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Mois : octobre 2014 (Page 1 sur 2)

Cycle Truffaut. Chapitre 6 : Truffaut à la Cinémathèque

Nous arrivons quasiment au terme de notre voyage à travers la vie et l’oeuvre de François Truffaut.

expo truffaut

Durant ce cycle, j’ai exploré les écrits du cinéaste, la manière dont sa vie et son oeuvre s’enrichissaient constamment de documents, et continuaient, encore aujourd’hui, de se développer sous la plume de spécialistes et d’amoureux du cinéma.

J’ai évoqué les biographies et les témoignages qui lui sont consacrés, et les ouvrages documentaires qui se penchent sur ses films.

À présent, voici quelques impressions suscitées par l’exposition que la Cinémathèque française consacre à Truffaut, à l’occasion des trente ans de sa disparition.

Promenade au coeur de l’exposition Truffaut

Voici les quelques souvenirs qui me restent de cette visite… Je m’excuse par avance pour la qualité des photos, prises avec mon smartphone.

La première chose qui frappe lorsque l’on pénètre dans cette exposition, c’est la musique. Le visiteur est d’emblée accueilli par les notes du « Grand Choral », issu de la bande originale de La Nuit américaine.

Quelques photos, quelques archives. On se retourne, et l’on découvre un couloir dans lequel sont exposés des documents issus de l’enfance et de l’adolescence de Truffaut : photographies familiales, carnets de cinéphile dans lesquels Truffaut notait les films qu’il allait voir et le nombre de fois qu’il les voyait.

Le détail qui n’échappera pas au truffaldien converti, c’est, dans l’embrasure d’une porte, un cartable en cuir. Le ton est donné : école buissonnière, clandestinité, Antoine Doinel, Les Quatre cents coups.

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Les images des Quatre cents coups défilent d’ailleurs sur un écran. On retrouve les premiers textes critiques de Truffaut. Un mur entier de couvertures des Cahiers du cinéma. Une machine à écrire.

L’avantage et l’inconvénient des expositions de la Cinémathèque se retrouvent ici, aucune salle n’est séparée complètement de la suivante. On entend la musique de La Nuit américaine en regardant des images des Quatre cents coups, celle de La Femme d’à côté en suivant la suite des aventures d’Antoine Doinel. Et après tout, tout se mélange, pourquoi pas ?

Dans un angle, des archives, des photos, des affiches, retracent toute la maturité d’Antoine Doinel, depuis Antoine et Colette jusqu’à L’Amour en fuite. Le visage de Marie-France Pisier, de garçonne, se transforme peu à peu. Celui de Jean-Pierre Léaud change à peine.

Le plus émouvant, et le plus beau de cette exposition, c’est la reconstitution du bureau de Truffaut et de sa maison de production, « Les Films du carrosse », depuis la porte d’entrée :

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jusqu’au bureau lui-même :

On y retrouve la collection de Tour Eiffel de Truffaut, et du même coup, c’est le début des Quatre cents coups qui nous revient, et cette scène incroyable de Vivement dimanche !, où Fanny Ardant assomme un homme à coup de Tour Eiffel… Et puis les livres…

On s’amuse de voir Jeanne Moreau tricher à la course dans Jules et Jim. Dans l’une des salles suivantes, trois écrans se partagent la vedette et nous montrent des extraits de la plupart des films, pèle-mêle, avec les détails obsédants qui reviennent : les étreintes, les jambes des femmes…

Le visiteur se penche sur des documents, à nouveau, qui émeuvent ou font sourire : le visage de Françoise Dorléac, l’épitaphe manquée de La Femme d’à côté « Ni avec toi, ni sans toi », la couverture du livre de Bertrand Morane, L’Homme qui aimait les femmes.

Dans un coin, il peut apercevoir la robe de Catherine Deneuve dans Le Dernier métro :

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Il parcourt encore quelques salles : une spectaculaire salle d’archives aux classeurs bleus, dans laquelle on peut retrouver des photographies de plateau, et des témoignages des collaborateurs de Truffaut.

Dans une petite salle, à peine un recoin, il peut voir et entendre les musiques de films de Truffaut. Dans une autre, quelques extraits de L’Enfant sauvage et de L’Argent de poche, films dédiés à l’enfance. La presque fin du voyage, c’est la salle « internationale » : Truffaut recevant l’oscar pour La Nuit américaine, Truffaut célébrant Hitchcock, Truffaut tournant en Angleterre Fahrenheit 451 :

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Truffaut acteur pour Spielberg dans Rencontres du troisième type. Je mélange sans doute un peu les souvenirs et les salles… je suis allée voir cette exposition le 8 octobre, mais je prendrai soin de corriger, à l’occasion d’une prochaine visite, ce qui est ressurgi pèle-mêle, et en désordre (ou presque), de ma mémoire.

La dernière salle est une salle de projection où de jeunes acteurs s’essayent à la pose truffaldienne.

À l’occasion de cette exposition, la Cinémathèque propose l’intégrale des films de Truffaut, un coffret de CD rassemblant l’ensemble des musiques de ses films (un vrai bijou que je vous recommande) et un catalogue d’exposition à la hauteur de l’événement !

Quelques mots sur le catalogue d’exposition

Ce catalogue, François Truffaut, a été publié par La Cinémathèque française et les éditions Flammarion le 8 octobre.

catalogue d'exposition truffaut

Sous la direction de Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque (et également co-auteur de la biographie de Truffaut que j’ai déjà mentionnée), l’ouvrage rassemble non seulement une très riche iconographie, mais également des témoignages des proches collaborateurs de Truffaut.

Cette iconographie reprend largement les documents présents dans l’exposition : archives, lettres, télégrammes, scénarios annotés, photographies de tournage et promotionnelles.

Le livre s’ouvre sur trois textes, de Serge Toubiana, de Bernard Benoliel et de Karine Mauduit, qui éclairent différents aspects de la personnalité de Truffaut, et en quoi cette personnalité rend possible l’exposition de la Cinémathèque qui lui rend aujourd’hui hommage (le texte de Karine Mauduit revient notamment sur l’obsession « archiviste » de Truffaut).

Puis le lecteur suit l’itinéraire de Truffaut, de l’enfance jusqu’aux passions amoureuses qu’il a immortalisées sur l’écran, en passant par sa période critique, la Nouvelle vague, et le personnage d’Antoine Doinel, le tout de manière principalement iconographique.

Pour les témoignages, l’ouvrage est organisé de manière à restituer la fabrication d’un film / des films de Truffaut : l’écriture, d’abord, avec ses scénaristes (Jean Gruault et Claude de Givray) et un article de Carole Le Berre revenant sur le travail écrit préparatoire à chaque film.

nuit américaine

Puis vient le tournage, avec Pierre-William Glenn, directeur de la photographie, et Jean-François Stévenin, qui fut d’abord stagiaire, puis second assistant, avant de devenir acteur.

Après le tournage, le montage du film, avec Martine Barraqué et Yann Dedet, monteurs de Truffaut, et la musique, avec un bel article qui fait la rétrospective de l’utilisation de la musique – celle de Delerue, celle de Herrmann, celle de Duhamel, celle de Jaubert – dans les films de Truffaut, rétrospective orchestrée par François Porcile.

Enfin on en arrive à la promotion du film, avec le témoignage de Jean-Louis Livi, ancien agent de Truffaut, et de Martine Marignac, son ancienne attachée de presse.

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Mais ce qui reste, pour moi, le plus émouvant, ce sont les deux derniers textes de ce catalogue. Le premier, dédié à Madeleine Morgenstern, se consacre à « L’amie américaine » de Truffaut, Helen Scott, et permet d’en apprendre plus sur cette personnalité fascinante, qui a participé à la naissance des entretiens Hitchcock / Truffaut et à la reconnaissance du cinéma français de la Nouvelle vague aux États-Unis. Sont retranscrits certaines des lettres échangées avec Truffaut, pleines d’humour et de tendresse.

Le second texte est celui de Jérôme Tonnerre, auteur du Petit voisin, ouvrage que j’ai déjà évoqué précédemment. « Fatalement dimanche », texte intriguant, où l’émotion affleure à chaque mot et déconcerte tout autant qu’elle bouleverse, entraîne le lecteur à imaginer un Truffaut toujours vivant qui aurait continué à réaliser des films…

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Curieux texte d’un cinéfils qui n’a jamais voulu accepter, à la manière de Julien Davenne dans La Chambre verte, la disparition il y a trente ans de François Truffaut. Et finalement, pourquoi curieux ? N’est-ce pas plutôt l’évidence même, puisque nous non plus, tous ceux qui aiment Truffaut et son cinéma, nous ne l’acceptons pas.

Que nous l’ayons connu ou non ne change rien, ne le dit-il pas lui-même dans cette même Chambre verte ? « Nos morts peuvent continuer à vivre ». Il en est le plus bel exemple.

Les femmes, le spectacle, le cinéma… 3 films

Voici pour finir ce cycle Truffaut, trois films (qui comptent parmi mes préférés), trois films qui célèbrent, de quelque manière que ce soit, l’amour sous toutes ses formes : l’amour des femmes, l’amour d’une femme qui hésite entre deux hommes, et l’amour du cinéma.

  • L’Homme qui aimait les femmes (1977). L’un des alter-ego de Truffaut, magistralement interprété par Charles Denner. Le film raconte l’obsession répétée et croissante d’un homme pour les jambes des femmes, et perpétuellement lancé à leur poursuite. Mes scènes préférées : toutes les scènes de son enfance, les retrouvailles émouvantes avec Leslie Caron, et toute la fabrication de son livre, secondée par Brigitte Fossey.
  • Le Dernier métro (1980). Film récompensé par 10 Césars. Sous l’Occupation, Marion Steiner (Catherine Deneuve) est prête à tout pour faire vivre son théâtre, le Théâtre Montmartre et sauver son mari, juif allemand dissimulé dans la cave, sous la scène. Elle décide d’engager Bernard Granger (Gérard Depardieu), pour le premier rôle de la pièce préparée par la troupe, « La Disparue ».
  • La Nuit américaine (1973). J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce film dans un précédent article, et à de nombreuses reprises sur ce blog. Un film magnifique dédié à l’amour du cinéma, et qui reste, indubitablement, mon préféré de François Truffaut. C’est donc sur les images de La Nuit américaine que se referme ce cycle.

Cycle Truffaut. Chapitre 5 : rééditions et nouvelles publications

Après deux semaines d’interruption, voici enfin la cinquième partie de ce cycle consacré à Truffaut.

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Durant ces deux semaines, j’ai pu visiter l’exposition que lui consacre la Cinémathèque française depuis le 8 octobre (sujet du prochain article), et j’ai pu finir la lecture des ouvrages qui seront évoqué ci-dessous.

Pour ce cinquième chapitre, deux livres ont retenu mon attention : une réédition et une nouvelle publication – je ne parlerai, pour l’instant, ni du catalogue de l’exposition, ni des nombreuses Unes de magazines (Le Point et Télérama, entre autres, qui ont dédié un numéro ou un hors-série à Truffaut).

À noter cependant que Télérama, sur son site Internet, a depuis le 1er octobre, ouvert un « mois Truffaut« où l’on retrouve un article par jour consacré au réalisateur.

Mais revenons aux livres…

Truffaut d’un point de vue psychanalytique

Je commencerai par la réédition. Il s’agit d’un texte de Anne Gillain, que j’ai déjà évoqué dans le chapitre 2 de ce cycle, puisqu’elle a rassemblé l’ensemble des entretiens donnés par Truffaut dans un recueil publié chez Flammarion, Le Cinéma selon François Truffaut.

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Ce texte, François Truffaut : Le Secret perdu, a été publié pour la première fois chez Hatier en 1991. Il est ressorti cette année aux éditions L’Harmattan.

Dans cet ouvrage, l’auteur fait une lecture psychanalytique des films de Truffaut, ce qui pourrait paraître ardu aux lecteurs n’ayant de la psychanalyse qu’un vague souvenir des cours de philosophie de Terminale. Et il est vrai que le vocabulaire et les références qu’elle utilise ne sont pas toujours des plus accessibles.

Mais très vite, on est « embarqué » par ce livre. D’abord, parce qu’il s’agit de quelqu’un qui a côtoyé Truffaut et que le souvenir qu’elle en garde, évoqué dans sa préface et dans sa postface, est des plus touchants. Ensuite, parce que, finalement, les thèmes qu’elle aborde sont ceux de l’humain, et qu’ils sont omniprésents dans le cinéma de Truffaut.

Enfin, parce que justement, ce cinéma est lui aussi omniprésent dans son texte, et que les deux thèmes, du coup, cinéma et psychanalyse, viennent s’expliciter mutuellement :

Son oeuvre traite des grandes étapes qui jalonnent le parcours vers la maturité : apprentissage du langage, séparation des figures parentales, quête de l’identité, intégration sociale, découverte de l’autre, des rapports affectifs, de la sexualité, initiation à la culture, expression de la créativité. Travaillant avec cette matière, Truffaut ne propose pas de solution, mais présente au contraire les aspects les plus conflictuels du processus de maturation : échec du langage, de l’amour, du couple, de la socialisation. La métaphore la plus exacte pour décrire le tableau clinique qu’il propose serait celle des organes du corps : sains, on ignore tout de leur fonctionnement ; malades, on découvre leur emplacement exact et leur rôle dans la dynamique physique.

Échos, reflets, résonances, allers-retours, couples

Explorer le cinéma de Truffaut, pour l’auteur, c’est bien-sûr explorer les leitmotivs et les obsessions qui le traversent, en particulier le rapport à la figure maternelle, tantôt sublimée et haïe, et à la figure paternelle, affaiblie, reniée ou absente.

Ce qui m’a surtout frappée dans cette lecture, c’est la façon dont l’auteur a choisi de regrouper les films. Chacun des 21 longs métrages de Truffaut fait l’objet d’une analyse poussée, mais chacun selon un éclairage particulier, qui va de pair – exception faite de Vivement dimanche ! – avec un autre film.

Les choix de Anne Gillain peuvent surprendre : Les 400 coups avec La Femme d’à côté, Jules et Jim avec Le Dernier métro, L’Argent de poche et L’Amour en fuite… Certes, le titre de chaque chapitre explicite ce choix : « Secrets de famille », « Éducations sentimentales », « Les Femmes criminelles », « Les choses et les mots ».

Mais c’est surtout lorsque le lecteur se plongera dans l’un de ces chapitres, et lorsqu’il embrassera la lecture de ce livre dans sa totalité, que ces choix, qui lui échappaient au début, deviendront évidents.

Ce que j’ai particulièrement apprécié dans ce livre, c’est notamment le chapitre sur Fahrenheit 451 et sur La Nuit américaine, qui évoquent le livre et le film comme deux aspects du rapport à la vie, au fait de vivre ou de ne pas vivre, et de vivre (ou non) via un objet et une production culturelle.

Mais le chapitre que j’ai préféré, c’est celui qui met en parallèle L’Enfant sauvage et L’Histoire d’Adèle H., en analysant le rapport que Victor, l’enfant sauvage, et Adèle, la fille de Victor Hugo, ont à l’égard du langage :

Victor va suivre un processus difficile d’enracinement social, tandis qu’Adèle s’éloignera dans chaque scène un peu plus de ses semblables pour s’enfermer dans la folie. Le langage manifestera pour l’un et l’autre le dérèglement de leur rapport au monde. Victor ne pourra jamais maîtriser le principe qui unit les noms aux objets ; Adèle se noiera dans un océan d’écriture dont la vaine prolifération ne renverra plus à aucune réalité.

Enfin, j’ai eu beaucoup de plaisir à lire le très court chapitre consacré à Vivement dimanche !, considéré comme le versant joyeux d’un hommage indirect au cinéma, comme La Chambre verte en était le versant « liturgique ».

Ce qui impressionne, à la lecture de cet ouvrage, c’est la virtuosité avec laquelle, finalement, Anne Gillain embrasse la totalité de l’oeuvre de Truffaut. Lorsque l’on prend un chapitre de manière isolée, on ne voit que la mise en parallèle de deux films, avec parfois une allusion à un troisième…

Mais lorsque l’on passe d’un film à l’autre, et d’un chapitre à l’autre, on se rend compte à quel point tout, chez l’auteur, répond à une logique des plus harmonieuses. Tout se suit, tout se répond, et chacun des chapitres entraîne le lecteur à la lecture du suivant, avec la même évidence que celle évoquée par Martin Lefebvre dans son analyse (voir chapitre précédent) de Truffaut et ses doubles.

Et si le lecteur ne saisit pas toutes les références convoquées par l’auteur sur la psychanalyse, il suit avec plaisir ce fil d’Ariane qui lui fait traverser l’oeuvre toute entière de Truffaut.

Les frères ennemis

Passons à présent à la nouvelle publication. Il s’agit d’un ouvrage d’Arnaud Guigue, spécialiste de Truffaut, que j’ai déjà mentionné comme le co-auteur du Dictionnaire Truffaut, et également auteur d’un livre publié chez L’Harmattan, François Truffaut : la Culture et la vie. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire celui-ci, mais ce sera bientôt chose faite.

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Pour l’heure, le texte publié cette année aux éditions du CNRS par Arnaud Guigue, Truffaut et Godard, fait très certainement partie de mes préférés parmi tous ceux que j’ai pu évoquer dans les différents chapitres de ce cycle.

Arnaud Guigue part d’un constat simple, que peut saisir même le spectateur ayant une vision assez éloignée de la Nouvelle vague, à savoir que Godard est considéré comme un plus grand réalisateur que Truffaut, et que si le second est un artisan, seul le premier est un artiste.

Arnaud Guigue va donc tenter, et selon moi avec succès, de bouleverser cette vision réductrice des choses :

Ce livre assume un parti pris : le refus de cette comparaison à l’avantage de Godard. Il n’est selon moi ni un charlatan, ni un imposteur, ni un escroc dont l’accusent ses détracteurs. C’est un cinéaste important mais qui à l’exception de quelques films notables est l’auteur d’une oeuvre globalement surévaluée.

(…) Ce livre n’est donc aucunement une attaque contre Godard, tout au plus un plaidoyer en faveur de Truffaut.

S’il ne rentre pas dans des détails d’ordre personnel, il ne peut s’empêcher cependant de témoigner à quel point, pour ces deux cinéastes, la vie et l’oeuvre s’entremêlent, et à quel point, en évoquant la manière de travailler, l’homme n’est jamais très loin.

Les premiers chapitres de ce livre, qui aborde de manière chronologique la filmographie de Truffaut et de Godard, mettent en parallèle leurs premières productions respectives : À bout de souffle et Tirez sur le pianiste, Bande à part et Jules et Jim, Une jeune mariée et La Peau douce, Alphaville et Fahrenheit 451, Pierrot le Fou et La Sirène du Mississippi.

Mots, livres et cinéma

Après ces comparaisons, l’auteur s’attarde sur ce qui, selon moi, reste le meilleur du livre : une partie appelée « De la méthode » et qui aborde la personnalité des cinéastes, leur rapport au langage et à la culture.

Truffaut s’exprime avec une grande clarté, mais aussi une grande précision. Son ton est incisif mais il n’est pas péremptoire comme celui de Godard. Il défend ses idées car il y croit fermement et parce qu’il veut convaincre. Ce n’est pas un donneur de leçons qui pense avoir nécessairement raison. (…) Truffaut ne parle que de cinéma, des films qu’il a vus comme critique, et plus tard de ses propres films. Autodidacte, il s’est formé très tôt, par lui-même, une culture cinéphilique solide.

L’auteur étudie ensuite le rapport des deux cinéastes à l’écrit, à la littérature, au savoir, à l’éducation, à l’histoire.

Mais il s’intéresse également à la façon dont ils filment les femmes, à leurs actrices compagnes, et à leur relation avec leurs acteurs (dont Jean-Pierre Léaud, qui a été déchiré entre les deux comme un enfant lors d’un divorce, au moment de leur rupture) ainsi qu’au métier d’acteur, qu’ils ont tous deux exercé.

En fin d’ouvrage, on trouve un tableau croisé de la filmographie des deux cinéastes. Cependant, peu avant ce tableau, le livre se ferme sur un très beau chapitre : « Deux figures existentielles » :

Plutôt Truffaut ou Godard ? Écartons, pour finir, toute analyse rationnelle. Est-il si différent de se demander si l’on est plutôt Keaton que Chaplin ou Ford plutôt que Hawks ? Oui, car ces oppositions de personnes ne recoupent que des choix cinématographiques dûment circonscrits – dans un cas au burlesque, dans l’autre au western. Le duel Truffaut Godard n’est pas non plus qu’une affaire de conception esthétique – car, réduit à cela, il faudrait plutôt les ranger ensemble du côté des modernes. Il est en revanche du même ordre que celui qui opposa dans les lettres, Rousseau et Voltaire. Il renvoie à un choix philosophique entre deux manières de penser, d’être au monde, et de vivre.

Et s’il affirmait tenter de se garder de tout parti pris au début de son ouvrage – bien que sa préférence ne fasse aucun doute – c’est dans ces dernières lignes que Arnaud Guigue confirme toute son admiration pour l’être humain Truffaut, tel qu’il transparaît dans son oeuvre.

C’est cette admiration qu’il nous communique, avec une générosité sans borne, et que, si on ne la partage pas, on peut néanmoins comprendre. Dans mon cas, il n’a eu qu’à prêcher une convertie…

Les enfants et les livres : 3 films

  • Fahrenheit 451 (1966) : l’adaptation du roman de science-fiction de Ray Bradbury. Avis aux amateurs de SF, ne cherchez pas un déluge d’effets spéciaux et le reflet d’une société futuriste dans ce film, que Truffaut n’a tourné qu’en raison de son histoire, qui le touchait beaucoup : celle d’une société où les livres sont bannis. Mes scènes préférées : la vieille dame qui se fait brûler au milieu de ses livres, le pompier Montag qui apprend la lecture en lisant David Copperfield, et la scène finale.
  • L’Enfant sauvage (1969) : l’histoire vraie de Victor de l’Aveyron, enfant sauvage recueilli par le Docteur Itard, qui va tenter de lui apprendre à communiquer. Un film magnifique dont on ne peut séparer aucune scène des autres.

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  • L’Argent de poche (1976) : un film merveilleux sur l’enfance. Le spectateur suit les trajectoire d’une foule d’enfants dans une petite ville : Julien, enfant solitaire et marginal, Raoul, amoureux de la mère de son meilleur ami, Grégory, bébé aventureux et espiègle…

Hors-sujet qui n’en est pas un…

Je pouvais difficilement clore cet article sans un petit hommage à Marie Dubois, comédienne découverte par Truffaut, qui lui a suggéré son pseudonyme, et qui l’a fait tourner dans Tirez sur le pianiste et Jules et Jim.

Elle a joué dans Les Grandes gueules, au côté de Lino Ventura et de Bourvil, et dans Vincent, François, Paul et les autres, de Claude Sautet. Marie Dubois, c’était également Juliette dans La Grande vadrouille.

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Marie Dubois est décédée le 15 octobre 2014.

Cycle Truffaut. Chapitre 4 : évoquer l’oeuvre

Après les ouvrages de référence consacrés à la vie de Truffaut – bien que la frontière entre vie et oeuvre soit, en ce qui le concerne, toujours poreuse – voici quelques ouvrages qui se sont penchés sur sa filmographie, que ce soit chronologiquement, ou en traitant un aspect particulier de son cinéma.

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Je m’attarderai plus en détail sur un livre, déjà évoqué, et qui m’a marquée sur le sujet, et je finirai cet article, avant la sélection des trois films désormais habituelle, par une petite sitographie sur Truffaut.

Deux ouvrages, un auteur

L’auteur qui a analysé avec le plus de précision la filmographie de Truffaut est Carole Le Berre. Ses deux ouvrages sont une mine d’informations sur chacun des films du cinéaste, depuis les lectures de ce dernier et l’écriture de son scénario, jusqu’à la sortie du film sur écrans.

Le premier, François Truffaut, a été publié en 1993 aux éditions des Cahiers du cinéma, dans la collection Auteurs. C’est un petit livre – la forme rappelle un peu celle d’une brochure – à couverture noire, illustré en noir et blanc de quelques photos de tournage et de documents d’archives, et d’un peu plus de 200 pages.

Comme l’indique la quatrième de couverture, le livre explore les « secrets de fabrication » de l’oeuvre du réalisateur. Il n’est pas construit chronologiquement, mais il se penche sur la « méthode » Truffaut, sur les constantes et les obsessions de son cinéma, archives à l’appui.

On y retrouve d’ailleurs, dans l’avant-propos de Carole Le Berre, l’homme hyper-documenté que j’ai évoqué dans le premier article de ce cycle :

Truffaut qui archivait tout, conservait tout, qui avait gardé de sa jeunesse l’habitude et le goût de constituer des dossiers sur les réalisateurs qui l’intéressaient et dont il suivait le travail (…) s’est mis très vite à garder trace de ses brouillons et notes préparatoires, comme des versions successives de ses scénarios. (…) Ces archives étaient avant tout un vivier dans lequel il puisait incessamment, ressortant des dossiers de leur tiroir pour lancer un nouveau film ou enrichir une écriture en cours, reprenant, parfois des années après, des notes jetées à la file sur un bout de papier, ou des fragments de projets abandonnés.

Si elle ne suit pas l’ordre chronologique des films dans ce premier ouvrage, Carole Le Berre observe l’élaboration chronologique du film, puisque tout commence par le projet pour finir à la mise en scène, en passant par l’écriture.

J’aime particulièrement ce passage du livre, sur la place du regard dans la mise en scène de Truffaut :

Voir sans être vu, voir ce qu’on n’aurait pas dû voir (…). Combien de fois une scène, banale ou épisodique en apparence, prend-elle sens, épaisseur ou ambiguïté, sous le feu d’un regard : les caresses des amoureux guettées par les mistons, les gestes du sauvage surveillés par le Docteur Itard, les plaisirs du lieutenant Pinson complaisamment espionnés par Adèle  (…). Le film est toujours double. Derrière une image factuelle, neutre, immédiate, il y a toujours autre chose… Le regard, dans le cinéma de Truffaut, est ce qui tue l’insignifiance.

En revanche, dans son deuxième ouvrage, François Truffaut au travail, publié en 2004 aux éditions des Cahiers du cinéma, Carole Le Berre suit l’ordre chronologique de sortie des films sur écrans.

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François Truffaut au travail est ce qui peut être rangé dans la catégorie des « beaux livres » : abondamment illustré, il fait partie de cette collection d’ouvrages publiés par les Cahiers du cinéma sur les cinéastes « au travail », dans laquelle on retrouve également Welles et Almodovar.

On retrouve dans ce livre quelques éléments du précédent (extraits, réflexions), signe que ce dernier a, en quelque sorte, servi d’ébauche, de travail préparatoire – sans que cela n’enlève rien de sa qualité – à cette somme publiée en 2004.

Les images, en couleurs, sont magnifiques, le livre profite de sa mise en page soigneuse et élégante, avec des photographies souvent en double-page, des documents d’archives… le tout donne un sentiment de richesse et de générosité constante, qui se retrouve dans le propos du texte, soucieux de se mettre à la portée du lecteur / spectateur et d’enrichir sans cesse son regard.

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Je retiens cette analyse de La Femme d’à côté :

La Femme d’à côté est un film happé par le vide, où les personnages ne cessent de tomber : Mathilde s’évanouit en glissant sur le sol du parking, elle tombe près du parasol, poursuivie par Bernard devant tous lors de la garden-party, s’effondre à terre derrière les courts de tennis, fait l’amour par terre avec Bernard dans la maison vide avant de lui tirer et de se tirer une balle dans la tête…

et cette anecdote un peu plus « légère » du tournage de Vivement dimanche ! :

Cette anecdote enfin : la gifle donnée à Barbara par son patron, rendu furieux d’avoir moisi de nombreuses heures dans l’arrière-salle de l’agence tandis que la jeune femme enquêtait à sa place, l’aurait été par François Truffaut lui-même. Il trouvait que Trintignant ne parvenait pas à y mettre la vigueur voulue et lui dit alors : « Je vais vous montrer ». Il attend l’entrée de Fanny Ardant, fait un clin d’oeil à Nestor Almendros afin qu’il lance le moteur, et lui balance une énorme gifle (…) certain d’avoir ainsi en boîte le sursaut de stupéfaction et le regard de colère voulus.

Un aspect de l’oeuvre : doubles et reflets

Carole Le Berre a publié deux ouvrages sur la filmographie de Truffaut, étudiant tour à tour l’élaboration chronologique de l’oeuvre (projet, écriture, mise en scène) et les films, de manière très approfondie, dans l’ordre chronologique de leur réalisation.

Quant aux études qui se penchent sur un aspect en particulier de l’oeuvre, j’ai déjà eu l’occasion de consacrer un article entier au livre qui a retenu mon attention.

Truffaut et ses doubles

Il s’agit de Truffaut et ses doubles, de Martin Lefebvre, publié en avril 2013 aux éditions Vrin. Ayant déjà  analysé le contenu et les qualités de l’ouvrage, je ne vais pas trop m’y attarder, si ce n’est pour rappeler qu’il s’agit d’une étude des phénomènes d’échos et d’auto-citation dans le cinéma de Truffaut, ce qui est très bien énoncé par l’auteur dans son introduction :

Il n’est peut-être pas de meilleure façon pour décrire l’ensemble de l’oeuvre de François Truffaut que de dire qu’elle s’apparente à une immense galerie des glaces (…). Des glaces ou des miroirs qui, en outre, pointent ou réfléchissent dans plusieurs directions à la fois.

La vie, l’oeuvre, littéralement et dans tous les sens

En dehors des biographies évoquées précédemment, et des études citées plus haut, l’ouvrage qui, à mon sens, traite la vie et l’oeuvre de Truffaut comme une totalité, reste le Dictionnaire Truffaut, dirigé par Antoine De Baecque et Arnaud Guigue, et publié en 2004 aux éditions de La Martinière.

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Parmi les rédacteurs des différents articles, on retrouve certains auteurs que j’ai déjà eu l’occasion de mentionner : Annette Insdorf, Dominique Rabourdin, Jérôme Tonnerre.

Là encore, j’ai consacré un article – ou plutôt une partie d’article – à ce dictionnaire.

Outre les articles attendus, films, acteurs, réalisateurs, influences diverses du cinéma de Truffaut, éléments biographiques, le lecteur découvre des thématiques qui reviennent régulièrement devant sa caméra et des citations « cultes » que le cinéphile reconnaîtra immédiatement :

  • amour définitif
  • apparition
  • « Ce papier est ta peau, cette encore est mon sang… »
  • chat (au petit déjeuner)
  • cierge
  • évanouissement
  • « Les femmes sont magiques »
  • « Les films sont plus harmonieux que la vie »
  • livres
  • obsessions

Voici quelques-uns des articles que l’on peut trouver en feuilletant ce dictionnaire, à la couverture blanche et à la mise en page épurée, que l’on peut tout à loisir poser et reprendre, sans qu’il ne perde rien de son attrait.

Deux extraits. Chat (au petit déjeuner) :

La difficulté de tourner avec des animaux – Truffaut l’apprend à ses dépens – c’est que l’on ne peut les diriger comme des comédiens. Tel ce chat, chaque fois différent et chaque fois le même de film en film, dont on attend qu’il se dirige vers le plateau du petit déjeuner pour y finir un bol de lait.

Pourtant, Truffaut préfère encore filmer un animal et devoir refaire la scène jusqu’à obtenir l’effet voulu plutôt que montrer deux amants qui s’étreignent. Pudeur du cinéaste ? Peut-être. Choix d’éviter les clichés ou une approche trop directe de la réalité ? Sûrement.

« Les jambes des femmes sont des compas… »

l'homme qui aimait les femmes

(…) Pour Truffaut-Morane, il n’y a rien de plus beau à regarder qu’une femme en train de marcher pourvu qu’elle soit vêtue d’une robe ou d’une jupe qui bouge au rythme de sa marche (…).

Ce qui compte dans tous les cas, c’est le mouvement d’aller et retour. Cela se traduit à l’image par un balayage latéral d’un côté et de l’autre de l’écran, scandé par le son des talons qui percutent le sol en un rythme régulier.

Tentative de sitographie

Après les textes de Truffaut, après les ouvrages de référence sur sa vie et son oeuvre, je suis allée regarder de plus près ce qu’on pouvait trouver sur internet à son sujet. Globalement, j’ai été plutôt déçue par le résultat de ces investigations.

Bien-sûr, Truffaut fait l’objet d’un article sur Wikipédia – pas trop mal construit d’ailleurs – d’une fiche sur l’internet movie database et sur Allociné, ainsi que sur d’autres sites sur le cinéma. L’internaute dispose également d’une fiche biographique sur le portail de ressources de la Bibliothèque du Film, et de la fiche du Ciné-club de Caen, qui n’arrive cependant qu’en quatrième page.

Pour trouver un site exclusivement consacré à Truffaut, il faut aller à la deuxième page des résultats sur Google, et encore, pour ne trouver qu’un site en anglais, certes prometteur, s’il est encore géré, mais allusif. L’un des sites les mieux fournis que j’ai pu trouver à ce stade de ma recherche est un site en anglais également, sur les films de la Nouvelle vague, et qui accorde à Truffaut un article détaillé.

À la troisième page, on trouve enfin quelque chose de conséquent, en français s’il vous plait, même s’il ne s’agit que d’une vidéo sur YouTube, et non d’un site internet, vidéo que je ne peux malheureusement pas intégrer dans le corps de cet article.

J’avoue m’être arrêtée à la page 10, après avoir trouvé quelques blogs et sites cinéphiles dédiant une page au réalisateur, les sites faisant référence à la bibliothèque François Truffaut (situé au Forum des images, à l’intérieur du Forum des halles, belle bibliothèque spécialisée de cinéma), et quelques établissements scolaires.

Sources : http://bibliotheques-specialisees.paris.fr/bibliotheques/liste-des-bibliotheques-specialisees.dot

Sources : http://bibliotheques-specialisees.paris.fr/bibliotheques/liste-des-bibliotheques-specialisees.dot

Fort heureusement, à l’occasion de l’exposition Truffaut, la Cinémathèque française met en ligne une exposition virtuelle : Truffaut par Truffaut.

Quant aux actualités qui apparaissent, elles concernent elles aussi parfois les établissements scolaires, parfois des rues et des centres culturels, mais également, en ce moment, l’exposition organisée par la Cinémathèque, et les nouvelles publications et programmations sur le cinéaste.

Trois films

Terminons par notre sélection habituelle de trois films.

  • La Peau douce (1964) avec Jean Desailly et Françoise Dorléac. L’histoire d’un écrivain d’âge mur, marié et père de famille, qui fait la rencontre d’une jeune hôtesse de l’air avec laquelle il a une liaison, l’objectif de Truffaut dans ce film étant de mettre les trois personnages – le mari, la femme, la maîtresse – à égalité, sans qu’aucun ne soit traité d’un point de vue négatif.
  • La Mariée était en noir (1968) avec Jeanne Moreau. Après la mort de son mari, le jour de son mariage à la sortie de l’église, abattu par des hommes qui le visait pour s’amuser avec un fusil, Julie Kohler décide de les retrouver et de les abattre un par un. Une histoire de vengeance implacable, avec la musique de Bernard Herrmann – compositeur attitré d’Hitchcock. Mes scènes préférés : la mort de Clément Morane (Michael Lonsdale) et celle de Fergus, l’artiste peintre (Charles Denner).
  • La Femme d’à côté (1981). Bernard (Depardieu) et sa femme vivent dans une maison avec leur petit garçon. Un couple s’installe en face de chez eux. Lors de leur première rencontre, Bernard reconnaît Mathilde (Fanny Ardant), avec laquelle il a vécu une passion amoureuse destructrice sept ans auparavant. Ou comment replacer le romanesque au coeur de la vie quotidienne, en la faisant ressentir au jour le jour. Scènes préférées : la scène de retrouvailles, l’évanouissement de Mathilde dans le parking du supermarché, et toutes les scènes avec Mme Jouve, narratrice magnifique.

Cycle Truffaut. Chapitre 3 : raconter l’homme

Après avoir évoqué Truffaut en tant que « document », et Truffaut en tant qu’auteur, que ce soit de lettres, d’articles, d’entretiens ou de scénarios, cet article sera consacré aux ouvrages consacrés à Truffaut, et plus précisément aux biographies et aux témoignages.

J’aborderai dans un second temps les ouvrages qui étudient en détail la filmographie de Truffaut, son œuvre au fil de son élaboration, ainsi que certains ouvrages qui m’ont particulièrement marquée et que j’ai déjà eu l’occasion d’aborder dans de précédents articles.

Premier souvenir de lecture

Peu de temps après avoir été confrontée au cinéma de Truffaut, le premier livre que j’ai eu l’occasion d’ouvrir à son sujet était l’ouvrage d’Annette Insdorf, une des correspondantes régulières du réalisateur et sa traductrice.

François Truffaut : Les films de sa vie est paru aux éditions Gallimard en 1996, dans la collection des Découvertes Gallimard.

Pour ceux qui ne la connaissent pas, cette collection est l’outil idéal pour les curieux, dans quelque domaine que ce soit, mais en particulier celui des arts. Ce sont de petits ouvrages, très bien illustrés, et qui permettent au lecteur de découvrir – c’est le cas de le dire – un auteur, un peintre, un compositeur ou un cinéaste, d’une manière très agréable.

Le livre d’Annette Insdorf ne fait pas exception. On y retrouve photographies personnelles et photos de tournages, documents d’archives et affiches, qui ponctuent un texte fluide, clair et propice, avec les images, à donner un premier tour d’horizon d’une œuvre, au lecteur qui ne la connaît pas forcément.

En fin d’ouvrage, il y a une partie « Témoignages et documents », composée de critiques de Truffaut, d’articles, d’extraits de carnets d’Henri-Pierre Roché et de son roman Jules et Jim mais aussi de quelques témoignages parus à la fin de la carrière du cinéaste ou après sa disparition (Serge Daney, Claude Miller, ou encore Jeanne Moreau).

Bref, un bon moyen de découvrir sa vie et son oeuvre.

Une biographie comme un roman, un roman comme biographie

L’idéal, pour poursuivre cette découverte, est de se plonger, bien-sûr, dans la biographie de Truffaut, intitulée, comme de juste, François Truffaut. C’est l’œuvre d’Antoine de Baecque et Serge Toubiana, publiée en 1996, 2001 (édition revue) et rééditée en 2004.

Rien ne ressemble plus à un roman que cette biographie. Je n’ai jamais vu à quoi ressemblait sa première édition, « en grand », et la seule image que j’en ai, c’est celle de la collection Folio de Gallimard. Je crois d’ailleurs qu’on peut tout aussi bien la trouver au rayon « cinéma » d’une librairie, qu’au rayon « romans », comme c’est le cas d’un autre ouvrage sur lequel j’aurai l’occasion de revenir.

Cette biographie fait plus de 800 pages, notes comprises, et lorsqu’on la parcourt, on ne sait plus très bien si l’on a affaire à un personnage réel ou à un personnage fictif, tant la figure de Truffaut est traitée de manière romanesque. Il n’en demeure pas moins que le texte est à lire et à relire, à feuilleter et à dévorer.

L’ouvrage est si conséquent qu’il serait vain d’en extraire une page ou un extrait, puisque s’y mêlent si inextricablement la vie et l’oeuvre, et que le tout s’offre au lecteur d’emblée, en toute limpidité et en toute plénitude.

De la biographie au témoignage, et inversement

Le livre qui fait pendant à cette biographie, si l’on peut dire, et qui est à mi-chemin de la biographie et du témoignage, est cependant bien antérieur à l’œuvre d’Antoine de Baecque et de Serge Toubiana, puisqu’il suit presque immédiatement la disparition du cinéaste.

Il s’agit du Roman de François Truffaut, ouvrage collectif paru en 1985 aux éditions de l’étoile / Cahiers du cinéma. Il rassemble de très nombreux témoignages, organisés chronologiquement, sur l’homme et le cinéaste, dans un « Portrait à plusieurs voix », selon le titre de la préface rédigée, là encore, par Serge Toubiana. Cette préface revient d’ailleurs sur le titre du livre :

La seule évidence, c’est qu’il existe un univers romanesque de Truffaut qui prime tout, qui englobe aussi bien son propre personnage que ses créatures, le ton de sa voix que les gestes de ses acteurs. Où la question de savoir ce qui a été premier, le roman ou la réalité, la fiction ou la biographie, n’a plus grande importance. Il semble que Truffaut ait eu le désir fervent d’organiser sa vie et ses films avec la belle logique et la belle cohérence de ces romans qu’il a tant aimés, dès sa jeunesse, même si l’on sent de temps en temps les blessures et les failles que la vie oppose inévitablement à ce genre de désir.

Témoignages d’amis, de réalisateurs – Rohmer, Godard, Chabrol – d’acteurs, de collaborateurs (assistants, scénaristes, photographes,…) et hommages… ces textes construisent une biographie, ou plutôt la biographie à venir de Truffaut.

Dans le chapitre « Truffaut vu d’Amérique », on retrouve également des textes de collaborateurs, comme Helen Scott – déjà mentionnée dans l’article précédent – et Steven Spielberg, pour qui il a incarné le savant Claude Lacombe, dans Rencontres du troisième type :

C’était l’acteur parfait. Il ne posait pas de questions. Il était à l’heure. Il était toujours de bonne volonté. Il faisait à peu près tout ce que je lui suggérais. Il attachait une grande importance à être l’acteur parfait. Il m’a dit comment il définissait cela : quelqu’un de très patient, qui attend six heures pour travailler quinze minutes et qui ne pose jamais de problème au réalisateur. (…)

(Truffaut avait d’ailleurs profité de ce tournage pour vivre « de l’intérieur » le métier de comédien et avait même pour projet d’écrire un livre sur cette « attente des acteurs »)

Dans ce portrait en mosaïque, on retrouve également un texte de Jean Gruault, scénariste de Truffaut pour Jules et Jim, Deux Anglaises et le Continent, L’Enfant sauvage, L’Histoire d’Adèle H., et La Chambre verte.

Jean Gruault est d’ailleurs l’auteur d’une autobiographie, Ce que dit l’autre, où il revient sur sa collaboration avec Truffaut. Cette autobiographie est parue en 1992 chez Julliard, elle est malheureusement aujourd’hui épuisée (sauf d’occasion). J’ai eu la chance de la lire il y a quelques années et je regrette de n’en avoir toujours pas un exemplaire à ma disposition.

C’est un ouvrage à la fois émouvant et drôle, fidèle à la verve et à l’humour de Jean Gruault, également co-auteur, avec Truffaut, de la mise en roman du dernier scénario du cinéaste, Belle époque, déjà mentionné dans l’article précédent.

Témoignage d’un cinéfils

Cependant, le témoignage qui m’a le plus émue, parmi toutes mes lectures sur Truffaut, celui dont je garde un souvenir magnifique, c’est celui de Jérôme Tonnerre, Le Petit voisin.

Ce livre, tout comme la biographie de De Baecque et Toubiana, peut se trouver aussi bien au rayon « cinéma » qu’au rayon des « romans ». Là encore, ma première confrontation avec ce livre, c’était avec la couverture d’un Folio de chez Gallimard, bien que l’ouvrage soit paru dans un premier temps en 1999 chez Calmann-Lévy.

Si ce texte est mentionné dans certaines bibliographies consacrées au réalisateur, rien n’indique dans le titre ou dans sa forme actuelle, à un lecteur lambda, qu’il s’agit d’un témoignage, si ce n’est la couverture. Et encore, combien de livres reprennent une photographie de film sans avoir aucun rapport avec le film ou avec son auteur ?

Bref, je ne suis pas parvenue à ce texte en ligne droite : si j’ai eu connaissance de son existence, c’est par l’intermédiaire du Dictionnaire Truffaut, auquel son auteur a collaboré, et qui en fournissait une très succincte biographie. Et pourtant, il s’agit très certainement d’un de mes meilleurs souvenirs de lecture.

Dans ce texte, Jérôme Tonnerre, aujourd’hui scénariste, raconte sa rencontre, à l’âge de quinze ans, avec Truffaut. Je préfère laisser les premières lignes, si fortes, si émouvantes, à la découverte du lecteur, et j’aurais l’impression de voler quelque chose à les citer telles quelles, de but en blanc.  Voici quelques lignes plus loin :

Je dis m’appeler Tonnerre Jérôme, Christophe, Armand. Je prétends que le 11 octobre 1974, six heures du soir, à Paris, VIIIe arrondissement, âgé de quinze ans, je suis né.

J’ai osé sonner chez François Truffaut.

De Jérôme Tonnerre scénariste, je n’ai pas vu beaucoup de films, mais parmi ceux que j’ai vu, Un coeur en hiver de Claude Sautet, ainsi que Confidences trop intimes et Une Promesse, de Patrice Leconte, m’ont beaucoup plu, sans que je sache si ces trois expériences suffisaient à me le faire reconnaitre dès la première scène d’un film auquel il a participé.

L’évidence vient après coup généralement : je vois le film, je vois son nom au générique en tant que scénariste, et je me dis que, bien-sûr, ça ne pouvait être que lui, sans que je sache réellement pourquoi. Mais il fait partie de ces auteurs pour lesquels, sans doute, on ressent une affinité particulière, à les lire et à partager les rencontres qu’ils ont vécues ou imaginées.

Trois films : suivre Antoine Doinel

Voilà pour cette sélection d’ouvrages qui se penchent davantage sur Truffaut en tant qu’homme, sur sa vie, même si sa vie reste indissociable de son oeuvre. Ainsi les textes que je mentionnerai dans le prochain article, s’ils se penchent davantage sur ses films, sur l’oeuvre dans son ensemble ou sur un éclairage particulier de cette oeuvre, n’en abordent pas moins sa vie.

Et pour poursuivre la traversée du cinéma de Truffaut, voici à nouveau trois films, les trois longs métrages (je n’oublie pas Antoine et Colette, moyen métrage) qui suivent Antoine Doinel après les Quatre-cents coups :

  • Baisers volés (1968). On retrouve Antoine Doinel, réformé de l’armée pour « instabilité caractérielle », amoureux de Christine (Claude Jade) tout autant que de ses gentils parents, engagé dans une agence de détectives privés, et émerveillé par la femme d’un client, Fabienne Tabard, incarnée par Delphine Seyrig. Mes scènes préférées : le générique sur la chanson de Trenet, Que reste-t-il de nos amours ?, la course dans Paris en uniforme militaire, la tirade de Fabienne Tabard « Je ne suis pas une apparition… je suis une femme comme les autres » ou encore, la manière dont un homme, adepte de l’amour définitif, aborde Christine au bras d’Antoine, dans un parc.
  • Domicile conjugal (1970). Sans doute le film de la saga Doinel que j’ai revu le moins souvent. On y suit la vie de couple d’Antoine, rêveur et volage, et de Christine.
  • L’Amour en fuite (1979). Mon préféré après les Quatre cents coups, parce que tous les fils tendus dans les films précédents se renouent enfin. Mes scènes préférées : la scène de rencontre d’Antoine avec l’ancien amant de sa mère, les flashbacks qui font écho aux autres films précédents, et la chanson de Souchon, qui clôt le film.

 

Prochain chapitre : les ouvrages de référence sur l’œuvre de Truffaut.

Cycle Truffaut. Chapitre 2 : la parole et l’écriture

Comme annoncé précédemment, cet article sera consacré à Truffaut en tant qu’auteur, Truffaut écrivain, Truffaut épistolier, Truffaut interlocuteur et Truffaut graphomane…

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Pourquoi, à juste titre, Truffaut peut-il être considéré comme un homme « hyper-documenté » ? Parce que l’écriture nourrit sa vie et son oeuvre, que ce soit par la lecture ou par l’activité même d’écriture.

La lecture et l’écriture filmées

Partons d’une simple constatation maintes fois abordée dans les ouvrages qui lui sont consacrées : la lecture et l’écriture sont omniprésentes dans ses films. On voit les personnages lire et écrire, on voit l’écriture de Truffaut, si particulière, sans majuscules, se délier dans certaines scènes, et les livres, lettres, lignes, bref, toutes les traces écrites imaginables sont au coeur de son cinéma.

Meilleurs moments :

  • les scènes de lecture et d’écriture des Quatre cents coups. Antoine Doinel lit Balzac, rend hommage à Balzac. Il écrit des alexandrins, puni dans son coin à l’école, ce qui lui vaut les lignes « Que je dégradasse les murs de la classe… » Il écrit des lettres, recopie des mots d’excuses…
  • les lettres échangées dans Jules et Jim et dans les Deux Anglaises et le Continent, et que les personnages lisent à voix haute sur un écran neutre.
  • les lettres échangées entre Antoine Doinel et Fabienne Tabard dans Baisers volés.
  • l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans L’Enfant sauvage.
  • le livre, objet interdit et omniprésent dans Fahrenheit 451, et la lecture, comme activité secrète mais récitée à voix haute.
  • la lecture et l’écriture au quotidien de la vie d’écolier dans L’Argent de poche.
  • le livre qu’écrit Bertrand Morane dans L’Homme qui aimait les femmes.
  • enfin, un dernier exemple (mais pas le seul), l’écriture de Truffaut/Ferrand dans La Nuit américaine, écriture mise en scène par les acteurs : « Même si ce que vous dites est vrai, moi je ne pourrais pas oublier. Je suis décidée, je vais vivre seule, je sais que la vie est dégoûtante. »

Voilà pour quelques scènes où sont mises en scène, de manière presque toujours simultanée, la lecture et l’écriture. Revenons maintenant à l’activité d’écriture, non pas en dehors des films, ce qui n’est jamais le cas, mais plutôt, là encore, conjointement à eux.

Truffaut épistolier

L’écriture étant l’une des formes d’expression qu’il affectionne le plus, la plupart de ses personnages et des personnalités qu’il admire la pratiquant, il est naturel que la lettre ait pour Truffaut un attrait particulier.

Nous l’avons vu, c’est généralement la lettre que Catherine, Jules et Jim, Antoine Doinel, utilisent pour communiquer, et pas seulement dans des films « d’époque » où elle est le seul moyen de communication, mais dans ses autres films, où elle vient concurrencer le téléphone.

correspondance truffaut

La Correspondance de François Truffaut, publiée en 1988, rassemblent des textes ayant été échangés entre 1945 – il a treize ans – et 1984. Dans cette correspondance « professionnelle », adressée d’abord en majorité à Robert Lachenay, son ami d’enfance qui partage avec lui sa passion de la littérature et du cinéma, on retrouve très vite des figures connues du cinéma, ses acteurs, ses scénaristes, ainsi que des réalisateurs qu’il admire et des proches collaborateurs.

On y retrouve l’échange de lettres qu’il eut avec Helen Scott, qui participa à l’enregistrement et à la traduction des entretiens Hitchcock / Truffaut. On y retrouve également la fameuse lettre adressée à Godard après la projection de La Nuit américaine, lettre de rupture artistique et amicale définitive entre les deux cinéastes.

entretiens hitch truffaut

On y trouve des lettres adressées à Hitchcock, dont la première, évoquant déjà l’idée des entretiens, rappelle leur première rencontre :

Il y a quelques années j’étais journaliste de cinéma, lorsqu’à la fin 1954 je suis allé avec mon ami Claude Chabrol, vous interviewer au studio Saint-Maurice où vous dirigiez la postsynchronisation de To Catch a thief. Vous nous aviez demandé d’aller vous attendre au bar du studio, et c’est alors que, sous l’émotion d’avoir vu quinze fois de suite une « boucle » montrant dans un canot Brigitte Auber et Cary Grant, nous sommes tombés, Chabrol et moi, dans le bassin gelé de la cour du studio. (…)

Par la suite, à chacun de vos passages à Paris, j’ai eu le plaisir de vous rencontrer (…) et l’année suivant vous m’avez même dit : « Je pense à vous chaque fois que je vois des glaçons dans un verre de whisky. »

La liste des correspondants est longue et riche : Aznavour, acteur de Tirez sur le pianiste, Nathalie Baye, qui apparaît dans trois de ses films, Clouzot, Costa-Gavras, Delerue, son compositeur attitré, Godard et Hitchcock, déjà mentionnés, Henri Langlois, directeur de la Cinémathèque française, Alain Souchon, qui a composé la chanson de L’Amour en fuite, ou encore Jean-Louis Trintignant.

La lecture de ces lettres fait revivre le cinéma entre 1945 et 1984, et donne un exemple toujours impressionnant de l’amour que l’on peut lui porter.

Truffaut interlocuteur

La Correspondance de Truffaut nous donne une idée des préparatifs des entretiens avec Hitchcock. J’ai déjà eu l’occasion, dans plusieurs articles, qu’ils soient consacrés à la forme même de l’entretien, ou à Hitchcock, d’évoquer cette bible du cinéphile qu’est le Hitchbook.

hitchbook

Cet ouvrage donne à la fois une leçon de cinéma et met en lumière la façon, non seulement, de travailler d’Hitchcock, en faisant connaître l’homme et le cinéaste, sans jamais tomber dans l’indiscrétion, mais également la façon dont deux réalisateurs peuvent, brillamment, échanger sur leur métier.

Et selon moi, la préface à ces entretiens, rédigée par Truffaut, reste l’un des plus beaux hommages jamais écrits :

L’homme était mort, mais non le cinéaste, car ses films, réalisés avec un soin extraordinaire, une passion exclusive, une émotivité extrême masquée par une maîtrise technique rare, n’en finiraient pas de circuler, diffusés à travers le monde, rivalisant avec les productions nouvelles, défiant l’usure du temps, vérifiant l’image de Jean Cocteau parlant de Proust : « Son oeuvre continuait de vivre comme les montres au poignet des soldats morts. »

La phrase, écrite pour Hitchcock, clôturant la préface de l’édition définitive des entretiens, est valable pour Truffaut.

Cet exercice de l’entretien, Truffaut s’y est d’ailleurs soumis tout au long de sa carrière – avec peut-être moins de virtuosité que lui-même en a mis à interroger Hitchcock, du côté de ses différents interlocuteurs.

Ces entretiens, publiés dans la presse entre 1959 et 1984, ont été rassemblés par Anne Gillain dans un recueil publié en 1988 chez Flammarion, Le Cinéma selon François Truffaut.

Le cinéma selon Truffaut

On y retrouve, non seulement des échanges à l’occasion de la sortie de ses films – en cela le recueil respecte scrupuleusement la chronologie filmographique de Truffaut – mais aussi des réflexions sur le cinéma, sur les réalisateurs qu’il admire, ainsi que des souvenirs et des impressions d’enfance.

Enfin, on retrouve dans les entretiens diffusés sur France culture entre 1976 et 1982, avec Claude-Jean Philippe, « Mémoires d’un cinéaste », cette parole qui évoque ses « premières émotions cinématographiques » (l’un de mes entretiens préférés), le cinéma français à la Libération, l’époque des Cahiers du cinéma, ainsi que certains de ses films.

entretiens truffaut radio

On y constate que la parole de Truffaut, sans cesse dans l’échange, et, qu’il questionne ou qu’il réponde, témoigne toujours de ce bonheur d’évoquer le cinéma.

Truffaut critique

Ce n’est donc pas pour rien que les principaux recueils de critiques dont il est l’auteur s’intitulent Les films de ma vie et Le Plaisir des yeux.

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Dans le premier, on retrouve des articles qu’il a lui-même sélectionnés, sur des réalisateurs qu’il admire, Chaplin, Hitchcock, Welles, Cocteau, Guitry, à l’occasion de la sortie ou de la redécouverte de certains de leurs films.

Dans le second, que j’ai souvent parcouru, lu et relu, on retrouve bien-sûr les articles qui forment, en quelque sorte, l’acte de naissance de la Nouvelle vague – « Une certaine tendance du cinéma français »- des hommages aux réalisateurs admirés, mais également aux comédiens et comédiennes qui ont tourné avec lui : Adjani, Ardant, Deneuve, Dorléac, Marie Dubois ou encore Jean-Pierre Léaud.

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Mais le texte que je préfère entre tous, c’est celui choisi pour être l’épilogue de ce recueil, et qui a pour titre : « Voilà pourquoi je suis le plus heureux des hommes ».

Je suis l’homme le plus heureux du monde, voilà pourquoi : je marche dans une rue et je vois une femme, pas grande mais bien proportionnée, très brune, très nette dans son habillement avec une jupe sombre à larges plis qui bougent au rythme de sa démarche plutôt rapide (…) son visage n’est pas souriant, cette femme marche dans la rue sans chercher à plaire, comme si elle était inconsciente de ce qu’elle représente : une bonne image charnelle de la femme, une image physique, mieux qu’une image sexy, une image sexuelle. Un promeneur qui la croise sur le trottoir ne s’y est pas trompé : je le vois se retourner sur elle, faire demi-tour et lui emboîter le pas. Je regarde la scène. (…)

Je ne peux citer l’intégralité de cet article : face à une scène de drague ordinaire, quotidienne, Truffaut spectateur imagine d’emblée un matériel cinématographique dans lequel la femme, abordée par l’homme, réagit et force l’homme, en l’invectivant, à se regarder dans une glace. Suite à ce récit – on retrouve la scène telle qu’elle a été imaginée par Truffaut dans La Peau douce – ce dernier conclut :

Voilà pourquoi je suis le plus heureux des hommes ; je réalise mes rêves et je suis payé pour ça, je suis metteur en scène.

Faire un film , c’est améliorer la vie, l’arranger à sa façon, c’est prolonger les jeux de l’enfance, construire un objet qui est à la fois un jouet inédit et un vase dans lequel on disposera, comme s’il s’agissait d’un bouquet de fleurs, les idées que l’on ressent actuellement ou de façon permanente. Notre meilleur film est peut-être celui dans lequel nous parvenons à exprimer, volontairement ou non, à la fois nos idées sur la vie et nos idées sur le cinéma.

Là encore s’exprime l’amour du métier, l’amour du cinéma, qui se révèle de manière pleine et définitive dans ce qui évoque directement les films de Truffaut : scénarios, journal de tournage et projets.

truffaut par truffaut

À noter que certains de ces textes, lettres, critiques, articles, sont rassemblés dans un magnifique ouvrage par Dominique Rabourdin, Truffaut par Truffaut, paru une première fois en 1985 aux éditions du Chêne et réédité en 2004.

Truffaut auteur et réalisateur de films

J’aborderai rapidement cette dernière partie, en indiquant seulement quelques références :

  • Les Aventures d’Antoine Doinel, réunissant les scénarios et les notes de travail des Quatre cents coups, Antoine et Colette, Baisers volés, Domicile conjugal et L’Amour en fuite ;
  • L’ouvrage qui regroupe le scénario de La Nuit américaine et le journal de tournage de Fahrenheit 451, publié aux éditions des Cahiers du cinéma, dans la collection « Petite bibliothèque » ;
  • Le cinéroman L’Homme qui aimait les femmes ;
  • Enfin, même si je suis convaincue d’avoir oublié des choses, le dernier scénario co-écrit avec Jean Gruault, Belle époque, et mis en roman par ce dernier, ouvrage qui suit personnages réels et personnages fictifs entre 1900 et 1914.

Il y a sans doute des oublis dans ce tour d’horizon de la production écrite de Truffaut. Je ne prétends pas être exhaustive, mais simplement donner un aperçu de ce qui m’a touchée, enthousiasmée, et transformée, dans la lecture de ces textes. J’espère avoir donné quelques envies de (re)lectures et de (re)découvertes cinématographiques.

Et à découvrir ou redécouvrir, voici à nouveau une sélection de trois films.

Lettres, lectures, littérature et cinéma

  •  Jules et Jim (1962). Jeanne Moreau, lumineuse Catherine, qui aime Jules, puis Jim, puis Jules, puis Jim, au début du vingtième siècle. Il est difficile d’y choisir une scène, une phrase, un moment entre tous, tout y est tour à tour léger et émouvant : Jeanne Moreau courant sur un pont, Jeanne Moreau chantant « Le Tourbillon de la vie »… On a en le regardant un sentiment de quiétude tranquillement inquiète, ponctué par la lecture de fragments entiers du roman éponyme d’Henri-Pierre Roché.
  • Les deux Anglaises et le Continent (1971). Claude (Jean-Pierre Léaud) hésite entre deux soeurs Anglaises, Anne, avec laquelle il noue une amitié sentimentale, et Muriel, pour laquelle il éprouve une véritable passion. Ce que j’aime dans ce film, c’est le sentiment réel, qui a été formulé, il me semble, par Truffaut lui-même, d’assister à la rencontre du narrateur de la Recherche avec les soeurs Brontë.

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  • L’Histoire d’Adèle H. (1975). Truffaut met en scène la fille cadette de Victor Hugo, Adèle, fuyant l’ombre immense de son père et le fantôme de sa soeur Léopoldine, progressivement aliénée dans son amour non réciproque pour un jeune lieutenant anglais. Adjani y est bouleversante et terrifiante.

Voilà pour cette seconde sélection. Bonne (re)découverte !

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