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Mois : février 2014

Février 2014 : séances et animations du CDI

Une nouvelle fois, un article un peu tardif sur ce qui s’est passé au CDI avant les vacances d’hiver.

Sources : http://www.forumdesforums.com/modules/news/article.php?storyid=7005

Sources : http://www.forumdesforums.com/modules/news/article.php?storyid=7005

Une bonne partie de mon énergie et de mon temps a été consacrée, fin janvier, à préparer mon inspection – j’ai en effet été prévenue, aux alentours du 23 janvier, de la venue de mon inspecteur, prévue le 7 février.

Une inspection de prof doc

Pour les « paddocks », petit rappel de ce en quoi consiste une visite d’inspection : comme n’importe quel professeur, les professeurs documentalistes dépendent d’un IPR – inspecteur pédagogique régional – chargé de les conseiller et d’évaluer leurs pratiques (cet IPR est commun aux professeurs documentalistes, aux CPE et aux chefs d’établissement). Pour cela, ils s’intéressent à plusieurs éléments (attention je parle ici de mon cas spécifique) :

  • une fiche CDI que doit remplir le prof doc concerné, et qui résume en deux pages l’essentiel de son activité au sein de l’établissement, depuis ses horaires jusqu’aux nombres de documents disponibles ;
  • le bilan d’activités de l’année précédente, qui permet de définir les priorités de l’année en cours – pour ma part, j’avais dissocié en deux documents bilan et projets du CDI, on m’a recommandé de les réunir.

Ces deux éléments permettent à l’inspecteur de préparer sa visite, qui se déroule ensuite ainsi :

  1. un entretien avec le chef d’établissement ;
  2. l’observation d’une séance pédagogique (1h) ;
  3. un entretien individualisé (retour sur la séance, sur la lecture du bilan d’activités, petit tour du CDI, le tout en 1h30, toujours en ce qui me concerne) ;
  4. un petit résumé de la situation avec le chef d’établissement (15 mn)

Séance d’inspection

L’inconvénient d’une inspection de professeur documentaliste, c’est que l’on doit se dépatouiller comme on peut, bien-sûr avec l’aide des collègues qui sont des plus solidaires, pour organiser une séance. À l’inverse de ces mêmes collègues, il est encore rare que l’on ait des heures fixes de séances dans notre emploi du temps.

L’avantage, par contre, c’est que l’on est prévenu beaucoup plus tôt : j’ai disposé de deux semaines pour préparer cette séance, son scénario, ses fiches de cours et d’exercices.

Je voulais coûte que coûte travailler avec les élèves d’UPE2AUnité pédagogique pour élèves allophones arrivants, anciennement appelée CLA, classe d’accueil. Ce sont des élèves non francophones de tous niveaux, de la 6e à la 3e, et que je reçois une fois par semaine au CDI depuis le début de l’année, avec leur enseignant référent, autour d’un projet sur la communication – visuelle, écrite, orale, numérique.

Préparation :

À l’origine, je voulais faire une séance qui parte de leurs pratiques – ce sont des élèves qui fréquentent régulièrement le CDI, et qui aiment particulièrement utiliser Google Maps, pour observer leur quartier actuel, mais aussi leur pays et leur ville d’origine.

Cela aurait permis d’aborder des notions comme la lecture de l’image, la cartographie en ligne, et la communication orale à partir d’un outil numérique. La séance se présentait ainsi :

Evidemment, la séance peut être adaptée à un autre groupe d’élèves ou à une autre classe, notamment en 6e et en collaboration avec un enseignant de géographie, et où l’on peut utiliser d’autres sites utilisés par les élèves : faire comparer Google maps et Géoportail, ou travailler sur la thématique des jeux sérieux, avec jeux-geographiques.com, viamichelin, ou encore GeoGuessr (merci Camille pour les références de jeux de géo sur internet !!!).

Tout ça pour dire que cette séance me motivait au plus haut point. Et là, c’est le drame : pas de connexion internet au CDI pendant toute la semaine de mon inspection.

Bref, trois jours avant, malgré l’espoir d’un retour à la normale le jour J, je décide d’élaborer un plan B.

Déroulement :

Je pars donc du même principe : utiliser des documents – cette fois-ci, usuels et documentaires – pour présenter son pays d’origine, en modifiant scénario pédagogique et attentes. Et j’en arrive du coup à ces deux documents supports :

Pour éviter aux élèves de se disperser dans plusieurs tâches, j’avais mis à disposition sur les tables, usuels et documentaires. J’avais donc fait une sélection préalable, qui n’impliquait pas une démarche de recherche à l’intérieur du CDI, c’était l’un des inconvénients de la séance.

Autre petit point faible, je n’ai pas assez insisté sur les notions, même si je leur ai fait distinguer, à l’aide de la fiche de cours, dictionnaires, encyclopédies, et documentaires.

Cependant, dans l’ensemble, cette séance s’est bien déroulée, et les élèves ont été dynamiques et ont apprécié ce travail, qui permettra par la suite de leur faire produire un diaporama ou de réaliser une exposition sur leur pays d’origine.

Entretien :

Bien entendu, je ne reviendrais pas en détail sur les presque 1h30 d’entretien que j’ai eues avec l’inspecteur à la suite de cette séance. Ce que j’ai pu apprécier, c’est la lecture attentive des documents que j’avais fournis, et des suggestions sur des méthodes de travail et l’utilisation du CDI.

Un point en particulier a retenu mon attention. L’inspecteur a souligné l’absence de « coin lecture clairement identifié » dans le CDI. En effet, dans un CDI, chaque zone doit être reconnaissable par les élèves : recherche, coin informatique, coin orientation, coin lecture.

Dans le CDI de mon établissement, les BD et les albums étaient séparés des mangas par le kiosque presse et le kiosque ONISEP, et des fauteuils de lecture étaient dispersés.

Avec l’aide précieuse des assistants d’éducation, j’ai donc réaménagé le CDI la veille des vacances, et j’ai désormais un beau coin lecture, que les élèves se sont rapidement approprié :

Pour ceux qui se souviennent de mon plan 3D du CDI, voici un petit AVANT / APRÈS :

Et cela me donne l’occasion de faire une petite comparaison de deux logiciels qui permettent de faire des plans 3D en ligne, pour ceux que cela intéresse. Il s’agit de Kozikaza (sur lequel j’ai fait mon premier plan 3D) et Sweet home 3D (sur lequel je n’ai fait qu’un plan rapide pour montrer à mon chef d’établissement les modifications) :

Kozikaza

Sweet home 3D

Avantages

Un plan agréable à regarder, facilement réutilisable dans une capture d’écran, avec des éléments (meubles, portes, fenêtres, etc.) bien identifiables, bref un bon rendu visuel, aussi bien en 2D qu’en 3D – Rapide et intuitif ;

– Possibilité d’exporter le plan dans un format PDF (même si on se moque un peu de savoir que l’on a inséré 24 chaises et 8 tables) ;

– Pas besoin de connexion internet une fois téléchargé

Inconvénients

– Nécessite plein de manipulations et une bonne connexion internet ;

– N’est absolument pas intuitif ;

– Le plan ne peut pas être légendé – d’où l’intérêt d’une capture d’écran pour se le réapproprier

– Le rendu visuel du plan remis en 2D au format PDF. C’est hyper moche, et on n’y voit que dalle. Du coup, pour ceux qui sont pointilleux niveau esthétique, retournez utiliser le premier.

– Là encore, on ne peut pas légender, même si les quelques heures d’utilisation que j’en ai faites m’ont peut-être fait manquer une icône « légende ».

Bonnes (fins de) vacances pour les chanceux comme moi, et à bientôt !

Étoiles (éphémères) du cinéma muet

Il y a environ un an, j’ai publié un article sur un ouvrage très sympathique, Tartes à la crème et coups de pied aux fesses : Le Cinéma comique américain. Vol. 1 : Les années flamboyantes du court-métrage.

Tartes à la crème

En effet, malgré le titre interminable, l’auteur, Enrico Giacovelli, entraînait le lecteur dans un univers submergé d’humour et de mélancolie, et que n’aurait raté pour rien au monde un archéologue, amateur ou chevronné, du cinéma. Mieux, il faisait revivre sous nous yeux, et sans même avoir besoin de les voir, les films et les visages des pionniers du septième art.

J’avais, certes, émis quelques réserves : cet auteur, qui avait imaginé un panorama du cinéma comique en plusieurs volumes, et dont, à l’époque, uniquement le premier était paru, prenait un malin plaisir à nous ménager des effets d’annonces, à nous mettre en appétit.

Ce premier volume n’était qu’un hors d’oeuvre, et tant pis pour nous, si nous devions attendre patiemment la suite du menu. Cela allait de la petite allusion « Nous en reparlerons plus en détail dans le volume suivant »… à un encadré « Coming soon » énumérant la suite des aventures.

Il n’empêche que j’ai bel et bien sauté sur le deuxième volume, dès que j’ai eu vent de sa parution, et que je suis désormais forcée d’en convenir : cette publication par étapes et par effets d’annonce est admirablement bien orchestrée. Il m’a bien eue, Enrico Giacovelli.

L’objet du délit

Qu’avait-il donc de si alléchant, ce Volume 2, paru en janvier 2014 aux éditions Gremese ? Certes, toujours un titre à rallonge ! Le Silence est d’or : Le Cinéma comique américain. Vol. 2 : Les folles années vingt et le triomphe du long métrage. La même mise en page soignée et abondamment illustrée, ce qui apporte un véritable plaisir de lecture, tant dans la forme que dans le fond.

Le silence est d'or

En effet, voici les petits plus de ce volume 2, au niveau de la structure. Déjà, pour ceux qui auraient loupé le volume 1, pas de souci, l’auteur ne vous laisse pas le bec dans l’eau. L’ouvrage s’ouvre ainsi : « Le premier volume en 3 pages et 9 photographies ». On serait en train de visionner la nouvelle saison d’une série, le réalisateur ne s’y prendrait pas autrement : « Dans l’épisode précédent… »

Dans ce résumé en images, le lecteur est confronté aux figures principales qu’il retrouvera – dont il suivra la suite de la carrière – dans le volume 2 : Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd.

Il consacre ensuite un chapitre à quelques figures oubliées du court-métrage, et qui ne figuraient pas dans son premier volume : comiques qui émergeaient le plus souvent grâce à un signe distinctif (moustache, strabisme, boucle de cheveux), imitateurs masculins et féminins de Charlot, enfants et animaux ayant connu une brève heure de gloire au sein de cette industrie florissante.

Il ne pourrait y avoir de meilleure suite, après avoir parlé des enfants et des animaux, que d’aborder les débuts des dessins animés. Quelques pages leur sont donc dédiées, où la seule figure que j’ai malheureusement pu reconnaître, c’est celle de Félix le chat (mais quelle mise en appétit, lorsque l’on s’attarde sur le plan des volumes suivants et que l’on y reconnaît Disney, les cartoons et Tex Avery, entre autres) :

Après cette introduction et ces deux chapitres qui assistent à la fin d’un monde et à la naissance d’un autre, nous entrons dans le vif du sujet, et chacun des chapitres qui va suivre sera consacré à un comique (ou un groupe de comiques) en particulier.

Le premier d’entre eux est un comique oublié, captivé visiblement par les oeufs et les voitures, et qui cherchera à créer un univers délirant proche des cartoons, Charley Bowers. C’est l’un de ces météores du cinéma muet, qui a dû inspirer à Paul Auster son Livre des illusions, et qui n’est qu’un exemple parmi d’autres de la mort artistique provoqué par l’émergence du parlant et par le système hollywoodien :

Charley Bowers mourut oublié de tous en 1946 (…). Pendant près de trente ans, il ne restera aucune mémoire ni aucune trace de ses mondes mixtes, de ses inventions géniales et vaines, de ses petits films que l’on peut aujourd’hui définir comme un mélange de Méliès, Starewitz, Dali, Terry Gilliam et Tim Burton, agrémenté d’une touche à la Buster Keaton et à la Tex Avery.

Que de promesses ! Et quel sentiment d’injustice, auquel, malgré lui, participe le lecteur. Car, il faut bien l’avouer, si l’on parcourt ce livre avec autant de plaisir, c’est aussi pour des retrouvailles avec des figures et des films que l’industrie du cinéma, et le temps, auront plus ou moins épargnés : Max Linder, Harold Llyod, Harry Langdon, mais surtout Buster Keaton, Charlie Chaplin et Laurel et Hardy.

Chaplin et Keaton

Déjà abordés dans le premier volume, on retrouve Buster Keaton et Charlie Chaplin au sommet de leur gloire, l’un réalisant Sherlock Jr et Le Mécano de la Générale :

l’autre The Kid, La Ruée vers l’or et Le Cirque :

Les pages consacrées à Buster Keaton sont d’ailleurs l’occasion d’une confrontation avec Chaplin :

Le comique de Keaton naît de l’indifférence, de la non-participation émotive, de son regard neutre sur le monde des hommes et des objets. La vie n’est pas une émanation de l’esprit mais un fait mécanique. Ou courir ou mourir. Après que l’on a vu un film de Keaton, c’est notre intelligence qui est touchée, pas notre coeur. (…)

On est évidemment aux antipodes de Chaplin (…) Charlot lutte contre la société pour affirmer son individualisme, les droits sacro-saints de tout être humain ; Keaton utilise l’individualisme pour s’intégrer dans la société (…). Charlot peut être quiconque et partout, un paria sur les bords du Gange, un misérable dans les bas-fonds de Londres, un chien errant parmi les noirs du Bronx. Pour être Keaton et triompher comme lui sur le monde, il faut s’être échauffé les muscles, avoir un physique enviable et une bonne étoile.

Ces quelques lignes nous préparent à la lecture du volume suivant, où Chaplin s’adaptera aux exigences du parlant – ou plutôt exigera du parlant qu’il s’adapte à lui, Chaplin – et où la voix de Keaton, quasi-inexistante, sombrera dans l’absence, exception faite des quelques apparitions à l’écran qu’il fera, toujours en tant qu’ancien comique muet, dans Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, et dans Les Feux de la rampe, dirigé par Chaplin.

Outre les comiques que nous avons découverts dans le premier volume, et dont l’auteur abordera la suite de la carrière ou le déclin, avec le cinéma parlant, dans le 3e volume, nous assistons ici à la rencontre d’un couple explosif : Laurel et Hardy.  Enrico Giacovelli revient sur les carrières solo de Stan Laurel et Oliver Hardy, puis sur les circonstances de leur rencontre, et enfin sur l’élaboration progressive de leurs personnages et de leurs personnalités.

Laurel et Hardy Sources : Wikipédia

Laurel et Hardy
Sources : Wikipédia

Enfin, l’ouvrage s’attarde dans un dernier chapitre, « Slapstick Babylonia : la fin des jeux », sur les disparitions prématurées et les scandales, qui ont fait sombrer dans l’oubli certains des comiques que le premier et ce second volumes nous ont fait connaître :

  • Max Linder, qui se suicide avec sa femme en 1925 ;
  • Mabel Normand, minée par les scandales, la drogue et la tuberculose, qui disparait à 36 ans ;
  • Fatty Arbuckle – le comique fauché en pleine gloire par un mystérieux scandale, dans le premier volume – accusé de viol et de meurtre, et qui ne se relèvera jamais de ce scandale.

On se croirait dans un film noir qui reconstituerait cette époque, où pour le public, vie privée et vie publique des stars doivent nécessairement se confondre sous peine d’être condamnées, et où la presse est déjà toute puissante à faire ou à défaire une carrière.

Les atouts indéniables de ce deuxième opus

Outre le ton toujours teinté de mélancolie, Le Silence est d’or prend indéniablement son envol, par rapport au premier volume. Agréable à lire, chaque chapitre est introduit par une petite citation littéraire ou cinématographique. Celui sur Chaplin :

Le cas de Charlie Chaplin évoque celui de Molière, mais Molière devint très ennuyeux dans ses dernières productions royales et l’on a l’impression que Charlie Chaplin, évoluant d’une façon vertigineuse, ne sera jamais ennuyeux. Tout au plus, doit-on s’attendre à ce qu’il fasse quelque chose de tragique.

Louis Delluc, Charlie Chaplin. 1921

Enfin, le caractère absolument interactif de l’ouvrage, tient à un petit encart en quatrième de couverture : « Lis le livre, regarde les films ! Toutes les explications à l’intérieur de ce volume ».

Et voilà le coup de génie ! Relier le livre à une chaîne YouTube. C’est ni plus ni moins ce que propose l’auteur, juste après la page de garde. Au fur et à mesure de sa lecture, le lecteur peut se reporter aux extraits de films muets proposés par Enrico Giacovelli, selon une structure qui respecte parfaitement celle de ses ouvrages.

La communication sur cette chaîne YouTube est excellente, puisqu’elle utilise non seulement le support du livre (quatrième de couverture et encart), mais encourage également le lecteur à aller chercher cette chaîne directement sur Google ou sur le site de l’éditeur, Gremese.

On peut d’ailleurs voir sur cette chaîne, d’ores et déjà, les vidéos mises en ligne en attendant le 3e volume : encore un effet d’annonce, bénéfique, celui-ci. Car, oui, une fois refermé Le Silence est d’or, on n’a qu’une hâte, avoir le volume suivant entre les mains.

Un triangle amoureux aux abords d’un volcan

Enfin, après un mois de janvier un peu morne, voici enfin de quoi alimenter la rubrique « Bibliothèque cinéphile » !

Comment je choisis les livres de la rubrique « Bibliothèque cinéphile »

Cela me permet d’ailleurs d’expliquer un peu le fonctionnement de Cinephiledoc à ce sujet, à savoir : comment je sélectionne les livres sur le cinéma qui nourrissent ce blog. J’avais sans doute déjà abordé la question rapidement, voici un petit approfondissement :

  • la première étape est de suivre le flux RSS des « nouveautés cinéma » d’une grande enseigne et de sélectionner les ouvrages dont les sujets attirent mon attention (bien entendu, je ne vais pas choisir un livre qui évoquerait un cinéaste inconnu ou un genre de films auquel je ne connais rien) ;
  • puis, simultanément, ou avant, ou après, je me rends en librairie – grande ou petite, chaîne ou indépendante, je n’ai pas de préférence, mais depuis ma déconvenue suite à la commande d’un ouvrage écrit visiblement avec les pieds, j’évite le plus possible de commander sur Internet ;
  • en effet, j’ai besoin d’un contact physique avec le livre avant de l’acheter (et si possible, il me faut un coup de foudre, ou si possible une conjonction d’aspects aussi bien thématiques que financiers) – sauf si je suis dans une période de totale confiance ou d’esprit d’aventure ;
  • lorsque ni les flux RSS, ni les vitrines, ni les rayonnages, ni le feuilletage ne m’ont convaincu d’acheter un livre documentaire sur le cinéma, je me tourne du côté des romans dans l’espoir que l’un d’eux aborde de près ou de loin la question du cinéma.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer certains de ces romans, qui ne sont jamais très éloignés de la réalité historique – soit qu’ils s’inspirent, sans le dire directement, d’un personnage ayant réellement existé (Le Dernier Nabab, Le Livre des illusions, Un sang d’aquarelle…), soit qu’ils imaginent la vie ou l’apparition au sein de leur fiction, d’une célébrité (L’Homme intérieurBlonde, Le théorème Almodovar, Une Année studieuse).

L’Année des volcans : destins romancés

Le livre sur lequel mon choix s’est arrêté mi-janvier est donc un roman, œuvre d’un auteur français, et qui choisit d’imaginer la rencontre et le scandale causé par un triangle amoureux bien connu des cinéphiles, à savoir Anna Magnani, Roberto Rossellini et Ingrid Bergman.

L'année des volcans

L’auteur est François-Guillaume Lorrain, qui avait publié Les Enfants du cinéma, recueil de témoignages auquel j’avais consacré une critique l’année dernière.

Son roman paru en janvier 2014, L’Année des volcans, est tout aussi passionnant, et il y étudie le phénomène volcanique sous toutes ses formes : géologique, amoureux, cinématographique, et psychologique.

Triangle amoureux, 1949

Petit rappel pour ceux qui ne seraient pas très familiers du cinéma italien – et mondial – de l’immédiate après-guerre :

Roberto Rossellini. Source : Wikipédia

Roberto Rossellini. Source : Wikipédia

En pleine reconstruction, l’Italie a été le berceau d’un mouvement cinématographique dont Roberto Rossellini a été l’un des principaux représentants : le néo-réalisme, avec une œuvre phare, Rome ville ouverte, dans laquelle jouait une comédienne devenu le symbole de Rome par excellence, la brune flamboyante Anna Magnani. Elle était également la maîtresse de Rossellini.

Anna Magnani. Source : Allociné

Anna Magnani. Source : Allociné

Rome ville ouverte a connu un immense succès, jusqu’aux Etats-Unis, où une star au sommet de sa gloire, Ingrid Bergman, l’une des égéries d’Hitchcock, y a vu ce qu’elle souhaitait désormais comme cinéma.

Ingrid Bergman. Source : Wikipédia

Ingrid Bergman. Source : Wikipédia

Dans un Hollywood aux studios et aux producteurs tout puissants, et dans une Amérique enfermée encore dans le conformisme et les préjugés, Ingrid Bergman est une femme mariée et mère de famille, mais aussi l’incarnation cinématographique de Jeanne d’Arc. Elle représente, pour les tenants de la vertu, qui étranglent le cinéma avec une censure impitoyable, une arme redoutable contre la débauche et l’immoralité.

C’est dire quel acte de courage elle accomplit en envoyant à Rossellini une lettre de cette teneur :

« Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui parle très bien l’anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français et qui, en italien, ne sait dire que ti amo, je suis prête à venir faire un film avec vous. »

Et c’est dire quel scandale elle suscite en devenant la maîtresse de Rossellini sur le tournage de Stromboli.

Symbolique du volcan

Dans L’Année des volcans, François-Guillaume Lorrain fait s’affronter trois volcans, le passionné et manipulateur Rossellini, la brune explosive Anna Magnani, et l’éthérée Ingrid Bergman. Chacun prend tour à tour la parole, tout à sa quête de liberté et d’épanouissement artistique.

Et bien-sûr, que serait une Année des volcans sans la confrontation de deux tournages ayant eu lieu sur les îles éoliennes, proches du volcan Stromboli, l’un sous la direction de Rossellini, et avec Ingrid Bergman, Stromboli, terre de Dieu, l’autre sous la direction de Dieterle, avec Anna Magnani, Vulcano.

Aeolian_Islands_map

Car Stromboli, promis à l’origine à Anna Magnani, fut finalement l’ode rossellinienne à la beauté pure et sans artifices de Bergman, dans le chaos d’une terre aride et frustre, éloignée du glamour rassurant des studios hollywoodiens.

Magnani répondra avec Vulcano, dirigé par Dieterle, et tourné en même temps sur une île voisine, dans un climat d’espionnage et de rivalité permanente avec l’équipe de Stromboli.

Voyage en Italie, et ailleurs…

La quatrième de couverture du roman nous promet une histoire pleine de « bruit et de fureur ». Promesse tenue, et de loin ! Sans exhibitionnisme, sans voyeurisme, l’auteur nous amène presque à voir dans ces personnages réels, Rossellini, Bergman, Magnani, des êtres complètement issus de son imagination.

Il restitue de manière troublante le cinéma d’après guerre, un Hollywood où Bergman fait l’objet d’une pré-chasse aux sorcières, et où tout est codifié, réglé, contrôlé afin d’engendrer le plus d’argent possible, et un cinéma européen renaissant, empreint d’indépendance financière et artistique.

stromboli

Superbement écrit, il plaira tout autant à ceux qui recherchent un bon roman qu’aux cinéphiles les plus chevronnés. Indifféremment, il donnera envie de voir ou de revoir les chefs d’œuvre du cinéma italien et les films où apparaît Ingrid Bergman. Quelques suggestions :

Cinéma italien

  • Padre padrone, des frères Taviani, primé au Festival de Cannes l’année où Rossellini en était le président (1977), et très peu de temps avant sa disparition. L’histoire austère et brutale d’un jeune berger sarde qui tente de s’instruire et d’échapper à l’autorité de son père (inspiré d’une histoire vraie).
  • Fellini Roma (1972). Mon film préféré de Federico Fellini, une évocation de Rome, au début du 20ème siècle. La scène de découverte d’une fresque antique par les ouvriers du métro est magnifique. Et Anna Magnani fait une apparition dans ce film fabuleux, lançant au réalisateur « Va donc te coucher, Federico, il est tard ».
  • Cinema paradiso (1989) de Giuseppe Tornatore, un hommage au cinéma italien, mais surtout au cinéma tout court, entre la fin des années quarante – cinéma hollywoodien en pleine gloire et cinéma européen renaissant – et les années quatre-vingt (triomphe de la télévision et fermeture des cinémas). Le spectateur suit l’enfance et l’adolescence de Toto, devenu cinéaste. Un film magnifique, poignant, avec des acteurs impeccables.

Ingrid Bergman

  • On peut difficilement choisir un rôle à retenir dans sa filmographie pré-rossellinienne. Entre Casablanca, où elle est merveilleuse, face à Humphrey Bogart dont elle illumine le regard, et La Maison du Docteur Edwardes, où dirigée par Hitchcock, elle tente de soigner un Gregory Peck amnésique dont elle est tombée amoureuse, difficile de trancher ! À moins que l’on s’arrête finalement aux Enchaînés, histoire d’espionnage, une nouvelle fois orchestrée par Hitchcock, et où c’est Cary Grant qui succombe à son charme.

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  • De la période rossellinienne, je recommande vivement Voyage en Italie, avec George Sanders. L’histoire mélancolique d’un couple sur le point de rompre, à travers les étapes de leur voyage.
  • Enfin, plus tardivement, je n’ai pas de souvenir assez récent de Sonate d’automne, l’un de ses derniers grands rôles, dirigé par Ingmar Bergman, pour pouvoir en parler de manière juste. Je me contenterai de signaler son rôle dans Le Crime de l’Orient-express, de Sidney Lumet, pour lequel on lui a attribué un Oscar – l’un des trois de sa carrière – et où elle donne la réplique, entre autres, à Albert Finney, Lauren Bacall, et Sean Connery.

À noter que la comédienne a co-signé une autobiographie, Ma Vie, publiée en 1980 aux éditions Fayard, deux ans avant sa disparition.

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