Après l’assassinat du duc d’Enghien, prince de sang royal jugé dans le cadre d’un procès expéditif et condamné à mort, puis fusillé dans les fossés du château de Vincennes sur l’ordre de Napoléon en 1804, on a attribué tantôt à Fouché, tantôt à Talleyrand la sentence suivante : « C’est pire qu’un crime. C’est une faute. »
Ce rapprochement entre le crime et la faute n’est pas seulement étymologique – le latin crimen désigne à la fois l’accusation et la faute, la souillure. Le crime définit une infraction très grave qui porte atteinte à autrui. La faute est le manquement à un devoir ou à une règle. Les deux termes s’utilisent avec le verbe « commettre » : commettre un crime, commettre une faute.
Lorsque j’entends la dernière chanson d’un chanteur qui m’insupporte, lorsque je tombe par hasard sur la bande-annonce du dernier film d’un acteur que je ne peux pas voir en peinture, j’ai tendance à dire : « Un tel a commis un film… as-tu entendu ce que Un tel a commis ? » Je rapproche donc volontairement le crime, l’atteinte à la vue ou aux oreilles d’autrui – et dans ce cas-là, des miennes – et le manquement aux règles de l’art. Pour moi, ce rapprochement devient quasi systématique lorsqu’une actrice décide qu’elle sait chanter ou qu’une chanteuse veut faire l’actrice. La plupart d’entre elles rentrent d’ailleurs dans la catégorie des « minaudantes », ces actrices (je dis actrices et non comédiennes) se consacrant exclusivement à des rôles où elles geignent, ont un regard de chien battu, et la profondeur dramatique d’un plateau de fruits de mer.
Tout ce préambule n’était pas tant destiné à vouer les « minaudantes » aux gémonies, qu’à souligner le rapprochement entre crime, faute et également erreur, les trois pouvant être utilisés avec le verbe « commettre ». Pour les deux premiers, la notion de culpabilité est omniprésente. La faute, c’est la tache, la souillure, la petite trace sur la clef volée de Barbe bleue, « ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute », La Faute de l’abbé Mouret, les filles qui ont « fauté », etc.
Pour ce qui est de l’erreur, le terme vient de l’errance, et est défini comme l’opinion fausse, mais aussi comme la méprise, et comme la faute. On en vient donc à mettre sur le même tableau un égarement, une orthographe hasardeuse, une fausse idée de l’écriture d’un mot, et la faute, le manquement aux sacro-saintes règles de l’orthographe, voire aux règles du savoir en général. Je ne vais pas répéter ce que l’on retrouve dans les cours de pédagogie et les ouvrages sur la place de l’erreur et / ou de la faute dans le système éducatif français. Je trouve mon approche bien moins déprimante et / ou culpabilisante.
Je ne suis pas (encore) dans la situation de désespérer en permanence de l’orthographe des élèves, ni de culpabiliser ou de faire culpabiliser. Si certaines de leurs fautes d’orthographe me piquent les yeux, d’autres me rappellent les aventures du prince de Motordu, les lapsus de Freud, les « malgré que » de Proust et les voyages d’Ulysse… En gros, pour moi, l’erreur c’est beaucoup moins ça :
que ça :