Après les ouvrages de référence consacrés à la vie de Truffaut – bien que la frontière entre vie et oeuvre soit, en ce qui le concerne, toujours poreuse – voici quelques ouvrages qui se sont penchés sur sa filmographie, que ce soit chronologiquement, ou en traitant un aspect particulier de son cinéma.
Je m’attarderai plus en détail sur un livre, déjà évoqué, et qui m’a marquée sur le sujet, et je finirai cet article, avant la sélection des trois films désormais habituelle, par une petite sitographie sur Truffaut.
Deux ouvrages, un auteur
L’auteur qui a analysé avec le plus de précision la filmographie de Truffaut est Carole Le Berre. Ses deux ouvrages sont une mine d’informations sur chacun des films du cinéaste, depuis les lectures de ce dernier et l’écriture de son scénario, jusqu’à la sortie du film sur écrans.
Le premier, François Truffaut, a été publié en 1993 aux éditions des Cahiers du cinéma, dans la collection Auteurs. C’est un petit livre – la forme rappelle un peu celle d’une brochure – à couverture noire, illustré en noir et blanc de quelques photos de tournage et de documents d’archives, et d’un peu plus de 200 pages.
Comme l’indique la quatrième de couverture, le livre explore les « secrets de fabrication » de l’oeuvre du réalisateur. Il n’est pas construit chronologiquement, mais il se penche sur la « méthode » Truffaut, sur les constantes et les obsessions de son cinéma, archives à l’appui.
On y retrouve d’ailleurs, dans l’avant-propos de Carole Le Berre, l’homme hyper-documenté que j’ai évoqué dans le premier article de ce cycle :
Truffaut qui archivait tout, conservait tout, qui avait gardé de sa jeunesse l’habitude et le goût de constituer des dossiers sur les réalisateurs qui l’intéressaient et dont il suivait le travail (…) s’est mis très vite à garder trace de ses brouillons et notes préparatoires, comme des versions successives de ses scénarios. (…) Ces archives étaient avant tout un vivier dans lequel il puisait incessamment, ressortant des dossiers de leur tiroir pour lancer un nouveau film ou enrichir une écriture en cours, reprenant, parfois des années après, des notes jetées à la file sur un bout de papier, ou des fragments de projets abandonnés.
Si elle ne suit pas l’ordre chronologique des films dans ce premier ouvrage, Carole Le Berre observe l’élaboration chronologique du film, puisque tout commence par le projet pour finir à la mise en scène, en passant par l’écriture.
J’aime particulièrement ce passage du livre, sur la place du regard dans la mise en scène de Truffaut :
Voir sans être vu, voir ce qu’on n’aurait pas dû voir (…). Combien de fois une scène, banale ou épisodique en apparence, prend-elle sens, épaisseur ou ambiguïté, sous le feu d’un regard : les caresses des amoureux guettées par les mistons, les gestes du sauvage surveillés par le Docteur Itard, les plaisirs du lieutenant Pinson complaisamment espionnés par Adèle (…). Le film est toujours double. Derrière une image factuelle, neutre, immédiate, il y a toujours autre chose… Le regard, dans le cinéma de Truffaut, est ce qui tue l’insignifiance.
En revanche, dans son deuxième ouvrage, François Truffaut au travail, publié en 2004 aux éditions des Cahiers du cinéma, Carole Le Berre suit l’ordre chronologique de sortie des films sur écrans.
François Truffaut au travail est ce qui peut être rangé dans la catégorie des « beaux livres » : abondamment illustré, il fait partie de cette collection d’ouvrages publiés par les Cahiers du cinéma sur les cinéastes « au travail », dans laquelle on retrouve également Welles et Almodovar.
On retrouve dans ce livre quelques éléments du précédent (extraits, réflexions), signe que ce dernier a, en quelque sorte, servi d’ébauche, de travail préparatoire – sans que cela n’enlève rien de sa qualité – à cette somme publiée en 2004.
Les images, en couleurs, sont magnifiques, le livre profite de sa mise en page soigneuse et élégante, avec des photographies souvent en double-page, des documents d’archives… le tout donne un sentiment de richesse et de générosité constante, qui se retrouve dans le propos du texte, soucieux de se mettre à la portée du lecteur / spectateur et d’enrichir sans cesse son regard.
Je retiens cette analyse de La Femme d’à côté :
La Femme d’à côté est un film happé par le vide, où les personnages ne cessent de tomber : Mathilde s’évanouit en glissant sur le sol du parking, elle tombe près du parasol, poursuivie par Bernard devant tous lors de la garden-party, s’effondre à terre derrière les courts de tennis, fait l’amour par terre avec Bernard dans la maison vide avant de lui tirer et de se tirer une balle dans la tête…
et cette anecdote un peu plus « légère » du tournage de Vivement dimanche ! :
Cette anecdote enfin : la gifle donnée à Barbara par son patron, rendu furieux d’avoir moisi de nombreuses heures dans l’arrière-salle de l’agence tandis que la jeune femme enquêtait à sa place, l’aurait été par François Truffaut lui-même. Il trouvait que Trintignant ne parvenait pas à y mettre la vigueur voulue et lui dit alors : « Je vais vous montrer ». Il attend l’entrée de Fanny Ardant, fait un clin d’oeil à Nestor Almendros afin qu’il lance le moteur, et lui balance une énorme gifle (…) certain d’avoir ainsi en boîte le sursaut de stupéfaction et le regard de colère voulus.
Un aspect de l’oeuvre : doubles et reflets
Carole Le Berre a publié deux ouvrages sur la filmographie de Truffaut, étudiant tour à tour l’élaboration chronologique de l’oeuvre (projet, écriture, mise en scène) et les films, de manière très approfondie, dans l’ordre chronologique de leur réalisation.
Quant aux études qui se penchent sur un aspect en particulier de l’oeuvre, j’ai déjà eu l’occasion de consacrer un article entier au livre qui a retenu mon attention.
Il s’agit de Truffaut et ses doubles, de Martin Lefebvre, publié en avril 2013 aux éditions Vrin. Ayant déjà analysé le contenu et les qualités de l’ouvrage, je ne vais pas trop m’y attarder, si ce n’est pour rappeler qu’il s’agit d’une étude des phénomènes d’échos et d’auto-citation dans le cinéma de Truffaut, ce qui est très bien énoncé par l’auteur dans son introduction :
Il n’est peut-être pas de meilleure façon pour décrire l’ensemble de l’oeuvre de François Truffaut que de dire qu’elle s’apparente à une immense galerie des glaces (…). Des glaces ou des miroirs qui, en outre, pointent ou réfléchissent dans plusieurs directions à la fois.
La vie, l’oeuvre, littéralement et dans tous les sens
En dehors des biographies évoquées précédemment, et des études citées plus haut, l’ouvrage qui, à mon sens, traite la vie et l’oeuvre de Truffaut comme une totalité, reste le Dictionnaire Truffaut, dirigé par Antoine De Baecque et Arnaud Guigue, et publié en 2004 aux éditions de La Martinière.
Parmi les rédacteurs des différents articles, on retrouve certains auteurs que j’ai déjà eu l’occasion de mentionner : Annette Insdorf, Dominique Rabourdin, Jérôme Tonnerre.
Là encore, j’ai consacré un article – ou plutôt une partie d’article – à ce dictionnaire.
Outre les articles attendus, films, acteurs, réalisateurs, influences diverses du cinéma de Truffaut, éléments biographiques, le lecteur découvre des thématiques qui reviennent régulièrement devant sa caméra et des citations « cultes » que le cinéphile reconnaîtra immédiatement :
- amour définitif
- apparition
- « Ce papier est ta peau, cette encore est mon sang… »
- chat (au petit déjeuner)
- cierge
- évanouissement
- « Les femmes sont magiques »
- « Les films sont plus harmonieux que la vie »
- livres
- obsessions
Voici quelques-uns des articles que l’on peut trouver en feuilletant ce dictionnaire, à la couverture blanche et à la mise en page épurée, que l’on peut tout à loisir poser et reprendre, sans qu’il ne perde rien de son attrait.
Deux extraits. Chat (au petit déjeuner) :
La difficulté de tourner avec des animaux – Truffaut l’apprend à ses dépens – c’est que l’on ne peut les diriger comme des comédiens. Tel ce chat, chaque fois différent et chaque fois le même de film en film, dont on attend qu’il se dirige vers le plateau du petit déjeuner pour y finir un bol de lait.
Pourtant, Truffaut préfère encore filmer un animal et devoir refaire la scène jusqu’à obtenir l’effet voulu plutôt que montrer deux amants qui s’étreignent. Pudeur du cinéaste ? Peut-être. Choix d’éviter les clichés ou une approche trop directe de la réalité ? Sûrement.
« Les jambes des femmes sont des compas… »
(…) Pour Truffaut-Morane, il n’y a rien de plus beau à regarder qu’une femme en train de marcher pourvu qu’elle soit vêtue d’une robe ou d’une jupe qui bouge au rythme de sa marche (…).
Ce qui compte dans tous les cas, c’est le mouvement d’aller et retour. Cela se traduit à l’image par un balayage latéral d’un côté et de l’autre de l’écran, scandé par le son des talons qui percutent le sol en un rythme régulier.
Tentative de sitographie
Après les textes de Truffaut, après les ouvrages de référence sur sa vie et son oeuvre, je suis allée regarder de plus près ce qu’on pouvait trouver sur internet à son sujet. Globalement, j’ai été plutôt déçue par le résultat de ces investigations.
Bien-sûr, Truffaut fait l’objet d’un article sur Wikipédia – pas trop mal construit d’ailleurs – d’une fiche sur l’internet movie database et sur Allociné, ainsi que sur d’autres sites sur le cinéma. L’internaute dispose également d’une fiche biographique sur le portail de ressources de la Bibliothèque du Film, et de la fiche du Ciné-club de Caen, qui n’arrive cependant qu’en quatrième page.
Pour trouver un site exclusivement consacré à Truffaut, il faut aller à la deuxième page des résultats sur Google, et encore, pour ne trouver qu’un site en anglais, certes prometteur, s’il est encore géré, mais allusif. L’un des sites les mieux fournis que j’ai pu trouver à ce stade de ma recherche est un site en anglais également, sur les films de la Nouvelle vague, et qui accorde à Truffaut un article détaillé.
À la troisième page, on trouve enfin quelque chose de conséquent, en français s’il vous plait, même s’il ne s’agit que d’une vidéo sur YouTube, et non d’un site internet, vidéo que je ne peux malheureusement pas intégrer dans le corps de cet article.
J’avoue m’être arrêtée à la page 10, après avoir trouvé quelques blogs et sites cinéphiles dédiant une page au réalisateur, les sites faisant référence à la bibliothèque François Truffaut (situé au Forum des images, à l’intérieur du Forum des halles, belle bibliothèque spécialisée de cinéma), et quelques établissements scolaires.
Fort heureusement, à l’occasion de l’exposition Truffaut, la Cinémathèque française met en ligne une exposition virtuelle : Truffaut par Truffaut.
Quant aux actualités qui apparaissent, elles concernent elles aussi parfois les établissements scolaires, parfois des rues et des centres culturels, mais également, en ce moment, l’exposition organisée par la Cinémathèque, et les nouvelles publications et programmations sur le cinéaste.
Trois films
Terminons par notre sélection habituelle de trois films.
- La Peau douce (1964) avec Jean Desailly et Françoise Dorléac. L’histoire d’un écrivain d’âge mur, marié et père de famille, qui fait la rencontre d’une jeune hôtesse de l’air avec laquelle il a une liaison, l’objectif de Truffaut dans ce film étant de mettre les trois personnages – le mari, la femme, la maîtresse – à égalité, sans qu’aucun ne soit traité d’un point de vue négatif.
- La Mariée était en noir (1968) avec Jeanne Moreau. Après la mort de son mari, le jour de son mariage à la sortie de l’église, abattu par des hommes qui le visait pour s’amuser avec un fusil, Julie Kohler décide de les retrouver et de les abattre un par un. Une histoire de vengeance implacable, avec la musique de Bernard Herrmann – compositeur attitré d’Hitchcock. Mes scènes préférés : la mort de Clément Morane (Michael Lonsdale) et celle de Fergus, l’artiste peintre (Charles Denner).
- La Femme d’à côté (1981). Bernard (Depardieu) et sa femme vivent dans une maison avec leur petit garçon. Un couple s’installe en face de chez eux. Lors de leur première rencontre, Bernard reconnaît Mathilde (Fanny Ardant), avec laquelle il a vécu une passion amoureuse destructrice sept ans auparavant. Ou comment replacer le romanesque au coeur de la vie quotidienne, en la faisant ressentir au jour le jour. Scènes préférées : la scène de retrouvailles, l’évanouissement de Mathilde dans le parking du supermarché, et toutes les scènes avec Mme Jouve, narratrice magnifique.