Voici la dernière lecture de l’année, avant un article sur les activités du CDI pour le mois de décembre, et le petit palmarès annuel de Cinephiledoc.
Dictionnaires thématiques
Pour cette dernière critique, j’ai à nouveau cédé à la tentation du dictionnaire thématique, qui, comme je l’ai dit et répété maintes fois, permet de se plonger dans un univers cinématographique sans être contraint par une lecture linéaire, mais, au contraire, en piochant tour à tour dans une lettre, puis dans une autre.
Les dictionnaires – là encore je me répète – peuvent être très réussis (Dictionnaire Truffaut, Dictionnaire Hitchcock, Marilyn Monroe de A à Z) ou complètement ratés, comme ce dictionnaire Marais / Cocteau qui a subi l’une des rares critiques négatives de Cinephiledoc.
En ce qui concerne la lecture de ce mois-ci, j’ai été séduite par le format de l’ouvrage aussi bien que par son contenu. Il s’agit d’une réédition poche du Dictionnaire Spielberg, de Clément Safra, publié en 2011 aux éditions Vendémiaire. Cette réédition est parue en novembre 2014 dans un petit coffret en deux tomes.
J’avais déjà fait la critique d’un livre publié par les éditions Vendémiaire, Mythes et idéologie du cinéma américain, de Laurent Aknin, petit essai qui avait suscité dans les commentaires une discussion quelque peu enflammée…
Pour ce qui est de ce Dictionnaire Spielberg, je n’en avais pas lu la première édition, même si l’envie de m’en avait pas manqué – j’avais eu l’occasion de le mentionner dans un article rédigé avant que ce blog se consacre aux comptes-rendus de lectures cinéphiles.
Erreur réparée à présent, grâce à ce format « coffret », aussi attrayant que maniable, même si l’on peut regretter que la forme du dictionnaire – c’est l’un des inconvénients de ce type d’ouvrages – ne laisse aucune place à l’iconographie, ce qui est dommage pour un cinéma aussi visuel que celui de Spielberg. Mais je pinaille…
Magie permanente d’une cinéphilie enfantine
Ce qui m’a touchée en lisant Clément Safra, c’est de ressentir son émotion intacte, à l’âge adulte, face à des films découvert durant son enfance.
Il arrive que certaines personnes renient les goûts qu’ils avaient étant enfant, et si pour certains, cela se comprend – les fans de Boys band ou de quelques autres merveilles tombées fort justement dans le déni collectif se reconnaitront – d’autres conservent, et c’est mérité, tout l’attrait qu’a suscité le premier émerveillement.
C’est ce dont témoigne, avec élégance et sobriété, l’avant-propos de Clément Safra :
J’ai aimé Jurassic Park dès sa sortie, âgé de quelques insignifiantes années, par comparaison aux créatures qui rugissaient sur l’écran. Vu au cinéma, et revu si souvent… Les films les plus chers de notre enfance faiblissent parfois face aux intérêts nouveaux d’une cinéphilie en maturation. Ceux de Spielberg, pourtant, n’ont jamais à mes yeux perdu leur attrait. Mieux : leur mystère a persisté, leurs thèmes sont devenus lancinants, leur séduction toujours plus irrésistible.
Suit l’explication du choix du dictionnaire comme ce qui permet d’englober l’ensemble d’une œuvre et d’en comprendre la cohérence, œuvre perçue à tort, et trop facilement, comme « grand public », un peu à la manière dont Hitchcock était perçu par ses compatriotes comme un cinéaste de « divertissement » avant que Truffaut ne dévoile toute la richesse de son cinéma.
Voilà deux « amuseurs publics » pour des spectateurs qui ne les comprennent pas, et finalement, deux maîtres du genre auxquels les passionnés tentent de redonner la place qui leur revient de droit.
Le parcours que choisit Clément Safra est l’itinéraire d’un amoureux qui a gardé ce regard d’enfant, si précieux, mais le regard a gagné en acuité, en profondeur, à la manière d’un apprenti magicien pour qui les tours, même dévoilés, conserve la capacité de surprendre et d’émouvoir.
Quant à son propos, il le reconnaît comme non exhaustif et subjectif, avec la volonté affirmée de rester du côté du spectateur lambda, ce qui promet à ce dernier de ne pas s’égarer dans des considérations esthético-techniques fumeuses.
Promesses tenues
Dès lors le spectateur de Spielberg, qu’il soit un fan de la première heure ou un amateur avide de sa filmographie, piochera allègrement des anecdotes et des images – autant de souvenirs plus ou moins récents – au fil des pages de ce dictionnaire.
Par contre, qu’il ne s’attende pas à retrouver une biographie exhaustive de chacun des acteurs ayant travaillé avec Spielberg. Propos subjectif et condensé oblige – sinon ce dictionnaire en deux tomes en compterait sans doute le double – chaque nom d’acteur fera l’objet, en toute logique, du renvoi « Acteurs ».
Mais il est vrai qu’un dictionnaire thématique fait souvent l’objet du même reproche (facile) que l’adaptation cinématographique : le lecteur trop pointilleux et le cinéphile trop exigeant souhaiteront forcément y voir la scène qui n’y figure pas et regretteront l’anecdote qui n’a pas été citée.
Au gré des pages, j’ai ainsi cherché la mention de l’une de mes scènes préférées d’Indiana Jones et la dernière croisade, celle où Sean Connery combat les Nazis avec des mouettes en citant Charlemagne. L’ai-je mal cherché ?
Cette petite critique n’est finalement que la confrontation de ma vision subjective de l’œuvre de Spielberg et de celle de l’auteur. Elle n’enlève rien à la qualité de son ouvrage, elle montre juste que le spectateur, éternel insatisfait, trouvera toujours à redire à une synthèse de l’œuvre qu’il n’a pas pu faire lui-même.
Associations d’images
Que sa lecture soit film à film ou transversale, qu’il lise un article au hasard ou se plonge de manière linéaire dans ce dictionnaire, jusqu’au résumé de la filmographie en fin d’ouvrage, le spectateur en ressortira toujours avec l’envie de découvrir ou redécouvrir Spielberg.
De A comme Amérique à Z comme Zoom, en passant par Dinosaures (évidemment), Hook, Indiana Jones, Phobie ou Téléphone, tout est propice à la suggestion.
Il est vrai que personnellement, je suis plus sensible aux articles transversaux – pour ne citer que la lettre A : Abandon, Adolescence, Alcool, Amérique, Argent, Armes, Attente, Avion… – parce qu’ils permettent, en une phrase, de passer d’un film à l’autre.
Et, tout comme ils traduisent le passage d’un film à un autre, ces articles témoignent de l’imaginaire cinéphile de Spielberg, à commencer par l’article « Citations », qui recense quelques-uns des hommages du réalisateur au cinéma, à l’intérieur de ses films :
Spielberg est un cinéaste cinéphile qui met en scène des héros cinéphiles. Ses personnages sont nourris de ces références : le père d’Indy fait allusion aux Marx Brothers (La Dernière Croisade), (…) Elliott et son frère parlent de Star Wars (E.T. L’Extra-terrestre). (…)
Mais c’est dans Arrête-moi si tu peux que l’inspiration cinématographique est la plus marquante : un long mouvement de travelling à travers une salle de cinéma s’arrête sur le jeune Frank qui fixe l’écran, un paquet de pop-corn à la main. Le héros apprend dans Goldfinger l’astuce qu’il réutilisera dans la « vraie vie ».
Bref, ce Dictionnaire Spielberg est une belle surprise (à offrir aux amateurs en fin d’année ?), en dépit de l’absence d’iconographie, mais qu’importe, le spectateur aura facilement les images en tête.
Une autre piste à la poursuite de Spielberg
Et quand bien même il souhaiterait retrouver ces images, le lecteur n’aura qu’à se pencher sur le très bel ouvrage de Richard Schickel, Steven Spielberg : Une rétrospective, publié en 2012 aux éditions de la Martinière et préfacé par le réalisateur lui-même.
Cet ouvrage, très richement illustré, propose une traversée chronologique des films de Spielberg, ponctuée de témoignages du réalisateur. C’est vraiment dans ce livre que son univers haut en couleurs, si visuel et diversifié, s’offre au lecteur.
On y retrouve affiches de films, photographies de plateau et de promotion, scènes de panique des Dents de la mer (avec la maquette du requin), maquettes des décors d’Indiana Jones, la marionnette E.T., les costumes de la Couleur pourpre, les scènes chamarrées de Hook, la petite fille en rouge de la Liste de Schindler…
Pour finir ce voyage dans l’univers de Spielberg, reprenons les bonnes habitudes des trois suggestions, accompagnées cette fois-ci, puisqu’il s’agit de savourer nos premiers souvenirs cinéphiles, de trois moments de cinéma qui n’ont jamais perdu de leur saveur.
Trois morceaux d’enfance ou de maturité cinéphile
Ayant déjà fait dans un autre article une sélection pour ce réalisateur, je vais essayer de prendre d’autres œuvres que celles déjà mentionnées.
- E.T. L’Extra-Terrestre, pour la magie qu’il a toujours gardé à mes yeux, et parce que, ayant vu une statue de Napoléon à Montereau, tendant le doigt vers l’ennemi, je n’avais pu m’empêcher de dire, petite fille « Napoléon téléphone maison », mot d’enfant qui est depuis souvent ressorti lors de réunions de famille ou d’amis…
Avouez que la ressemblance est tout de même troublante :
Ou savais-je tout au fond de moi que Spielberg aurait un jour le projet de produire sous forme de série le biopic avorté de Kubrick sur Napoléon ? C’est du reste encore aujourd’hui l’un des projets du réalisateur que j’attends avec le plus d’impatience…
- Rencontres du troisième type, pour moi une découverte tardive, où j’ai observé, fascinée, Truffaut en savant cherchant à rentrer en communication avec les extra-terrestres.
- Jurassic Park, autre redécouverte tardive dont j’apprécie chacune des scènes, en particulier celles de Sam Neill terrorisant un gamin irrespectueux envers les dinosaures, le regretté Richard Attenborough en milliardaire excentrique ayant « dépensé sans compter » pour son parc, l’informaticien véreux – caricature du nerd – et la scène avec les raptors dans la cuisine, sans oublier toutes ces merveilleuses scènes en extérieur, avec le T-Rex entre autres.
Mais je dois aussi à Spielberg, et ce sera ma conclusion, quelques-uns de mes premiers souvenirs cinématographiques, puisqu’il a produit :
- le premier Fievel de Don Bluth, l’histoire de cette petite souris russe qui va en Amérique, dans un pays où, parait-il, il n’y a pas de chats
- Le Petit dinosaure et la vallée des merveilles, du même Don Bluth – parfois presque aussi effrayant que Jurassic Park, en tout cas à des yeux d’enfants
- Don Bluth ayant réalisé également le magnifique Brisby et le secret de NIMH
Ces trois films d’animation ont gardé au fil des années, le même attrait à mes yeux et ont suscité, de manière renouvelée, le même émerveillement.