Je l’avais annoncé lors des deux ans de Cinephiledoc, une grande partie des articles de cet automne va être consacrée au même thème. Aujourd’hui, fin du suspense, vous l’aurez tout de suite compris au titre : je me lance dans un cycle d’articles sur François Truffaut, à l’occasion des trente ans de sa disparition.
Avouons-le cependant, cela fait bien plus longtemps que cette année, que je pense à cette série d’articles. Bien-sûr, j’ai déjà eu l’occasion de faire des « micro hors-série » thématiques sur un réalisateur :
- les articles consacrées au cinéma muet, mais surtout à Chaplin, parus en mars 2013 ;
- ceux consacrés à Hitchcock, parus en février de la même année.
Je profitais d’ailleurs assez souvent des nouvelles parutions pour évoquer dans d’autres articles ces deux réalisateurs que j’affectionne tout particulièrement.
Mais je n’avais pas encore eu l’occasion de faire de même avec Truffaut, de lui consacrer un cycle d’articles sur ce qu’il a écrit et sur ce qui a été publié sur lui. Évidemment, je profitais aussi d’une nouvelle publication, de temps à autre, sur lui ou sur tout autre chose, pour évoquer son oeuvre.
François Truffaut sur Cinephiledoc
François Truffaut est certainement le réalisateur qui est le plus souvent cité sur ce blog, avec 15 articles qui mentionnent son nom. Et ce n’est pas cette série d’articles qui risque de changer la donne, loin de là. Petit tour d’horizon anté-chronologique, en ne tenant compte que des ouvrages consacrés de près ou de loin à Truffaut :
- en mai 2014, l’article « Leur vie est un roman » profitait, déjà, de la parution du hors-série du Monde pour amorcer le cycle de cet automne ;
- en janvier 2014, « Revivre la Nouvelle vague » évoquait le Dictionnaire de la Nouvelle vague de Joël Simsolo ;
- en mai 2013, à l’occasion des 40 ans de La Nuit américaine, je n’avais pas résisté à la tentation d’écrire un article sur le sujet ;
- en avril 2013, je m’étais extasiée sur un petit ouvrage brillant, Truffaut et ses doubles, de Martin Lefebvre ;
- en mars 2013, l’article sur les dictionnaires thématiques prenait pour exemple le Dictionnaire Truffaut d’Arnaud Guigue et Antoine de Baecque.
Après ce petit tour d’horizon, je vais à présent vous donner un aperçu de ce à quoi va ressembler ce cycle Truffaut, sachant que je sais déjà comment le commencer et le terminer, mais ce que j’ignore encore, c’est le nombre d’articles dont il sera composé au total.
Cycle Truffaut : composition
- Chapitre 1. Vous l’aurez compris, ce n’est qu’une grosse introduction quelque peu informe, et encore à expliciter par la suite… Je reviendrai dans quelques instant sur ce titre, l’homme hyper-documenté, que les admirateurs de Truffaut ont certainement déjà décodé… mais pas ceux qui le découvrent.
- Chapitre 2 : Truffaut auteur, Truffaut graphomane, bref un article consacré aux textes publiés par Truffaut.
- Chapitre 3 /4 : les ouvrages de référence sur Truffaut, des plus anciens aux plus récents. Ce n’est peut-être pas très objectif, il faudrait davantage parler de « mes plus belles lectures sur Truffaut ». Bref, ce que j’ai lu et apprécié sur le sujet. Cet article pourra être en deux parties.
- Chapitre 5 : rééditions et nouvelles parutions (potentiellement en plusieurs parties, si ce que je découvre est d’une qualité digne d’un article entier).
- Chapitre 6 (potentiellement dernier article) : l’exposition et le catalogue d’exposition de la Cinémathèque française.
Chaque article se conclura, de manière tout à fait subjective et assumée par une sélection de trois films de Truffaut à voir ou à revoir. Ce dernier ayant réalisé 21 films au cours de sa carrière, dites-vous que vous n’aurez, au maximum, que sept articles, et que d’ailleurs, si vous m’avez suivie jusque-là, vous avez déjà lu une bonne partie du premier.
Notions documentaires et cinéphilie
Pourquoi ce titre ? D’abord parce que, appréciant une nouvelle fois autant le côté cinéphile que le côté doc de ce blog, je saute sur tout ce qui me donne l’occasion de croiser les regards, et d’associer les deux. Cela m’enchante de pouvoir utiliser un aspect du cinéma sous un angle documentaire, et étudier une notion documentaire avec un exemple cinématographique.
C’est ainsi que je me suis absorbée dans la comparaison du bruit et du silence documentaires avec la figure mythique de Greta Garbo, ou que j’ai évoqué Chaplin comme étant un réalisateur – et un homme – documenté. En effet, j’ai appliqué dans cet article la notion de document à Chaplin, traitant l’homme et le cinéaste, et par extension, son oeuvre, comme document « primordial », plus que primaire, puis déclinant les documents secondaires et tertiaires évoquant Chaplin.
Cette notion d’homme « documenté », je l’empruntais à Olivier Le Deuff, et à l’un de ses articles publiés sur son blog, Le guide des égarés.
Si l’on peut appliquer la notion de document à Chaplin, on ne peut parler de Truffaut qu’en amplifiant de manière extraordinaire cette notion.
L’homme hyper-documenté
Si Chaplin nourrit son oeuvre de sa vie, écrit sur sa vie, donne lieu à un nombre incroyable de publications, que dire de Truffaut ?
Non seulement Truffaut collectionne, conserve, classe, tout ce qui peut l’intéresser, être exploité, ou ce dont on doit simplement se souvenir. Dans un article publié à l’occasion du hors-série du Monde, « Une vie, une oeuvre », en mai 2014, Serge Toubiana donne un aperçu de cet aspect de sa personnalité :
Il était son propre architecte, d’un type obsessionnel très étonnant. Dans les locaux du Carrosse, il y avait tout, tout, tout. Non seulement ce qui concernait ses films, classés, rangés, les contrats, les scénarios, leurs différentes versions, les plans de tournage, les relevés de droits d’auteurs… mais aussi tout ce qui concernait sa période de critique. Et dans des dossiers bleus, ce qui avait trait à Renoir, Guitry, Rossellini, Ophüls, Hitchcock, Rohmer, Godard, Pisier. Je ne sais pas à quoi ça tient, mais il était obnubilé par l’idée de tout garder (revues, bouts de scénarios, lettres, notes) et de classer les documents sur des étagères.
Truffaut en archiviste, on l’entrevoit non seulement dans certains des ouvrages qui lui sont consacrés par d’autres, mais également dans certains de ses textes et certains de ses films. Pour les textes, m’est revenu en mémoire cet échange avec Isabelle Adjani qu’il rapporte dans l’un de ses articles :
Je dis parfois à Isabelle Adjani : « Notre vie est un mur, chaque film est une pierre. » Elle me fait toujours la même réponse : « Ce n’est pas vrai, chaque film est le mur. »
La vie et l’oeuvre vues, plus que comme un mur, comme une cathédrale, dont chaque élément à la fois est un tout, et rappelle l’ensemble du monument.
Pour les films, il n’y a qu’à voir la scène où Bertrand Morane tente d’archiver les souvenirs de ses conquêtes dans L’Homme qui aimait les femmes, son désarroi lorsqu’il entre chez l’une d’elles et découvre « une bibliothèque sans livres », ou la scène dans La Nuit américaine, lorsque Ferrand reçoit une sélection d’ouvrages sur différents réalisateurs.
Mais Truffaut c’est également un être auto-documenté et hyper-documenté, simplement pour tout ce qu’il engrange lui-même comme écrits, et tout ce qu’il suscite chez les autres comme publications.
Petit résumé, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir dans les articles suivants :
- il y a d’abord les écrits de Truffaut, bien-sûr, sa correspondance, ses scénarios, le journal de tournage de Fahrenheit 451, ses articles, le Hitchcock / Truffaut, qui rendent compte des entretiens qu’il a eu avec Hitchcock, et Le Cinéma selon François Truffaut, où Anne Gillain rassemble les entretiens que lui-même a donnés. On peut ajouter également les entretiens avec Claude-Jean Philippe, diffusés sur France culture entre 1976 et 1982.
- ensuite, il y a ses biographies, et tout ce qui tente de faire un large tour d’horizon de sa vie et de son oeuvre, notamment le Dictionnaire Truffaut, dirigé par Antoine de Baecque et Arnaud Guigue.
- il y a les livres qui s’intéressent plus spécifiquement aux films et à leur fabrication, en particulier les deux ouvrages de Carole Le Berre, François Truffaut et Truffaut au travail.
- il y a les ouvrages qui s’intéressent à un aspect particulier de son cinéma, comme le texte de Martin Lefebvre, Truffaut et ses doubles.
- enfin il y a les témoignages et les souvenirs, qui se penchent sur l’homme et le cinéaste, et en dévoile un aspect, sinon méconnu, du moins intriguant.
Une multitude de textes, de publications, dont pas un (ou presque) ne ressemble au suivant. Alors, pourquoi continuer à publier sur Truffaut ? Comme certains de mes amis me l’ont souvent souligné, pourquoi continuer à écrire sur lui, que trouve-t-on encore à dire ? N’est-on pas nourri, rassasié, lassé, de tout ce qui est déjà paru ? Pourquoi s’évertuer à lire encore, à écrire encore sur lui ?
Sans doute parce qu’on en est arrivé à la même conclusion qu’Arnaud Guigue dans son tout récent ouvrage Truffaut & Godard : La querelle des images :
(…) l’oeuvre de Truffaut (…) conserve encore aujourd’hui le pouvoir de changer profondément la vie des êtres. Je ne parle pas de tel ou tel de ses grands films, que je n’aurais probablement pas rangés dans mes préférés, mais bien de son oeuvre, unique en son genre.
Celui qui ressent en lui ce changement dans sa vie ne peut, il me semble, qu’avoir envie d’en témoigner, ne serait-ce que pour comprendre. Comprendre le bouleversement, l’émotion suscitée, et chaque livre qui s’ajoute, chaque nouvelle flamme qui s’allume dans cette cathédrale, permet à nouveau de faire résonner le cinéphile et l’humain qui est en nous.
Chaque ouvrage qu’on écrit, qu’on lit ou qu’on relit sur Truffaut, nous replonge dans cet univers qui nous a rendu heureux la première fois, et qui réveille en nous le goût de l’enfance, des livres, du cinéma et des êtres.
Chacun d’entre eux rappelle les films et évoque l’homme, et dans ce palais des miroirs, à chaque instant nous croisons une scène, un personnage, une phrase, qui non seulement nous conduit immédiatement à une autre, mais nous ramène sans cesse à nous-mêmes.
Trois films pour ce chapitre 1 :
- Le premier. Les Quatre cents coups (1959). C’est à l’occasion du premier que l’on découvre Antoine Doinel / Jean-Pierre Léaud, dans ce film sur l’enfance où l’enfant n’est ni un singe savant, ni un faire-valoir. Mes scènes préférées : la scène de l’hommage à Balzac, où toutes les tentatives d’Antoine pour exprimer sa sensibilité littéraire tournent à l’échec ; la scène où, en fugue, il boit au goulot une bouteille de lait comme un petit chat perdu ; et la scène finale.
- La Chambre verte (1978). L’histoire d’un homme, Julien Davenne, juste après la première guerre mondiale, qui préfère vouer sa vie au culte des morts qu’à la fréquentation des vivants. Il restaure une chapelle dans laquelle il érige une spectaculaire forêt de cierges à la mémoire de ses chers disparus. Le film montre l’enfermement dans l’obsession, qui va crescendo, avec Truffaut dans le rôle de Davenne. Ma scène préférée : celle où le personnage, assistant à la mise en bière de l’épouse d’un ami, se révolte contre la consolation impersonnelle apportée par le prêtre.
- Le dernier. Vivement dimanche ! (1982). Un homme accusé du meurtre de sa femme cherche à prouver son innocence, avec l’aide de sa secrétaire. Ton léger, situations incongrues. Mes scènes préférées : Fanny Ardant qui assomme un suspect avec une Tour Eiffel, Jean-Louis Trintignant incarnant un personnage plein d’élégance et de mauvaise foi, attachant et agaçant, et toutes les scènes se déroulant au commissariat.
Voilà pour ce premier chapitre, j’espère ne pas avoir égaré trop de monde en route et avoir titillé l’appétit de quelques-uns, pour un prochain chapitre.