Lorsque l’on commence, enfant, à regarder des films, les dialogues ne sont pas forcément ce qui retient notre attention. Plus tard, ce n’est pas non plus forcément ce qui nous interpelle lorsque l’on découvre un film.

Et pourtant, plus j’y pense, plus la voix et l’intonation, et le rythme, et la musique, tout cela me paraît crucial.

Voix, rythme, musique et dialogues

Lorsque petite je regardais des dessins animés Disney, j’étais sensible aux voix et aux musiques, à tel point que lorsque je découvre dans l’édition récente d’un film que le doublage a été modifié, je me sens trahie.

Lorsque je compare l’ancien doublage et le nouveau doublage de la chanson « Histoire éternelle » de La Belle et la bête, il arrive forcément un moment où j’arrête de comparer, je coupe le son de la version la plus récente, pour remettre ce que je considère comme la « vraie voix » de Mrs Samovar.

J’ai une véritable mémoire sonore de ces choses-là, et je peux me souvenir des années après d’un dialogue de film, simplement parce que je l’ai entendu et entendu encore.

Lorsque j’étais un peu plus âgée et que je ne regardais plus que des dessins animés Disney, j’ai eu un CD-ROM sur le cinéma français. Ce CD-ROM permettait de voir des photographies de films, d’écouter des dialogues cultes et de voir des extraits de films.

C’est ainsi que j’ai toujours gardé en mémoire cet échange entre Pierre Brasseur et Arletty dans Les Enfants du Paradis, bien avant de voir le film :

Rendez-vous, destin tragique, voilà seulement deux minutes que nous vivons ensemble, et vous voulez déjà me quitter. Et me quitter pour quoi, pour qui, pour un autre évidemment, et vous l’aimez cet autre ?

Oh moi j’aime tout le monde.

Eh bien voilà qui tombe à merveille, je ne suis pas jaloux, mais lui, l’autre, il l’est, hein, jaloux ?

Qu’est-ce que vous en savez ?

Oh ils le sont tous, sauf moi…

J’arrête là, je pourrais continuer jusqu’à la fameuse réplique de Arletty (et le meilleur râteau de l’histoire du cinéma) « Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour« .

Déjà j’avais plus de facilités à retenir ce genre de choses que les déclinaisons en allemand et les verbes irréguliers anglais…

Je les retenais, je les emmagasinais, mais je n’avais pas encore perçu l’importance de celui (ou de ceux) qui en était à l’origine. J’aurais été incapable de dire que les quelques lignes que je viens de citer de mémoire étaient l’oeuvre de Jacques Prévert.

Un univers de voix

Ce n’est désormais pas étonnant que les voix et les musiques aient pris une telle importance pour moi, lorsque je regarde dans ma « discothèque » et que j’y trouve pêle-mêle les bandes originales de Chaplin, Hitchcock, Truffaut, Barry Lyndon, et qu’on y retrouve aussi Chantons sous la pluie, Le Seigneur des anneaux, My Fair Lady, Mary Poppins et les musiques de Nino Rota et d’Ennio Morricone.

Si je dépasse cette atmosphère musicale pour en venir aux voix, celles qui m’entourent sont évidemment celle de Truffaut (notamment dans La Nuit américaine – et on sait le soin minutieux qu’il apportait à ses dialogues), celles de Bourvil et de De Funès, celles des personnages de Kaamelott ou de Astérix et Obélix mission Cléopâtre, celles de Catherine Frot et André Dussolier dans Mon petit doigt m’a dit et Le Crime est notre affaire.

Si je donne un tour un peu plus anglophone à la chose, je vais garder en tête principalement (et autant pour la voix que pour les paroles qu’elle assène) Bette Davis, Lauren Bacall et Humphrey Bogart, Katharine Hepburn et Greta Garbo. Plus récemment je garde celle d’Alan Rickman, ou de Helen Mirren dans The Queen, et la plupart des répliques du Seigneur des anneaux.

Mais là encore, je serais bien en peine de citer de mémoire qui a écrit les dialogues du Eve de Mankiewicz ou du Port de l’angoisse de Hawks, bien qu’il me revienne presque miraculeusement en mémoire que ceux du Grand sommeil soient l’oeuvre de Raymond Chandler.

Il me semble que la première fois que j’ai retenu le nom d’un scénariste, c’était pour le scénario de Confidences trop intimes, un film de Patrice Leconte, dont les dialogues avaient été écrits par Jérôme Tonnerre, auteur également d’un de mes livres préférés sur Truffaut, Le Petit voisin.

C’est ce qui m’a peut-être permis de dissocier dans un film le réalisateur qui met en scène, l’acteur qui prononce les dialogues et le scénariste qui les a écrits, même si parfois, en quelques occasions, les frontières se brouillent.

Un orfèvre des répliques

Pourquoi cette longue introduction, dont je suis coutumière presqu’à chaque fois qu’il s’agit de présenter un livre ?

Parce que j’ai reçu en début d’année l’un des petits derniers de Philippe Lombard. Philippe Lombard, cette fois-ci, pas la peine de m’éterniser, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer sa cinéphilie et son hyperactivité dans mon article du mois de février, consacré à son ouvrage Ça tourne mal.

Cette fois-ci, c’est avec les dialogues d’Audiard qu’il nous régale : Sous la casquette de Michel Audiard : les secrets de ses grandes répliques a été publié en mars 2020 aux éditions Dunod.

Ce livre m’a donné l’occasion de mieux connaître un scénariste et un réalisateur dont j’avais jusque-là retenu deux choses :

  • il avait signé les dialogues des Tontons flingueurs, que je connais aussi quasiment par coeur ;
  • il a habité Dourdan, pas très loin de chez moi

Il faisait aussi partie de cette bande Blier – Ventura – Gabin dont je retrouvais avec affection de temps en temps les images d’archives :

Je ne résiste pas à en partager un deuxième extrait :

Voilà quel était l’état de mes maigres connaissances sur Michel Audiard au moment où j’ai ouvert le livre de Philippe Lombard.

Ce que ce dernier décortique dans Sous la casquette de Michel Audiard, ce sont les influences et les sources d’inspiration d’Audiard : on y retrouve son style, son langage, la musique de ses dialogues, ses passions (le vélo, Céline et Proust…) les références de son époque, qui vont de la prostitution aux flics, de la télévision et de la publicité à la vie politique, et de l’Occupation à Paris.

Au détour d’une réplique ou d’une citation de roman, on découvre une atmosphère, un esprit, on retrouve un certain parfum.

Quand Philippe Lombard cite Audiard : « J’ai mon 14e arrondissement qui me colle aux godasses », je n’ai pas pu m’empêcher de retrouver le mien (ou plutôt celui de ma grand-mère), de 14e arrondissement : le bassin du parc Montsouris, son observatoire, la statue du général Leclerc, l’église d’Alésia et le Lion de la place Denfert-Rochereau… je ne suis donc pas prête de le trouver aussi laid que le trouvait Audiard, à le lire.

Au fil des pages, je me suis rendue compte que j’en connaissais un peu plus sur Audiard que je l’imaginais, et, outre les Tontons flingueurs, il y avait quelques films qui m’avaient marquée sans que j’ai pu soupçonner qu’ils étaient signés de la plume de ce dernier.

Panthéon Audiard

  • Les Tontons flingueurs

Au sommet de mon panthéon Audiard, il y a évidemment les Tontons flingueurs, que je connais quasiment par coeur.

Si je voue un culte à certaines répliques telles que « éparpillé aux quatre coins de Paris façon puzzle » ou à la scène de la cuisine, j’ai une tendresse particulière pour la réplique de Francis Blanche :

Et c’est pour ça que je voudrais intimer l’ordre à certains salisseurs de mémoire qu’ils feraient mieux de fermer leur claque-merde.

ainsi que pour Lino Ventura, l’homme de la pampa parfois rude qui sait rester courtois…

  • Un Singe en hiver

Un Singe en hiver fait partie de mes découvertes les plus récentes, je l’ai vu très tardivement. Et pourtant je n’ai pu que me délecter de ces dialogues aux petits oignons et de ces échanges alcoolisés entre Gabin et Belmondo.

  • Tendre poulet

S’il y a une comédienne française dont j’aime la voix et que je n’ai pas citée plus haut, c’est Annie Girardot.

Il était donc tout naturel qu’à un moment je tombe sur Tendre poulet, cette histoire facétieuse de retrouvailles entre un professeur de grec à la Sorbonne incarné par Philippe Noiret tendance un peu anar, et un « flic en jupons » et avec beaucoup de gouaille, Annie Girardot, que l’on suit dans l’une de ses enquêtes.

C’est fin, plutôt trépidant et finalement irrésistible.

  • Garde à vue

Enfin, j’en termine avec le plus sombre mais dont inconsciemment, j’avais retenu très tôt l’une des répliques, qui figurait dans le CD-ROM dont j’ai parlé plus haut.

En effet, dès le générique de ce CD-ROM, on entendait la voix de Michel Serrault :

Ne dites pas ça, c’est pas vrai.

Alors oui, à première vue, ce n’est pas la réplique de cinéma la plus mémorable qui soit. Mais elle m’est restée dans la tête jusqu’à ce que je puisse la retrouver dans le film de Claude Miller, un huis clos très tendu avec Lino Ventura et Michel Serrault.

Pourquoi ai-je eu l’occasion de voir (et de revoir plusieurs fois) ce film : parce qu’au-delà de ce duo de choc que j’adore et qui reste des plus improbables, Ventura et Serrault, c’est l’un des derniers rôles de Romy Schneider, apparition fantomatique et glaçante.

Alors oui, j’ai bien conscience qu’avec ce dernier film, je ne clos pas temporairement ce panthéon sur la note la plus joyeuse et débridée, mais il fait partie de ces huis clos où les répliques s’enchaînent avec virtuosité et s’échangent comme des balles de tennis, percutantes et efficaces.

Et c’est aussi pour cela qu’elles restent en tête.

Voilà pour cette petite promenade dans l’univers des dialogues de cinéma et des mots d’Audiard, j’espère vous avoir donné envie de réécouter vos propres répliques cultes, et je vous dis à très bientôt pour un nouvel article sur Cinephiledoc !