Comme je l’ai indiqué dans un article précédent, lorsque je ne parviens pas à trouver des ouvrages documentaires sur le cinéma qui retiennent mon attention, je me tourne vers le rayon « fiction », grâce auquel j’ai parfois de belles surprises.
Le livre sur lequel mon choix s’est arrêté dernièrement est, de prime abord, digne d’intérêt pour deux raisons. D’abord parce qu’il s’agit de l’oeuvre d’une comédienne, ensuite parce que, sous l’apparence de la fiction, il peut aussi servir de « guide de survie » au réalisateur débutant.
Ces comédiens qui écrivent…
Des comédiens qui écrivent ou font écrire leurs mémoires, il y en a des charrettes pleines. Un jour ou l’autre, chacun est tenté, avec plus ou moins de style, avec plus ou moins de talent, de faire connaître à ses spectateurs quelques éléments de sa vie et de sa carrière : Michel Serrault, Jean-Claude Brialy, Simone Signoret, Lauren Bacall, voilà certaines de mes lectures…
Plus rares sont les comédiens qui vont se tourner vers la fiction, et vont produire poésies, pièces de théâtre ou romans. Parmi eux, j’ai déjà eu l’occasion de mentionner Anne Wiazemsky, qui a été l’une de mes lectures de l’été dernier, même si l’auteur met en scène des personnages ayant réellement existé.
L’un des comédiens ayant exercé le métier d’écrivain avec le plus de talent, reste à mon sens Bernard Giraudeau. Je recommande notamment la lecture de Cher Amour, lettres du voyageur à une femme inconnue et idéalisée. J’avais prêté le livre à quelqu’un qui ne me l’a malheureusement pas rendu, mais voici quelques citations glanées ici et là :
Je suis en arrêt de jeu, sur le dos, paupières closes. Je sais que vos mains, fines, élégantes, déliées, sont une harmonie, une musique pour saisir mes lettres, les déplier et les tenir comme la plus précieuse découverte de notre vie. Cette main qui repousse une mèche de cheveux reste suspendue pendant que vous lisez, attentive, les mots sacrés de ce voyageur infatigable qui a fini par s’arrêter dans votre jardin. Je vous aime depuis si longtemps, depuis avant le début.
Ces lettres qui ne pourraient jamais finir sont celles de mes mouvements géographiques et de mes voyages immobiles sur la scène. Mais probablement y verrez-vous un autre voyage plus complexe, plus hardi, plus désespéré. Voyager, dit-on, on n’en revient jamais.
Il y en a sans doute d’autres qui ont tenté l’expérience avec plus ou moins de succès.
La comédienne dont j’ai choisi le roman n’en est pas à sa première expérience d’écriture. Sylvie Testud a en effet déjà publié plusieurs romans plus ou moins autobiographiques : l’un de mes préférés, Gamines, qui raconte son enfance, a d’ailleurs été adapté au cinéma :
Il y a des gens qui ont des têtes à farce, et d’autres des têtes à sérieux. A douze ans, ma sœur aînée a une tête à sérieux pire qu’un adulte. Quand on a douze ans et une tête à sérieux comme la sienne, faut faire des canulars. C’est là que ça marche !
Elle ne me répond même pas. Elle tourne la tête de gauche à droite pendant cinq secondes. « Fais gaffe, quand même, de pas passer de tête à sérieux à tête à baffes. » Cinq secondes pendant lesquelles je la regarde et je me dis : « T’as de la chance d’être protégée par les autorités. »
Toute l’oeuvre respire l’humour et l’espièglerie, et en cela, est extrêmement fidèle à la personnalité de cette comédienne audacieuse et malicieuse.
Le roman qu’elle nous offre ici, C’est le métier qui rentre, a été publié en février 2014 chez Fayard, et il suit les mésaventures en tant que réalisatrice débutante, du même personnage que dans Gamines, Sybille, presque alter ego de Testud.
Guide de survie en territoire cinématographique
C’est exactement à cela que m’a fait penser ce parcours du combattant pour réaliser un film : un manuel à l’usage du jeune réalisateur, naïf et soucieux de mettre en images ce qu’il a dans la tête. J’avais déjà consacré un article à un véritable manuel, rédigé par, soit disant, le pire réalisateur de l’histoire du cinéma, Ed Wood.
Dans Comment réussir (ou presque) à Hollywood, ce dernier égrène les conseils aux acteurs débutants, qui décident de tout lâcher pour tenter de conquérir la Mecque du cinéma, conseils aussi bien techniques et artistiques que pragmatiques (manger, se loger, et obtenir ne serait-ce qu’un rendez-vous avec un agent).
Après s’être penché sur le sort des peut-être futures stars et des centaines d’autres qui repartiront ruinés par l’expérience, Ed Wood s’intéresse de plus près à l’apprenti scénariste et au futur réalisateur, et c’est en cela qu’il offre, avec cinquante ans d’avance, un parallèle « documentaire » au roman de Sylvie Testud.
Réaliser un film : le parcours du combattant
Dans C’est le métier qui rentre, le lecteur suit le saut d’obstacles de Sybille, incorrigible optimiste, prête à tout, et surtout à toutes les concessions, pour porter à l’écran le scénario qu’elle est en train d’écrire. Contacté par deux producteurs frère et sœur, elle fonce tête baissée dans leur antre, malgré toutes les recommandations de ses proches. Ces sangsues humaines vont peu à peu chercher à tout contrôler, sans même que notre héroïne tente une quelconque résistance : elle cédera à toutes leurs exigences, convaincue qu’ainsi elle parviendra à donner vie à son film.
La manière dont Sybille bat successivement en retraite est pour le lecteur, à la fois pathétique et irrésistible, et digne de la littérature de l’absurde.
Je manque d’exemples, mais je suis sûre qu’il en existe, de ces antihéros qui renoncent, non pas à leur dignité artistique, mais véritablement à leur dignité humaine, face à la tyrannie d’une personnalité forte, gourou ou dominant. Le seul exemple qui me vient en tête, c’est celui de l’héroïne de Stupeur et tremblements, d’Amélie Nothomb, que Sylvie Testud a justement incarnée dans son adaptation au cinéma.
En effet, alors qu’elle rêve de réaliser un film se passant dans un hôpital, plus précisément dans un service de gériatrie, les deux producteurs vont la persuader de déplacer l’action, d’abord dans un haras, puis de faire carrément de ses héroïnes des prostituées. Ce n’est qu’une des multiples concessions qui lui seront imposées, toujours saupoudrées d’une rare hypocrisie et d’une bonne dose de chantage à la création.
Si le livre ne se lit pas forcément comme un voyage dans le monde tortueux de la production et des studios cinématographiques, il peut tout à fait se lire comme un roman comique, et des plus efficaces. Le style de Sylvie Testud, ce sont surtout des phrases courtes, des dialogues, les pensées intérieures du personnage qui suivent de près ce qu’il vient de dire ou ce qu’il vient d’entendre, quelque chose de rapide et hors d’haleine, idéal pour faire sourire et rire le lecteur.
L’univers entrevu du cinéma
Mais le roman donne aussi un aperçu très réussi du cinéma et de toutes les étapes nécessaires à la réalisation d’un film, en passant par le quotidien de tous les « acteurs » de cet univers : producteurs, agents, techniciens, scénaristes, réalisateurs, et bien entendu, comédiens.
Ces êtres, même caricaturaux et aux noms inventés, on se doute que Sylvie Testud les a croisés et côtoyés, et elle a le don pour croquer les personnes et les situations sur le vif. Et elle restitue à la perfection l’atmosphère plein d’artifices d’un tournage :
Est-ce que j’ai jamais ouvert une porte accrochée au couloir qui suivait ? Ai-je déjà marché dans une rue qui menait à la maison dans laquelle j’entrais ? Est-ce que j’ai déjà conduit une voiture qui n’était pas elle-même sur une autre voiture, pilotée par un homme qui conduisait exactement comme moi, pour faire croire que c’était moi qui conduisais ? (…)
Comme toutes les actrices, je me suis lavé les mains au-dessus d’éviers qui avaient un seau en guise d’évacuation, j’ai ouvert des robinets alimentés par des tuyaux en plastique. Et comme tout le monde, chaque fois que j’ai frappé à une porte, j’ai fait gaffe de ne pas frapper trop fort, de peur qu’elle ne s’écroule sur le machino couché derrière pour la maintenir debout.
Toute l’illusion du cinéma dans ce qu’il y a de plus quotidien : ouvrir une porte, marcher, se laver les mains. Pour Sylvie Testud, c’est le métier qui rentre, pour nous lecteur, c’est celui auquel on accède grâce à elle.