Après une brève interruption, et à l’occasion du Ray’s Day, voici enfin le 5e hors-série de l’été, consacré aux relations multiples – et fructueuses – entre littérature et cinéma. Le sujet est tellement vaste qu’un seul ouvrage, et à plus forte raison un seul article, ne peut prétendre être exhaustif.

HORS-SÉRIE

On peut d’ailleurs aborder la question de ces relations de bien des manières. On peut, par exemple, s’intéresser aux films qui évoquent de près ou de loin la littérature, à travers la figure d’un écrivain ou l’écriture d’un livre, la lecture ou l’écriture en général.

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Parmi ces films, quelques suggestions :

  • L’homme qui aimait les femmes, et Fahrenheit 451 de François Truffaut ;
  • Le Cercle des poètes disparus de Peter Weir ;
  • À la rencontre de Forrester, de Gus Van Sant ;
  • Sagan, de Diane Kurys ;
  • Roman de gare, de Claude Lelouch ;
  • The Ghostwriter, de Roman Polanski ;
  • La Vie des autres, de Florian Henckel von Donnersmarck ;
  • Beaumarchais l’insolent, d’Edouard Molinaro ;
  • The Reader et The Hours, de Stephen Daldry ;
  • Le Docteur Jivago, de David Lean ;
  • Dans la maison, de François Ozon ;
  • Tout sur ma mère et La Fleur de mon secret, de Pedro Almodovar

J’ai cité ces quelques films sans aucun ordre chronologique et à mesure qu’ils me venaient à l’esprit. Libre à vous de prolonger cette liste…

Pour explorer les relations entre littérature et cinéma, on peut aussi, bien entendu, s’intéresser aux adaptations cinématographiques d’oeuvres littéraires. Cette fois, la liste serait bien trop longue, surtout si l’on s’intéresse au nombre d’adaptations des Trois Mousquetaires, des Misérables, ou encore de Roméo et Juliette… J’ai d’ailleurs fait figurer dans ma liste précédente quelques adaptations.

On peut s’intéresser aux écrivains étant devenus cinéastes (Pagnol, Cocteau, Duras, Robbe-Grillet) ou aux cinéastes ayant commencé en écriture, ayant poursuivi en écriture et ayant écrit toute leur vie (Rohmer, Truffaut).

Enfin, pour clore (provisoirement) ces pistes de réflexions, on peut se pencher, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire, sur quelques romans ayant pour sujet le cinéma, et par extension, sur tous les livres évoquant le cinéma, sur toute cette littérature du non-film qui se consacre aux films, aux réalisateurs, aux acteurs, et aux genres cinématographiques.

Écrire sur le cinéma et la littérature…

Beaucoup de livres, ce n’est pas étonnant, sont consacrés aux relations entre cinéma et littérature, ce qui témoigne bien de la fascination – et parfois répulsion – que ces deux arts ont toujours eu l’un pour l’autre.

entre littérature et cinéma

Parmi cette importante bibliographie, j’avais choisi cet ouvrage de Jean Cléder, publié en 2012 chez Armand Colin, Entre littérature et cinéma : les affinités électives. L’ouvrage était récent, le titre bien trouvé. Mon ressenti sur ce livre est cependant mitigé.

Ce n’est pas que ce livre est mauvais, loin de là. Écrit par un maître de conférences en littérature comparée – une personne des plus compétentes en la matière – on se doute qu’il maîtrise parfaitement le sujet choisi pour son livre. Jean Cléder a d’ailleurs participé à des ouvrages collectifs consacrés aussi bien à des écrivains qu’à des cinéastes.

Lorsqu’on le lit, on ressent à la fois cette érudition et la fascination qu’exercent, pour lui, les affinités entre cinéma et littérature. Il a d’ailleurs l’ambition louable de remettre les deux arts sur un pied d’égalité et de ne s’intéresser à leurs rivalités que pour ce qu’elles ont apporté, dans la forme et dans le fond, à l’écriture et à l’image.

Mais alors ? Et bien pour moi, ce livre, même s’il s’agit d’un bon livre, est l’exemple parfait des travaux universitaires, avec leurs indéniables qualités – une réflexion poussée et approfondie, l’ambition de tirer le lecteur vers le haut en le mettant face à des oeuvres qu’il ne serait pas allé voir de lui-même – et ses défauts :

  • un vocabulaire hyper élaboré et typique des chercheurs en littérature,
  • une construction en intro/développement/conclusion très formalisée, mais qui permet tout de même à chaque fin de chapitre de rassembler tous les fils que l’auteur a tendu sur le sujet
  • un corpus littéraire et cinématographique d’ « intellectuel » (références littéraires et philosophiques, cinéma d’auteur, et nouveau roman en bonne place) avec l’évocation systématique de Godard comme référence ultime – avis aux fans de JLG, ce livre est pour vous !

Certains défauts peuvent certes se transformer en qualités – la construction, comme je l’ai évoqué – mais l’auteur a tout de même réussi à me perdre par moments, alors que j’ai l’habitude de lire ce genre d’ouvrages – j’aurai l’occasion d’y revenir dans un prochain article.

Des images et des mots qui fusent dans tous les sens

Pourtant, de temps à autre, et lorsque l’on parvient à s’arracher aux phrases alambiquées, au vocabulaire de spécialiste, certaines évocations sont l’occasion de réfléchir et de rêver sur ce qui unit ou sépare littérature et cinéma : relations du texte et de l’image, figure de l’auteur, rapport de l’image à l’histoire, et ce qu’il appelle « cinématographies » (techniques cinématographiques à l’oeuvre dans la littérature ou novellisation du cinéma, entre autres).

le rouge et le noir

Il y a ces moments magiques où Jean Cléder explique que, dans les adaptations de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette  et du Rouge et le Noir de Stendhal, le film fige les personnages et va à l’encontre du mouvement présent dans le roman. Au lieu de donner de l’élan à la rencontre romanesque des deux personnages, Mme de Clèves et M. de Nemours pour le premier, Julien Sorel et Mme de Rênal pour le second, le scénario du film la découpe et la pétrifie.

Il y a ce très beau chapitre, surprenant, où il étudie trois traitements des images historiques des camps d’extermination : celles de Lanzmann dans Shoah, celles de Godard dans Histoire(s) du cinéma, et celles de Spielberg dans La Liste de Schindler, et où il balaye d’un revers de la main cette dernière :

(…) par sa préparation, sa diffusion et son style, La Liste de Schindler participe de l’industrialisation de la mort que le film est censé dénoncer.

Pan ! Prends ça, Steven ! Toi qui voulais faire un film dénonçant l’holocauste, te voilà taxé d’y participer indirectement parce que ton film hollywoodien et commercial montre et banalise les images de l’horreur (alors qu’il ne faudrait que les suggérer ?)… Trêve de polémique…

madame_bovary_chabrol

Il y a également dans ce livre une très belle étude de l’adaptation de Madame Bovary par Chabrol, où l’auteur confronte sans cesse le texte de Flaubert – écrivain qui refusait pour ses romans la moindre illustration – et le film.

Enfin, il y a de très belles analyses d’écrivains qui ont pressenti et accompagné le cinéma : Flaubert, Proust, John Dos Passos, Nabokov. Sur Proust :

(…) ce qui transporte ou déroute le lecteur de la Recherche est peut-être moins la légendaire longueur de ses phrases, que la mobilité de leur structure, laquelle se modifie dans le temps et l’espace de leur développement, soumettant ainsi la syntaxe à un mouvement et une durée qui ne sont plus seulement ceux de l’histoire et de sa mise en forme, mais deviennent mouvement et durée propres de la phrase – constituant une cinématographie (…)

Si ce livre avait pu faire abstraction de quelques termes techniques, s’il avait eu quelque peu pitié du lecteur lambda et s’il s’était plus souvent mis à sa portée qu’au moment des conclusions de chapitre et que dans certaines évocations imagées de films, s’il n’avait pas poussé l’érudition à l’extrême… bref si l’auteur avait pu transformer ces travaux universitaires en ouvrage documentaire de « vulgarisation », avec tout ce que cela comporte de concessions à l’intelligence… j’aurais beaucoup aimé ce livre.

Je crains malheureusement que son lectorat soit quelque peu limité… aux étudiants de Jean Cléder. Et je referme ce livre avec le sentiment d’être passée à côté de quelque chose, mais aurai-je à un moment le courage de le rouvrir, c’est une autre affaire…

Quelques sites et articles à consulter sur le sujet

Pour compléter cette lecture – ou pour se plonger dans les relations entre littérature et cinéma en spectateur amateur (et non en spécialiste chevronné), voici quelques références, parmi lesquelles certains articles de Cinephiledoc 😉 :

  • d’abord l’inévitable page du Ciné-club de Caen, moins fouillée qu’à son habitude, mais toujours une bonne introduction au sujet ;
  • j’ai trouvé de nombreux actes de colloques et de courts articles renvoyant à d’autres articles et à d’autres ouvrages – ces sources n’étant que des extraits, je me permets de ne pas les citer… ;
  • j’ai consacré l’été dernier deux articles à l’évocation du cinéma dans les romans, à retrouver ici ;
  • j’avais trouvé captivant l’ouvrage de Michel Chion sur L’écrit au cinéma, et l’ouvrage de Martin Lefebvre sur Truffaut et ses doubles (Truffaut n’apparaissant d’ailleurs quasiment jamais dans l’ouvrage de Cléder, sauf en tant que critique, ce que j’ai trouvé regrettable) ;
  • enfin je renvoie à une parution récente de roman sur le cinéma, Un renoncement, de René de Ceccatty, consacré à Greta Garbo.
  • sur l’univers de la lecture au cinéma, le blog Notorious bib propose des critiques de films où apparaissent à chaque fois une bibliothèque, depuis L’Ombre d’un doute d’Hitchcock à Star Wars – je regrette de n’avoir pas encore trouvé l’équivalent sur les écrivains et les lecteurs au cinéma…

Evidemment, il y a aussi les catégories et articles proposés par Wikipédia, même s’ils ne rendent pas compte de la complexité du sujet : Adaptation au cinéma ; Politique des auteurs ; Film sur un écrivain.

Voir le livre, lire le film

Pour finir, trois petites suggestions habituelles (plus une) sur les livres, les lecteurs, les écrivains, les libraires, les bibliothécaires au cinéma, bref, tout ce qui lit et tout ce qui écrit, avec à nouveau le challenge de prendre des exemples pas encore abordés !

  • Wonder boys, un film de Curtis Hanson avec Michael Douglas en écrivain raté qui prend sous son aile un jeune virtuose, Tobey Maguire (film sorti en 2000) :
  • Swimming pool, film de François Ozon avec Charlotte Rampling et Ludivine Sagnier. Un auteur anglais se réfugie dans une villa pour écrire son dernier roman policier :
  • Les Soeurs Brontë d’André Téchiné, magnifique, avec Isabelle Huppert, Isabelle Adjani et Marie-France Pisier. Film sorti en 1979 et malheureusement indisponible en DVD.

Et pour finir, un petit aperçu de la série anglaise Black Books, qui met en scène un libraire… un peu particulier…

Happy Ray’s Day à tous, bonnes lectures, bons films et à bientôt !