Ouvrez grandes vos esgourdes ! Le quatrième hors-série de l’été de Cinephiledoc est consacré aux relations entre musique et cinéma, sujet déjà abordé dans un précédent article, il y a quelques mois. Je m’appuierai en partie sur le livre évoqué dans cet article pour introduire l’ouvrage dont j’ai décidé de parler aujourd’hui.
HORS-SÉRIE
Dans ma playlist de bandes originales de films, je retrouve les musiques composées par Bernard Herrmann pour Hitchcock (La Mort aux trousses, Vertigo, L’Homme qui en savait trop), par Georges Delerue pour Truffaut (La Nuit américaine), par Ennio Morricone, ou encore par John Williams.
Je peux fredonner aussi bien une chanson de Disney que la Storm cloud cantanta, toujours dans L’Homme qui en savait trop.
Dans mon précédent article sur le sujet, j’avais également évoqué, pèle-mêle, les mélodies d’Autant en emporte le vent, les compositions d’Henry Mancini pour Diamants sur canapé et Victor, Victoria, le travail de Hans Zimmer pour Gladiator.
Une introduction à la musique au cinéma
L’ouvrage que j’avais choisi à cette occasion, Les plus belles musiques de films, de Michael Swift, paru en octobre 2013 aux éditions Milan, offrait une excellente porte d’entrée au lecteur dans l’univers des musiques de films.
Simple, agréable à lire, attrayant, fourni avec un CD (ce qui permet de joindre l’oreille aux yeux), il tentait de faire le tour de la question, sur un plan aussi bien chronologique que cinématographique, en s’attardant sur les films d’horreur, de science-fiction, les westerns ou encore les policiers. Une sélection de compositeurs était mise en avant.
J’avais également souligné les faiblesses de cet ouvrage, qui, sous prétexte de situer dans un contexte cinématographique et historique, tel ou tel film, perdait souvent de vue son sujet principal : la musique de film. Le livre de Michael Swift privilégiait les compositeurs hollywoodiens – exception faite de deux Italiens (Nino Rota et Ennio Morricone) et d’un français (Maurice Jarre), ces trois compositeurs ayant tout de même fait une belle carrière à Hollywood.
Une petite mention en passant de Michel Legrand et de Georges Delerue, c’est tout ce dont le lecteur mélomane devra se contenter.
Enfin, si soucieux de replacer la bande originale dans son contexte historique, l’auteur ne consacrait aux techniques de composition et au travail du musicien, que quelques citations de compositeurs, et un dernier chapitre de l’ouvrage. Il privilégiait un peu trop le cinéma par rapport à la musique : « musiques de films »… une manière, en quelque sorte, d’assujettir la seconde au premier.
Malgré ses défauts, Les plus belles musiques de films constituaient cependant une bonne première lecture sur le sujet, à approfondir.
Et puisque nous refermions ce premier livre sur les « Techniques et chronométrages » de composition, l’idéal était de trouver un livre qui se concentrait un peu plus sur les aspects techniques de cette relation musique / cinéma, et qui mettait, en somme, l’un et l’autre à égalité.
Musique et cinéma à égalité
En effet, ne serait-ce dans le titre de l’ouvrage, plus rien s’assujettit la musique au cinéma : La Musique au cinéma et dans l’audiovisuel, de Bernard Guiraud, publié aux éditions Baie des anges en janvier 2014, entend faire de la musique et du cinéma deux arts qui coexistent de manière plus ou moins paisible…
Dès le « prélude », l’auteur s’interroge sur cette curieuse relation sentimentale :
Cinéma et musique ? Un vieux couple… un couple dans lequel la musique fut tour à tour servante, accompagnatrice puis enfin collaboratrice et même inspiratrice. Un couple pas toujours en phase, mais un couple où la musique peut se mettre en contrepoint de l’image pour mieux servir l’histoire du film… leur histoire commune ! (…)
Même si la musique a rencontré le cinéma dans l’obscurité des fosses, elle en est sortie depuis longtemps pour s’installer dans la lumière des projecteurs.
Dans l’introduction, Bernard Guiraud rappelle simplement la distinction entre bruit, son et musique, montrant que, là où l’ouvrage de Swift entraînait le lecteur de manière privilégiée dans l’univers cinématographique, lui entend donner au lecteur les bases d’une analyse musicale.
Les premières pages de ce livre m’ont fait penser à l’ouvrage de Michel Chion – lui-même auteur prolifique sur la musique au cinéma – auquel j’avais consacré un article il y a quelques mois : L’écrit au cinéma. Dans ce dernier, Michel Chion s’intéressait à l’écrit diégétique (interne à l’histoire) et l’écrit non-diégétique (extérieur à l’histoire).
De la même manière, Bernard Guiraud explique que la musique peut être interne au film (un musicien des rues, un chanteur de cabaret, un compositeur jouant un morceau, un disque sur un gramophone) ou externe, lorsqu’elle ne fait pas partie d’une scène et que, pourtant, elle l’accompagne.
Exploration de la musique au cinéma
Dans les pages qui vont suivre, exemples à l’appui, l’auteur va intéresser le lecteur à bon nombre d’aspects de cette relation musique / film. On y retrouvera entre autres :
- les films sans musique ou presque (dont M le maudit, de Fritz Lang, et Le Salaire de la peur, de Clouzot) ;
- le metteur en scène – compositeur : il revient notamment sur la carrière de Chaplin.
À l’instar de Richard Wagner, Charlie Chaplin, dans Les Feux de la rampe (1952) figure au générique en tant que metteur en scène, scénariste, compositeur et chorégraphe. (…)
Sir Chaplin qui savait jouer du violon, du violoncelle, du piano et de l’orgue, n’était pas un vrai compositeur mais plutôt un très bon mélodiste (…)
Pour schématiser, disons qu’un compositeur est une personne capable d’écrire une musique de A à Z : mélodie, contre-chant, harmonie, développement, orchestration et idéalement direction d’orchestre. Un mélodiste est une personne capable « d’inventer » un air, de le siffloter, de le pianoter et éventuellement de le transcrire sur une portée musicale, mais incapable de l’habiller : harmonisation, orchestration, etc.
- le couple metteur en scène – compositeur, avec des relations durables et fructueuses, Fellini et Nino Rota, Hitchcock et Herrmann pendant un peu moins de dix ans, Truffaut et Delerue, Demy et Legrand, Sergio Leone et Ennio Morricone…
- différents styles de musique et leur rapport au cinéma : musique contemporaine (avec des compositeurs ayant également contribué à l’évolution des techniques, notamment pour des films comme Farinelli), jazz, rock, ou encore chanson, comédies musicales ou films consacrés à des musiciens…
- et également une partie incroyable sur la musique et le suspense, qui évoque, bien entendu, Hitchcock, mais aussi une scène du Amadeus de Milos Forman :
Amadeus (1984) de Milos Forman propose un captivant compte à rebours, celui des dernières heures de la vie de Mozart : le compositeur allongé sur son lit dicte les notes sublimes de son Requiem au compositeur Salieri. Cette scène présentant une décomposition de toutes les parties instrumentales de l’oeuvre est d’ailleurs au passage une véritable leçon d’orchestration ! La volonté du Maître est accentuée par l’ostinato des cordes, et sa fièvre est sublimée par le rythme des notes du trombone. Mozart chante toutes les parties avec une voix fragile (en IN superposée à l’orchestre OFF) à la limite de la justesse. Salieri est subjugué par la beauté et la grandeur de l’oeuvre.
Malgré une mise en page austère, Bernard Guiraud parvient à décrypter, pour le lecteur, que ce dernier ait fait ou non des études musicales plus ou moins poussées, les techniques de composition, d’orchestration, les choix de tel ou tel musicien ou de tel ou tel réalisateur.
S’appuyant à chaque fois sur des exemples précis, et donnant parfois des extraits de portées musicales – ce que sauront savourer les mélomanes avertis – on le sent passionné par son sujet et avide d’apprendre de nouvelles choses à quiconque feuillettera son livre, comme en témoignent les nombreuses annexes :
- une liste des plus grands compositeurs de musiques de films,
- un décryptage des droits d’auteurs,
- une analyse des conditions, pour les compositeurs, d’exercice de leur métier,
- un vocabulaire musical, suivi d’un glossaire,
- une bibliographie
Le lecteur n’est donc pas tenu d’être un spécialiste, ni même de lire cet ouvrage de manière linéaire. Il peut ainsi l’ouvrir à n’importe quelle page et tomber sur l’information, l’anecdote, qui éclaircira sa vision de tel ou tel film, de Fantasia à Out of Africa, de 2001 : l’Odyssée de l’espace à Marie-Antoinette, de Sofia Coppola…
Là encore, le résumé que je fais de ce livre n’est pas exhaustif, mais ce que l’on peut retenir, c’est que, si Les Plus belles musiques de films, de Michael Swift, est une excellente introduction à la « musique de film », dans un contexte cinématographique, La Musique au cinéma et dans l’audiovisuel, de Bernard Guiraud, est un excellent moyen d’approfondir les relations musique / cinéma, dans un contexte plus musical.
Quelques sites internet…
C’est devenu une habitude, le Ciné-club de Caen figure parmi les sites que je regarde en premier, et bien entendu, une page de leur site internet est consacrée à la musique de film : on y retrouve les relations parfois houleuses du cinéma muet avec la musique, une partie sur la musique à Hollywood, avec quelques couples metteur en scène – compositeur, quelques paragraphes sur les films musicaux.
En fin d’article, également, une partie consacrée aux « morceaux musicaux et aux chansons célèbres » : musique classique (Mort à Venise, Senso, films de Kubrick), liens vers des pages consacrées au jazz ou au rock, et chansons de cinéma (dont le Mrs Robinson de Simon & Garfunkel dans Le Lauréat). Quelques paragraphes sur la représentation des musiciens au cinéma ainsi qu’une liste de films où la musique joue un rôle prédominant.
Autre dossier sur Internet, celui consacré par AlloCiné aux « 100 musiques de films à écouter !« , pour tous les styles et tous les goûts musicaux et cinématographiques…
Enfin, les articles de Wikipédia : Musique de film (malheureusement à l’état d’ébauche encore), Bande son, et les catégories : Musique de film et Compositeur de musique de film.
Quelques films à écouter avec les yeux…
Je vais choisir d’autres films que ceux déjà mentionnés dans l’article consacré au livre de Michael Swift.
- J’ai parlé de Barry Lyndon pour l’histoire au cinéma, j’ai parlé de Barry Lyndon pour la peinture au cinéma… et c’est sans doute parce que je ne pouvais pas en parler pour la science au cinéma – dommage, cela aurait fait un très bon fil conducteur – que je décide d’en reparler pour la musique au cinéma. J’adore le trio de Schubert et la sarabande de Haendel que Kubrick a utilisé dans ce film, ainsi que les marches militaires anglaises… Voici la sarabande :
Ainsi que deux liens : l’un vers le trio de Schubert, et l’un vers la marche militaire.
- J’ai revu récemment Danse avec les loups et j’ai passé plusieurs jours à écouter en boucle la merveilleuse musique de John Barry, en particulier le thème de John Dunbar, et le thème de « Two socks » (on a rarement vu un loup et un cheval être d’aussi bons acteurs, d’ailleurs !). Voici le thème de John Dunbar :
Avec en lien, le thème de « Two socks ».
- Enfin, l’une de mes musiques préférées est celle composée par Ennio Morricone pour Cinema Paradiso, surtout le « thème d’amour »…
Belle rêverie musicale, et à bientôt !