Amateurs de grands espaces et de paysages, peut-être avez-vous rêvé de parcourir le Dakota en compagnie de Kevin Costner dans Danse avec les loups. Si vous avez eu l’occasion de le voir, peut-être avez-vous aimé vagabonder en compagnie de Natty Gann, l’équivalent féminin de Croc blanc, de Chicago à Seattle. Peut-être, plus récemment, avez-vous savouré la chevauchée de Django et du Docteur King Schultz dans Django unchained de Quentin Tarantino.
Les exemples de films dépaysants se déroulant aux Etats-Unis sont nombreux – et pour les Américains, la simple mention de la Tour Eiffel peut elle aussi être dépaysante. Paysages et monuments sont pour nous des points de repères auxquels on associe les villes et les pays. La Statue de la Liberté et l’Empire State Building ? New York. Le Golden Gate ? San Francisco. La Maison blanche et le Capitole ? Washington. Walk of fame ? Los Angeles.
Si vous aimez les villes et si, par-dessus tout, vous aimez les retrouver au cinéma, je vous recommande l’ouvrage édité en 2005 par les Cahiers du cinéma, La Ville au cinéma, dirigé par Thierry Jousse et Thierry Paquot.
Si vous avez une préférence pour les petites villes, la campagne et les grands espaces des Etats-Unis, L’Amérique évanouie, de Sébastien Clerget, paru en novembre 2013 aux éditions Rouge Profond (collection Décors) s’adresse à vous.
Escapade littéraire et cinéphile
J’ai dévoré ce livre le temps d’un aller-retour en RER et métro, et durant ce trajet, j’avais le sentiment de ne plus être tout à fait à Denfert-Rochereau ou à Odéon, mais quelque part entre le Maine, l’Oregon et la Californie. D’ailleurs, l’ouvrage est habilement sous-titré « De Stephen King à John Carpenter, du Maine à la Californie ».
Oui, en effet, ce livre des plus agréables à lire, n’évoque pas seulement le cinéma. Il consacre quelques pages à la littérature américaine, et notamment à l’un des écrivains américains les plus adaptés au cinéma : Stephen King – j’aurai l’occasion d’y revenir.
On aborde ce livre exactement comme ce qu’il se veut : une promenade, un journal de voyage, où se glissent les photos, non pas personnelles, mais plutôt personnifiées, de certains décors naturels inoubliables. Et durant ce voyage en aller-retour, même lorsqu’il nous parle de films que nous n’aurions pas vu, le fait d’imaginer reste captivant.
L’Amérique évanouie permet également de découvrir ou de redécouvrir les Etats-Unis. Pour ceux qui comme moi, savent à la rigueur situer les monuments des villes, et les états les plus connus (les tous petits qui s’agglutinent à l’est, je ne m’en souviens jamais), c’est l’occasion de réviser un peu de géographie :
En guise d’introduction, l’auteur aborde deux cinéastes : le « paysagiste » John Ford, fidèle aux grands espaces de Monument Valley qui servaient de décors à ses westerns, et « l’architecte » Alfred Hitchcock, qui s’amuse aussi bien à filmer les grandes villes, les monuments, que les petites villes et les routes désertiques.
Si l’auteur de l’ouvrage ne dédaigne aucun de ces aspects – San Francisco représente les grandes villes, le Golden Gate et le Mont Rushmore, les monuments – son intérêt se porte surtout sur les petites villes et les grands espaces, comme en témoignent ces quelques lignes :
Parcourir les États-Unis et ses paysages, c’est traverser un pays peuplé de fantômes, ceux des Amérindiens notamment, quasi invisibles et pourtant encore omniprésents. On ne compte pas les lieux auxquels sont rattachées des légendes indiennes, aujourd’hui devenues plus proches du folklore que du lien étroit entretenu jadis par des peuples avec leur environnement. Cependant, les États-Unis ne sont pas seulement parsemés de légendes, mais aussi par les ruines et les épaves, répondant enfin aux voeux formulés par Nathaniel Hawthorne : « Le romantisme et la poésie comme le lierre, les mauvaises herbes et les plantes, ont besoin de ruines pour pouvoir s’acclimater. » (p.12)
Au pays de Hawthorne, Kerouac et Stephen King
Nathaniel Hawthorne donne à l’auteur l’occasion d’une halte à Salem dans le Massachusetts et Jack Kerouac lui offre une ouverture aux grands espaces, à commencer par le Colorado, au détour d’une citation de Sur la route :
À présent, je voyais Denver se profiler devant moi comme une Terre Promise, tout là-bas, sous les étoiles, passés les prairies de l’Iowa et les plaines du Nebraska, et je devinais la vision plus grandiose encore de San Francisco, joyau dans la nuit.
Mais c’est bien-sûr Stephen King qui reste l’écrivain phare de cet ouvrage, puisque Sébastien Clerget s’intéresse autant aux paysages où a vécu l’écrivain, qu’à ceux qui ont servi de décors à ces livres ou aux adaptations qui en ont été faites.
Au moment où il écrit son livre, il évoque l’oeuvre la plus récemment parue de Stephen King, 23/11/63, et les lieux où il s’arrête, qui ont servi d’inspiration à King et lui ont permis d’entremêler sa vie à son oeuvre, de mêler aux villes fictives, les villes réelles. Nouveaux allers-retours géographiques, littéraires et biographiques, qui n’en finissent pas de captiver le lecteur, qu’il soit un expert ou non de l’auteur de Shining :
Les lieux mêmes dans lesquels Stephen King vit ou a vécu sont propices à laisser l’imagination vagabonder jusqu’à rejoindre les histoires fantastiques écrites par l’homme du Maine. De la petite maison située au bord de la route perdue dans la campagne de Durham, où un jeune homme passionné de fantastique a écrit ses premiers textes, au manoir gothique de Bangor, où l’auteur de best-seller a imaginé ses plus grands récits, on peut apercevoir en filigrane certains des lieux dans lesquels ses histoires s’enracinent… (p.36)
Quoi de plus naturel, après avoir lu ces quelques lignes, que d’être tout à fait préparé à visiter les lieux qui ont servi de décors aux adaptations des oeuvres de King, à commencer par le Shining de Kubrick ? Le lecteur va alors suivre la voiture de Jack Torance – Nicholson depuis une petite route sinueuse du Montana, jusqu’au fameux hôtel Overlook – l’hôtel Timberline dans l’Oregon, construit en 1937 – dans lequel Jack sombrera progressivement dans la folie.
Et si Sébastien Clerget nous entrainait ensuite dans les lieux qui ont inspiré à Stephen King la petite ville du Dôme, Chester’s Mill, ainsi que ceux de la série qui s’en inspire, Under the dome, on ne serait pas étonné, et on le suivrait bien volontiers.
Science-fiction, fantastique et suspense
Durant cette promenade américaine, en effet, les lieux que l’auteur excelle à décrire, ce sont ceux du cinéma fantastique américain, depuis l’univers exubérant et macabre de Tim Burton – Beetlejuice et Sleepy Hollow (même si ce dernier n’est abordé que très rapidement) – jusqu’aux classiques de l’horreur réalisés par John Carpenter, entre autres.
On retrouve également Devils Tower, la mystérieuse montagne du Wyoming que les personnages de Rencontres du troisième type tentent absolument d’atteindre pour répondre à l’appel lancé par les extraterrestres.
Mais, après les lieux immuables du cinéma fantastique et ceux liés à l’oeuvre de Stephen King, ce sont ceux qui ont inspiré Hitchcock, qui ont la part belle dans ce livre : les décors du Vermont de Mais qui a tué Harry ?, évidemment le Mont Rushmore de La Mort aux trousses, et surtout la Californie, avec le Golden Gate de Vertigo, ainsi que deux petites villes, la Bodega Bay des Oiseaux et la Santa Rosa de L’Ombre d’un doute, qui clôt poétiquement ce voyage hitchcockien :
Selon où l’on se trouve aux États-Unis, à Santa Rosa ou à Petaluma, à Bodega Bay ou à Lisbon Falls, on peut encore sentir la proximité des années 1940-1950, et en même temps avoir l’impression d’une époque lointaine et définitivement révolue. Comme si elle appartenait au monde des rêves (et du rêve américain), comme si son existence pouvait être mise en doute.
Accompagner et poursuivre le voyage
Tout au long de ce périple, l’auteur de L’Amérique évanouie est présent, non seulement à travers les anecdotes qu’il raconte, mais aussi grâce aux photographies qu’il nous propose des différents lieux qu’il a parcourus. Ce guide précieux s’invite même dans les notes de bas de page, où vous trouverez à l’occasion une bonne adresse où déguster une tarte ou un café à la cannelle – à moins que ce ne soit dans le coeur même du texte, clin d’oeil sympathique et invitation au voyage.
En dépit des choix de films, le lecteur peut à tout moment penser à d’autres décors. Se souvenir de la maison de Vandamme dans La Mort aux trousses :
inspirée de la Maison à la cascade (Fallingwater), imaginée par l’architecte Frank Lloyd Wright :
Revoir la maison de Psychose :
et le tableau de Hopper qui l’a inspirée (voir à ce sujet l’excellent article du ciné-club de Caen) :
Ou encore, s’évadant hors des atmosphères hitchcockiennes, rêver à la romance de Meryl Streep et Clint Eastwood dans Sur la route de Madison, occasion d’une halte dans l’Iowa, sur un pont couvert :
Enfin, cette lecture peut être le prétexte d’autres lectures, déjà mentionnée ou à découvrir :
- La Ville au cinéma, dirigé par Thierry Jousse et Thierry Paquot, aux éditions des Cahiers du cinéma, 2005.
- Le Décor au cinéma, de Jean-Pierre Berthomé, aux éditions des Cahiers du cinéma, 2003.
- Cinéma et peinture, de Joëlle Moulin, aux éditions Citadelles et Mazenod, 2011.