Je publie ce premier compte-rendu de lecture 2018 avec un peu de retard, et dans le désordre.

Depuis début janvier, en effet, j’ai lu ou parcouru cinq livres consacrés au cinéma, et j’en ai encore un en attente, une publication plus ancienne, sur un univers de série télévisée.

Pour respecter mon ordre de lecture, il aurait fallu que je commence par des publications datant d’octobre 2017, puis de novembre, et enfin de janvier 2018.

Si j’ai souhaité commencer par mes dernières lectures, ce n’est pas seulement parce qu’elles me demandent moins d’effort de mémoire, c’est aussi parce que les deux ouvrages se ressemblent beaucoup, et pourtant ils ne m’ont pas du tout laissé la même impression.

Seconds rôles et figurants

On les voit partout et parfois, dans le meilleur des cas, on connaît leur nom. Même si je les mets, par facilité, dans le même panier, il y a un fossé (ou un chemin) énorme qui sépare le second rôle du figurant.

Le second rôle, même sans le connaître, lorsqu’on va le retrouver d’un rôle à l’autre, va nous faire dire : « oui, c’est celui qui joue untel dans tel film », ou encore, en discutant avec des amis : « j’adore l’infirmière de James Stewart dans Fenêtre sur cour » (sans savoir à ce moment là qu’elle joue aussi aux côtés de Bette Davis dans All about Eve).

C’est aussi en s’intéressant d’un peu plus près aux seconds rôles, qu’on se rend compte que certains sont toujours abonnés aux mêmes rôles, ou que Agnès Moorehead, qu’on a vu toute notre enfance dans Ma sorcière bien aimée, a joué dans les premiers films d’Orson Welles et dans Les Passagers de la nuit, avec Lauren Bacall et Humphrey Bogart.

Bref, le second rôle est un visage connu.

Et le figurant ? Peut-être un visage connu en devenir… Johnny Hallyday a bien commencé par jouer l’un des gamins du pensionnat dans Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot, et on ne fait que l’apercevoir.

Vous le voyez, le petit blond derrière Simone Signoret, avec déjà une coupe de cheveux bien à lui ? Voilà un instant qui a dû faire le bonheur de quelques archéologues du cinéma quand ils l’ont déniché…

Pourquoi ce long préambule ? Parce que mes deux lectures évoquent des figurants qui le sont restés, qui n’ont pas atteint la marche des deux répliques au détour d’une porte, voire de la consécration du second rôle (pour ne rien dire du premier).

Au-delà de ce point commun, les deux ouvrages ont aussi comme caractéristiques similaires :

  • le fait d’être tout deux des romans
  • un narrateur interne (troisième personne pour le premier livre, première personne pour le second)
  • un personnage hyper cinéphile
  • un promeneur parisien amoureux du détail.

Et pourtant c’est bien là leurs seules ressemblances.

Éternel figurant cherche place dans le monde

Si jamais il souhaitait déposer une petite annonce – et si jamais c’était quelque chose qui se faisait encore – voilà ce que cette dernière pourrait dire : « éternel figurant cherche place dans le monde ».

C’est ainsi que je vois le personnage principal de Microfilm (écrit sur la première de couverture en minuscule) d’Emmanuel Villin, publié en janvier 2018 chez Asphalte éditions.

Microfilm, c’est aussi bien un objet / des objets (le contenu de la statuette tant convoité dans La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock – et pourtant on ne saura jamais ce qui figure dessus), que le propos du livre, tout entier captivé par des « micro films », des « micro – instants », des détails.

Le personnage principal, figurant de métier et évidemment anonyme, échoue lors d’un casting, se voyant décrit ainsi par la directrice « Physique quelconque, visage commun ».

Durant des démarches pour trouver un nouvel emploi, sous prétexte qu’il a un temps travailler pour une revue de cinéma étudiante appelée « Microfilm », on l’envoie en tant que spécialiste en microfilms auprès d’une obscure « Fondation pour la paix continentale ».

Sur cette fondation, ni le personnage principal, ni le lecteur ne comprendront quoi que ce soit, et puisque la visionneuse à microfilms restera inusitée durant tout le roman, on ne pourra que suivre dans un dédale absurde ce figurant qui reste figurant dans le monde réel.

Qu’il traverse imperturbablement Paris en vélo (sauf quand il découvre ce dernier vandalisé), qu’il échoue de salles d’exposition en brasserie, ou qu’il passe ses journées sur internet ou à tester différentes marques de stylos, ou qu’il doive sans raison se rendre au Portugal pour une soit-disant mission, tout lui échappe, et à nous aussi.

Le fait que sa voix se fasse entendre à la troisième personne rend la distance encore plus grande, tout comme son anonymat. On le suit, d’abord avec intérêt, curiosité, puis on finit (en tout cas moi) par osciller entre curiosité et agacement.

Certains apprécieront de se voir ainsi guidés par l’auteur puis perdus, déambulant dans cet univers où tout est si détaillé (du trajet en métro au langage HTML) mais où rien n’a de sens.

Et il est vrai que si le livre m’a quelque peu déroutée, et si le style, prompt à décortiquer chaque menu japonais et chaque voltage de visionneuse, m’a parfois prise de court, j’ai été sensible à cette absurdité, et à l’ironie que l’on sent poindre derrière chaque phrase.

C’est cependant un texte beaucoup plus mélancolique et nostalgique que j’ai préféré ce mois-ci, et dont je vais maintenant vous parler.

Bonheur fané, cheveux au vent, baisers volés, rêves mouvants

Il s’agit de mon premier coup de coeur de 2018, un vrai beau livre, tout en sobriété et en retenue, avec derrière chaque mot quelque chose de magique, une révélation.

Certes, le sujet avait tout pour retenir mon attention : le narrateur, qui cette fois s’exprime à la première personne, est figurant sur le tournage de Baisers volés, de François Truffaut. Il y rencontre Judith, apparition blonde et fugace, elle aussi figurante, qui n’en finira pas de lui échapper.

Quarante-cinq ans plus tard, il essaye toujours de retrouver cette silhouette évanouie, déambulant lui aussi dans Paris, tentant, à coup de photogrammes et de visionnage frénétique du film – arrêt sur images – de reconstituer ses souvenirs et de retrouver cet amour perdu qui correspond si bien à la chanson de Trenet qui ouvre le film.

Ce livre magnifique, simple, évident, c’est Le Figurant de Didier Blonde, publié dans la collection Blanche chez Gallimard.

J’ai dévoré ses 150 et quelques pages en deux jours, et j’ai suivi avec plaisir ce narrateur dans ses promenades sur les lieux du tournage, les cafés, les rues, la place de Clichy et ses alentours, le cimetière Montmartre (mais est-ce vraiment lui ?), dans ses recherches et ses reconstitutions.

À un moment, j’ai été prise de doute : et si tout cela était réel ? et si tout cela était faux ? qu’en était-il vraiment ? C’est bel et bien dans les rêves mouvants que Didier Blonde nous conduit.

J’ai voulu vérifier que la jeune fille blonde existait vraiment, et qu’elle apparaissait bien à l’instant où l’auteur l’avait fait apparaître.

Sans doute était-ce là le point de départ, ce qui l’avait marqué dans ce film, car même s’il a fini par donner une identité à Judith, une carrière, s’il a voulu étoffer un peu le rôle de la figurante, on continue à douter, et on ne fera que douter du début à la fin : est-ce réel ? est-ce inventé ?

Didier Blonde a réveillé chez moi des souvenirs et des bonheurs, essentiellement truffaldiens.

Il m’a poussé, certes, à revoir ces scènes de Baisers volés, qu’il évoque dans Le Figurant, mais dont tout cinéphile averti se souvient.

Il m’a fait m’interroger : quelles scènes, même sans les avoir vu de l’intérieur, avais-je retenu de Baisers volés ? Certainement celle avec Delphine Seyrig, à laquelle Blow Up a récemment rendu hommage :

Pour finir, j’ai vu passer un bon lot d’articles consacrés au livre de Didier Blonde, tout aussi élogieux les uns que les autres, et je ne voulais ni trop tarder, ni être en reste, car c’est vraiment l’un des plus beaux livres sur le cinéma, et l’un des plus beaux romans, que j’ai pu lire.

Et depuis que je guette des ouvrages sur le cinéma, depuis que je scrute non seulement les documentaires, mais aussi les fictions qui abordent ce thème, c’est avec Londres après minuit, Un renoncement, ou plus récemment The Freak, la plus belle découverte parmi mes lectures…

Cela m’a encore inspiré une attitude tout à fait truffaldienne, car je sais qu’il en avait l’habitude : celle de racheter et d’offrir les livres qu’on aime à notre entourage.

C’est donc tout naturellement que j’ai racheté en deux exemplaires Le Figurant, et c’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai trouvé Microfilms, son voisin immédiat dans la librairie où je vais régulièrement…

Pour toutes ces raisons, je voulais parler sans plus tarder de ces deux livres, si ressemblants et si différents, mais qui, chacun à leur manière, ont ouvert l’année 2018 de mes lectures cinéphiles, une année des plus prometteuses !

Sur ce, je vous souhaite d’aussi belles lectures que les miennes et vous dis à bientôt, sur Cinephiledoc !