Enfin, après un mois de janvier un peu morne, voici enfin de quoi alimenter la rubrique « Bibliothèque cinéphile » !

Comment je choisis les livres de la rubrique « Bibliothèque cinéphile »

Cela me permet d’ailleurs d’expliquer un peu le fonctionnement de Cinephiledoc à ce sujet, à savoir : comment je sélectionne les livres sur le cinéma qui nourrissent ce blog. J’avais sans doute déjà abordé la question rapidement, voici un petit approfondissement :

  • la première étape est de suivre le flux RSS des « nouveautés cinéma » d’une grande enseigne et de sélectionner les ouvrages dont les sujets attirent mon attention (bien entendu, je ne vais pas choisir un livre qui évoquerait un cinéaste inconnu ou un genre de films auquel je ne connais rien) ;
  • puis, simultanément, ou avant, ou après, je me rends en librairie – grande ou petite, chaîne ou indépendante, je n’ai pas de préférence, mais depuis ma déconvenue suite à la commande d’un ouvrage écrit visiblement avec les pieds, j’évite le plus possible de commander sur Internet ;
  • en effet, j’ai besoin d’un contact physique avec le livre avant de l’acheter (et si possible, il me faut un coup de foudre, ou si possible une conjonction d’aspects aussi bien thématiques que financiers) – sauf si je suis dans une période de totale confiance ou d’esprit d’aventure ;
  • lorsque ni les flux RSS, ni les vitrines, ni les rayonnages, ni le feuilletage ne m’ont convaincu d’acheter un livre documentaire sur le cinéma, je me tourne du côté des romans dans l’espoir que l’un d’eux aborde de près ou de loin la question du cinéma.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer certains de ces romans, qui ne sont jamais très éloignés de la réalité historique – soit qu’ils s’inspirent, sans le dire directement, d’un personnage ayant réellement existé (Le Dernier Nabab, Le Livre des illusions, Un sang d’aquarelle…), soit qu’ils imaginent la vie ou l’apparition au sein de leur fiction, d’une célébrité (L’Homme intérieurBlonde, Le théorème Almodovar, Une Année studieuse).

L’Année des volcans : destins romancés

Le livre sur lequel mon choix s’est arrêté mi-janvier est donc un roman, œuvre d’un auteur français, et qui choisit d’imaginer la rencontre et le scandale causé par un triangle amoureux bien connu des cinéphiles, à savoir Anna Magnani, Roberto Rossellini et Ingrid Bergman.

L'année des volcans

L’auteur est François-Guillaume Lorrain, qui avait publié Les Enfants du cinéma, recueil de témoignages auquel j’avais consacré une critique l’année dernière.

Son roman paru en janvier 2014, L’Année des volcans, est tout aussi passionnant, et il y étudie le phénomène volcanique sous toutes ses formes : géologique, amoureux, cinématographique, et psychologique.

Triangle amoureux, 1949

Petit rappel pour ceux qui ne seraient pas très familiers du cinéma italien – et mondial – de l’immédiate après-guerre :

Roberto Rossellini. Source : Wikipédia

Roberto Rossellini. Source : Wikipédia

En pleine reconstruction, l’Italie a été le berceau d’un mouvement cinématographique dont Roberto Rossellini a été l’un des principaux représentants : le néo-réalisme, avec une œuvre phare, Rome ville ouverte, dans laquelle jouait une comédienne devenu le symbole de Rome par excellence, la brune flamboyante Anna Magnani. Elle était également la maîtresse de Rossellini.

Anna Magnani. Source : Allociné

Anna Magnani. Source : Allociné

Rome ville ouverte a connu un immense succès, jusqu’aux Etats-Unis, où une star au sommet de sa gloire, Ingrid Bergman, l’une des égéries d’Hitchcock, y a vu ce qu’elle souhaitait désormais comme cinéma.

Ingrid Bergman. Source : Wikipédia

Ingrid Bergman. Source : Wikipédia

Dans un Hollywood aux studios et aux producteurs tout puissants, et dans une Amérique enfermée encore dans le conformisme et les préjugés, Ingrid Bergman est une femme mariée et mère de famille, mais aussi l’incarnation cinématographique de Jeanne d’Arc. Elle représente, pour les tenants de la vertu, qui étranglent le cinéma avec une censure impitoyable, une arme redoutable contre la débauche et l’immoralité.

C’est dire quel acte de courage elle accomplit en envoyant à Rossellini une lettre de cette teneur :

« Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui parle très bien l’anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français et qui, en italien, ne sait dire que ti amo, je suis prête à venir faire un film avec vous. »

Et c’est dire quel scandale elle suscite en devenant la maîtresse de Rossellini sur le tournage de Stromboli.

Symbolique du volcan

Dans L’Année des volcans, François-Guillaume Lorrain fait s’affronter trois volcans, le passionné et manipulateur Rossellini, la brune explosive Anna Magnani, et l’éthérée Ingrid Bergman. Chacun prend tour à tour la parole, tout à sa quête de liberté et d’épanouissement artistique.

Et bien-sûr, que serait une Année des volcans sans la confrontation de deux tournages ayant eu lieu sur les îles éoliennes, proches du volcan Stromboli, l’un sous la direction de Rossellini, et avec Ingrid Bergman, Stromboli, terre de Dieu, l’autre sous la direction de Dieterle, avec Anna Magnani, Vulcano.

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Car Stromboli, promis à l’origine à Anna Magnani, fut finalement l’ode rossellinienne à la beauté pure et sans artifices de Bergman, dans le chaos d’une terre aride et frustre, éloignée du glamour rassurant des studios hollywoodiens.

Magnani répondra avec Vulcano, dirigé par Dieterle, et tourné en même temps sur une île voisine, dans un climat d’espionnage et de rivalité permanente avec l’équipe de Stromboli.

Voyage en Italie, et ailleurs…

La quatrième de couverture du roman nous promet une histoire pleine de « bruit et de fureur ». Promesse tenue, et de loin ! Sans exhibitionnisme, sans voyeurisme, l’auteur nous amène presque à voir dans ces personnages réels, Rossellini, Bergman, Magnani, des êtres complètement issus de son imagination.

Il restitue de manière troublante le cinéma d’après guerre, un Hollywood où Bergman fait l’objet d’une pré-chasse aux sorcières, et où tout est codifié, réglé, contrôlé afin d’engendrer le plus d’argent possible, et un cinéma européen renaissant, empreint d’indépendance financière et artistique.

stromboli

Superbement écrit, il plaira tout autant à ceux qui recherchent un bon roman qu’aux cinéphiles les plus chevronnés. Indifféremment, il donnera envie de voir ou de revoir les chefs d’œuvre du cinéma italien et les films où apparaît Ingrid Bergman. Quelques suggestions :

Cinéma italien

  • Padre padrone, des frères Taviani, primé au Festival de Cannes l’année où Rossellini en était le président (1977), et très peu de temps avant sa disparition. L’histoire austère et brutale d’un jeune berger sarde qui tente de s’instruire et d’échapper à l’autorité de son père (inspiré d’une histoire vraie).
  • Fellini Roma (1972). Mon film préféré de Federico Fellini, une évocation de Rome, au début du 20ème siècle. La scène de découverte d’une fresque antique par les ouvriers du métro est magnifique. Et Anna Magnani fait une apparition dans ce film fabuleux, lançant au réalisateur « Va donc te coucher, Federico, il est tard ».
  • Cinema paradiso (1989) de Giuseppe Tornatore, un hommage au cinéma italien, mais surtout au cinéma tout court, entre la fin des années quarante – cinéma hollywoodien en pleine gloire et cinéma européen renaissant – et les années quatre-vingt (triomphe de la télévision et fermeture des cinémas). Le spectateur suit l’enfance et l’adolescence de Toto, devenu cinéaste. Un film magnifique, poignant, avec des acteurs impeccables.

Ingrid Bergman

  • On peut difficilement choisir un rôle à retenir dans sa filmographie pré-rossellinienne. Entre Casablanca, où elle est merveilleuse, face à Humphrey Bogart dont elle illumine le regard, et La Maison du Docteur Edwardes, où dirigée par Hitchcock, elle tente de soigner un Gregory Peck amnésique dont elle est tombée amoureuse, difficile de trancher ! À moins que l’on s’arrête finalement aux Enchaînés, histoire d’espionnage, une nouvelle fois orchestrée par Hitchcock, et où c’est Cary Grant qui succombe à son charme.

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  • De la période rossellinienne, je recommande vivement Voyage en Italie, avec George Sanders. L’histoire mélancolique d’un couple sur le point de rompre, à travers les étapes de leur voyage.
  • Enfin, plus tardivement, je n’ai pas de souvenir assez récent de Sonate d’automne, l’un de ses derniers grands rôles, dirigé par Ingmar Bergman, pour pouvoir en parler de manière juste. Je me contenterai de signaler son rôle dans Le Crime de l’Orient-express, de Sidney Lumet, pour lequel on lui a attribué un Oscar – l’un des trois de sa carrière – et où elle donne la réplique, entre autres, à Albert Finney, Lauren Bacall, et Sean Connery.

À noter que la comédienne a co-signé une autobiographie, Ma Vie, publiée en 1980 aux éditions Fayard, deux ans avant sa disparition.