Telle est la bonne résolution que l’on pourrait faire tenir aux amoureux du cinéma durant ce mois de mai 2013, plus que de regarder la montée des Marches et que de suivre la remise des prix du festival de Cannes.
Il y a quarante ans tout juste, en effet, La Nuit américaine était présentée au Festival de Cannes. Pour ceux qui ne connaissent pas, La Nuit américaine, c’est tout simplement le plus bel hommage au cinéma, réalisé par François Truffaut, entre l’âge d’or hollywoodien des films des années 50 et les films plus récents.
Différents regards sur le cinéma
Tous ces films évoquent le cinéma d’une manière qui leur est propre. Les premiers ont un regard à la fois nostalgique et critique :
- Le plus cynique. En 1950, Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard), réalisé par Billy Wilder, évoque l’univers disparu des stars du muet, sous le regard ironique d’un scénariste raté qui vient d’être assassiné par une star déchue.
- Le plus classe. En 1950 également, Joseph Mankiewicz réalise Eve (All about Eve), sur l’univers des comédiens (l’histoire se concentre davantage sur les comédiens de théâtre) et sur les rapports compliqués entre la star et ses fans. Bette Davis est merveilleuse dans ce film à l’humour corrosif.
- Le plus dramatique. En 1954, le même Mankiewicz réalise La Comtesse aux pieds nus, qui retrace la carrière fulgurante et le destin brisé d’une star incarné par la magnifique Ava Gardner. Bogart incarne quant à lui un réalisateur désabusé, qui a vu passer au firmament ce météore.
- Le plus musical. L’inévitable, l’indispensable Chantons sous la pluie, porté par Gene Kelly, Donald O’Connor et Debbie Reynolds, évoque en 1952 les derniers feux du muet, l’éclosion du film musical, et la nécessité qu’ont les studios et les acteurs de s’adapter ou de disparaître.
Les seconds, quant à eux, offre un regard plus historique ou comique sur le cinéma :
- Le plus romantique (et le plus « à l’anglaise »). En 1999, Coup de foudre à Notting Hill donne un aperçu du star system contemporain, de l’univers de la presse à scandale et des paparazzi, autour de l’histoire d’amour un peu fleur bleue entre un anonyme (Hugh Grant) et une star américaine (Julia Roberts).
- Le plus Blier. Pour ceux qui connaissent Blier, Les Acteurs, réalisé en 2003, offre un panorama du cinéma français au vitriol, avec situations et dialogues improbables à la clef, bref, un vrai Blier.
- Le plus superproduction. Aviator, de Martin Scorcese, avec une pléiade d’acteurs(Di Caprio, Cate Blanchett, etc.) retrace la carrière du magnat hollywoodien Howard Hughes, fondu de cinéma et d’aviation.
- Le plus récent. 2011, The Artist, film plébiscité, qui, en muet, reprend quelque peu l’intrigue de Chantons sous la pluie, pour évoquer la transition douloureuse du muet au parlant.
Le cinéma mis en abyme.
La Nuit américaine est la croisée de ces deux regards, c’est le chant du cygne d’un certain cinéma et l’éveil d’un regard pour un autre. C’est aussi celui qui évoque moins l’univers du film et de ses créatures filmées que leur fabrication et leurs coulisses. Pas seulement réalisateurs, producteurs et acteurs, mais aussi assistants, décorateur, accessoiristes, doublures, et en cela, il est unique en son genre. L’envers du décor, en somme, où parfois, en fines touches, en rêves ou sur des couvertures de livres, la magie du cinéma apparaît.
C’est l’histoire d’un film sur le tournage d’un film. C’est donc aussi celui où à l’illusion cinématographique se superpose l’histoire fictive, prétexte, et simple à dessein de « Je vous présente Pamela », où une belle-fille tombe amoureuse de son beau-père.
Toutes les facettes du cinéma sont présentes : les anciens tenants de l’âge d’or hollywoodien, incarnés par Valentina Cortese et Jean-Pierre Aumont, la star américaine (Jacqueline Bisset), le jeune premier, jeune garde de la Nouvelle vague (Jean-Pierre Léaud). On y retrouve toutes sortes de références au cinéma cher à Truffaut : Citizen Kane d’Orson Welles, les répliques de Marcel Carné, les allusions à Cocteau, Hawks, Renoir, Hitchcock, Bunuel, jusque à la star enceinte (Alexandra Stewart), qui évoque Vera Miles avant le tournage de Vertigo et remplacée par Kim Novak.
Le voir, le revoir, s’en souvenir.
On peut revoir ce film vingt fois, on n’en épuise pas pour autant toutes les surprises, tous les clins d’oeil, ni tous les aspects : musiques de film, cascades, faiblesses d’acteurs, traveling, plan de travail, figurants (humains ou animaux), maquillage, rushes et répétitions, et bien-sûr, nuit américaine, cette technique qui consiste à tourner une scène de nuit en plein jour.
Enfin, pourquoi revoir cette Nuit américaine ? Parce qu’elle est jalonnée d’instants suspendus, faits de minutes de silence – rêves de cinéma – et de dialogues qui resteront en mémoire :
« Le tournage d’un film, c’est un peu comme le trajet d’une diligence au Far-West. D’abord on espère faire un beau voyage, puis très vite on en vient à se demander si on arrivera à destination. »
« Les films avancent comme des trains… comme des trains dans la nuit. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a pas de temps mort. »
« Moi pour un film je pourrais quitter un type, mais pour un type je ne pourrais jamais quitter un film »
«Cet acteur, toute sa vie, il a rêvé de jouer Hamlet. Enfin, il réussit à monter son spectacle, mais il était tellement mauvais, tellement mauvais, que tous les soirs il se faisait siffler. Alors un soir il en a eu assez. Il s’est arrêté en plein milieu du monologue to be or not to be, il retourne son visage vers le public et il leur dit : I didn’t write that shit ! C’est pas moi qui a écrit cette merde !»
Et mon préféré :
« C’est curieux comme les acteurs sont vulnérables, n’est-ce pas ?
– Non, c’est normal, tout le monde a peur d’être jugé ; mais dans votre métier, le jugement fait partie de la vie, dans le travail et en dehors du travail.
– Dès que nous rencontrons quelqu’un, nous nous demandons : Qu’est-ce qu’il pense de moi ? Est-ce qu’il m’aime ? Oh, je pense que c’est la même chose pour tous les artistes. Quand Mozart était enfant et qu’on lui demandait de jouer, il répondait : «Je m’en vais te jouer tout ce que tu voudras mais dis-moi d’abord que tu m’aimes.»
– Et puis, c’est le métier où l’on s’embrasse le plus !
– Vous avez remarqué, n’est-ce pas ? Oui, on passe son temps à s’embrasser… Il paraît que la poignée de main a été inventée pour prouver qu’on ne portait pas d’armes, qu’on n’était pas ennemis… et bien pour nous ça ne suffit, faut montrer qu’on s’aime : mon chéri, my darling, my love, tu es magnifique, nous avons besoin de ça !»
Scénario intégral, suivi du journal tenu par Truffaut lors du tournage de Fahrenheit 451, disponible aux éditions des Cahiers du cinéma, collection Petite bibliothèque.