Voici un petit article sans prétention, qui ne fera aucunement la promotion d’une liseuse quelle qu’elle soit – on peut se méprendre et considérer «chouette» comme adjectif. Certes, employer le terme «liseuse» au lieu de «lectrice» peut prêter à confusion. J’aurais pu, pour éviter cela, opter directement pour l’expression «chouette qui lit»… mais cela m’aurait privée d’une introduction.

Le sujet de cet article m’a été inspirée par Eva, dont je ne présente plus le blog… il explique à lui seul que les articles les plus facétieux publiés sur Cinephiledoc ait cette source d’inspiration. Il y a quelques semaines, donc, à la lecture de mon projet concernant la liaison CM2-6E, Eva avait soulevé un point qui avait retenu son attention, à savoir :

le fameux dessin de « la chouette qui lit » (…) je me demande en quelle mesure ce dessin de word a figuré au moins une fois sur TOUS les documents relatifs à un CDI ou à une bibliothèque

Pour ceux qui ignorent de quel dessin il s’agissait, le voici :

Chouette liseuse

On peut aussi le trouver sous cette forme :

lecture2

Je préfère mettre de côté le débat zoologique «Est-ce une chouette ? Est-ce un hibou ?», je laisse les experts en ornithologie trancher. Ce qui nous a davantage intéressées, Eva et moi, c’est l’idée selon laquelle la chouette qui lit est représentative de l’univers de la bibliothèque, du / de la bibliothécaire et du lecteur.

L’écueil de la vieille chouette

Laissons de côté les représentations de la bibliothécaire en «vieille chouette», chignon et lunettes complétant le costume – en ce qui concerne ces représentations, notamment cinématographiques, je vous renvoie une fois de plus vers l’excellent Notorious Bib, qui examine à la loupe de quelle façon sont rêvées ou cauchemardées les bibliothèques et les librairies dans les films – de L’Ombre d’un doute à Star Wars (à noter que même dans Star Wars, elle porte un chignon).

bibliothèque star wars

Sources : http://notoriousbib.wordpress.com/

Evidemment, c’est cette vision qu’ont bon nombre de lecteurs, ou de non-lecteurs, de la bibliothécaire, et que l’on redoute un jour, suivant que l’on est usager ou professionnel, de côtoyer ou de devenir. La bibliothécaire, plus harpie ou gorgone que muse, voilà l’écueil.

Représentations mythologiques et littéraires

Puisque nous sommes dans la mythologie et la littérature, restons-y, histoire de donner davantage de poids à cette «chouette liseuse» et d’expliquer son omniprésence dans le milieu des livres. En effet, pourquoi des bibliothécaires et des documentalistes voudraient continuer à utiliser cette image, en dépit des clichés qu’elle véhicule ? Pourquoi une «chouette liseuse» est-elle chouette ?

La chouette est l’animal privilégié d’Athéna, déesse grecque de la sagesse, et le symbole de la ville d’Athènes dans l’antiquité, qui figure jusqu’à aujourd’hui sur les pièces de monnaie. Homère attache à Athéna l’épithète de glaukopis («aux-yeux-de-chouette»), cette dernière pouvant partager avec son familier la capacité de voir dans le noir – noir de la nuit pour la chouette, noir de l’ignorance pour Athéna. Athéna, et par extension, son attribut, vont représenter l’éclat de la civilisation grecque, et de la civilisation en général.

Chouette ou hibou, c’est un symbole d’érudition et d’amour de la lecture, modèle repris jusque dans Merlin l’enchanteur. Détourné, certes, mais repris :

C’est cependant leur capacité à voir de le noir qui porte préjudice aux chouettes et aux hiboux, oiseaux nocturnes qui profitent de la cécité de leurs proies pour mieux les chasser. On y voit tantôt un symbole de mort, tantôt la source de diverses superstitions… pour ma part, j’ai toujours trouvé terriblement injuste le sort voué à ce qui est, selon moi, la plus belle des chouettes, l’effraie.

Sources : Peter Trimming, Wikipédia

Sources : Peter Trimming, Wikipédia

Symbole de l’hérésie au Moyen-âge, elle était clouée sur les portes, soit disant pour protéger des orages et conjurer le mauvais sort. Elle figurait ainsi en bonne place parmi tout ce qui était, pour le contemporain, inexplicable, et du même coup, condamné – je vous recommande à ce titre la lecture de l’ouvrage de Jean Delumeau, La Peur en Occident.

Bien-sûr, la chouette et le hibou sont maintenant pratiquement dépourvus de tout cet attirail superstitieux – sauf peut-être auprès des personnes atteintes d’ornithophobie – comme la Guenièvre de Kaamelott – ou auprès des enfants encore influençables et apeurés. Certes, dans Harry Potter, les chouettes et les hiboux sont toujours associés à la sorcellerie – sorcellerie remise au goût du jour – mais sont dévolus à la distribution du courrier.

Considérations zoologiques, tout de même

J’ouvre ici une courte parenthèse sur certaines particularités physiques de la chouette, à savoir :

  • sa capacité à pivoter la tête à 270° ;
  • ses yeux qui lui offrent un champ de vision à 180°, certes pour une vision optimale de seulement 70° ;
  • son ouïe très développée

J’en conclus sommairement que ces trois caractéristiques ont pu être reprises et déformées chez la bibliothécaire pour des qualités telles que :

  • la vigilance en matière d’usages de la bibliothèque – rapportée à tort au rôle de surveillante, voire de gardienne ;
  • l’acuité visuelle qui découle de cette vigilance, et qui lui permet aussi bien de ranger le manga qui s’est retrouvé au milieu des documentaires sur les lézards, de dire à X d’arrêter de jouer à Angry Birds ou de consulter l’historique de recherche qu’Y a oublié de supprimer ;
  • la nécessité de maintenir un lieu relativement calme, ce que certains prendront pour une trop forte sensibilité au bruit

Au-delà de ces considérations physiques, il n’en demeure pas moins que la chouette reste, semble-t-il, un bon moyen de représenter le rapport au livre et à la culture, à moderniser cependant.

D’une représentation à l’autre, diffusion et circulation de l’information

De la chouette comme symbole de sagesse et unique détentrice du savoir – entendez la bibliothécaire à l’ancienne (ou si vous préférez, selon la formulation d’Yves-François Le Coadic, l’approche orientée professionnel) – il faut passer à la chouette comme moyen de circulation de l’information – le modèle Hedwige dans Harry Potter (approche orientée usager).

Transmission de l’information, capacité à retrouver le destinataire du courrier quel que soit l’endroit où il se trouve : voilà bien certaines des missions propres aux professionnels de la documentation, notamment la veille, qui consiste à mettre à disposition de l’usager l’actualité propre à un sujet donné.

Si la chouette n’est plus le seul volatile à occuper le champ de l’information et de la communication –

logo-twitter

– elle reste tout de même représentative de la relation à l’usager. Et ça, c’est chouette.