Avec un peu de retard, voici le compte-rendu de lecture du mois d’avril 2018. Pour cet article, comme pour les précédents articles cinéphiles, j’ai essayé de regrouper sous une même thématique plusieurs ouvrages.

En février, je m’étais intéressée, à travers deux romans, au personnage du figurant. En mars, j’ai profité de la Journée internationale du droit des femmes pour évoquer trois livres consacrées aux femmes de l’univers du cinéma ou écrits par ces dernières.

Cette fois-ci, et bien que la relation entre les deux ouvrages que j’ai choisis soit quelque peu superficielle, je vous propose un petit voyage dans des incipits cinématographiques.

Incipits ?

Qu’est-ce qu’un incipit ? Soyons bêtes et disciplinés et retrouvons la définition qu’un professeur de français aurait pu nous donner (surtout si nous avons eu un parcours littéraire, ce qui est mon cas) :

INCIPIT, subst. masc. inv. PALÉOGR. [P. réf. à la loc. lat. que l’on trouve au début des manuscrits lat. du Moy. Âge : incipit liber « ici commence le livre »] Premiers mots d’un manuscrit, d’un texte ; début d’une œuvre musicale.

Ceci est la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
Et donc, un incipit, c’est tout aussi bien :
« En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque de Digne. C’était un vieillard d’environ soixante-quinze ans ; il occupait le siège de Digne depuis 1806. » ;
« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » ;
« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » ;
« Longtemps je me suis couché de bonne heure. » ;
« J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. »

Ceux que je viens de citer font partie de mes préférés, je vous laisse retrouver d’où ils viennent.

La définition du CNRTL nous informe que l’incipit est le début d’un texte ou d’une oeuvre musicale. Ce peut tout aussi bien être les premières images d’un film, et il peut aussi s’agir, par extension (mais suffisamment maîtrisée), de ce qu’il y a juste avant le film.

Certains spectateurs des salles de cinéma ne supportent pas de louper les bandes-annonces, même lorsqu’elles sont disponibles sur Internet et même si cela doit leur faire subir les publicités.

Pour ma part, j’aime observer la façon dont le cinéma va adapter les bandes-annonces proposées par rapport au film que je vais voir juste après (cinéma d’action, SF, cinéma d’auteur, film pour enfants).

Imaginez ce que cela donnerait si d’aventures le cinéma confondait deux salles ? Je profite donc de cet article pour évoquer une autre forme d’incipit, cette mise-en-bouche particulière qui va nous annoncer un film.

Mise-en-bouche cinéphile

Pour ce premier compte-rendu de lecture, et en guise d’introduction, les images valent mieux que les mots :

Ce que vous venez de voir, c’est donc le générique et l’introduction d’une des plus célèbres émissions françaises consacrée au cinéma :

Le « Cinéma de minuit« , créée en 1976 et diffusée tous les dimanches soir sur France 3.

J’étais adolescente lorsque j’ai découvert cette émission, et je n’ai donc profité du Cinéma de minuit qu’à partir des années 2000.

Et c’est justement cela qui me frappait, et qui a laissé, peut-être injustement, une trace plus forte en moi que les films qui étaient programmés : le générique, avec sa musique et les visages qui se transformaient… Vivien Leigh, Clark Gable, Ava Gardner, Humphrey Bogart, Ingrid Bergman…

Puis il y avait cette voix, tellement particulière, avec son phrasé si élégant, qui vous expliquait ce que vous alliez voir. La voix de Patrick Brion.

Pour les films, je dois au Cinéma de minuit la découverte des toutes jeunes années de Danielle Darrieux (et sa collaboration avec Henri Decoin), et quelques films italiens comme, évidemment, Voyage en Italie de Roberto Rossellini avec Ingrid Bergman et George Sanders.

Et tous les débuts parfaits ne suscitent-ils pas une fin digne de ce nom ? Aussi j’ai toujours associé le générique du Cinéma de minuit à la scène finale de Cinema Paradiso :

Et donc, pourquoi le Cinéma de minuit ?

Parce qu’en octobre 2017, Patrick Brion a publié aux éditions Télémaque un livre magnifique consacré à son émission : Cinéma de minuit : 40 ans – 2000 films.

L’ouvrage est sublime. Sur ses 760 pages et quelques s’étale la programmation de l’émission, décennie après décennie, cycle après cycle :

Ce qui compte surtout pour le lecteur, ce sont les images et les films replacés dans chaque cycle.

J’y ai retrouvé le cycle Decoin, diffusé entre le 11 mai et le 15 juin 2003, le cycle « Aspects du cinéma italien » qui m’a fait connaître Parfum de femme le 2 novembre 2003, le cycle Vincente Minnelli avec lequel j’ai découvert La Toile d’araignée le 2 janvier 2005, le cycle Douglas Sirk, durant lequel j’ai continué à suivre Lauren Bacall dans Écrit sur du vent le 6 novembre de la même année.

J’étais une visiteuse occasionnelle du Cinéma de minuit, avec une cinéphilie quelque peu hasardeuse : j’ai regardé Decoin parce que j’aimais Danielle Darrieux, Minnelli et Sirk parce que j’adorais Lauren Bacall dans les films qu’elle avait tournés avec Humphrey Bogart.

Les émissions passaient tard le dimanche soir, je les enregistrais sur cassettes vidéos. Mais toujours ce qui me captivait, c’était ce générique et cette voix, magnifiques introductions à la découverte du cinéma.

Incipits cinématographiques

Les premières images d’un film : un moment aussi décisif que les premiers mots qu’on lit d’un roman.

Je dois ma deuxième lecture à mon amie Laura, qui déniche pour moi des textes cinéphiles qui n’ont pas encore eu la chance ni le temps d’être traduits en français : grâce à elle, j’avais découvert In my father’s shadow, de Chris Welles Feder, la fille d’Orson Welles, et l’autobiographie d’Anjelica Huston.

Cette fois-ci, il s’agit d’un ouvrage publié en 2017 aux Columbia University Press, Cinematic Overtures : how to read opening scenes.

Son auteur est Annette Insdorf, professeure à l’université de Columbia et que je connaissais jusque là surtout pour avoir écrit une biographie de François Truffaut, publiée en français dans la collection « Découvertes Gallimard ».

Ce livre tend à démontrer que les premières minutes d’un film sont déterminantes. De la même manière, les premiers mots de ce livre posent le décor, avec sobriété et efficacité, et donnent envie de prolonger la lecture :

First impressions count. A strong opening sequence leads the spectator to trust the filmmakers. My experience watching films – as well as teaching cinema history and criticism – suggests that a great movie tends to provide in the first few minutes the keys by which to unlock the rest of the film.

Je traduis (ou du moins j’essaye) :

Les premières impressions comptent. Une scène d’ouverture pleine de force amène le spectateur à se fier aux réalisateurs. D’après mon expérience de spectatrice – et de professeur enseignant l’histoire du cinéma et la critique de films – un grand film va chercher à proposer dans ses premières minutes les clefs pour déchiffrer le reste du film.

J’ai essayé de donner la traduction la plus fluide possible, mais évidemment je ne suis ni bilingue, ni professeur d’anglais…

Tout en évoquant ce livre et ses différents chapitres, je ponctuerai mon texte des premières images qui m’ont marquée en tant que spectatrice, qu’elles soient anciennes ou récentes.

L’ouvrage se découpe en huit chapitres qui, chacun à leur tour, explore une façon d’ouvrir un film, sans pour autant réduire ce film à une façon de faire.

Si le premier chapitre se concentre surtout sur le générique, avec des exemples tels que les ouvertures des films d’Hitchcock (comme La Mort aux trousses) d’Almodovar (Annette Insdorf évoque Parle avec elle, mais je lui préfère l’ouverture de Volver) ou encore celles de Stephen Frears, les chapitres suivants évoquent davantage les premières scènes.

Dans son premier chapitre, Insdorf étudie les premières scènes d’un film adapté d’un livre, et donne comme exemple Le Conformiste, L’Insoutenable légèreté de l’être ou encore Le Tambour

Elle étudie ensuite les différentes façons d’installer une histoire : soit avec une longue prise qui tient sans interruption le spectateur en haleine, comme dans Le Parrain, soit avec une histoire qui se superpose à différentes images et que l’on va construire progressivement, à partir des éléments qui nous sont donnés, comme dans Z ou La Liste de Schindler.

Puis elle oppose un film s’ouvrant avec le point du personnage principal, comme dans Le Lauréat, le spectateur tout comme le personnage ayant à répondre à la question « Qui suis-je ? » durant le reste du film, et le point de vue collectif, avec la présentation d’une communauté, comme dans Le Bal d’Ettore Scola (un film incroyable qui raconte l’Histoire de 1936 aux années 1990, à travers une salle de bal) et La Nuit américaine de François Truffaut.

Enfin, les deux derniers chapitres sont ceux consacrés aux réalisateurs qui s’amusent à égarer le spectateur avec leurs scènes d’ouverture, soit en les menant dans une direction inattendue (Hitchcock nous montrant une scène d’amour dans les premières minutes de Psychose, bien éloignée de ce qui va ensuite se produire), soit en ouvrant le film avec la voix d’un personnage, jusqu’à ce que l’on découvre que ce dernier est mort, et un flashback. C’est le cas de deux bijoux cinématographiques que j’adore : Sunset Boulevard et American Beauty.

L’ouvrage d’Insdorf est captivant, même si je me doute que, ne maîtrisant pas parfaitement l’anglais, et n’ayant pas vu tous les films dont elle parle, je n’ai pas pu l’apprécier complètement et à sa juste valeur.

Néanmoins, sa mission semble parfaitement remplie, puisqu’elle m’a donné envie de revoir les films que je connaissais, pas seulement leurs premières minutes, mais véritablement d’un bout à l’autre, et d’aller à la rencontre des films qu’elle me présentait pour la première fois.

Et vous, que vous faut-il dans les premières minutes d’un film pour vous donner envie de voir le reste ? Et quelles scènes d’ouverture vous ont marqués suffisamment dans votre imaginaire de spectateur ?

Il aurait fallu parler aussi des séries télévisées : quelles séries nous font « mordre à l’hameçon » et comment ? Faut-il juste le générique, qui installe une ambiance, ou bien le premier épisode, qui présente les personnages ? Ou faut-il passer un rite d’initiation et accepter deux ou trois premiers épisodes déconcertants avant d’être embarqués par l’histoire ?

Et parmi les films que j’ai cités, je rajoute donc quelques séries, qui m’ont embarquée dès le début ou que j’ai dû laisser m’apprivoiser pour les apprécier : Breaking Bad, Game of Thrones, House of Cards, Sense 8, Westworld, The Newsroom, Downton Abbey, The Crown, La Casa de Papel

Tout cela à voir ou à revoir sans modération !