cinephiledoc

Blog pour cinéphiles et profs docs

Mois : août 2013

Décrypter la culture geek

Chercher le geek

Avec un peu d’avance, voici l’article de la rentrée. Je n’aurais pas pu faire, je n’aurais pas pu souhaiter un article plus fédérateur que celui-ci, et qui peut s’adresser aussi bien aux cinéphiles qu’aux profs-docs, et aux littéraires qu’aux scientifiques.

Au cours de mes déambulations en librairie et de mes vagabondages sur Internet, je cherchais quelque chose d’alléchant dans les nouveautés cinéma. Pendant un certain temps, échec. Quand, par hasard, je suis tombée sur le genre de livre dont on se dit : « Il me le faut, celui-là, il me le faut. » (réaction comparable à celle que l’on a face au dernier vêtement à sa taille un jour de soldes… quoique je ne sois pas sûre que ce soit la comparaison la plus appropriée !)

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Culture geek est un ouvrage de David Peyron, docteur en sciences de l’information et de la communication, paru en août 2013 aux éditions Fyp. Culture geek, pourquoi ? Parce que l’auteur tente en quelques chapitres, de cerner ce que recouvre l’identité auto-revendiquée du geek, de nous la faire comprendre et reconnaître.

Qui est le geek ?

Le livre de David Peyron n’est pas un catalogue de tout ce qu’est le geek et de tout ce qu’il aime – littérature, informatique, cinéma, comics, jeux de rôle, séries télévisées. Cependant, il nous entraîne dans l’histoire fascinante de l’émergence du terme « geek ». Brièvement, il nous semble retrouver dans ce portrait quelques éléments de l’Histoire de la folie à l’âge classique, de Foucault. À l’origine, en effet, au Moyen-âge, le « geek » (orthographié geck puis gecken) désigne soit l’idiot du village, soit un monstre de foire :

Il était généralement présenté comme un enfant sauvage (…). En réalité il s’agissait généralement d’un vagabond que les organisateurs payaient pour assurer le spectacle, d’un handicapé mental ou d’un membre de la troupe n’ayant plus les capacités physiques d’assurer ses prestations habituelles (…). Le spectacle du geek consistait à avaler tout ce qui se présentait à lui : bris de verre, pierres, objets divers. (…)

Le geek est ainsi un « idiot social » qui a du mal à communiquer. Avec l’autre acception qui garde les traces d’une forme de marginalité, arrive l’idée d’une capacité surhumaine (qui peut être feinte) à avaler tout et n’importe quoi avec avidité, et ce de manière pantagruélique et indistincte.

Au fil des pages, et au hasard des exemples que donne David Peyron, on retrouve les traces de cet appétit insatiable : de Tolkien à Terry Pratchett (en passant par Douglas Adams, Asimov, Frank Herbert, Max Brooks, George Martin) pour la littérature, de Star Trek à Fringe (en passant par X-Files, Doctor Who ou encore The Big bang theory) pour les séries télévisées, et de Star Wars au Seigneur des anneaux (en passant par Retour vers le futur, Matrix et les adaptations des studios Marvel) pour les films.

Quoiqu’il en soit, pour l’auteur, le geek est un curieux, un passionné, dont l’intérêt pour un univers le pousse sans cesse à approfondir, à éprouver la cohérence de cet univers, et à le faire déborder de son support originel :

Ce peut être le style, ou encore les personnages qui font que des geeks aiment telle ou telle oeuvre, mais le plus important est l’univers, l’arpenter, se l’approprier de manière toute personnelle et en faire un terrain connu. Ce qui prend du temps. Que ce soit par la relecture, le revisionnage, ou le rétrogaming, le temps long (de la fiction et de la réception), la fidélité à l’objet et le retour vers lui permettent de décrire ce qui fait le sel de la passion. Cela renvoie à un rapport spécifique, expert, poussant chaque univers à ses limites, chacun à sa manière. Dans cette perspective, chaque support ajoute sa pierre à l’édifice de la pratique de ces mondes comme sorte de bacs à sable, d’objets ludiques et emplis de potentiels. Le jeu est une fiction, la fiction est un jeu et le monde est un terrain ludique, d’engagement et d’appropriations multiples.

Pour mieux cerner une identité si foisonnante et si dispersée, David Peyron dégage trois aspects majeurs de la culture geek, et ce au-delà des conditions scolaires et sociales originelles du geek, même si ces dernières sont également abordées. Il s’agit de la convergence culturelle, du rapport transmédiatique aux oeuvres et de l’érudition par le détail.

Culture transmédiatique, convergence et érudition

L’exemple le plus parlant pour évoquer l’aspect transmédiatique de la culture geek est Star Wars. C’est en tout cas l’exemple, parmi tant d’autres, que choisit d’exploiter l’auteur. Il s’agit de la propension d’un univers geek à s’étendre, c’est-à-dire aussi bien à s’approfondir sur le plan géographique, sociologique, historique, qu’à s’exporter vers d’autres formats.

Star Wars, ce n’est pas seulement un film, c’est une série de romans qui explorent les confins de la galaxie, exploitent les personnages secondaires, étudient les langues et la culture des différentes civilisations. Ce sont aussi des comics, des produits dérivés, des jeux, des séries télévisées. Tout pour répondre à l’appétit des geeks, à leur besoin d’appropriation, de collection et d’extension de leurs univers favoris.

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La convergence découle de cette culture transmédiatique : il s’agit de la propension des différents médias à être des références les uns pour les autres (livres pour films, films pour livres, films pour jeux vidéos…) et des geeks à passer allègrement de l’un à l’autre. Les oeuvres ne sont plus des entités fermées : elles deviennent, à l’instar de Star Wars, des univers hyper-approfondis, hyper-référencés, que vont à leur tour étendre les geeks, puisqu’ils vont eux-mêmes produire des « hommages », des citations, et des extensions référencées de ces univers (vidéos, fanfictions, mèmes, etc.).

Enfin, l’érudition est ce qui permet au geek de se construire en tant que tel, de s’affirmer par la connaissance la plus poussée possible qu’il ait de l’univers de prédilection. Saisir la petite phrase, l’élément de décor qui fait sens dans un film, ou l’incohérence, la faille qui émerge d’un autre, c’est pouvoir revendiquer un regard d’expert sur l’oeuvre, et la reconnaissance de ses pairs.

Trouver le geek

À tous ceux qui veulent comprendre et apprivoiser cet étrange animal qu’est le geek, à tous ceux qui se demandent si un jour ou l’autre ils seront dignes de revendiquer cette identité, à ceux qui sont simplement intrigués ou fascinés par cette façon gloutonne de s’approprier l’information et de la partager, ce livre soulèvera peut-être un pan du mystère. On s’y plonge avec plaisir, un plaisir communicatif que l’auteur a bien su nous faire partager :

En 2007, lorsque je commençais à explorer ce que pouvait être le style geek et comment le caractériser, j’ai découvert un tee-shirt mis en vente sur internet. On pouvait y lire une phrase écrite en blanc sur fond noir : « I never got my acceptance letter from Hogwarts, so I left the Shire to become a Jedi. » (…) À lui seul, ce tee-shirt résume une grande partie du propos de ce livre, et la manière ludique et pulp dont les geeks s’emparent d’objets populaires pour en faire une identité affichée, revendiquée et transmédiatique.

Une chose cependant est sûre : personne n’a besoin d’un livre pour se prouver à lui-même qu’il est absolument ce qu’il croit être. Les geeks auront-ils besoin de ce livre ? Pas nécessairement. Si ce n’est pour une simple promenade de reconnaissance plutôt agréable, qui les fera sourire, et qui fourmillera, pour eux, de clins d’oeil.

Hors-série n°6 : Le cinéma en chansons

C’est – déjà – le dernier hors-série de l’été, un petit hors-série tout léger et sympa pour oublier la fin des vacances (pour les chanceux comme moi qui en ont) et la fin de l’été qui s’approche… C’est aussi un article suggéré par la facétieuse Eva, avec laquelle j’avais eu la chance de collaborer pour des articles sur Boby Lapointe, l’un sur son blog, l’un sur le mien.

Eva, passionnée de Boris Vian, m’a fait découvrir Le Cinématographe, à moi pauvre inculte qui ne connaissait que Le Déserteur et La Complainte du progrès :

Quand j´avais six ans
La première fois
Que papa m´emm´na au cinéma
Moi je trouvais ça
Plus palpitant que n´importe quoi
Y avait sur l´écran
Des drôl´s de gars
Des moustachus
Des fiers à bras
Des qui s´entretuent
Chaqu´ fois qu´i trouvent
Un cheveu dans l´plat

Ces quelques vers ont donc été le point de départ d’un article qui ne sera pas aussi consistant que les précédents, et où je vous proposerai quelques chansons qui évoquent le septième art. D’abord les « grands classiques » de la variété française, des choses que l’on écoute parfois sans l’avouer. Ensuite quelques chansons dédiées à des stars, en français et en anglais. Et pour finir, des petites choses un peu plus récentes…

Les grands classiques, connus et un peu moins connus

Parmi ces grands classiques, il y a des choses que j’aime, d’autres que j’aime un peu moins. J’ai trop entendu certaines chansons, quelques-unes me restent bien dans la tête une fois qu’elles s’y sont installées… Je ne dirai pas lesquelles.

On peut distinguer deux types de chansons dédiées au cinéma dans les « grands classiques » : celles qui font le compte-rendu d’une époque et évoquent le cinéma de cette époque au milieu des événements historiques, sociaux et artistiques, et celles qui sont exclusivement consacrées au septième art.

Parmi les premières, j’ai retenu Cette année-là, de Claude François, et une chanson de Nicolas Peyrac : So far away from L.A. Vous connaissez certainement Claude François par coeur, grâce à des soirées karaokés, des émissions hommages ou des reprises plus ou moins heureuses. Du cinéma, n’est fait mention que de la mort de Marilyn Monroe et le triomphe de West side story.

De So far away from L.A., voici quelques lignes qui évoquent la nostalgie de l’âge d’or hollywoodien :

Le Queen Mary est un hôtel
Au large de Beverley Hills
Et les collines se souviennent
Des fastes de la dynastie
Qui, de Garbo jusqu´à Bogie,
Faisait résonner ses folies.

Pour les chansons qui se consacrent au cinéma et rien qu’au cinéma, et en français, s’il vous plait, j’en ai retenu trois : Ainsi soit-il de Louis Chedid, La Dernière séance d’Eddy Mitchell, et Le Cinéma de Claude Nougaro.

Ainsi soit-il évoque toute la vie d’une personne comme s’il s’agissait d’un film : tous les effets sont présents (travelling, flash-back, fondu enchainé, etc.) Je vous conseille de l’écouter ne serait-ce qu’une fois si vous aimez le cinéma, quels que soient vos goûts musicaux. En voici les premiers vers :

Moteurs
L´action se déroule dans ta ville
Vue d´hélicoptère ou du haut d´un building
Et puis la caméra zoome avant
Jusqu´à ton appartement

Ainsi soit-il
Tel est le nom du film

Comme il est dit dans l´scénario
Gros plan de toi dans ton berceau
Comme il est précisé dans le script
Lumière tamisée flou artistique

Pas d’article sur le cinéma en chanson sans l’inévitable Dernière séance d’Eddy Mitchell, dédiée aux cinémas de quartier, à l’entracte, aux westerns, aux jeunes premiers et à Gary Cooper :

La lumièr´ revient déjà
Et le film est terminé
Je réveille mon voisin
Il dort comme un nouveau-né
Je relèv´ mon strapontin
J´ai une envie de bailler
C´était la dernièr´ séquence
C´était la dernière séance
Et le rideau sur l´écran est tombé

Comme les cinéphiles forcenés le savent déjà, la chanson La Dernière séance a donné lieu à une émission animée par Eddy Mitchell sur les classiques du cinéma américain entre 1982 et 1998 sur France 3. J’étais trop petite pour voir cette émission ou pour m’en souvenir, j’ai dû voir quelques images d’archives, et certains films présentés ont fait l’objet d’une collection de DVD dont j’ai trois spécimens : La Vie est belle de Capra, Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, et Gatsby le magnifique de Jack Clayton, pour vous donner une idée de la programmation.

Enfin, dernier grand classique de la chanson, Le Cinéma, de Claude Nougaro, que j’adore juste pour la première ligne, « Sur l’écran noir de mes nuits blanches » :

Je ne pouvais pas résister à vous proposer la version vidéo de cette chanson !

Hommages aux stars

Les chanteurs – ou parfois ceux qui écrivent leurs chansons – choisissent de clamer leur admiration sans borne pour telle ou telle comédienne, presque toujours au féminin (si des exemples masculins vous viennent à l’esprit, je suis preneuse !).

Que l’on aime ou pas Bardot, que l’on aime ou pas Gainsbourg, on ne peut pas éviter de mentionner Initials BB. Outre qu’il s’agit d’une vision complètement idéalisée de la femme, et où s’exprime le génie de Gainsbourg avant l’apparition du personnage plus controversé de Gainsbarre, la musique, inspirée de la Symphonie du Nouveau monde de Dvorak, est magnifique. Vidéo disponible ici.

Beaucoup plus récemment, et dans une vision un peu plus quotidienne, moins fantasmée, j’avais  trouvé superbe la chanson de Vincent Delerm, Fanny Ardant et moi :

On écoute du chant grégorien
Elle parle à peine et moi je dis rien
On a une relation comme ça
Fanny Ardant et moi (…)

Elle est toujours toute noire et blanche
Elle ne dit plus vivement dimanche
Depuis que je la traîne chez mes parents
Tous les week-end Fanny Ardant

Mon côté « fan des années 80 » n’a pas pu résister à vous faire connaître (ou à vous rappeler) cette pépite de Kim Carnes, Bette Davis’ eyes, que la star hollywoodienne elle-même appréciait. La chanson évoque une femme mystérieuse, que l’on prend pour une espionne et qui a les yeux de Bette Davis :

Parmi les chansons consacrées aux stars, il y en a bien-sûr quelques-unes sur Marilyn (j’ai déjà parlé de Cette année-là). En français, la chanson de Vanessa Paradis, Marilyn & John, évoque la relation entre Marilyn et John Fitzgerald Kennedy. En anglais, ma préférée reste Candle in the wind d’Elton John :

Goodbye Norma Jean
Though I never knew you at all
You had the grace to hold yourself
While those around you crawled
They crawled out of the woodwork
And they whispered into your brain
They set you on the treadmill
And they made you change your name

La chanson a été reprise par Elton John en 1997 en hommage à la princesse Diana.

Cinéma, stars, paparazzi et vidéos

Plus récemment, j’ai quelques chansons qui m’ont marquée sur l’univers des stars et du septième art. Je pourrais parler de Paparazzi, la chanson de Lady Gaga, mais je ne voudrais pas vous la mettre dans la tête pour le reste de la journée. Cependant, vous n’y couperez pas, pour l’écouter, c’est par ici.

La chanson Video Games de Lana del Rey n’évoque pas directement le cinéma, quoique :

Singing in the old bars
Swinging with the old stars
Living for the fame

Kissing in the blue dark
Playing pool and wild darts
Video games

Mais ce qui m’a arrêté dans ce choix, c’est son clip, blindé de références et de clins d’oeil.

Enfin, ma préférée, dernièrement, c’est la chanson Footballer’s wife, de Amy MacDonald, qui compare les fastes des anciennes stars hollywoodiennes aux couvertures des magazines d’aujourd’hui :

Oh Mr James Dean, he don´t belong to anything
Oh he left before they could get him
With their ways, their wicked ways

Oh Marilyn Monroe, where did you go?
I didn´t hear all your stories
I didn´t see all your glory (…)

Oh Ginger Rogers, Fred Astaire
Won´t you dance for me cos I just don´t care
What´s going on today
I think there´s something more, something more

And I´m gone with the wind like they were before
But I´m believing myself I think there´s something more
There must be something more
I think there´s something more, something more

Vous pouvez retrouver la chanson en entier ici.

J’espère avoir mis un peu de baume au coeur à ceux qui appréhendent la fin des vacances / la fin de l’été. J’ai tenté de fournir des vidéos des chansons mentionnées, qui seraient soit des clips officiels, soit des extraits de performances des artistes (concerts ou enregistrements), et lorsque je n’ai pas pu en trouver, j’ai choisi ce qui me semblait convenir le mieux…

Dès la semaine prochaine, vous retrouverez les articles habituels de Cinephiledoc, à commencer par la critique d’un ouvrage sorti au mois d’août. D’ici là, chantez bien !

Hors-série n°5 : Dans l’ombre des parents célèbres

Deuxième partie.

Cet article fait suite au hors-série publié à la fin du mois de juillet, et consacré aux enfants qui évoquent leur parents, comédiens ou réalisateurs, tels qu’ils les ont perçus ou tels qu’ils les ont retrouvés. J’avais déjà mentionné les ouvrages de Stephen Bogart et de Clelia Ventura sur leurs pères respectifs, et ceux de Giulia Salvatori et de Sean Ferrer sur leurs mères (Annie Girardot et Audrey Hepburn).

Pour la sélection qui va suivre, j’aurais pu organiser les ouvrages en séparant comédiens et réalisateurs français des comédiens et réalisateurs étrangers, j’aurais pu distinguer les formats des livres, faire se côtoyer les fils de… et les filles de…, les stars au féminin et celles au masculin. Mais pour faire la part belle à ces ouvrages, j’ai préféré procéder autrement.

Anecdotes à la française

On pourrait très certainement remplir une salle de cinéma des ouvrages que les enfants publient sur leurs parents, que ces publications soient occasionnelles – elles paraissent généralement lors d’anniversaires (j’ai évoqué brièvement il y a un certain temps le livre consacré à leur père par les fils De Funès lors des 30 ans de sa disparition) – ou prolifiques (Clelia Ventura a publié pas moins de quatre livres consacrés à son père Lino).

C’est pourquoi je n’ai retenu que deux ouvrages évoquant les « monstres sacrés » du cinéma français : Jean Gabin et Simone Signoret – je réunis ainsi à nouveau les deux interprètes du Chat !

Jean Gabin, vu par sa fille, Florence Moncorgé-Gabin

Il s’agit d’un livre publié en 2003 aux éditions Le Cherche-Midi (édition poche en 2004), et qui s’intitule : Quitte à avoir un père, autant qu’il s’appelle Gabin Pour la petite histoire, j’ai longtemps reculé avant de me plonger dans ce livre, parce que je ne parvenais pas à comprendre le titre. Personnellement, ce n’est pas Gabin que j’aurais choisi comme figure paternelle, si jamais j’avais pu souhaiter un modèle autre que celui que j’avais quotidiennement sous les yeux. Mais passons.

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Dès les premières pages, l’auteur tient à nous informer : ce que nous avons entre les mains n’est ni la biographie de Gabin (elle en recommande d’ailleurs une), ni son autobiographie en tant que « fille de Gabin ». Et effectivement, elle nous livre le portrait de Gabin en père – ce que justifie pleinement le titre. Elle ne s’attarde pas sur les années qui ont précédé sa naissance, et qui aurait montré le Gabin de Quai des brumes ou du Jour se lève.

Elle nous raconte, à travers différentes anecdotes, un Gabin « papa poule » qui s’inquiétait du moindre rhume, un Gabin passionné d’agriculture – passion que l’on prenait à tort pour un caprice – et un Gabin râleur, pessimiste et attachant. Et si elle en vient à évoquer l’univers du cinéma (Delon, Ventura, Pinoteau, etc.) c’est seulement parce qu’elle n’en est plus spectatrice, mais parce qu’il s’agit de son milieu professionnel. Elle est en effet scripte, scénariste et a réalisé un magnifique film avec Catherine Frot, Le Passager de l’été, que je vous recommande chaudement.

Simone Signoret, vue par sa fille, Catherine Allégret

Là encore, c’est un livre d’anecdotes. Catherine Allégret est la fille de Yves Allégret, réalisateur, et de Simone Signoret. Si j’évoque plutôt le côté maternel que le côté paternel, c’est simplement parce que je le connais mieux.

Les souvenirs et les regrets aussi

Elle a donc publié un très beau livre en 1994 aux éditions Fixot (poche éditions J’ai Lu), Les Souvenirs et les regrets aussi…, qui s’ouvre sur le décès de Montand. Car dans ce livre, la figure paternelle qui s’affirme, c’est celle de Montand. En effet, l’auteur affirme après quelques pages :

Je suis née le 16 avril 1946 de mère célèbre et de père « inconnu »… et qui le resta pendant les deux années qui suivirent ma naissance. Ma mère m’a souvent raconté que, si une jolie carrière n’était pas allée se dessinant de plus en plus précisément devant elle, jamais mon père n’aurait senti poindre en lui la fibre qui a fini par le mener devant une employée de mairie à qui il a déclaré être le papa de la très jeune Catherine-Enda Kaminker.

On côtoie Montand et Signoret, tout au fil des pages de ce livre, à travers des anecdotes touchantes : Montand qui veut absolument être enterré avec la couverture de mohair de Signoret, Signoret qui vient de recevoir l’Oscar, Montand qui offre une voiture à Catherine Allégret presque en cachette, Signoret qui va acheter des chaussettes au Prisunic, pour sa fille venant d’accoucher…

Là encore, pas de biographie linéaire de Signoret, mais une galerie de portraits, et des portraits par touches. Si vous souhaitez approfondir le sujet « Signoret », vous pouvez vous plonger dans :

Les introuvables

Ces titres-là, ce sont ceux que vous pourrez dévorer si jamais vous vous sentez une vocation d’archéologue des ouvrages sur le cinéma, à trouver uniquement d’occasion.

Max Linder par sa fille, Maud Linder

C’est le moment pour les chauvins de l’art de pousser un cocorico. Pour ceux qui ne connaissent pas Max Linder, petit topo. Max Linder, après les frères Lumières et après Méliès, est le français qui a régné sur le cinéma comique muet des années 1910-1920 et que Chaplin lui-même considérait comme son maître. Il a créé un personnage récurrent – comme plus tard le sera le vagabond Charlot – de dandy élégant coiffé d’un haut-de-forme.

Sa fille Maud Linder, née en 1924, ne l’a pour ainsi dire pas connu, puisqu’il s’est suicidé en 1925 après avoir assassiné sa femme. Elle a cependant consacré une partie de sa vie à la mémoire de son père, à la restauration de ses films et à la publication d’ouvrages : Max Linder était mon père (1992), et celui que j’ai trouvé, Max Linder, aux éditions Atlas, collection « Les Dieux du cinéma muet » (1992).

Max Linder

C’est un très beau livre constitué principalement d’archives (affiches, séquences de films, articles de presse, photos personnelles et publiques), entrecoupées de textes évoquant la vie de Max Linder : les débuts au théâtre puis au cinéma, son hyperactivité artistique et sa renommée internationale qui l’a conduit à Hollywood, et jusqu’à son décès en 1925.

Marlène Dietrich par sa fille, Maria Riva

Autre introuvable, mais qui vaut le coup d’être trouvé, Marlène Dietrich, une biographie publiée en 1993 aux éditions Flammarion. Maria Riva, en plus d’être la fille de Dietrich, a été aussi son assistante. Cette biographie, qui s’ouvre sur une évocation du père de Marlène, dans l’Allemagne au début du vingtième siècle, nous donne l’impression qu’on lit les premières lignes d’un roman de Stefan Zweig ou qu’on observe les premières scènes d’un film de Max Ophuls.

Marlène Dietrich

Puis Dietrich apparaît, et l’on assiste à chaque fois à une métamorphose, quelque chose de sublime, avec sa perfection et ses manies :

Elle apparaît. Elle se tient là, belle comme personne ne l’a jamais été – ni ne le sera jamais. Mais non, pas simplement belle, pas simplement « Dietrich »… bien davantage ! Un vase Ming, un tableau de Monet, le David de Michel-Ange. Une rareté – une pièce unique – une véritable oeuvre d’art, insurpassable.

L’ouvrage est une somme, une formidable fresque où l’on croise Garbo (pas à son avantage dans la comparaison), Sternberg, Hemingway, Gabin, et tant d’autres… Et où Dietrich est une mère hyper-possessive – et c’est un euphémisme – et une image adorée mais incroyablement dévorante :

J’ai toujours su que ma mère était quelqu’un de spécial. La question ne se posait même pas ; elle était spéciale, comme l’été est chaud ou l’hiver est froid. Elle commandait les sentiments qu’on pouvait ressentir pour elle. (…) Ma mère était royale. Quand elle parlait, on l’écoutait ; quand elle bougeait, on la regardait. À l’âge de trois ans, je savais déjà avec certitude que je n’avais pas une maman : j’appartenais à une reine.

Les vies parallèles

Elles sont toutes les deux nées la même année, elles ont vécu toutes les deux dans l’ombre immense d’un père, pour l’une acteur, pour l’autre réalisateur. Elles ont toutes les deux dû s’affirmer, l’une en s’engageant complètement, d’abord en tant que comédienne, puis en tant que militante, et finalement en tant que femme, l’autre,  en tournant le dos au cinéma pour se consacrer au monde de l’édition.

Henry Fonda par sa fille, Jane Fonda

Cet ouvrage est une autobiographie de Jane Fonda, intitulé Ma vie. Plus qu’une autobiographie, c’est une façon, pour l’auteur, de s’affirmer en tant que femme, et de parvenir à une identité assumée, libérée.

Jane Fonda, Ma vie

C’est à la fois une véritable introspection et une complète exhibition. Jane Fonda écrit un peu à la manière de Simone de Beauvoir : elle vit les événements, elle les rapporte, elle les étudie, elle les scrute, pour mieux en comprendre toutes les facettes… en gros, elle se livre.

Henry Fonda apparaît, de temps à autre, une figure lointaine, qui garde toutes ses émotions pour lui. Les quasi-premiers mots qu’elle a pour lui sont révélateurs :

J’ai, voyez-vous, longtemps vécu comme si j’étais le fruit d’une immaculée conception inversée : née d’un homme sans l’aide d’une femme.

À partir de là, on se dit que la figure du père va être écrasante, comme l’est Dietrich en figure maternelle pour sa fille. Mais on est finalement plongé dans un milieu strict, à l’éducation rigide, aux émotions refoulées, et où toute larme est synonyme de faiblesse :

Souvent absent à cause de son travail, quand il revenait à la maison, il étudiait des scénarios et préparait ses rôles. Assis des heures en notre présence, il ne nous parlait pas. C’était un silence assourdissant. (…) Mais il considérait aussi les besoins affectifs comme une faiblesse.

Et lorsque le tournage de La Maison du lac réunit, quelques années plus tard, le père et la fille, on assiste à la confrontation d’une comédienne qui prend appui sur ses émotions et d’un comédien qui les réfrène : lors d’une scène où leurs deux personnages se réconcilient, Jane Fonda choisit de poser la main sur son bras, chose qu’elle n’a pas fait lors des répétitions :

Ce que j’ai vu alors m’a stupéfiée : un millième de seconde, il a été déstabilisé. Il a même eu l’air furieux : Ce n’est pas ce que nous avons répété. Puis l’émotion s’est emparé de lui, ses yeux se sont mouillés, jusqu’à ce qu’il se reprenne, que la colère revienne et qu’il regarde ailleurs. (…) Qu’il ait été un aussi grand acteur malgré sa peur du naturel et de l’émotion vraie me paraît incroyable.

Orson Welles par sa fille, Chris Welles Feder

Je termine avec un ouvrage dont la lecture m’a vraiment marquée cet été. Il s’agit d’une évocation touchante d’un père lointain et idéalisé, par sa fille. Malheureusement, ce livre reste exclusivement réservé aux anglophones : il n’a pour l’instant pas été traduit en français. In my father’s shadow a été publié en 2003 chez Mainstream Publishing.

In my father's shadow

On y fait la rencontre d’un Orson Welles magicien, fascinant, éternel enfant, érudit et passionné par ses films. On y côtoie Rita Hayworth, Vivien Leigh ou encore Laurence Olivier. Au fil des voyages, des éloignements et des retrouvailles, on apprend à connaître ce père absent, accaparé par son art, et vu à travers les yeux de toutes les femmes qui l’ont aimé.

Au bout de ce parcours, l’auteur ne parvient pas seulement à une image apaisée de ce père idolâtré, elle se réconcilie avec le personnage public, avec son aura et son génie, avec le réalisateur de Citizen Kane, du Procès, d’Une histoire immortelle (mes films préférés de Welles, que je vous recommande). Et elle assume pleinement cet héritage.

Jamais un titre n’a été aussi juste : littéralement « dans l’ombre de mon père ». Mais d’envahissante, l’ombre devient protectrice et, sinon moins présente, en tout cas plus légère. Il s’agit pour l’auteur de se trouver, d’abord, en tant qu’être propre, que « prénom », avant de retrouver et d’assumer l’héritage. Se définir sans avoir besoin d’un « tuteur » (au sens botanique) mais par soi-même.

C’est pour cela que ce livre est magnifique : non seulement parce que c’est une magnifique relation père/fille, mais parce qu’il témoigne d’une superbe affirmation de soi.

À compléter par le très beau livre de Jean-Pierre Berthomé et François Thomas, Welles au travail, publié aux éditions des Cahiers du cinéma.

Merci à ceux et celles qui m’ont donné conseils et pistes de lecture pour  cet article.

Hors-série n°4 : les romans refont le cinéma

Deuxième partie.

Voici comme promis la suite de l’un des hors-séries de l’été. J’avais évoqué en première partie aussi bien Sartre que Fitzgerald, Agatha Christie, Paul Auster, et quelques autres. Pour compléter en beauté ce palmarès déjà glorieux, je me suis plongée dans mes souvenirs de lectures et dans quelques nouveautés, du moins pour moi. J’évoquerai les souvenirs assez rapidement, puis je m’attarderai un peu plus sur quelques titres qui m’ont marquée cet été.

Dans cette sélection, on peut distinguer deux types de romans : ceux qui inventent un monde entièrement fruit de leur imagination, ou de leur vision du cinéma ; et ceux qui jouent avec leurs souvenirs, leurs expériences personnelles et qui impliquent dans leur récit des personnages dont on ne sait plus très bien s’ils sont réels ou fictifs. Sans doute cette distinction ne semble-t-elle pas très parlante d’emblée, mais attendez, et vous allez comprendre…

Le cinéma imaginé

Le Dernier Nabab

J’avais déjà évoqué dans la première partie un roman de Fitzgerald, Tendre est la nuit, où le cinéma intervient en « toile de fond » (sans mauvais jeu de mots), puisque l’un des personnages principaux est une jeune comédienne sous contrat avec Hollywood. Hormis une projection, quelques références et une visite dans un studio parisien, le lecteur n’est cependant pas confronté directement à l’univers hollywoodien.

le dernier nabab

En revanche, dans Le Dernier nabab, roman inachevé de Fitzgerald, l’image se fait plus précise. L’histoire se passe en 1935 et suit les traces d’un personnage énigmatique, producteur de cinéma virtuose, Monroe Stahr. Ce dernier s’inspire d’un célèbre producteur de l’âge d’or d’Hollywood, Irving Thalberg. Pour ma part, il me rappelle également des êtres réels ou fictifs tels que William Randolph Hearst, Charles Foster Kane (héros du film de Welles, Citizen Kane, lui-même inspiré de Hearst), ou encore Howard Hughes (incarné à l’écran par Leonardo di Caprio dans Aviator).

Monroe Stahr – et la narratrice qui l’observe par moment – nous conduit dans le Hollywood / Babylone des années 30, fastueux, artificiel, scandaleux, cynique et profondément désenchanté, même si cela a trait davantage à l’univers de Fitzgerald, à ses Gatsby et ses Dick Diver, qu’au cinéma. Notre producteur de cinéma est, comme les héros précédents de Fitzgerald, tourmenté par son amour pour une jeune femme qui s’avère être le quasi-sosie de son épouse disparue – un petit côté Vertigo avant la venue d’Hitchcock aux Etats-Unis.

Décors, rushes, grandeurs et décadences, réalisateurs et scénaristes, voilà la fresque que restitue Fitzgerald, et qu’il devait lui-même avoir sous les yeux durant les dernières années de sa vie, en tant que scénariste à Hollywood. Petit extrait :

À aucun moment de la journée, un studio n’est absolument silencieux. Il y a toujours une équipe de techniciens dans le laboratoire, les auditoriums de doublage, les gens du service de maintenance qui passent à la cantine. Mais les bruits sont tous différents : un chuintement de pneus, le moulin tranquille d’un moteur qui tourne à vide, le cri nu d’une soprano qui chante dans un micro cerné de nuit.

Un sang d’aquarelle

Parmi mes souvenirs de lecture, j’ai retrouvé un roman de Françoise Sagan, publié en 1987. Pour ceux qui considère Françoise Sagan exclusivement comme l’auteur de Bonjour Tristesse, amoureuse de personnages qui brûlent la chandelle par les deux bouts, je n’ai qu’un message : lisez d’autres romans. Lisez Aimez-vous Brahms ?, qui est superbe ; lisez Des Bleus à l’âme – mon préféré – une merveille ! Et lisez Un sang d’aquarelle.

un sang d'aquarelle

Ce roman vous prouvera la virtuosité de Sagan quand il s’agit de reconstituer une époque et une atmosphère, avec beaucoup d’ironie, ce qui ne gâche rien, bien au contraire. L’atmosphère en question, c’est celle de l’occupation. L’histoire se déroule en 1942, à Paris. Le réalisateur allemand Constantin von Meck, ancienne étoile hollywoodienne revenue tourner un film pour les studios de l’UFA, est tiraillé entre la révolte que suscite en lui l’Allemagne nazie, et sa propre passivité politique, son « sang d’aquarelle ». Ce roman est l’histoire d’un homme qui se cherche, et qui après les compromis et les atermoiements, décide enfin de sa conscience.

Eléonore à Dresde

Autre souvenir de lecture, ce très court roman de Hubert Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud. J’ai toujours beaucoup aimé ses textes, vertigineux et énigmatiques, amoureux fous de la littérature et du cinéma. De lui, je vous recommande également La Leçon d’apiculture et Quand tu seras à Proust, la guerre sera finie.

Eléonore à Dresde raconte la rencontre d’une femme étrange, ancienne vedette d’un unique film qui la poursuit comme une malédiction, et d’un ethnologue. Eléonore est prisonnière de ce personnage qu’elle a incarné adolescente, et qui ne l’a plus quitté depuis :

Oui, Eléonore Simon, celle qui, quinze ans plus tôt, avec son premier film – Dresde, un soir – d’un seul coup, avait atteint la perfection, imposant son nom (…). Mais en même temps elle avait, d’une certaine manière, achevé sa carrière car, dans les rôles qu’on lui avait offerts ensuite, jamais elle n’était parvenue à faire oublier l’inoubliable héroïne de Dresde.

Le cinéma réinventé

Les ouvrages que j’ai cités jusque-là sont des oeuvres entièrement d’imagination. Bien que Fitzgerald ait été scénariste, et bien que Sagan et Nyssen aient voulu rendre hommage au cinéma, bien que les personnages empruntent leurs traits à telle ou telle célébrité, l’auteur a bel et bien créé un monde à part entière. Pour les romans qui vont suivre, la frontière entre réel et fiction est moins nette, elle se perd dans le flou artistique construit par les différents auteurs que je vais maintenant évoquer.

Blonde

Une fille au corps luxuriant dans la plénitude de sa beauté physique. Dans une robe bain-de-soleil en crêpe georgette ivoire, les seins moulés dans les plis soyeux onduleux de l’étoffe. Elle est debout, jambes nues écartées sur une grille de ventilation du métro new-yorkais. Sa tête blonde est extatiquement rejetée en arrière tandis qu’un courant d’air soulève sa large jupe évasée, révélant une culotte de coton blanc. Du coton blanc ! La robe de crêpe ivoire flotte, magiquement aérienne. La robe est magique. Sans cette robe, la fille serait de la viande femelle, étalée crue aux regards.

Il suffit de quelques lignes de Blonde, le roman de Joyce Carol Oates publié en 2000, pour suggérer l’image parfaite de Marilyn Monroe. Ou plutôt, son portrait fantasmé, un peu à la manière de cet ouvrage sur Greta Garbo, dont j’avais parlé au mois d’avril. Blonde est particulier.

Blonde

Bien que nous ayons la certitude qu’il s’agit d’une invention, d’une longue rêverie sur ce qu’était ou ce qu’aurait pu être Marilyn, parfois un doute nous effleure : n’est-ce vraiment qu’un rêve ? Dans Blonde, l’être (Norma Jeane), le comédien (Marilyn) et le personnage de Oates – ou le mythe qu’elle en fait, si vous préférez – toutes ces identités tantôt se dispersent, tantôt se mélangent.

Blonde, c’est l’histoire d’une femme à la recherche d’une identité toujours vacillante. Nous plongeons dans ce rêve vaporeux, dans cette illusion charnelle qui s’appelle Marilyn pour finalement comprendre que nous participons tous à la construction de ce mythe, alors que la vraie femme n’en finit pas de nous échapper (à ce titre je recommande également la lecture des écrits de Marilyn, publiés sous le titre Fragments).

Le roman Blonde est la restitution d’une vie dans l’illusion permanente du cinéma.

Le Théorème d’Almodovar

Le Théorème d’Almodovar, d’Antoni Casas Ros, publié en 2008, repose sur la même illusion, la même confusion entre réel et imaginaire. Il s’agit d’un récit à la première personne d’un homme seul, défiguré après un accident, passionnés des mathématiques, de Newton et des livres. Il se réfugie au cinéma pour échapper au regard des autres et évoque une rencontre avec Almodovar, qui lui permettrait, à lui, être déconstruit, difforme, d’acquérir une forme nouvelle, transfiguré par la création cinématographique.

C’est un roman curieux, où le texte réfléchit sur lui-même et se produit de lui-même, une invention à la limite de la science-fiction. Et c’est un bel hommage au cinéma et à l’univers d’Almodovar :

Tout grand film nous fait tituber, nous laisse un moment ou une éternité dans cette sensation planctonienne un peu molle, flottant entre deux eaux. Ce sentiment vague que nous pouvons enfin vivre comme un héros, que nous pouvons traverser la vie plutôt que la fuir. Dans ces moments de grâce, nous sentons notre fragilité, nous palpons notre chair indécise, nous permettons au rêve intense de la beauté de surgir et de nous emporter.

Jeune fille et Une année studieuse

Pour finir, j’évoquerai deux textes que j’ai lus cet été avec beaucoup de plaisir, deux romans de Anne Wiazemsky. Si l’auteur choisit la forme du roman, elle n’en évoque pas moins des souvenirs personnels dans ces deux textes, l’un, Jeune fille, consacré au tournage du film Au hasard Balthazar, de Robert Bresson, en 1965, l’autre, Une année studieuse, consacré à sa rencontre en 1966 avec Jean-Luc Godard.

Au-delà d’une déclaration d’amour sans équivoque au cinéma, ce que j’ai aimé dans ces deux romans, c’est le récit captivant de la vie politique, artistique et cinématographique d’avant Mai 68, tout un bouillonnement intellectuel, un frisson auquel nous convie Wiazemsky.

Dans Jeune fille, on découvre le processus de création, qui conduit une jeune fille, au fil des lectures, des essais, et du quotidien du tournage, à devenir le rôle principal d’un film :

Je me suis mise à aimer profondément, à aimer d’amour, le quotidien d’une vie de tournage, cet instant entre le « Moteur ! » et le « Coupez ! » quand toutes les respirations sont suspendues et que seuls comptent des gestes à faire, des mots à dire. J’aimais cette tension, le rassemblement de tous les membres de l’équipe pendant une poignée de secondes, parfois plus ; le relâchement ensuite, l’effervescence, et à nouveau cette extraordinaire mobilisation de tous.

Anne-Wiazemsky-Une-année-studieuse

Dans Une année studieuse, à nouveau, la manière d’écrire de Wiazemsky, fine, subtile, épurée, rend poreuse la frontière entre réalité et fiction. Elle évoque des êtres tels que Cocteau, Truffaut, Jeanne Moreau. Plus encore, elle évoque un Godard intime, méconnu, attachant autant qu’agaçant… un Jean-Luc à l’image de ces héros ou de ces auteurs dont on nomme seulement le prénom : Jean-Jacques (Rousseau), Gérard (de Nerval)… Julien (Sorel), Emma (Bovary). L’image publique de Godard s’éloigne et nous ne voyons plus que Jean-Luc :

Il parlait avec finesse de chaque film, et je découvrais à quel point le cinéma était vital pour lui. Après chaque projection, dans un café ou au restaurant, il analysait le talent de tel cinéaste, la beauté de telle actrice. Avant, je me contentais d’apprécier tous les films sans les différencier. Il m’apprit à le faire et cela m’enchanta.

Voilà pour les quelques pistes littéraires, quelques-uns de ces romans qui aiment rêver sur « le ruban de rêves », selon Orson Welles, qu’est le cinéma.

Dans mon prochain article, je parlerai de quelques textes qui évoquent comédiens et réalisateurs à travers les yeux de ceux qui les rêvent le plus ou qui les idéalisent le moins, selon les cas, ceux qui ont déjà fait l’objet d’un article il y a peu, leurs enfants.

D’ici là, j’espère vous avoir donné quelques envies de lectures… Merci à ceux et celles qui m’ont conseillée dans l’élaboration de ces articles !

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