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Echos et miroirs du cinéma de François Truffaut

Du plaisir à l’émerveillement : échelle d’adhésion à un livre.

L’ouvrage auquel est consacré cet article m’a laissé une telle impression que je ne sais pas par où commencer ! Il est rare qu’un livre remporte totalement notre adhésion. On peut aimer un livre, l’adorer, ne plus vouloir le lâcher, à la fois vouloir et ne pas vouloir le relire, parce qu’on se dit qu’il s’agit peut-être d’un malentendu, et qu’une deuxième lecture annihilerait complètement ce sentiment de…

De quoi d’ailleurs ? De plénitude ? D’extase ? De communion ? Mesurer le bonheur que procure un livre, ce n’est pas comme si l’on mesurait la force d’un vent ou la puissance d’un séisme, quoique…

J’ai aimé énormément de livres, et j’ai généralement adoré des livres parce qu’ils me révélaient quelque chose de l’écriture et de l’écrivain. Ce quelque chose, en refermant cette œuvre, me laissait éblouie et désemparée, parce que je n’imaginais pas, je ne pouvais pas imaginer, une autre lecture après celle-là.

Parmi ces livres-là, il y en a seulement quelques-uns qui ont remporté totalement mon adhésion. Ce sont les livres dont on se dit que l’auteur, même si on ne l’a jamais rencontré et qu’on ne le rencontrera jamais, mort ou vivant, insoupçonné ou inaccessible, est en harmonie totale avec notre compréhension du monde.

Où qu’il soit, quels que soient son caractère, ses défauts (très certainement aussi nombreux que les nôtres), son livre nous le rend sympathique. C’est peut-être de la naïveté, mais on se fait la réflexion que la personne qui a écrit cet ouvrage n’est certainement que quelqu’un de bien.

Dans le laboratoire de la création : paratexte, métafiction et métatexte

Maintenant que j’ai suffisamment préparé le terrain et qu’il est très clair qu’aucune objectivité ne sera possible ici, et avant de présenter l’ouvrage en question, quelques lignes encore.

Les œuvres que j’aime (livres, films, et même peinture ou photographies) sont celles qui laissent entrevoir, dans la fiction ou dans le réel, ce que j’appelle le laboratoire de création d’un auteur.

C’est ce que Gérard Genette distingue sous les différents aspects de la transtextualité et que je ne peux, que très maladroitement, rappeler :

  • Le paratexte est l’ensemble des signaux qui procurent au texte un entourage (titre, sous-titre, préfaces, postfaces, avant-propos, notes). C’est en quelque sorte l’écrin du texte.

C’est, au premier abord, ce qui m’a attirée dans mon choix de lecture. J’ai commandé ce livre pour son titre, Truffaut et ses doubles, et ensuite pour sa présentation en ligne. Lorsque je l’ai reçu, je ne disposais donc que de très peu d’éléments d’appréciation. Je l’imaginais plus épais, il s’agissait finalement d’un texte assez court, mais aussi d’un véritable petit bijou que j’ai dévoré en seulement deux jours.

  • Le métatexte intervient lorsqu’un texte évoque un autre texte, sans nécessairement le citer. Plus généralement, on peut dire que le métatexte est présent lorsque le texte se penche sur le travail de création littéraire, lorsque le film évoque le cinéma, mais également lorsque le non-film accompagne ou approfondit le film (comme j’ai pu l’étudier précédemment).
  • Enfin, métafiction et « métafilm » désigne la littérature de fiction qui s’interroge sur la création littéraire, et le film qui utilise le prétexte d’une histoire pour réfléchir sur le cinéma.

Voilà ce qui m’a attirée dans cette lecture, tous ces aspects mêlés de transtextualité. En d’autres termes, j’aime les livres qui évoquent l’écriture, les films qui racontent quelque chose du cinéma. Sans doute est-ce pour cette raison que j’aime faire des comptes-rendus de lecture de livres sur le cinéma : j’aurai toujours le plaisir d’observer un univers artistique vivant au cœur de ma lecture, de le voir se refléter et réfléchir sur lui-même. Et dans l’ouvrage qui m’intéresse, tout est réflexion, du titre à la dernière page.

Les beautés réfléchies

Truffaut et ses doubles

Après ces deux longs préambules, qui semblent faire beaucoup de détours mais qui sont nécessaires, voici enfin l’objet de tant de curiosité et d’admiration : un petit ouvrage, tout mince, d’à peine 150 pages, Truffaut et ses doubles, de Martin Lefebvre, publié en avril 2013 aux éditions Vrin (pour ceux qui connaissent, il s’agit du même Vrin que la librairie philosophique située juste à côté de la Sorbonne) dans la collection Philosophie et cinéma.

Il ne s’agit pas là d’un ouvrage de vulgarisation. Il faut, pour le lecteur, ne serait-ce qu’une infime connaissance de l’oeuvre de Truffaut, qui lui permette de se tromper d’abord – il va songer aux doubles fictifs de Truffaut, Antoine Doinel, Itard, Morane, Davenne, à ses acteurs et à ses cinéastes de prédilection, et il n’aura pas tout à fait tort.

Puis feuilleter le livre, avoir un premier contact physique avec lui, va lui permettre de corriger son erreur, pour un plus grand plaisir encore : celui du secret, de la confidence, du clin d’oeil, tout ce qu’il sait déjà, même inconsciemment, et que Martin Lefebvre va lui rappeler et lui révéler.

En effet, l’ouvrage est consacré aux phénomènes d’échos dans le cinéma de Truffaut, et non aux doubles cinématographiques et autobiographiques de ce dernier. Ce que nous propose Lefebvre, c’est donc une course d’orientation :

Il n’est peut-être pas de meilleure façon pour décrire l’ensemble de l’oeuvre de François Truffaut que de dire qu’elle s’apparente à une immense galerie des glaces (…). Des glaces ou des miroirs qui, en outre, pointent et réfléchissent dans plusieurs directions à la fois. (Introduction, p.9)

Il va ainsi étudier, dans les trois chapitres qui composent son livre, les différentes manifestations de ce qu’il nomme la « réflexivité truffaldienne ». Dès lors l’ouvrage va tantôt donner des films de Truffaut une vision kaléidoscopique, tantôt se pencher avec malice sur l’onomastique du cinéaste.

François Truffaut

Jeux de miroirs et canon truffaldien

  • Dans le premier chapitre, « De la politique des auteurs à l’album de famille », Martin Lefebvre montre que la façon dont les photographies surgissent dans les films de Truffaut est révélateur d’une certaine idée du cinéma (pour reprendre le titre d’un article publié par Truffaut en 1954, «Une certaine tendance du cinéma français»). Cette idée est, pour simplifier, le culte voué à l’auteur. Un auteur, en effet, va construire un univers qui lui est propre, et qui va le placer dans le panthéon cinématographique du cinéphile. Truffaut va rendre hommage à ces auteurs, en plaçant dans plusieurs de ses films leurs photographies, en les désignant sous une forme qui est à la frontière entre le réel et la fiction. De la même manière il va apparaître ou faire apparaître dans ses films des proches et des membres de son équipe, créant un imaginaire personnel qu’il va transmettre au spectateur :

En fait, si l’on prête une attention soutenue aux films de Truffaut, on finit par avoir l’impression de feuilleter l’album de famille de quelqu’un, ou même de regarder une sorte de home movie qui se déploie de différentes façons en marge des univers diégétiques et fictionnels spécifiques à chaque film. Le cinéma de Truffaut abritant rien de moins, pourrait-on dire, qu’une archive de son musée personnel et intime ; une sorte de palais de la mémoire qui prendrait la forme d’un tombeau de celluloïd. (p.36)

  • Le deuxième chapitre, « Truffaldino/Picasso » est consacré aux apparitions, dans les films de Truffaut, des différents tableaux de Picasso, et à la manière dont chacun d’eux, en fonction de l’instant où il apparaît, traduit l’atmosphère du film et les sentiments des personnages.
  • Enfin, le troisième chapitre « Autocitations et auto-allusions. Détails, motifs et autres miroirs » est consacré à deux aspects de l’oeuvre truffaldienne :
  1. Il analyse chaque film au miroir du film (ou des films) qui l’a précédé. Et il ne s’intéresse pas seulement aux thèmes. Il observe réellement la façon dont Truffaut amène le spectateur à se construire un regard familier sur son oeuvre, une cinéphilie particulière. L’impression que laisse cette lecture est vertigineuse : c’est la traversée du labyrinthe, un incroyable jeu de piste qui donne envie de revoir chaque film pour retrouver les traces du suivant ou du précédent. Comme si l’oeuvre était un canon, et que chacun des films ajoutait d’infimes variations et de singulières redites au thème originel.
  2. Il rappelle les grands motifs truffaldiens : le nombre de fois où un personnage s’interroge sur la magie des femmes, l’apparition dans le film du nombre 813, et ce que j’ai désigné comme «onomastique», c’est-à-dire la fabrication des noms propres, des noms de personnages, et leurs récurrences dans les films.

S’échanger avec malice des secrets cinéphiliques

Je me suis quelque peu étendue sur ce petit livre, et j’ai dû perdre quelques lecteurs en cours de route. Pour ceux qui restent, j’en reviens à mon point de départ : cet ouvrage est un plaisir de lecture, sans prétention, et qui ne cherche qu’à donner encore plus de bonheur, si possible, au spectacle des films de Truffaut.

Il m’a rappelé le plaisir que j’ai eu moi-même, dans le cadre de mon Master de littérature, à faire une lecture croisée de Proust et de Truffaut.

Pour tous ceux qui aiment les reflets, les jeux de miroirs, les kaléidoscopes, la magie des femmes et des noms, pour ceux aussi qui aiment repérer les minuscules détails d’un film, qui ont sur le bout de la langue le nom du second rôle qu’ils ont déjà vu ailleurs – Mais bon sang, où je l’ai vu celui-là ? – et qui s’amusent à remettre plusieurs fois leur scène favorite, pour les obsessionnels des répliques et les collectionneurs d’instants, cette lecture est indispensable !

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