Toutes les bonnes choses ayant une fin, et le principe des hors-série étant à la fois de s’inclure dans une collection (d’articles) et de s’exclure, d’une manière ou d’une autre, de cette série (d’articles), voici le dernier hors-série de l’été de Cinephiledoc, consacré aujourd’hui aux relations entre philosophie et cinéma.

HORS-SÉRIE

Le cinéma permet parfois d’illustrer les concepts de la philosophie, qui s’en sert comme exemple. Moins souvent, le cinéma va devenir lui-même un concept que les philosophes vont chercher à comprendre et à expliquer.

Paul Gauguin : D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

Paul Gauguin : D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

Et peut-être moins souvent encore, le cinéma va mettre en scène directement une école philosophique ou un philosophe – sous forme de biopics. Après tout les philosophes sont des héros ayant dédié leur vie à la recherche de la vérité et de la sagesse, ils pourraient donc idéalement s’incarner dans un scénario cinématographique.

Cinéma et réflexion

Réfléchir aux relations entre philosophie et cinéma m’a amenée, au fil de la lecture du livre que j’évoquerai dans un instant, à me poser plusieurs questions. Et ces questions étaient d’abord liées à l’exercice de la réflexion en lui- même (bien entendu, le sujet étant, pour une part, la philosophie, je me pose les questions mais je n’y répond pas forcément…).

Diogène

Quels films nous « font réfléchir » ? Réfléchit-on forcément mieux lorsque le film est « à message », lorsqu’il illustre une thèse, lorsque ce message est martelé, et non suggéré ?

Les films à thèse, les « grands films », les films « sérieux » sur tel ou tel sujet (pas forcément une grosse production, mais plutôt le film dont l’objectif revendiqué est l’exercice de la raison) nous incite-t-il plus ou mieux à la réflexion que les films auxquels on n’aurait pas pensé ?

Socrate

Pas forcément, comme en témoigne l’ouvrage que j’ai choisi. D’ailleurs, un film dont le message est revendiqué fera venir le plus souvent un public déjà acquis à sa cause, il prêchera des convertis – un film sur l’holocauste attirera des spectateurs curieux d’histoire et des personnes touchées par le sujet, et non des négationnistes. Alors que le film n’ayant pas pour objectif premier l’exercice de la raison, fera réfléchir indirectement, par touches, par suggestions.

Cinéma et concepts philosophiques

Le deuxième type de questions que je me suis posée était celui liant le cinéma à l’illustration (indirecte) des concepts philosophiques. Quel cinéma, ou quel réalisateur va me suggérer, va accompagner ma réflexion sur tel ou tel sujet ? Lequel va me définir le mieux ? Puis-je seulement me définir grâce à eux ? Peuvent-ils, l’espace d’un instant, illustrer qui je suis et puis-je me reconnaître en eux ?

Pour finir avec cette longue introduction, quels films et quels réalisateurs ont illustré pour moi de grands concepts philosophiques ? Reprenons un instant les différentes branches de la philosophie occidentale – merci mes souvenirs de philosophie au lycée, et surtout merci Wikipédia – et essayons d’illustrer quelques concepts par des films :

  • la philosophie de l’esprit, qui doit comprendre l’inconscient : Hitchcock (Vertigo, Psychose, La Maison du Docteur Edwards, Marnie…) ;
  • le langage : L’Enfant sauvage de Truffaut ;
  • l’amour : La Femme d’à côté, à nouveau de Truffaut ;
  • la mort : Le Septième sceau de Bergman, La Chambre verte de Truffaut, L’Amour à mort de Resnais, Rencontre avec Joe Black

La seule question que l’on peut se poser à présent est : un livre peut-il répondre (ou amorcer des réponses, ce qui est plus souvent le cas en philosophie) aux différentes questions que je me suis posée ? Pour le coup, ce sera clair : la réponse est oui.

Comprendre la philosophie à travers le cinéma

Le livre que j’ai choisi cet été pour effleurer toutes ces pistes de réflexion est l’ouvrage d’Ollivier Pourriol, Cinéphilo – quel titre ! – paru en première édition en 2008 chez Hachette Littératures. Il est ressorti en 2011 chez Fayard dans la collection Pluriel.

cinéphilo

Contrairement à l’ouvrage que j’avais abordé dans le précédent article (j’avais promis d’y revenir), Entre littérature et cinéma : les affinités électives, tout en étant exigeant sur le plan intellectuel, l’ouvrage d’Ollivier Pourriol ne laisse pas son lecteur sur le bas-côté.

Et pourtant, s’il y a un sujet difficile à aborder, c’est bien la philosophie. Beaucoup d’entre nous ne l’ont étudié qu’au lycée, et rien qu’un an, et ce n’est pas être mauvaise langue que de dire que peu d’entre nous ont eu le temps d’y comprendre quelque chose. Les plus acharnés s’y sont replongés en prépa – je n’ai aimé la philosophie qu’en khâgne, personnellement – voire ont entamé des études universitaires de philosophie.

Autant dire que l’entreprise d’Ollivier Pourriol est ardue : il s’agit pour lui d’expliquer la philosophie de Descartes et de Spinoza à la lumière du cinéma, ou plutôt de conduire le lecteur (il fait davantage office de guide) à l’intérieur de cette philosophie.

Fait-il pour cela l’économie d’expressions et de notions philosophiques complexes ? Non, mais il prend le temps de les expliquer de la manière la plus simple, la plus patiente, et la plus pédagogique possible, n’hésitant pas à reprendre les notions et à les reformuler.

Son corpus est-il exigeant ? Réclame-t-il l’attention du lecteur à travers des citations et un cheminement de pensée là encore complexe ? Oui, mais ce cheminement est analysé à la lumière de films que n’importe qui peut avoir vu : Matrix, Fight club, X-Men, Blade Runner ou encore Highlander.

Alors : dois-je relire ce livre ? Oui, évidemment, car une seule lecture ne suffit pas à en retirer la « substantifique moelle ». Mais la question qu’on pourrait davantage se poser, c’est : est-ce que je veux le relire et est-ce que je vais le relire ? La réponse, contrairement à Entre littérature et cinéma, est oui. Parce que ce livre est certes complexe, mais parce qu’il me tire vers le haut, rend le lecteur curieux et ne le laisse jamais seul face à la philosophie.

Et cependant, je ne pourrai pas vous résumer l’ouvrage d’Ollivier Pourriol, car ce serait une paraphrase de paraphrase : paraphrase de son propos d’abord, paraphrase ensuite de la pensée de Descartes et de Spinoza. Je peux cependant en donner quelques éléments :

  • dans la première partie de son ouvrage, l’auteur explique la philosophie de Descartes, et en particulier la Méthode, quasi intégralement à la lumière du film Matrix. Bien que mon professeur de Terminale m’ait indiquée à l’époque que Matrix était l’illustration parfaite du mythe de la caverne de Platon, j’ai apprécié de suivre ici simultanément la (re)découverte de Descartes et l’action de Matrix et de ses personnages. D’ailleurs, ce livre n’est pas construit sur le modèle : un film / une école philosophique ou un concept. La philosophie et le cinéma s’accompagne mutuellement, et c’est la grande force de Cinéphilo :

J’espère (…) que notre voyage ciné-philosophique chez Descartes et Spinoza ne vous aura pas donné l’impression de réduire le cinéma au rôle subalterne d’appendice de la philosophie, ou inversement d’avoir fait de la philosophie un « bonus » du cinéma, mais au contraire aura rendu chacun à son obscurité essentielle.

  • Pour expliquer le Traité des passions de Descartes – et plus généralement le rapport de l’homme à la passion (passivité) et à l’action présent chez Descartes et Spinoza – il utilise le personnage de Kevin Spacey dans American Beauty.

Plus généralement, chaque étape du parcours philosophique qu’organise pour nous l’auteur, va être l’occasion de la lecture cinématographique d’un film : l’imagination avec X-Men et Le sixième sens, l’immortalité avec Highlander, l’homme avec n’importe quel film :

Tout film est en cela exemplaire, au sens où il porte avec lui une image implicite de l’homme et du genre de lien qu’il prétend créer entre ses spectateurs. Si le cinéma s’adresse, comme la philosophie, à tous les hommes, n’est-ce pas qu’il pose lui aussi à chaque film la question : Qu’est-ce que l’homme ?

Comprendre le cinéma à travers la philosophie

C’est la grande force de ce livre d’éclairer à la fois la philosophie par le cinéma et le cinéma par la philosophie. Je ne ferai pas ici un commentaire de ce que dit l’auteur, je me contenterai de reprendre quelques citations qui m’ont frappée :

  • le cinéma, arbre de la connaissance de Descartes : métaphysique (racines), physique (tronc), mécanique, médecine et morale (branches).

Et voilà fondée la dignité métaphysique du cinéma : le cinéma est un faux-semblant aussi vraisemblable que possible, où nous employons toute notre industrie à produire du « comme » – notre volonté infinie nous permet de produire des mondes illusoires où nous expérimentons une toute-puissance fictive, un entendement infini fictif, et un plaisir réel. (…) Le cinéma, fruit de la mécanique, pose des questions morales à la mécanique. C’est un fruit réflexif, un fruit philosophe, qui pose des questions à l’arbre qui le porte. Un fruit métaphysique, qui interroge ses racines.

  • le film comme dialogue de l’âme avec elle-même :

Tout film peut à ce titre être considéré comme l’extériorisation d’un dialogue intérieur, sous la forme dramatisée d’un conflit. Et inversement, tout film, montrant la transformation d’un personnage confronté à des choix qui ont des conséquences extérieures, propose au spectateur de vivre cette même transformation sur le plan purement intérieur. Voir un film, c’est être invité à le vivre, à l’intérioriser.

  • le film comme un rêve éveillé qui se choisit et ne se subit pas :

Un rêve éveillé qui choisit son contenu, quelle meilleure définition du film ? On sait qu’un film n’est qu’un film, on le sait de bout en bout. Alors que s’il arrive, dans un rêve, qu’on s’aperçoive qu’on rêve, la règle est plutôt inverse : en général, on ignore de bout en bout qu’on rêve.

Je m’arrêterai là pour les citations, et pour la critique de ce livre captivant, dont je recommande la lecture aux cinéphiles tout comme aux philosophes en herbe, et principalement à ceux qui ont raté leur rencontre avec la philosophie : saisissez l’occasion !

Peu importe que certains détails ou certaines notions nous échappent, on sort de cette lecture forcément transformé, pas forcément en philosophe ou en étant illuminé par la grâce, mais parce qu’en nous parlant de cinéma et de philosophie, Ollivier Pourriol nous parle de nous-mêmes, et nous nous reconnaissons dans cette lecture à un moment ou un autre.

Quelques sites et quelques pages

Je complèterai juste (si tant est que ce livre auto-suffisant en ait besoin) avec quelques petites références…

Les trois suggestions

Pour finir en beauté, et grâce à la précieuse liste fournie plus haut, voici trois films à voir ou à revoir…

  • Metropolis, de Fritz Lang, film déjà cité à de nombreuses reprises sur ce blog :
  • Le Nom de la rose, de Jean-Jacques Annaud, sur le savoir et la vérité :
  • Inception, de Christopher Nolan, sur les rêves et l’inconscient :

J’espère que vous avez passé un bon été pas trop pluvieux. Rêvez bien sur ces films et sur tous les autres, bonne reprise aux enseignants, et à très bientôt j’espère pour un nouvel article !