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Le Hollywood des anonymes (ou presque)…

Voici comme promis la seconde partie de ma série d’articles consacrés à Hollywood. J’ai dû attendre, pour ce second article, une accalmie – tout à fait temporaire – dans le planning plutôt chargé de mon côté DOC, pour ces dernières semaines. J’ai aussi succombé à la tentation de répondre à cette chaîne qui ne s’assume pas du Liebster Blog Award, même si cela m’a permis de constater combien ma comparse de blog, Eva de Thèse Antithèse Foutaises, était tout aussi gentille que brillante et loufoque

Le monde fantasmé des stars

Après avoir évoqué le glamour, les feux de la rampe – ou des projecteurs, le faste des costumes, le strass et les paillettes, la rubrique people, le star system, bref, le devant de la scène, voici l’envers du décor… c’est fou le nombre d’expressions imagées que l’on peut trouver sur le monde du spectacle !

J’ai l’habitude de faire généralement un long préambule avant de présenter mon compte-rendu de lecture. Faisons comme si ce préambule était déjà contenu dans mon article consacré au Hollywood des stars. Tout cet univers sur-représenté, traqué, harcelé par la presse « de caniveau » entre les années 1915 et 1970, cible du regard des journalistes et de l’amour et du désamour du public. Ce même public qui ne sait plus très bien, à propos des stars, ce qui appartient au mythe ou à la réalité, au fantasme ou à la vérité… ce public qui voit tout avec des verres grossissants, mais qui ne s’imagine pas un instant SA star fétiche utiliser les toilettes ou s’incarner d’une quelconque manière.

Un livre, son titre et son auteur : la réputation fait le titre.

C’est à ce même public, gourmand en anecdotes et en rêves de grandeur, qu’est destiné le petit livre qui nous intéresse. A toutes les midinettes des années 60 qui imitent Marilyn (sauf à la fin) ou Ava Gardner devant leur miroir et tous les jeunes ambitieux qui veulent être le nouveau James Dean (sauf à la fin) ou le dernier Marlon Brando.

Comment réussir (ou presque) à Hollywood

Ce livre, c’est… Comment réussir (ou presque) à Hollywood : les conseils du plus mauvais cinéaste de l’histoire (The Hollywood Rat Race) de Ed Wood. Deux remarques : la première, c’est que le titre original est tout à fait réjouissant : La course de rat hollywoodienne – elle me fait penser au conte du Joueur de flûte de Hamelin. La seconde, c’est à propos de son auteur. Le sous-titre français du livre n’apparaît pas dans la version originale.

Ed Wood est passé à la postérité principalement pour ses films improbables, aux effets spéciaux et aux faux raccords presque surréalistes. Il fait partie de ces personnages victimes d’une légende persistante, due à quelques articles, et qui donne ce genre de raccourci de la pensée, même pour ceux (comme moi) qui n’ont pas vu ses films : Ed Wood serait le plus mauvais cinéaste de l’histoire.

Il a fait l’objet d’un film de Tim Burton, réalisateur dont j’ai vu beaucoup de films, jusqu’aux plus récents, mais justement pas celui-ci.

C’est donc pour son titre et pour son sous-titre que j’ai choisi ce livre, écrit en 1965, publié pour la première fois en 1998  aux Etats-Unis, et traduit en français et publié aux éditions Capricci en mars 2013.

Guide de survie au pays du cinéma

Et pourtant, il n’y a rien de fantaisiste ni de léger dans cet ouvrage. Le ton est bienveillant, mais grinçant, et des plus cyniques. Le regard est désabusé. Ed Wood n’est pas un promoteur immobilier, ni un profiteur aux dents longues. C’est un acteur – réalisateur – producteur – scénariste – écrivain, revenu de toutes ses illusions sur la Mecque du cinéma, et qui cherche à les épargner à d’autres.

Il s’adresse directement aux fans de cinéma, aux lecteurs de revues et aux collectionneurs de photographies, bref à tous ceux qui ont songé, à un moment de leur très ennuyeuse vie à la Madame Bovary, « Pourquoi pas moi ? »

Tout part donc d’une erreur : il suffit d’aimer le cinéma et ses stars, et d’aller à Hollywood, pour pouvoir faire carrière :

Cap sur Hollywood ! Vous allez essayer de faire carrière sous l’oeil magique de la caméra. […] Vous allez faire sensation dans les studios. Vous voilà arrivée à Hollywood. Et Hollywood ne va pas tarder à le savoir, qu’on se le dise !

Evidemment, plus dure sera la chute. La personne folle d’espoir, pleine de rêves et de rien d’autre, se ruine (la vie est chère), et se trompe (elle croit être la seule à venir tenter sa chance, et se présente, sûre de susciter l’adhésion immédiate dans le regard des rares personnes qu’elle va croiser).

Vous quittez la capitale mondiale du glamour sans avoir vu la moindre caméra […] Vous n’avez même pas vu une star de cinéma […] Vous êtes venue, vous n’avez pas vu, vous n’avez pas joué la comédie. Vous vous êtes ruinée et êtes partie sans avoir jamais fait la moindre entaille dans l’armure d’Hollywood.

Alors, pour tous ceux pour qui le rêve reste néanmoins plus fort que la réalité triviale des studios et du quotidien, Ed Wood, malgré son ironie cinglante, va donner des conseils : savoir tout faire (jouer la comédie bien-sûr, nager, danser, monter à cheval, poser pour un photographe), avoir un agent, préférer exceller et durer dans les seconds rôles que vouloir à tout prix briller de manière éphémère dans les premiers, et ne jamais tricher.

Ses conseils vont être aussi plus pragmatique : où manger, où se loger, etc. Mais toujours, toujours, son regard sera sans illusions : impossible de vivre à Hollywood sans argent – à moins de loger sur le banc d’un parc, et impossible de faire carrière sans passer par le lit ou par les intentions plus ou moins explicites des uns et des autres. Hollywood, c’est du luxe et du sexe, point (presque) final.

Peinture au vitriol des rêves de stars

Je n’écris pas vraiment sur la ville ou sur ceux qui font les films. J’essaie de peindre un tableau factuel de ce qui vous arrive à vous, le nouvel arrivant, le gamin sans expérience auquel s’attaquent toutes les crapules qui l’aperçoivent.

Hollywood, univers des escrocs et des êtres sans scrupules. Si Ed Wood s’attarde à évoquer certains personnages professionnels (au sens noble du terme), dont le grand Bela Lugosi, qui a immortalisé Dracula, ces figures contrastent complètement avec l’univers moral de la ville. Cet ouvrage, bien qu’il demeure une véritable déclaration d’amour au cinéma et à Hollywood, mais pas son Hollywood contemporain, artificiel et dévoyé. Un Hollywood disparu où la ville incarnait réellement le cinéma, avec ses stars, qui elles aussi se sont évanouies.

En réalité, Hollywood n’existe plus. C’est un mélange d’ectoplasmes insignifiants, qui abondent entre la réalité et un monde virtuel.

On pourrait difficilement faire plus pessimiste.

C’est tout cela, Hollywood vue de l’intérieur. Dangers. Problèmes. Chagrins divers… Croyez-le ou non, votre vie est bien plus réelle que la scène hollywoodienne.

Du comédien au producteur, en passant par l’écrivain

Quelle que soit sa vision du mythe hollywoodien, Ed Wood va tout de même s’adresser à tous ceux qui tentent de survivre à Hollywood. Si son premier lecteur est la jeune fille naïve qui rêve de devenir actrice, ses conseils et ses avertissements sont aussi destinés au futur scénariste, au réalisateur en herbe et à l’apprenti producteur.

L’un des chapitres les plus beaux est celui consacré à l’écrivain : « Donc vous voulez être écrivain ? »

Comme jouer la comédie, écrire est un métier. Seulement il ne suffit pas de s’asseoir chaque matin avec son vieux crayon, ses feuilles de papier et ses grandes idées. Le plus souvent, on se retrouve assis devant une page blanche qui vous regarde fixement. Un bloc-notes rageur défiant chacune de vos pensées. Un plâtre blanc étouffant toutes vos pulsions. Mais tel est le monstre que vous devez combattre. Et une fois que vous avez pondu quelque chose, vous devez le relire pour vérifier que ce que vous avez écrit vous plaît. Puis déchirer tout, et recommencer.

Bref, loin de tout rêve et de toute illusion, amère mais juste et sincère, la vision d’Ed Wood, sa leçon, sa vérité, nous apprend une nouvelle fois que tous les mythes se construisent avec effort, que rien n’est jamais acquis, et que les rêves ne sont accessibles que si on se donne la peine, la vraie peine (comme dirait Truffaut, « 10% d’inspiration, 90% de transpiration », bref du travail, des larmes et de la sueur) d’y croire.

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Dernières nouvelles du CDI

  1. Pauvre Ed Wood…ce qu’il dit sur l’écriture, le fait de vaincre la page blanche, de faire mille corrections puis de tout déchirer…c’est tellement vrai et en même temps tellement triste…
    Mais ton article me fait encore penser à The Artist, notamment la scène où Bérénice Béjo essaie de se faire recruter comme danseuse (et d’ailleurs je hais Bérénice Béjo depuis le jour où à Cannes elle a dit qu’il fallait que les femmes restent dans des rôles « de femmes » pendant le festival, avec de belles robes, de la douceur et des paillettes…pffff…on la range dans la catégorie « minaudeuse tendance Mélanie l’Infâme Laurent » hein dit ???)

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