pas tenir un volant, et donc, pouvoir lire. C’est à cet instant que s’approche un quidam qui va entrer en interaction volontaire ou involontaire avec vous. Et là, c’est le drame.

Les empêcheurs de lire en paix

Il y a plusieurs profils d’empêcheurs de lire en paix :

  • le speed-dater improvisé (autrement appelé le désespéré sentimental). Qu’il vous trouve séduisant ou non importe peu, la question n’est pas là. Il va juste vous empêcher de finir vos dernières pages du Ravissement de Lol V Stein pour vous affirmer, dans un français approximatif – et parfois dans un anglais tout aussi approximatif – qu’il vous trouve « très belle » / « beautiful » et « I love you », etc., tout cela entre Jules Joffrin et Gare Saint Lazare.
  • l’extra-terrestre qui recherche un contact. Il veut absolument engager la conversation et utilisera le moindre prétexte. Si vous avez un sac FNAC, il vous demandera par exemple si l’on peut apprendre la langue des signes dans ce magasin. Ou alors vous tomberez sur un allumé qui croira cerner vos goûts de lecture et voudra à toutes forces vous refiler sa feuille de chou millésimée.
  • le parasiteur d’espace. Au téléphone, en musique, seul ou en groupe, il se dit qu’il sera à l’aise avec un lecteur et qu’il pourra lui imposer son bruit de fond continuel. À rapprocher des personnes qui mangent des pop-corns au cinéma, laissent leur portable sonner, ou discutent pendant un film. Ne nécessite aucun diplôme en science du tapage diurne ou nocturne.
  • le soliloqueur effréné (ou l’alcoolique anonyme). C’est la gamme au-dessus du parasiteur d’espace. Celui qui parle tout seul, agressif ou non, bourré de tics, avec une chorégraphie très travaillée.
  • le décalé / le vieux. Deux versants d’un même individu : le redresseur de torts littéraires. Quoique vous lisiez, il trouvera toujours à redire. Le vieux s’étonnera de vos goûts littéraires – Terry Pratchett, George Martin, ou n’importe quel livre qui a moins de 50 ans – ce qui l’amènera à une généralité sur les goûts littéraires étranges des jeunes. Le décalé se glorifiera d’une quelconque culture littéraire et commencera à vous réciter son CV alors que vous essayez juste de finir Tous les hommes sont mortels.
  • l’aimable conseiller. C’est l’opposé des précédents et le seul spécimen sympathique de cette petite jungle. Touche-à-tout culturel, mutualiseur de connaissances, il brille par sa rareté, due généralement à une trop grande timidité (et à du savoir vivre : lui se garde bien de déranger les lecteur, vu qu’il en fait partie, il a juste soit fini son livre, soit l’a oublié chez lui). Bref : cette rencontre magique osera peut-être vous murmurer quelque chose du style « Ce livre est génial », « Bonne lecture », « Vous avez lu aussi tel livre du même auteur ? »

Voici donc quelques exemples de rencontres plus ou moins agaçantes lorsque l’on se plonge dans un livre dans un espace public.

Cinq règles d’or à propos du lecteur

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Dans Comme un roman, Daniel Pennac énonce les « droits imprescriptibles du lecteur » :

  1. Le droit de ne pas lire.
  2. Le droit de sauter des pages.
  3. Le droit de ne pas finir un livre.
  4. Le droit de relire.
  5. Le droit de lire n’importe quoi.
  6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
  7. Le droit de lire n’importe où.
  8. Le droit de grappiller.
  9. Le droit de lire à haute voix.
  10. Le droit de nous taire.

Mais il ne propose aucun remède, si je m’en souviens bien, face aux empêcheurs de lire en paix. À l’usage de ces non-lecteurs, quelques règles de base sur le lecteur :

  • Ne draguez pas le lecteur. Le lecteur ne recherche pas forcément quelqu’un. Le lecteur n’est pas forcément un romantique attardé, dévasté sentimentalement et amateur d’Harlequins. À moins d’avoir quelque chose de profond à dire, ne tentez pas une ouverture.
  • Ne vous faites pas d’illusions. Le lecteur n’a pas la connaissance universelle. Ce n’est pas parce qu’il a un livre entre les mains qu’il connaît par coeur le fond de la BNF ou de la FNAC Montparnasse.
  • N’écoeurez pas le lecteur. Laissez le vivre. Nul besoin de lui faire savoir ce que vous pensez de son livre, que ce dernier est bon à mettre aux cabinets. Nul besoin de chercher à l’épater (votre avis, vulgairement parlant, il s’en cogne, il veut juste finir son chapitre), encore moins de lui gâcher la fin en lui révélant le nom de l’assassin…
  • Ne prenez pas l’espace immédiat du lecteur pour un refuge sonore. Allez discuter / écouter votre musique / refaire le monde ailleurs.
  • Bref, pour faire court : laissez nous lire.

Pour mieux comprendre cet être étrange qu’est le lecteur, allez jeter un coup d’oeil à cet essai de Pennac, Comme un roman, ou à ce très beau texte de Proust, Sur la lecture (à recommander à tous ceux qui n’ont pas pu venir à bout de La Recherche).

 

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