Le troisième hors-série de l’été est consacré à l’inspiration que suscite la peinture chez les réalisateurs et, dans une très moindre mesure, à l’influence du cinéma sur la peinture.
HORS-SÉRIE
Lorsque l’on regarde un film, on est plus ou moins sensible à ce qui se passe sur l’écran : portrait ou paysage, nature morte, composition d’un tableau vivant, zoom, ralenti, décors, couleurs, et tous ces éléments pour lesquels un vocabulaire technique élaboré est requis.
Certes, on ne sera pas toujours sensible à la même composition du « tableau », suivant le genre de films qu’on affectionne le plus : les uns apprécieront les explosions, les vitres qui se brisent, le choc des combats, les cascades audacieuses, les autres la solitude d’un personnage face à lui-même, le bruissement des arbres d’une forêt, ou la menace insidieuse que propose un motel au bord d’une route, ou un palace isolé par l’hiver…
L’érudit y retrouvera l’influence de tel ou tel peintre, la prédominance de telle ou telle couleur ou l’hommage à telle ou telle oeuvre.
Entrecroisement d’influences…
Tout en lisant la référence que je vous proposerai aujourd’hui, et tout en préparant cet article, je n’ai pas pu m’empêcher de repenser à toutes sortes de films ou de scènes dont le souvenir reste pour moi principalement « visuel », pas seulement parce qu’il s’agit de cinéma, et que l’impression première est celle suscitée par l’écran, mais parce que ces films, ou ces scènes, m’ont bel et bien marquée par leur composition…
Évidemment, la première image qui me vient, ce sont celles de dessins animés. Lorsque je regarde un Disney ou un Miyazaki, ce n’est pas forcément les personnages qui m’intéressent : je pense aux images de Fantasia sur la musique de Stravinsky ou de Beethoven, aux forêts de Bambi, à la savane du Roi Lion, je pense aux paysages de Princesse Mononoké, à l’incroyable Château dans le ciel, et aux décors du Voyage de Chihiro.
Je pense au portrait du roi, bien peu flatteur, dans Le Roi et l’oiseau, aux paysages surréalistes de Gandahar, et au New York évoqué par Don Bluth dans Fievel et le nouveau monde.
Les films dont je garde principalement le décor en mémoire vont de Metropolis jusqu’au Seigneur des anneaux, en passant par Rebecca d’Hitchcock, L’Aigle à deux têtes de Cocteau, Citizen Kane de Welles, Autant en emporte le vent, Gatsby le magnifique (version de Coppola), Out of Africa, Le Docteur Jivago, Barry Lyndon (encore), Danse avec les loups ou encore Tigre et dragons ou Après la pluie, que j’ai mentionné dans l’article précédent…
Cinéma et peinture
La plupart de ces films, à l’exclusion des films d’animation, sont mentionnés dans l’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui.
Ce livre, Cinéma et peinture, de Joëlle Moulin, est paru en octobre 2011 aux éditions Citadelles & Mazenod, maison principalement spécialisée dans l’édition de beaux livres d’arts. Et à tout point de vue, en ce qui concerne cet ouvrage, il s’agit d’un beau livre, à destination des amoureux de ces deux arts. Toutefois, dès son introduction, l’auteur prévient :
ll ne s’agit pas (…) ici d’une histoire des rapports de la peinture et du cinéma, mais d’une réflexion sur la présence de la peinture dans le cinéma ; présence évidente lorsque le film prend pour sujet la vie d’un artiste, moins immédiate lorsqu’elle relève de la connivence d’images (…). Si la référence picturale est donnée dans le premier cas, dans le second elle implique une part de subjectivité, voire d’intuition.
L’ouvrage ne prétend pas être exhaustif, il parcourt au contraire quelques univers d’artistes – peintres ou réalisateurs – et quelques-unes de ces heureuses rencontres qui se sont faites entre les deux, et que le spectateur, pourvu que son regard reconnaisse, soit amateur d’art, peut saisir ou non.
Joëlle Moulin étudie en premier partie de son livre trois films consacrés au peintre Van Gogh : l’un de Minnelli avec Kirk Douglas, l’autre de Pialat avec Jacques Dutronc, le troisième de Kurosawa, chacun intégrant cet univers d’artiste à son propre univers, et à sa manière.
Inspirations picturales
Puis elle s’aventure chez différents cinéastes dont chacun s’est inspiré – pour un film ou pour toute sa filmographie – d’un courant artistique ou d’un artiste en particulier. Renoir pour Renoir, évidemment, Gainsborough pour le Barry Lyndon de Kubrick (encore et toujours) :
Kubrick s’est inspiré de Thomas Gainsborough, puisant chez le portraitiste l’élégance et la délicatesse des tenues. Le double portrait de Mr. et Mrs. William Hallett (1785) est un des modèles pour Barry Lyndon/Ryan O’Neal et son épouse Lady Lyndon/Marisa Berenson. Le visage lisse de Barry, fermé et peu disert sous son masque blanc et ses cheveux poudrés, et les patrons des habits, la finesse diaphane des étoffes sont directement décalqués sur le portrait peint, de même que l’attitude compassée et la pédanterie détachée du monde qui s’accordent au fatalisme de leur destin.
Mais aussi la peinture allemande, certes pour les réalisateurs allemands, mais aussi pour des réalisateurs hollywoodiens tels que Fleming, Welles, ou encore Hitchcock :
La clarté lunaire (encore à la Friedrich), qui a permis d’apercevoir un Tara non démoli à la fin de la guerre, dévoile chez Hitchcock le manoir de Manderley lors du prologue de Rebecca (1940). Manderley a été ravagé par un incendie et ses trous béants évoquent le Château en ruine (1847) de Böcklin, « une coquille vide », constate en voix off la narratrice, un lieu hanté. La métaphore convient également au palais de Xanadu saturé d’épaisses nappes de brouillard dans Citizen Kane (1941) d’Orson Welles. Peint sur verre sous l’égide du décorateur Perry Ferguson et toujours situé en arrière-plan, le palais ressemble à la lointaine citadelle du Chevalier, la Mort et le Diable de Dürer.
Par la suite, Joëlle Moulin aborde d’autres thématiques tout aussi captivantes : les tableaux au cinéma (on y retrouve le fameux tableau de Caroline de Winter dans Rebecca, qui va attirer tant d’ennuis à la narratrice, mais également participer à la résolution de l’intrigue), l’influence d’Edward Hopper chez plusieurs cinéastes, dont toujours Hitchcock, les modèles chers aux cinéastes (aussi bien moraux que physiques), la représentation de la modernité, l’autoportrait, ou encore 2 exemples de cinéastes peintres.
Pourquoi lire ce livre ?
D’abord parce que, malgré son incroyable érudition – qui va questionner une référence, puis une autre, puis encore une autre, et fonctionner par associations d’idées artistiques, littéraires et cinématographiques – l’auteur n’abandonne jamais son lecteur.
Ensuite, parce qu’il s’agit avant tout d’un livre d’art, magnifique, avec des reproductions de tableaux et des photographies de films en pleines pages et que le lecteur peut toujours associer un tableau à un film.
Enfin, parce que le cinéphile averti va retrouver à cette lecture tout un foisonnement d’images : la maison de Psychose inspirée par Edward Hopper, les westerns et la représentation de l’ouest américain, les grandes stars de Hollywood, de Clint Eastwood à Meryl Streep, et les apparitions de Chaplin, d’Hitchcock, de Welles, entre autres, dans leurs propres films.
Qu’il soit féru de peinture ou de cinéma, ou des deux, le lecteur pourra compléter cette lecture par ces quelques ouvrages :
- Le Décor au cinéma, de Jean-Pierre Berthomé, aux éditions des Cahiers du cinéma, 2003.
- L’Amérique évanouie, de Sébastien Clerget, paru en novembre 2013 aux éditions Rouge profond, et ayant fait l’objet d’un précédent article.
- Affiches de cinéma, de Dominique Besson, aux éditions Citadelles & Mazenod (comme Cinéma et peinture) et paru en 2012.
- Et toujours chez le même éditeur, et à venir, (une sortie que j’attend avec impatience, quoique son prix me refroidisse quelque peu… gloups !!!) : L’art du cinéma de Jean-Michel Frodon, à paraître en septembre 2014.
Et sur Internet ?
Comme d’habitude, on retrouve sur le site du Ciné-Club de Caen un dossier assez complet qui s’intéresse aux relations cinéma/peinture, peinture/cinéma. Le dossier renvoie également à d’autres pages du site, qui se penchent plus précisément sur :
- la peinture dans le cinéma (avec quelques mises en parallèle très intéressantes) suivi d’une filmographie « Films où le cinéaste se confronte à l’esthétique d’un peintre »,
- ou le cinéma dans la peinture,
- ou encore les tableaux dans le cinéma (avec une partie consacrée aux musées au cinéma)
- les rapprochements possibles entre écoles de peinture et écoles de cinéma
- enfin les concepts communs entre peinture et cinéma (plan séquence, profondeur de champ, etc.)
Le site Cadrage.net propose également un dossier sur le sujet : peinture et cinéma, cinéma et peinture, avec un article d’Alexandre Tylski « Cinéma et peinture : Dans le sens des toiles », publié en 2001, avec à la fin une filmographie et une bibliographie.
Enfin on trouve sur Wikipédia un article, malheureusement encore à l’état d’ébauche, et ne citant pas suffisamment ses sources, sur le Peintre au cinéma. Néanmoins la filmographie proposée est très riche.
Voir également cette vidéo proposée par Arte :
3 suggestions de films à savourer visuellement
Comme d’habitude, je vais essayer de ne mentionner que des films qui n’ont pas encore été évoqués tout le long de cet article.
- Le Château ambulant de Hayao Miyazaki. Il reste ma première découverte du cinéma d’animation japonais et j’ai toujours admiré les incroyables structures de ce château, les paysages ruraux et urbains proposés par Miyazaki. À noter que c’est aussi une des choses que j’ai aimé dans son dernier film, Le Vent se lève, si triste et si contemplatif…
- Sur la route de Madison, de Clint Eastwood, avec non seulement les paysages américains mais cette manière magnifique de filmer Meryl Streep, et de se filmer lui-même.
- Le dernier film de Ken Loach, que j’ai beaucoup aimé, Jimmy’s Hall, et qui permet de découvrir quelques paysages de l’Irlande, au gré des conflits du héros avec les conservateurs et l’église catholique irlandaise.
Des séries comme des peintures
- les téléfilms de la BBC ayant adapté Jane Austen, dont notamment l’adaptation d’Orgueil et préjugés avec Colin Firth (pas tout à fait série mais disponible en coffret).
- la reconstitution de l’Amérique des années 50 dans Mad men, et de l’Angleterre des années 1910 dans Downton Abbey.
- à nouveau, la série The Borgias, avec Jeremy Irons, déjà évoquée dans l’article précédent, et dont le générique est une merveille inspirée des tableaux de la Renaissance.
- et je ne parle pas de Game of thrones, dont l’une des qualités, parmi tant d’autres, est celle des décors et des costumes…
Bonne dégustation visuelle et à bientôt !